Le célibat dorénavent persistant a délivré en partie Amélia. En partie seulement, puisque sans parler de la misère sexuelle et affective qu'elle comblait par la nourriture et l'alcool, elle déprimait de solitude. Mais Amélia avait quelques bons amis, des activités de loisirs et artistiques, et écrivait. Elle avait publié son premier roman à l'âge de 31 ans, dans une prestigieuse maison d'édition. Mais elle ne se vantait pas d'être écrivain à tout va. C'était une fierté dont elle ne se glosait guère.
Son amie Alexandra était très liée à elle depuis son adolescence, malgré une parenthèse silencieuse de quelques années. Elle savait qu'elle pouvait compter sur elle. Amélia avait conservé aussi une amie de son enfance, à laquelle elle était très attachée. Et Amélia avait aussi quelques potes, des relations amicales plus ou moins superficielles mais qui comptaient tout autant.
Amélia écrivait des polars, des essais, des poèmes et des nouvelles. Elle avait aussi écrit un article de journal, sur l'art et la psychanalyse. Elle tenait son journal intime depuis ses 14 ans, mais cet écrit-là, elle ne voulait pas le publier pour le moment. Elle pensait à Anaïs Nin.
Un jour, elle fit la rencontre d'un jeune homme lors d'un séminaire sur la psychanalyse et l'écriture. Elle fut subjuguée par tant d'intelligence et de finesse d'esprit. Ce fut le coup de foudre immédiat, mais Amélia était timide, et le jeune homme semblait l'avoir à peine remarquée. Elle prit ensuite l'habitude de retourner à des séminaires, non dans l'espoir de concrétiser, mais par goût du savoir et qui sait si cette rencontre allait être déterminante dans un sens ou dans un autre. Les mois passèrent, mais il ne passait toujours rien sur le plan affectif. Amélia abandonna l'idée avec cet homme, et réussit à passer à autre chose.
Puis, un soir elle alla au cinéma et sympathisa avec une dame à la sortie de la séance. Elle lui proposa d'aller boire un verre. Une amitié voyait le jour, qui illumina la soirée d'Amélia. Elle avait besoin de faire de nouvelles rencontres, et elle était très sociable. Elle avait fait du théâtre pour vaincre sa timidité.
Malgré des aspects très positifs de sa vie, elle continuait de boire quasiment tous les jours. Elle devait se rendre à l'évidence: elle était devenue alcoolique comme son père, mort alors qu'elle avait 39 ans.
Elle se mit à consulter des addictologues: elle voulait s'en sortir. Mais la vie est comme un bocal, pensa-t-elle, je suis comme ces poissons qui tournent en rond, et mes quatre murs sont ma prison.
-Pourquoi tu n'irais pas à la mer? Lui conseilla son amie Alexandra.
-Oui, tu as raison, j'ai besoin de changer d'air.
- Cela te ferait du bien, même si ça te coûte de bouger sur le moment, après tu seras contente. Si tu veux, samedi, je passe te chercher et on passe la journée à St-Malo?
- Oh, merci beaucoup! Tu es une vraie amie, toi. Ok, ça roule pour samedi. Il fera beau en plus...
Le samedi arriva, et elles allèrent déjeuner à St-Malo sur la plage. Puis, Amélia se baigna. Elle avait honte de son corps plus que grassouillet, mais ne voulait s'empêcher de vivre, et son amie la rassura. Elles discutèrent tout un moment, et Amélia lut un peu des pièces de théâtre de Camus.
Pas de prince charmant au rendez-vous, mais elle décida de faire une pause assez conséquente pour l'alcool. Et se mit à écrire frénétiquement dès le lendemain. Elle en était à son troisième polar, intitulé : "Melmoth, le chien assassin".