Un manteau de ténèbres glaciales enveloppe les hauts plateaux de l'Ethon, la grande chaîne de montagnes séparant le Royaume de l'Est du Royaume du Nord. Une fine pellicule de givre recouvre les feuilles des rares plantes assez vivaces pour pousser à cette altitude. On raconte que le soleil ne brille jamais au creux des montagnes, que leur hautes cimes embroche les nuages pour ne jamais les laisser s'enfuir.
Un cavalier avance, solitaire, sur une route en piteux état creusée à même la roche. L'homme et sa monture exhalent de petits nuages de vapeur qui se dissolvent dans l'air froid. Le cavalier se penche pour flatter l'encolure de son destrier, moite de sueur malgré le froid implacable.
— Tout va bien mon beau. Notre destination se trouve juste au bout de cette route. Dans quelques minutes, tu auras droit à une étable bien douillette et moi à un bon repas !
C'est un jeune homme, d'une vingtaine d'année. Son visage fin et bronzé est encadré par des cheveux mi-longs, d'un bruns presque noirs, relâchés autour de son crâne pour le protéger du froid. Il porte un costume d'apparat couleur bordeau doublé de fourrures et une lourde cape en peau d'ours qui lui recouvre les épaules. Une épée pend à son flanc, le pommeau représente une tête d'aigle et la garde, une paire d'ailes déployées. Il reprend position sur sa selle en affichant une mine fière et assurée, puis il éperonne le cheval qui repart sur le chemin escarpé à flanc de montagne.
Après avoir chevauché pendant encore un quart d'heure, le cavalier aperçut enfin son objectif. Les lumières d'une ville.
Ce n'était pas une grande ville, tout juste une jolie bourgade d'un millier d'habitants entourée de murs fortifiés. L'endroit avait été construit dans un renfoncement naturel, bien à l'abri du vent et des prédateurs. Du moins, c'est ce que pensa le jeune homme en détaillant les petites maisons de pierres grises aux toits d'ardoises rongées par les lichens. Des torches brûlaient autour de la ville mais les rues étaient plongées dans l'obscurité. Les habitations s'élevaient le long du renfoncement rocheux jusqu'à un imposant manoir de plusieurs étages, on pouvait voir de la lumière s'échapper des étroites fenêtres du bâtiment. Le cavalier arrêta là sa contemplation car la neige commençait à tomber et il avait hâte d'arriver à destination.
Les portes de la villes étaient gardées par deux hallebardiers en armures de plaque, ce qui était bon signe, la ville n'était donc pas à l'abandon. Il dévisagèrent le jeune homme lorsqu'il avança sa monture à leur niveau.
— Bonsoir messieurs, fit le cavalier. Je me présente : Elio Kalos, chevalier au service de notre bien aimé souverain Achab le Juste. C'est par sa majesté en personne que j'ai été mandaté pour rendre visite à votre régent, le Comte Arthur Donovan.
Elio sortit une lettre cachetée des replis de son épaisse cape et montra le sceau au deux gardes : un soleil d'or sur fond brun, les armoiries du Roi de l'Est.
Les deux troufions s'entre regardèrent sans manifester le moindre intérêt pour la lettre.
« Comment font-ils pour ne pas trembler de froid avec ces armures ? » se demanda le chevalier.
Ils n'échangèrent pas un mot et ouvrirent la porte d'un air torve. Elio s'engagea dans l'entrée.
— Merci messieurs, dit il simplement.
Avant qu'il ne s'enfonce dans les ruelles étroites de la bourgade, il entendit l'un des gardes croasser :
— Le Comte vous attend.
C'était là une drôle de façon d’accueillir un représentant du Roi, Elio commençait à comprendre les raisons précises pour lesquelles Achab avait tenu à l'envoyé lui en particulier...