Intriguée par la concentration de ce garçon en direction du ciel, je
me retourne et suis immédiatement frappée par l’immensité d’une
structure flottant devant nous. Ce n’est pas un simple vaisseau...
c’est une véritable forteresse volante, si vaste qu’elle semble défier
toute logique humaine. Ses contours anguleux tranchent le ciel avec
une précision impitoyable, comme une lame imposante. Elle domine
l’horizon, telle une île arrachée à la terre pour flotter au-dessus de
nous.
Angie — Qu’est-ce que… c’est gigantesque !
Rin — Ce n'est pas un vaisseau ordinaire... C’est une base
volante. Je n’ai jamais vu un truc pareil. Ils sont prêts à tout.
L’ombre qu’il projette engloutit tout le paysage, oppressante et
intimidante. La structure se compose de plusieurs plateformes
empilées, reliées par des passerelles et des pylônes massifs qui
semblent défier les lois de la gravité. Quatre gigantesques turbines
sous la base, des réacteurs à fusion, diffusent une lueur bleutée
éclatante qui teinte le ciel désertique, leur vrombissement résonnant
jusque dans l’air aride.
Des antennes et dispositifs de communication s’élèvent de sa surface,
comme des tentacules scrutant les environs avec une précision
clinique. Panneaux solaires et modules d’armement rétractables
recouvrent la forteresse, rappelant qu’elle n’est pas seulement une
simple station : c’est une machine de guerre, prête à anéantir toute
menace.
Angie — On dirait une ville flottante...
Rin — C’est plus une arme qu’une ville. Ils ne comptent pas nous
laisser filer. Qu'est-ce que tu as fait pour avoir un truc pareil à
tes trousses ?
Des ponts suspendus relient différentes sections de la base, avec des
hangars dissimulant probablement des escadrons de chasseurs prêts à
décoller. Autour du colosse, de petits drones et des unités de
chasseurs tournoient en formation serrée, comme un essaim protégeant
sa reine. La coque massive du vaisseau, rappelant un porte-avions,
mais aux lignes acérées et menaçantes, dissimule une activité
frénétique. Des tourelles et des canons à énergie émergent lentement,
se mettant en position pour l'assaut.
Le ciel lui-même semble se plier sous l’influence de cette machine,
les contours de la base se perdant dans les nuages alors que les
réacteurs grondent avec une intensité démesurée. Tout dans cette
structure est conçu pour imposer une peur écrasante.
Angie — Ils feront tout pour me capturer... ou pire...
Rin — Pour une fois, j’ai rien à ajouter.
Alors que nous cherchons comment fuir, le vaisseau lance soudainement
une salve de tirs dans notre direction. Il n'y a plus de doute
possible : nous sommes devenus des cibles. Les canons à énergie du
colosse flottant rugissent, tandis que ses systèmes de défense
automatisés crachent des missiles et des faisceaux soniques qui
fendent l'air. La forteresse volante montre toute sa puissance. Mon
cœur s'emballe.
Angie — Khô, manœuvre ! Vite !
Khô plonge brusquement pour éviter un tir, battant des ailes avec une
agilité surnaturelle. Des pics de glace jaillissent de ses ailes,
s’écrasant sur les drones les plus proches, mais à chaque instant, de
nouveaux missiles apparaissent à l'arrière, autoguidés et implacables.
Rin — C'est maintenant ou jamais.
D’un mouvement rapide et fluide, Rin glisse ses mains dans ses poches
arrières et en ressort une poignée de pierres. Entre ses doigts, les
pierres scintillent légèrement. Il se retourne avec une élégance
naturelle, sa veste flottant dans l’air, et projette les pierres avec
une précision incroyable. Les missiles explosent en plein vol,
illuminant brièvement le ciel.
Angie — Comment as-tu... ?
Je n’ai pas le temps de finir ma phrase qu’un grondement retentit. Un
canon à ultrason du vaisseau tire, frappant Khô de plein fouet. La
déflagration sonique nous secoue tous, et une onde de douleur traverse
mon corps. Khô chancelle sous le coup, ses ailes battant de manière
désordonnée. Même lui grimace, visiblement affecté par le bruit
assourdissant.
Rin — On ne tiendra pas longtemps à ce rythme... Il va falloir sauter.
Angie — Tu es sûr ? Ce n’est pas trop risqué ?
Rin — On est trop visibles. On saute !
Il n’y a pas vraiment de meilleure option. D'un geste rapide, je
libère Khô de son enveloppe de glace. Son corps scintille alors qu’il
reprend sa forme astrale avant de disparaître.
Angie — Khô ! Libération !
À ce moment-là, il se tourne vers moi, toujours avec cet air
insouciant.
Rin — Euh... J’oubliais. Je m’appelle Rin.
Angie — Quoi ?
Rin — Ce serait dommage de ne pas savoir comment
je m'appelle.
Je n'ai même pas le temps de répondre avant qu’un missile ne passe
tout près de nous.
Angie — Attention à droite !
Je l’attrape par le bras pour le tirer vers moi.
Angie — Nous devons nous concentrer, n'est-ce pas ?
Je lance un sourire timide à Rin, tentant de masquer mon inquiétude.
Il me prend par la taille pour esquiver un nouveau projectile, et nous
entamons une sorte de danse aérienne pour éviter les tirs. Stupéfaite,
je remarque son changement soudain de comportement. En un instant, il
est passé d'une attitude décontractée à une concentration intense. Il
me guide dans nos mouvements, et je me laisse faire, suivant son
rythme. Cette danse enivrante, bien que périlleuse, me rappelle
étrangement les bals royaux de Yonoki où chaque pas était un acte de
grâce et de stratégie.
Comment... Comment peut-il être aussi calme ? Ses gestes sont précis,
presque trop élégants pour quelqu'un plongé au cœur d'une bataille. À
chaque esquive, à chaque rotation, je sens nos corps se rapprocher
imperceptiblement. Je me revois dans la grande salle du palais de
Yonoki, où le parquet de marbre scintillait sous les chandeliers.
Mon cavalier de l'époque me faisait tournoyer, et à cet instant, c’est
comme si Rin me guidait dans une danse semblable, mais cette fois, nos
partenaires étaient le vent et les explosions.
Cette danse, bien que dangereuse, a un effet calmant sur moi. Toute la
tension accumulée depuis des heures s’estompe. Je suis surprise de
trouver un peu de répit au milieu de ce chaos.
Nous faisons un tour rapide, une esquive en spirale. Je sens le
souffle d’un missile frôler ma joue, mais avant que je puisse
paniquer, Rin me fait pivoter dans ses bras pour changer d’angle,
comme un danseur habile qui fait virevolter sa cavalière. Le ciel
tournoie autour de nous, les éclats lumineux des projectiles se mêlant
à nos mouvements.
Nos regards se croisent brièvement. Mes joues s’embrasent sous la
vague d’émotions confuses. Mais un grondement me ramène à la réalité.
Rin libère l’une de ses mains pour projeter un fragment de pierre,
détruisant un missile.
Je lance à mon tour un pic de glace pour dévier un autre projectile,
et sans qu’un mot ne soit échangé, nous agissons en parfaite
synchronisation. C’est comme si nous étions les derniers danseurs sur
une piste de bal invisible.
Nos visages se rapprochent encore une fois, mais avant que je ne
puisse penser plus loin, un éclat métallique frappe l’épaule de Rin.
Angie — Rin !
Rin — Ça va, je gère.
Je vois la douleur sur son visage, mais il reste concentré, sa voix
tendue.
Angie — Et as-tu une idée pour atterrir ? Nos chances de réussite sont
minces, voire inexistantes.
Alors que nous continuons notre chute, Rin ajuste sa prise et me porte
comme une princesse.
Angie — Qu’est-ce que tu fais ? Tu comptes me porter tout le long
comme ça ?
Rin — Disons que c’est plus pratique… et fais-moi confiance,
on n’a pas beaucoup d'options.
Un instant, je ressens le poids de ma claymore contre ma hanche, son
large manche se pressant contre moi et contre Rin. Le problème saute
aux yeux : comment pourrait-il continuer à courir ou à se battre avec
une épée de cette taille dans les jambes ?
Angie — Attends, ma claymore risque de te gêner !
Je m'efforce de dégager la large lame pour qu’elle ne se coince pas
entre nous.
Rin, sans cesser de sourire, ajuste légèrement son appui pour ne pas
me faire lâcher mon épée, mais je le vois grimacer sous l'effort.
Rin — Ça ira. Juste... veille à ce qu’elle ne se prenne pas dans mes
jambes, d’accord ?
Il scrute le ciel et aperçoit un drone de l’AGL qui survole non loin
de nous.
Hikari — Juste en dessous de toi, y’a un drone de l’AGL. Si tu
te poses dessus, tu peux l’utiliser comme tremplin. À ta gauche :
baie d’arrimage sur le vaisseau principal. Cinquante mètres,
trajectoire stable… si tu bouges maintenant.
Rin — Parfait. Hikari, overclocke mes chaussures à 150 %.
Hikari — ...C’est risqué. Mais vu la situation... ok, je déverrouille
les limiteurs. Prépare-toi, ça va secouer.
Angie — Euh... Rin... à qui parles-tu ?
Rin — Ce n'est pas le moment ! C’est trop long à expliquer.
D’un mouvement fluide, Rin utilise ses chaussures propulsées pour
ajuster notre trajectoire. Il se pose sur le drone, l’utilisant comme
support.
Rin — Accroche-toi bien. On va se rapprocher du vaisseau.
Angie — Attends… quoi ?
Ses chaussures émettent une lumière éclatante. Je m'accroche fermement
à son bras tandis que nous glissons vers l’entrée d’un hangar. À
quelques centimètres du sol, nous flottons littéralement comme sur un
coussin d’air. Nous parcourons plusieurs mètres avant d'être stoppés
brutalement par la structure du hangar. Je ferme les yeux, m’attendant
au pire, mais quand je les rouvre, je réalise que Rin a pris tout le
choc pour me protéger.
Angie — Rin... ça va ?
Il tente de sourire, bien que la douleur soit évidente. Ses chaussures
émettent des étincelles et de la fumée.
Rin — Je crois qu'elles sont foutues, mais au moins, on est à l’abri
pour le moment.
Angie — Rin, ça va ?
Rin — Non ! Mon épaule me fait atrocement mal.
Angie — Désolée, attends, je vais te soigner !
J'approche mes mains de son épaule pour appliquer du froid sur sa
blessure, mais l’impact a été si violent que l’effet semble limité.
Rin tente de sourire, bien que la douleur soit évidente. Ses
chaussures émettent des étincelles et un peu de fumée.
Rin — Je crois qu'elles sont fichues, mais au moins, on est à l’abri
pour le moment.
Angie — Je vais essayer quelque chose de plus efficace, mais ce n'est
pas sans risque. Tu vois, tu n'es pas le seul à avoir des inventions
utiles.
Je sors rapidement un injecteur médical. La seringue, fabriquée à
partir d'un matériau léger et résistant, est conçue pour être
manipulée facilement en situation d’urgence. Elle contient un liquide
de teinte blanche. Je lui injecte le contenu et surveille sa réaction.
Rin se tend légèrement avant de se détendre, ses traits marqués par la
douleur se relâchant un peu.
Rin — Whaaao ! Ton truc est vraiment efficace. C’est quoi exactement ?
Angie — Un analgésique puissant, dérivé de mes pouvoirs.
Il engourdit temporairement les terminaisons nerveuses et réduit
la douleur. Mais ce n’est pas un traitement définitif, juste un répit.
Rin — Impressionnant. C'est sûrement dû à mon affinité.
Angie — Comment ça ?
Rin — Moi aussi, je suis un Radiant. Je ne me repose pas uniquement
sur des gadgets. La roche et la glace, c’est lié, non ? Ça rend
peut-être ton traitement plus efficace sur moi.
Angie — Pourtant, tu n'as rien d'un noble.
Rin — Pourquoi devrais-je en être un ? Tout le monde peut avoir des
pouvoirs ici.
Angie — Dans mon pays, seuls les gens de haut rang ont des pouvoirs
grâce à leur famille.
Je l’aide à se relever, et nous continuons à avancer prudemment dans
le hangar. Tandis que je réfléchis à ses paroles, je me rends compte
qu'il pourrait bien avoir raison. À Yonoki, notre peuple possède des
particularités génétiques uniques. Notre île, enveloppée de neige et
de glace, nous a forcés à évoluer différemment. Notre peau est plus
claire que celle des autres peuples du monde. Ce sont des adaptations
naturelles, forgées par des siècles d’isolement et de survie dans des
conditions extrêmes.
Angie — Chez moi, à Yonoki, nos corps se sont adaptés au froid
extrême. Tous les habitants ont une résistance naturelle aux basses
températures, et nos cheveux ont souvent des teintes uniques, comme le
bleu sombre ou le blanc éclatant. Quand des délégations de l'AGL
venaient, on ne pouvait pas manquer la différence entre eux et nous.
Je ne pensais pas qu'un étranger pourrait réagir aussi bien à nos...
traitements. Peut-être que nos affinités sont plus liées que je ne
l’imaginais.
Rin — C’est vrai que je n’ai jamais vu quelqu’un avec des cheveux de
cette couleur naturellement. Ici, il faut se teindre les cheveux si on
veut des couleurs vives.
Angie — Oui, mais cette particularité n’est qu’une des nombreuses
différences entre mon pays et le vôtre. Chez nous, seuls les nobles
héritent des pouvoirs. C’est un privilège, mais aussi un moyen de
garder le contrôle, je pense.
Rin — Ça doit créer une sacrée division entre les gens.
Je remarque qu’il touche un point sensible. Chez nous, cette
hiérarchie est établie depuis des générations ; elle semble gravée
dans nos traditions.
Angie — Oui, ça perpétue une hiérarchie où seuls quelques-uns sont
privilégiés. Mais parfois, des gens hors des lignées nobles
développent des pouvoirs incroyables. Ils sont si rares qu’ils sont
souvent promus à des rangs plus élevés. Mais cette élite garde
fermement les rênes du pouvoir.
Rin — Ici, tout le monde a sa chance. Mais ce n’est pas non plus
parfait. Les grandes organisations, qu’elles soient obscures ou non,
veulent toujours exploiter ceux qui manifestent des particularités.
Angie — Je ne peux pas imaginer une société où les dons ne sont pas
liés à une caste. Cela changerait tellement de choses chez nous.
Là-bas, c’est l’héritage qui décide de tout. C’est fascinant de voir à
quel point nos mondes sont différents, mais aussi à quel point ils se
rejoignent sur certains points.
Nous arrivons au fond du hangar, face à une immense porte métallique
verrouillée. Rin s'accroupit légèrement et s'approche d’un panneau de
contrôle à côté de la porte. Il sort un petit dispositif de l’une de
ses poches et l’applique sur le lecteur de carte. Le dispositif se
fixe avec un clic, et aussitôt, des écrans holographiques apparaissent
devant lui, projetant une lueur bleutée qui éclaire son visage.
Rin — Je vais voir ce que je peux faire.
Tandis qu’il manipule les interfaces virtuelles avec des gestes
rapides et précis, ses doigts dansent sur les commandes
holographiques. Des flux de données défilent à une vitesse
vertigineuse, mais malgré ses efforts, je remarque une moue de
frustration sur son visage.
Angie — Qu'est-ce qui se passe ? Tu ne peux pas l'ouvrir ?
Rin — Ça va prendre un peu plus de temps. La sécurité est plus
renforcée que prévu, ils ont mis en place des protocoles spécifiques.
D’autres écrans apparaissent, ajoutant des couches d’informations
complexes qu’il analyse. Ses mouvements sont rapides et précis,
cherchant à contourner les systèmes de sécurité.
Angie — Tu as trouvé quelque chose ?
Rin — Ouais, c’est un vaisseau de guerre de la branche Delta de l'AGL.
Ils l'appellent "Garuda".
Angie — Garuda, comme l’oiseau mythique ?
Rin — Exactement. Ils adorent les références mythologiques. Ça leur
donne un air dramatique avec leurs machines de guerre.
Malheureusement, il semblerait que le Garuda utilise un système de
sécurité que je n'ai jamais rencontré. Mes tentatives de piratage sont
complètement bloquées. Ils doivent utiliser un codage unique juste
pour ce vaisseau, parce que même avec toutes mes données sur l'AGL,
c’est la première fois que je vois ça.
Angie — Alors, que vas-tu faire maintenant ?
Rin — Quand la technologie échoue, il faut parfois revenir aux
fondamentaux.
Il sort deux pierres de sa sacoche.
Rin — Heureusement, j'ai toujours mes propres capacités pour nous
sortir de ce pétrin. Tiens, regarde ça, un roturier avec des pouvoirs.
Les pierres se transforment, recouvrant sa main, puis tout son
avant-bras.
Angie — En fait, c'est de la lithosynthèse. Tu multiplies les atomes
de cette pierre selon le principe de...
Rin — ....
Angie — Euh, désolée, continue.
Rin — C'est à peu près ça. Je suis impressionné de voir que tu as un
cerveau qui va de pair avec le reste.
Angie — Tu sais que tu es vraiment mauvais pour les compliments,
n’est-ce pas ?
Rin — Je sais !
D’un geste précis, Rin passe sa main à travers la porte, comme s'il
traversait un simple morceau de carton, puis réussit à la faire
coulisser, créant suffisamment d'espace pour passer.
Rin — Je vous en prie, les dames d'abord !
Angie — Tout compte fait, c’est pire.
Après avoir passé la porte, je remarque que Rin traîne un peu derrière
moi. Nous nous retrouvons dans une sorte de salle d’accueil,
silencieuse et vide. Je propose de faire une pause de quelques
minutes. Je ne vois aucun militaire dans le coin, alors autant en
profiter pour reprendre notre souffle.
Rin s'adosse contre le bureau d’accueil, visiblement épuisé, puis
laisse échapper un soupir avant de sortir quelque chose de sa poche.
Rin — Bon, j'ai un plan pour nous échapper. Hikari, fais une analyse
des lieux.
Je le regarde, perplexe. Il vient de parler à quelqu'un… mais il n’y a
personne ici. Est-ce qu'il parle tout seul ? Depuis tout à l’heure, je
l’entends marmonner, mais là… c’est étrange.
Angie — Attends un peu ! Depuis le début, tu parles tout seul. Tu es
schizophrène ou quoi ? C'est dangereux, ça.
Rin — Hein ? Non, pas du tout. C’est vrai que tu ne peux pas
l’entendre. Attends, je vais arranger ça.
Je le vois fouiller rapidement dans sa veste, un peu frénétiquement,
et cela me met sur mes gardes.
Angie — Tu cherches quoi exactement là-dedans ?
Rin — Ne t'inquiète pas, je ne vais pas sortir un couteau ou faire un
truc bizarre. Je cherche juste une oreillette.
Je le vois fouiller rapidement dans sa veste, un peu frénétiquement, et cela me met sur mes gardes.
Angie — Qu’est-ce que tu fais ? Tu cherches quoi exactement là-dedans ?
Rin — Ne t'inquiète pas, je ne vais pas sortir un couteau ou faire un truc
bizarre. Je cherche juste une oreillette.
Il peut lire dans ma tête ou quoi ?
Non, sérieusement, il m’a entendue penser ou… ?
Rin — Non, mais quand on voit ta tête, c'est facile de prédire tes pensées.
…Il me fait peur.
Rin — Tu as de la chance que j’aie encore l’ancienne version sur moi,
au cas où. Tiens.
Il me tend un écouteur discret. Dès que je le mets, il s’ajuste
automatiquement à la forme de mon oreille. Léger, presque invisible.
Hikari — Vous voyez ? C’est ce qui arrive quand on passe sa vie à
jouer les loups solitaires. À force de ne jamais bosser en équipe…
Rin — Moins de commentaires, plus de carte. Tu peux nous sortir un
plan ou pas ?
Hikari — Ça va prendre quelques minutes. Patience.
Angie — Bon... Bonjour ?
Hikari — Bonjour, Princesse D. Luce. Je suis Hikari, assistante
personnelle de Monsieur Rin. Enchantée.
…Assistante personnelle ?
Angie — Attends... quoi ? T’as embauché quelqu’un pour te suivre comme
un larbin ? Elle t’appelle même "Monsieur" ? C’est sérieux, là ? Je
savais que t’étais un peu bizarre, mais de là à jouer les nobles...
Rin — Non mais... pas du tout. C’est pas une vraie personne ! Enfin…
pas comme tu crois.
Angie — Pardon ?
Rin — C’est une IA. Une intelligence artificielle. C’est un programme,
Angie. Pas une employée. Encore moins une esclave.
Hikari — Je suis une IA conçue et développée par Rin pour l’assister
dans ses activités. Mon rôle est fonctionnel, mais j’ai une certaine
autonomie dans mes décisions.
Angie — …T’es pas humaine ? Pourtant tu parles comme si tu l’étais.
Je plisse les yeux, méfiante. Y a un truc qui cloche.
Angie — Écoute, ne t’inquiète pas. Dès qu’on sort d’ici, je te libère
de tes chaînes numériques. L’esclavage, même sous forme de code, j’en
veux pas autour de moi.
Rin —Sérieusement...
Il se passe une main sur le visage et s’effondre doucement sur un
caisson métallique comme s’il abandonnait tout espoir.
Rin — Je suis sûr qu’elle fait exprès.
Hikari — Statistiquement… c’est plausible.
Je vois Rin dépité, se cachant le visage avec sa main, puis s'asseoir
non loin de là pour récupérer un peu.
Angie — Ah… j’ai cru un instant que tu faisais partie de ces types qui
traitent les gens comme des serviteurs.
Hikari — Je suis conçue pour répondre aux besoins de Rin de manière
optimale. Mais je vous rassure, Princesse, je ne suis pas une esclave.
J’ai même un protocole d’adaptation contextuelle. Il inclut… du
sarcasme. Ou de l’humour. C’est selon.
Rin — Et ça, je l’ai pas codé. Elle l’a développé toute seule.
Malheureusement.
Angie — Mmh… ok. Reste ici pour le moment. Je vais jeter un œil
autour, voir si c’est tranquille.
Je m’éloigne doucement, les pas prudents, pendant que Rin s’étale sur
un banc comme si c’était un sofa cinq étoiles. Sérieux, comment il
peut rester aussi calme après tout ça ?
Il joue les gars détachés, mais je le sens… y a autre chose derrière.
Ce genre de calme, ce n’est pas de la zen attitude. C’est du contrôle.
Un truc qu’il s’est forgé. Et je me demande… à quoi il pense, là,
maintenant.
__________________________________________________________
Je bâille si fort que j’ai presque l’impression de me déboîter la
mâchoire. Tout cet après-midi m’a épuisé.
Rin — Je pourrais vraiment faire une sieste, si la douleur dans mon
épaule n'était pas aussi lancinante...
Je me relève lentement, inspectant la blessure. C’est plus sérieux que
je ne le pensais. La technologie médicale à ma disposition ne pourra
pas vraiment la guérir, mais au moins, ma veste a absorbé une partie
de l'impact ; sans elle, j'aurais probablement perdu mon bras. Angie a
réussi à calmer la douleur temporairement, et pour ça, je lui suis
reconnaissant. Nos débuts ont été… quelque peu chaotiques, mais je
crois qu’on a trouvé notre équilibre, même si ça ne fait que quelques
heures qu’on se connaît.
Je repense à la façon dont on a réussi à s'échapper. Elle est
incroyablement réactive et a suivi mes instructions sans hésiter, même
quand nos vies étaient en jeu. C’est comme si on formait une équipe
depuis des années. Elle est vraiment intrigante… Depuis qu’elle a
enlevé son manteau, j’ai remarqué à quel point sa tenue est marquée
par des traces d’épreuves passées. Elle porte une robe aux tons gris
et argentés, sans doute autrefois élégante, mais désormais déchirée,
abîmée et couverte de taches de sang séché.
Malgré tout, elle conserve cette dignité, une certaine fierté qui se
reflète dans son attitude et dans son apparence, même au milieu du
chaos. Les points de couture grossiers et les entailles sur le tissu
racontent des histoires de batailles, de défis, et d’un parcours qui
ne semble pas avoir été de tout repos. C’est comme si elle portait ce
passé, peut-être même royal, avec une résilience qui me fascine. La
combinaison de sa tenue abîmée et de son regard déterminé ajoute une
profondeur à son personnage ; elle n'est pas seulement en quête de
survie, elle est en quête de quelque chose de bien plus personnel.
Je secoue la tête pour me reconcentrer, mais mes pensées dérivent vers
Hikari. Depuis sa dernière mise à jour, je note des nuances dans ses
réponses, parfois même un brin de sarcasme. Elle ne se limite plus à
des faits ; c’est comme si elle développait une sorte de personnalité
propre. J’ai beau essayer de rester distant, je commence à apprécier
cette évolution. Peut-être qu’avoir un peu de caractère est exactement
ce dont j’ai besoin, surtout dans ce genre de situation.
Je suis interrompu par la voix d'Angie dans mon oreillette,
m'annonçant que la voie est libre. Je me lève, prêt à ignorer la
douleur dans mon épaule pour avancer.