Le chaos qui règne depuis mon départ de Yonoki reflète bien l’état de mes pensées. Tout semble incertain, flou. Chaque décision que je prends me rapproche un peu plus du danger. Fuir Yonoki devait m’apporter la liberté, mais à chaque instant, je me demande si c’était vraiment le bon choix. Pourtant, au milieu de tout ce désordre, il y a Rin. Sa confiance et sa détermination sont presque rassurantes. Peut-être devrais-je lui faire confiance… au moins pour l’instant.
Je reviens dans le sas d’accueil. Rin, à peine remis sur pied, s’avance vers moi tout en activant un appareil qu’il jette au sol. Immédiatement, une carte holographique en 3D du Garuda apparaît devant nous. Les détails sont clairs et précis. Je ne suis pas étrangère aux hologrammes, mais je dois admettre que la technologie de Sokatsu est bien plus avancée que tout ce que j’ai vu jusque-là. Heureusement, je peux suivre.
La carte révèle plusieurs couches : l’infrastructure énergétique du vaisseau, les circuits de gaz pour la propulsion et même le réseau des conduits de ventilation. Chaque section peut être analysée en détail, comme si nous pouvions nous déplacer virtuellement à l’intérieur du Garuda.
Rin — Hikari a réussi à extraire les plans du vaisseau. On a maintenant un
visuel complet de la structure interne.
Je hoche la tête en observant attentivement les contours du Garuda projeté en 3D. Ce vaisseau est une véritable forteresse volante. Les détails sont impressionnants : des passages étroits, des systèmes de sécurité complexes, et des réacteurs massifs. Tout est là, à portée de main, si seulement nous savions exactement comment en tirer parti.
Mais quelque chose me titille depuis notre arrivée.
Angie — Attends une minute… Si ce vaisseau est aussi bien équipé pour
surveiller tout ce qui bouge, pourquoi n’y a-t-il pas de gardes ici ?
On traverse une forteresse, et on n’a croisé personne. C’est… bizarre, non ?
Rin détourne son regard de l’hologramme, un sourire à peine perceptible aux lèvres.
Rin — Tant que tu restes près de moi, on ne peut pas être détectés.
Je suis naturellement effacé des caméras et autres capteurs grâce
à Hikari. Elle a aussi créé des leurres dans d’autres sections du vaisseau.
Les soldats doivent être en train de courir après des fantômes pendant
qu’on s’infiltre ici.
Je réfléchis un instant. C’est une explication qui tient la route, mais ça n’efface pas complètement mon sentiment de malaise. Ces leurres… ils ne fonctionneront pas indéfiniment.
Angie — Donc, si je comprends bien, on a un peu de répit, mais ça
ne durera pas.Ils finiront par se rendre compte que quelque chose
cloche, non ?
Rin sourit à nouveau, confiant.
Rin — En gros, oui. Ça nous donne une dizaine de minutes. Assez pour
avoir les plans, établir un plan d’action et même prendre le luxe de
souffler un peu.
Angie — Tu réalises qu’on a déjà bien entamé ces "dix minutes", non ?
On est plutôt en train de courir après le temps, là.
Rin hausse les épaules, toujours aussi calme, presque trop calme. Je ne peux m’empêcher de lever les yeux au ciel. Cette nonchalance me met les nerfs en pelote, mais je dois admettre que, jusqu’à maintenant, ça marche.
Angie — Et si on utilisait ce temps pour voler un vaisseau et s’enfuir ?
Pourquoi passer par un plan aussi compliqué si on peut simplement fuir ?
Rin me regarde un instant, réfléchissant à ma suggestion. Son silence ne dure que quelques secondes, mais je comprends qu’il a déjà une réponse en tête.
Rin — Parce que même si on arrive à s’échapper, le Garuda nous
traquerait jusqu’au bout. Leurs systèmes de détection couvrent des
centaines de kilomètres et, une fois qu’ils nous auront repérés, il n’y a
nulle part où se cacher.
Il zoome sur une partie du schéma holographique, là où se dressent d’imposantes antennes.
Rin — Regarde. Ces antennes-là, au sommet. Ce sont des relais de
communication et de détection. Si on les met hors service, le Garuda
perdra sa capacité à nous suivre.
Je me penche pour mieux voir. Les antennes ressemblent à des tours de surveillance, imposantes et menaçantes, comme des yeux géants scrutant chaque mouvement.
Angie — Donc, notre objectif est de désactiver ces relais ? Pourquoi ne
pas pirater directement le système central du vaisseau ?
Rin secoue la tête, comme s’il anticipait ma question.
Rin — Trop risqué. Ils s’attendent à une attaque directe sur le système
central. Le Garuda est un monstre technologique, conçu pour anticiper
ce genre de manœuvres. Si on attaque les relais, ça les désoriente,
et ils ne pourront pas nous suivre une fois qu’on sera dehors.
Je réfléchis rapidement à ses paroles. Il a raison. Une attaque sur le système principal serait suicidaire. En revanche, détruire les antennes pour brouiller leurs signaux… ça, c’est faisable.
Angie — Et pourquoi cette antenne en particulier ? Elles ont toutes
l’air similaires.
Rin pointe du doigt la plus grande antenne.
Rin — Celle-là, c’est le relais principal. Elle coordonne toutes les autres.
Si elle tombe, tout le réseau tombe avec elle.
Je hoche la tête, comprenant maintenant l’importance de cette mission.
Rin se fige un instant, son regard se posant sur moi avec cette étincelle malicieuse dans les yeux. Je le sens réfléchir à quelque chose. Puis, sans crier gare, il prend la parole.
Rin — Tu sais quoi, Hime ? Toi, tu vas t’occuper des antennes.
Je cligne des yeux, surprise par ce surnom. Hime ? Sérieusement ? Ce n’est pas exactement ce que j’appellerais de la politesse venant de lui.
Rin — Moi, je vais… disons, m’assurer qu’ils aient autre chose à faire
que de se concentrer sur toi. Je vais créer un peu de chaos dans ce joli vaisseau.
Angie — Attends… moi ? Pourquoi est-ce que je m’occupe des antennes ?
Tu ne penses pas que je devrais plutôt venir avec toi, vu que c'est toi l'expert
en technologie ?
Rin rit doucement, son sourire espiègle s’élargissant alors qu'il pointe l'antenne sur l’hologramme.
Rin — Ne t’inquiète pas. Saboter une antenne, c’est beaucoup plus
simple que tu ne le penses. Et pendant ce temps, moi, je vais faire ce
que je fais de mieux : détruire des choses. Plus je leur en fais baver,
moins ils se rendront compte de ce que tu fais.
Je croise les bras, pas totalement convaincue par le plan. Un surnom moqueur, et maintenant je dois m’occuper des antennes ? Mais quelque chose dans son assurance me pousse à accepter malgré mes doutes.
Rin continue de zoomer sur la carte holographique, ses doigts suivant les lignes complexes qui montrent les couloirs sinueux du Garuda. Il désigne une série de passages qui montent en spirale vers le sommet.
Rin — Les antennes sont là, tout en haut. Si tu prends ce chemin ici
et que tu utilises cet accès latéral… ça devrait te permettre d’y arriver.
Je regarde l'endroit qu'il me montre. C’est un véritable dédale. Rien que de penser à longer ces couloirs me fait perdre patience. Je fronce les sourcils et continue de scruter la carte. Mes yeux s’arrêtent sur quelque chose de beaucoup plus simple, beaucoup plus direct.
Angie — Attends une seconde… ce chemin est compliqué et tu sais
comme moi qu’il y a de fortes chances que ce soit surveillé. Là !!!
Regarde ! Il y a un ascenseur de maintenance qui va directement
jusqu’au sommet. Plus rapide et sûrement moins risqué.
Je m’attends à ce qu’il conteste, mais je surprends une étincelle dans ses yeux, un mélange de surprise et de satisfaction.
Rin — Bien vu, c’est pas mal du tout comme idée.
Il sourit en retour, tout en désignant à nouveau les antennes sur la carte.
Rin — Ok, prends l’ascenseur de maintenance. Mais attends mon
signal avant de tout désactiver là-haut. Je vais faire assez de grabuge
ici pour attirer leur attention ailleurs.
Angie — Je suppose que ça tient la route… Bon, c’est quoi le
plan exactement ? Comment je fais sauter ces relais ?
Rin sort un petit dispositif de sa poche et me le tend. Il ressemble à un mini-explosif sophistiqué.
Rin — Ce joli joujou. Pose-le sur le relais principal et il fera tout le travail.
Tu auras quelques minutes pour t’éloigner avant que ça explose.
Je prends le dispositif, mais mon hésitation reste palpable. Je reste plantée là une seconde, un peu perplexe.
Angie — Et ce sera quoi, le signal ?
Rin ne se retourne même pas, déjà en train de s’éloigner, un signe de main au loin.
Rin — Le signal ? Ah… tu le sauras quand ça arrivera. Fais
confiance au chaos.
Angie — Rin ! ce n’est pas vraiment un plan, tu sais…
Il disparaît rapidement dans les couloirs du vaisseau, me laissant seule avec mes doutes. Je prends une profonde inspiration et me dirige vers les ascenseurs de service, les idées encore floues, mais le devoir me pousse à avancer.
L'ascenseur de maintenance démarre dans un léger grondement, et je me retrouve enfermée dans une cabine de verre, seule avec mes pensées. Un silence pesant s’installe, seulement troublé par le vrombissement des mécanismes et le cliquetis des câbles.
Les lumières froides du Garuda défilent autour de moi, projetant des reflets métalliques sur la vitre. Ce vaisseau est immense, une véritable prison d’acier suspendue dans le ciel. Un labyrinthe de corridors, de hangars et de passerelles où nous ne sommes que des intrus, traqués par un ennemi dont nous ignorons encore l’étendue des forces.
Je baisse les yeux vers mon reflet dans la vitre. Une princesse en fuite. Voilà ce que je suis devenue. Je m'étais promis que quitter Yonoki me permettrait de choisir mon destin, et pourtant, à chaque pas que je fais, je me retrouve enchaînée à un combat qui ne m'appartient pas complètement.
Est-ce que c'était vraiment la bonne décision ?
Fuir Yonoki devait être un renouveau, un moyen d’échapper aux chaînes d’un futur tout tracé. Mais alors pourquoi ai-je la sensation d’être encore plus enfermée qu’avant ? Ai-je échangé une cage dorée contre une autre, cette fois de métal et de chaos ?
Je ferme brièvement les yeux, prenant une longue inspiration. Ce n’est pas le moment de douter. Soudain, un mouvement attire mon regard.
En contrebas, à travers la structure en verre, je distingue un secteur du vaisseau en contrebas, une large passerelle surplombant ce qui semble être une zone d’armement. De là où je suis, je vois des soldats de l’AGL en alerte, en formation serrée, leurs armes braquées vers quelque chose que je ne peux pas encore voir.
Je fixe une silhouette qui s’avance face au groupe de soldats. Est-ce... Rin ?
Non. Quelque chose cloche. Cette veste est différente, bien plus sombre et imposante. Et cette énorme épée… Je ne l’ai jamais vue entre ses mains. Un frisson parcourt mon dos. Ce n’est pas Rin.
Mais alors, qui est-ce ?
L’aura qui émane de cet homme est oppressante, presque bestiale. Il avance avec une précision chirurgicale, chaque mouvement calculé, sans la moindre hésitation. Rien à voir avec la nonchalance habituelle de Rin. Cet homme… il est différent. Dangereux.
Mon instinct réagit avant même que ma raison n’intervienne. Ma main se referme autour de la garde de mon épée. Je ne la dégaine pas, mais je reste prête. Ce sentiment de danger est bien trop réel pour être ignoré. Il ne fait pas partie de l’AGL, c’est une évidence. Mais alors... qu’est-ce qu’il fait ici ?
L’ascenseur s’arrête enfin dans un léger grondement métallique. Les portes coulissent lentement, révélant un couloir désert.
Sans perdre une seconde, je me glisse hors de la cabine. Deux gardes montent la garde non loin, mais leur vigilance est bien trop laxiste. Avant qu’ils ne puissent réagir, ma lame trace des lignes invisibles dans l’air. Une feinte rapide, un coup précis. Ils s’effondrent sans un bruit.
Le chemin étant sécurisé, je me faufile jusqu’à une petite salle de contrôle. Les écrans de surveillance diffusent différentes zones du Garuda. Et ce que je vois me coupe le souffle.
Des explosions. Des incendies. Le chaos s’est abattu sur le vaisseau et au milieu de ce tumulte, une silhouette se déplace avec une aisance terrifiante.
L’homme en noir que j’ai aperçu plus tôt.
Je l’observe à travers les caméras, hypnotisée par la brutalité maîtrisée de chacun de ses gestes. Son épée fend l’air avec une précision implacable, tranchant les soldats de l’AGL comme s’ils n’étaient rien. Chaque impact résonne à travers les haut-parleurs, amplifiant l’ampleur du carnage qu’il laisse derrière lui.
Puis, soudain, il tourne légèrement la tête. Et c’est là que je le vois plus clairement. Son masque.
Un visage figé dans un rictus infernal, rouge comme le sang, aux traits anguleux et grotesques. Les grandes dents déformées de son sourire figé semblent défier toute humanité. L’asymétrie du masque, sa structure géométrique menaçante, tout en lui évoque une bête affamée, prête à tout ravager.
Ses yeux, dissimulés derrière deux fentes noires, ne laissent filtrer qu’une lueur glaciale. Une présence dénuée de toute émotion, de tout ce qui pourrait faire de lui un simple homme.
Et partout où il passe, les structures s’effondrent. Les soldats tombent. Ce n’est pas un simple ennemi.
Ce masque, cette silhouette noire… ils incarnent une force destructrice implacable. Une terreur que je n’avais pas anticipée. Rin pourrait être en danger. Je dois agir.
Angie — Hikari, cet homme, tu peux le suivre ? Il faut
prévenir Rin tout de suite ! Il pourrait être en danger.
Aucun retour.
Un silence inquiétant me répond. Hikari, d’habitude si réactive, ne dit rien.
Je jette un coup d’œil aux appareils. La connexion est-elle brouillée ? Un grésillement parasite finit par se faire entendre, suivi d’une voix hachée.
Hikari — Problème… Signal faible… crzzzzz…
Angie — Hikari, tu m'entends ? On est peut-être trop loin. Réponds !
Les grésillements persistent, parasites insupportables dans mes oreilles. Puis, entre les interférences, quelques mots parviennent à émerger.
Hikari — Analyse en cours… Capacités de combat…
Évaluation… Envoi de soutien… crzzzzz…
Rin est peut-être en danger, mais je dois me concentrer. Ma mission n’est pas terminée. Mon cœur bat la chamade, chaque seconde me pèse comme une enclume.
BOUM.
Une explosion colossale secoue tout le Garuda. La détonation est si violente qu’elle fait trembler la structure du vaisseau entier. Une onde de choc traverse les murs, ébranlant le métal, faisant vaciller les écrans et les lumières.
Je perds brièvement l’équilibre, m’agrippant au mur pour ne pas tomber.
Un grondement sourd continue de résonner dans tout le vaisseau, comme si une partie entière du Garuda venait de céder sous la force du choc.
Angie — C’était quoi ça ?! Hikari, réponds !
Un grésillement plus strident traverse mon oreillette.
Hikari — … Sig… Identific… Ri… D..nger… crzzzzz…
Mon souffle se bloque, est ce que c’est ça, le signal.
Un sourire amer étire mes lèvres. Bien sûr. Faire confiance au chaos. C’est exactement le genre de mise en scène que Rin adore. Pas de temps à perdre.
Je m’élance hors de la salle de surveillance, portée par l’urgence. Je dois atteindre le sommet car le Garuda est en ébullition.
Les alarmes hurlent, les couloirs clignotent sous les lumières d’urgence. Des soldats courent en tous sens, déboussolés par l’explosion. Je profite de la confusion. Chaque mouvement est précis, chaque coup rapide. Un soldat à droite, un autre à gauche. Ils tombent avant d’avoir compris ce qui se passe. Je ne peux pas échouer maintenant.
Enfin, j’atteins la porte menant à l’extérieur.
Dès que j’ouvre la porte, le vent me frappe de plein fouet, glacial et impitoyable. Il fouette mes cheveux, me coupe le souffle. Je plisse les yeux pour percer la tempête qui fait rage à cette altitude. L’air est si froid qu’il me brûle la peau, un froid qui me ramène instantanément à Yonoki.
Mais je n’ai pas le temps de me laisser envahir par la nostalgie. Devant moi, les immenses antennes se dressent.
Des géants d’acier, imposants, presque intimidants. Leurs bases sont ancrées solidement à la structure du Garuda, leurs câbles vibrent sous l’assaut du vent. Elles sont si massives qu’elles semblent inébranlables, des monolithes défiant les cieux.
Je me prépare à avancer lorsque le tintement métallique d’un pas résonne derrière moi. Je me retourne d’un mouvement vif et mon souffle se bloque.
Une silhouette imposante se tient dans l’encadrement de la porte, enveloppée dans une armure blanche et argentée, où brille un insigne que je connais bien. Un phénix stylisé, symbole de résurrection et de force.
La garde royale de Yonoki. Mais ce n’est pas n’importe qui. Je la reconnais immédiatement.
Kaede Sengo.
Mon ancienne professeure d’armes. Une guerrière redoutée et respectée dans tout le royaume, une épéiste capable de mettre à genoux n’importe quel adversaire. Son nom seul suffisait à instiller la crainte. Et elle est ici.
Pourquoi? Kaede se tient droite et majestueuse, son armure scintillant faiblement sous la lumière crue des couloirs du Garuda. Ses cheveux bleu nuit sont attachés en arrière, encadrant un visage sévère et déterminé. Son regard vert acéré se fixe sur moi avec une intensité glaciale.
Son casque léger, plus ornemental que protecteur, est une couronne martiale marquée de l’emblème du phénix. Et dans ses mains…
Son katana émeraude. Une lame réservée aux hauts gradés de la garde royale, aussi élégante que meurtrière. Son éclat presque surnaturel murmure une vérité que je ne peux ignorer : ce n’est pas une épée ordinaire.
Elle fait lentement un pas en avant.
Kaede — Je vois que vous avez choisi la voie de la désertion, Princesse.
Sa voix est calme, posée. Comme si ce n’était qu’un constat, un fait établi.
Kaede — Si j'étais vous, je ne franchirais pas cette porte. Vous risqueriez de vous blesser.
Une menace voilée, mais je connais trop bien Kaede pour en sous-estimer le poids. Mon corps réagit avant mon esprit.
Je me mets instinctivement en position de combat, chaque muscle tendu, chaque fibre de mon être en alerte. Tout est familier : la posture, la tension, la manière dont elle me jauge du regard.
C’est exactement comme nos entraînements. À une différence près. Ceci n’est pas un entraînement.
Angie — Que fais-tu ici, Kaede ? Pourquoi la Garde Royale est-elle
sur un vaisseau de l’AGL ? Réponds-moi !
Kaede ne cligne même pas des yeux.
Kaede — Ne me regardez pas comme ça, Princesse. Je suis ici pour des
affaires diplomatiques, en tant que représentante du royaume auprès
de l’AGL. Mais votre petite escapade n’est pas passée inaperçue.
Elle marque une pause, avant d’ajouter d’une voix mesurée :
Kaede — Lorsque j’ai su que vous étiez ici, j’ai dû agir.
Angie — Alors, c’est juste le hasard ? Tu étais déjà là quand
tout est arrivé ?
Elle hoche la tête, impassible.
Kaede — On pourrait dire ça, oui. Mais votre oncle n’a pas tardé à
réagir non plus. Il m’a ordonné de vous ramener. Et je n’ai pas le
luxe de désobéir.
Mon oncle, évidemment. Toujours à tirer les ficelles dans l’ombre.
Angie — Je ne retournerai pas dans cette prison dorée. Je refuse d’être
spectatrice tandis que mon peuple souffre et que rien ne change.
Kaede — Vous parlez de “souffrance”… mais vous ne comprenez pas
encore le poids de vos actions.
Son regard devient plus froid.ses doigts se resserrant sur la garde.
Kaede — Ce n’est pas un choix, mais un ordre. Si vous continuez
à résister… je serai forcée de vous ramener par la manière forte.
Ses mots sont calmes, maîtrisés. Mais lourds de menaces. Le genre de menace que seuls les véritables maîtres du combat peuvent prononcer sans élever la voix.
Je connais Kaede. Si elle dit qu’elle me ramènera… Elle le fera. Même si cela signifie m’affronter directement. Mais cette fois, je ne me laisserai pas faire.
Angie — Tu crois vraiment pouvoir me ramener ? Après tout ce que j’ai
traversé ? Tout ce que j’ai enduré pour fuir ce cauchemar ?
Kaede me regarde un instant, puis un sourire infime effleure ses lèvres.
Kaede — Vous ne m’avez jamais battue lors de nos entraînements, Princesse.
Elle lève légèrement son katana, la lame brillant sous la lumière artificielle.
Kaede — Aujourd’hui ne sera pas différent.
Derrière moi, la porte vers l’extérieur se referme. Nous sommes seules dans ce couloir. Assez spacieux pour nous permettre de manœuvrer, mais pas assez grand pour fuir.
La tension monte, suspendue dans l’air. Nos regards se croisent.
L’un défie l’autre.
Kaede se tient devant moi, son katana vibrant d’un éclat spectral. Son expression n’a pas changé. Elle m’observe avec patience. Comme un maître qui attend que son élève fasse une erreur. Je sais ce qu’elle pense. Elle m’a formée. C’est elle qui m’a appris la finesse, la précision, l’art d’esquiver avec élégance.
Mais aujourd’hui, je ne tiens pas un katana. Cette claymore, massive et imposante, volée à un garde lors de ma fuite. Elle n’a rien de la subtilité du sabre qu’elle m’a enseignée à manier. Elle est brutale, lourde, indisciplinée. Mais elle représente ma rébellion, mon propre chemin.
Kaede observe mon arme avec une moue de dédain.
Kaede — Je vois que vous avez troqué le katana pour cette... chose.
Elle prononce le mot avec mépris, comme si la seule idée de manier une claymore était une hérésie.
Kaede — Vous faites fausse route, Princesse. Vous êtes une élite parmi les
manieuses de katana de notre pays. La force brute ne surpassera jamais la
précision et la maîtrise. Ce n’est pas ainsi que je vous ai formée.
Sa voix est ferme, inflexible. Comme si elle pouvait encore me façonner selon ses principes. Mais ce temps est révolu.
Angie — Peut-être. Mais cette claymore m’a sauvé la vie plus d’une fois.
Parfois, la force brute est exactement ce qu’il faut.
Je n’attends pas sa réponse. J’attaque.
Ma claymore fend l’air dans un arc large et puissant, forçant Kaede à reculer d’un bond. Son katana danse entre ses doigts avec fluidité, traçant des mouvements d’une grâce létale, exactement comme elle me l’avait appris autrefois.
Mais aujourd’hui, je ne suis plus son élève.
Elle contre-attaque, sa lame fendant l’air avec une précision chirurgicale, cherchant la moindre faille dans ma posture. Elle est rapide, trop rapide. Mais je me sens plus forte.
Nos lames s’entrechoquent, libérant une cascade d’étincelles à chaque impact. Son katana cherche à me désarmer, à me forcer dans un duel de finesse que je ne peux pas gagner.
Mais je ne joue plus selon ses règles.
Kaede — Une claymore ?! Vraiment ? Une arme aussi grossière… Vous
vous êtes abaissée à la force brute. C’est pathétique.
Angie — Ou peut-être que vous ne me connaissez pas aussi bien que
vous le croyez. Je ne suis plus la princesse que vous essayiez de modeler.
Et cette claymore ? Elle correspond à ce que je suis maintenant.
Nos lames continuent de s’entrechoquer dans une tempête d’acier.
Je frappe avec puissance, forçant Kaede à ajuster ses esquives pour éviter d’être broyée sous la force de mes attaques. Elle recule légèrement sous l’impact, mais elle ne perd jamais son calme.
C’est une stratège. Elle sait que je ne pourrai pas maintenir ce rythme indéfiniment. Elle attend que je me fatigue. Elle attend sa victoire.
BOUM.
Une violente secousse traverse le Garuda, projetant des éclairs d’énergie le long des parois du couloir. Je perds brièvement l’équilibre, réajustant ma position. Kaede, elle, ne bouge pas. Son regard demeure fixé sur moi, sa prise sur son katana ne vacille pas d’un millimètre.
Kaede — Je vois que le Garuda est entré en mode offensif… Nous
n’avons pas beaucoup de temps. Mais je n’ai pas besoin de beaucoup
pour vous ramener.
Nous reprenons notre duel, nos lames hurlant sous l’impact de nos coups. Puis, une radio tombée d’un des gardes assommés crépite brusquement.
Responsable du vaisseau — Kaede, répondez immédiatement !
Un silence tendu. Puis, une voix chargée de panique :
Responsable du vaisseau — Un intrus a pénétré le Garuda, il est en
train de détruire tout sur son passage ! Nous avons besoin de vous sur
le pont principal, c’est le chaos ici !
Kaede jette un bref coup d’œil à la radio, une lueur d’irritation traversant son regard. Mais elle ne détourne pas son attention de moi.
Responsable du vaisseau — Kaede, vous êtes la seule capable de neutraliser
cette menace ! Si vous ne revenez pas tout de suite, nous risquons de perdre
le contrôle de la situation !
J’observe l’agacement dans ses yeux. Et j’en profite.
Angie — Quoi, tu ne vas pas les aider ? Apparemment, ce vaisseau est
en train de tomber en ruine…
Un hurlement strident traverse la radio.
Responsable du vaisseau — KAEEEDE ! RÉPONDEZ ! Le pont principal est
en flammes ! On perd le contrôle de…
CRAC.
Kaede écrase brutalement le communicateur sous son pied, le silence retombant d’un coup dans le couloir. Elle n’a plus l’intention d’écouter.
Ses yeux se fixent à nouveau sur moi, aussi froids et implacables que jamais.
Kaede — Bande d’incompétents… Je n’ai pas de temps à perdre avec vos échecs.
Je souris légèrement, provoquante.
Angie — Tu préfères me ramener plutôt que de sauver ce vaisseau ?
Ton sens du devoir est… étrange.
Elle ne bronche pas.
Kaede — Ma mission est de vous ramener, Princesse. Tout le reste est secondaire.
Son ton est tranchant comme son katana mais j’ai ce que je voulais. Profitant de la distraction, je recule lentement vers la porte menant à l’extérieure. Nos regards restent ancrés l’un à l’autre.
Puis, une nouvelle secousse secoue violemment le vaisseau. Les murs vibrent. Les alarmes hurlent.
Des plaques métalliques commencent à glisser, pivoter, réorganisant la structure même du Garuda. Un pont mécanique se déploie dans l’horizon du vaisseau, reliant deux sections entre elles.
Un message automatique grésille dans les haut-parleurs.
Système du Garuda — ALERTE. Transformation partielle du vaisseau détectée et non autorisée. Protocole d’urgence enclenché. Retour à la forme initiale.
Les murs du vaisseau hésitent, oscillant entre deux états.
Le Garuda est figé à mi-chemin entre sa forme actuelle et la transformation amorcée, comme s’il luttait contre une commande inconnue. Un chaos mécanique s’installe : plaques métalliques qui se plient, câbles qui s’emmêlent, tuyaux qui se tordent sous la pression d’une force invisible.
Je reste un instant fasciné par ce désordre spectaculaire et inquiétant. Puis, une voix brisée traverse mon oreillette, fragmentée par les interférences.
Rin — …offensive… salle… commande… passerelle…
Je capte quelques mots malgré le tumulte ambiant. Offensive. Salle de commande. Passerelle. C’est bien Rin.
Il est derrière tout ça. Il a déréglé le vaisseau pour nous donner une ouverture.
Sans perdre une seconde, je fais volte-face et fonce vers la porte extérieure. Elle se déverrouille dans un grincement métallique, laissant s’engouffrer une bouffée d’air glacial.
Mais je n’hésite pas. Derrière moi, Kaede réagit immédiatement, me talonnant de près, son regard plus impitoyable que jamais.
Je me retrouve sur une passerelle extérieure, exposée aux éléments. Le vent hurle, le métal grince sous les secousses, et devant moi, un pont inachevé tremble sous les vibrations du vaisseau.
Il n'est pas stable. Mais il est là. Suspendu dans le vide. Nos regards se croisent. Nous savons.
Le combat continue ici.
Kaede — Tu penses que ce pont va te sauver ? Il est aussi instable que
tes convictions.
Je ne réponds pas. J’attaque, nos lames fendent l’air en même temps, projetant une onde de choc tranchante dans l’espace entre nous.
Rafale Aeris.
Une frappe unique, cinq coups simultanés, générant des lames de vent invisibles.
Une technique que Kaede m’a enseignée autrefois. Nos attaques se croisent dans un fracas assourdissant, et l’énergie libérée fait vibrer tout le pont sous nos pieds.
Le combat est féroce.Chaque coup porte le poids de notre histoire commune. Années d’entraînement. Années de rivalité.
Kaede riposte avec une maîtrise exceptionnelle, parant avec une fluidité mortelle. Je suis plus forte, mais elle est plus rapide et elle ne fait aucune erreur. Nos épées dansent dans une symphonie brutale, des étincelles illuminant le métal.
Puis… la fatigue commence à mordre mes muscles. Ma claymore devient plus lourde.
Kaede recule légèrement sous l’impact de mes coups. Mais elle ne tremble pas.
Elle attend Elle sait que je vais faiblir avant elle.
Le pont tremble violemment sous nos pieds. Les câbles cèdent un à un, et des plaques métalliques se détachent autour de nous. Je sens le Garuda lutter pour reprendre sa forme initiale.
Des éclairs d’énergie jaillissent des conduits rompus, illuminant nos silhouettes d’une lueur spectrale. Je tente de stabiliser ma respiration, chaque inspiration m’apporte un sursis, mais mon corps est lourd.
Le combat m’épuise. Kaede le sent. Et elle saisit l’occasion. Un battement d’œil. Une seconde d’inattention.
Assez. Kaede frappe. Son katana se glisse contre ma claymore, filant comme un serpent. Le choc métallique résonne dans mes bras. Puis, elle fait glisser sa lame lentement vers ma gorge, en exerçant une pression subtile mais implacable.
Elle ne force pas. Elle maîtrise. Son regard est glacé, calculateur.
Kaede — Petite princesse, toujours à croire que tu peux te rebeller
contre l’ordre établi.
Elle sourit, son triomphe inscrit sur son visage. La pression de son katana contre ma gorge est légère. Mais suffisante pour me paralyser. Mon cœur bat à toute vitesse.
Je ne peux pas bouger. Ma claymore pèse une tonne dans mes mains.
Elle a gagné.
Mon esprit me hurle de ne pas abandonner, mais la réalité s’impose : Kaede a l’avantage. Et son expérience dépasse la mienne.