Moi je suis différent·e. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais un·e extra-terrestre.
Il paraît que la non-binarité n’existe pas. Enfin d’après ma mère. Moi, je suis non-binaire. Ce n’est d’ailleurs plus ma mère, si comme elle le dit si bien, je ne suis plus sa fille. Bon, en l’occurrence, je n’ai jamais été sa « fille ». Être non-binaire, c’est compliqué à percevoir pour certain·e·s, ce que je peux comprendre. Par contre, tant que tu me respectes et que tu utilises mes (bons) pronoms, alors oui je peux comprendre que c’est compliqué, mais tant que tu fais des efforts, ça me va. Faire des efforts. Ma mère n’en fait clairement pas.
Je suis non-binaire, mon prénom c’est Sasha, et mon pronom c’est ael. Je suis non-binaire, ça veut juste dire que je ne me perçois pas dans le genre féminin, ni masculin. Ma mère ne fait pas d’effort car elle continue par m'appeler par mon ancien prénom et utilise le pronom elle. Être non-binaire pour moi, c’est étouffant. Nous sommes entourés de choses binaires, et de perception binaire dans la société. D’après la société, je ne suis pas dans les normes. Bon déjà qui a dit que les normes sociétales c’étaient bien ?! En plus du rappel constant de la binarité des genres et des sexes, il y a ce que nous ressentons nous. Ou du moins ce que je ressens. Ça s’appelle la dysphorie. Et comment dire, c’est la merde. En plus de ressentir l’étouffante binarité des sexes du monde occidentale, l’enbyphobie de ma mère -c’est le rejet de la non-binarité-, il y a certains jours ou je souffre de mon propre corps et ma propre tête. Mon cerveau ne supporte plus mon corps si féminin et je hurle. Enfin j’ai envie de hurler si fort, mais je n’y arrive pas. Toute ma douleur reste coincée au fond de ma gorge. Alors je suis énervé·e contre moi-même. Parce que je n’arrive pas à dire ce que je ressens et je suis bloqué·e dans ma haine du monde et de moi.
Comment peut-on se haïr nous-même ?
Je ravale mes sanglots et les bloques à double tours dans mon cœur. Je lève mon visage sur le miroir de la salle de bain, et je regarde mon reflet.
– Ça va allez, pensai-je très fort.
Je passe de l’eau fraîche sur ma tête et sort de la pièce. Je passe ma bretelle de sac à dos et descends les escaliers, bien sûr ma mère est là, assise à table. Je passe devant elle sans un regard et m’apprête à sortir de la maison.
– Bonne journée ma puce, entendais-je avant de claquer la porte.
Je serre la mâchoire de suite énervé·e, mais je suis habitué·e. J’inspire et expire un grand coup et descends les quelques marches, je passe devant un arbre quelconque du jardin et claque le portillon brusquement pour qu’elle l’entende. Qu’elle sache que je suis irrité·e. Oh ça oui je suis agacé·e !
La question étant si j’étais énervé·e contre tout avant que la seule parente me tourne le dos ?
Je crois que oui. Je maudissais le monde, les gens. Maintenant, ce sentiment est décuplé par quelques mots prononcés par Julie.
– Arrête de faire ta crise d'adolescence, tu n’as pas besoin de ça pour que les gens s’intéressent à toi !
– Maman quand bien je suis dans l’adolescence, ce n’est pas une crise, je suis juste moi, et les gens s’intéressent à moi que je sois oui ou non non-binaire. Tu regardes le genre d’une personne pour savoir si elle est digne de ton écoute ? Moi non.
– Mais enfin arrête ! Ce n’est qu’une phase !
– Non c’est pas une phase ! Criai-je. Je suis comme ça et c’est tout et tu n’y changeras rien, ni toi, ni personne !
– Alors tu n’es plus ma fille, claque-t-elle la voix dure et sans appel, les yeux dans les miens.
Et moi mon cœur se fissure. Une fissure qui s'ajoute aux nombreuses autres.
Je m’arrête sur le trottoir et ferme les yeux un instant en voulant oublier ce jour-là. Ce jour-là ou j’avais enfin pris tout mon courage et était aller voir ma mère pour dire qui j’étais vraiment, pour lui partager ce que j’avais au plus profond de mon cœur.
Je veux oublier cette sensation qui m'avait traversé la colonne vertébrale. La peur.
Je sors mes écouteurs et les enfonce dans mes oreilles, je lance une musique au hasard et me concentre sur les paroles jusqu’au portail du lycée.
XXX
– Mais qu’est-ce que tu fous ? Demandai-je à mon ami alors que nous montons sur le toit de son immeuble au lieu de s'arrêter au dernier étage pour rejoindre son appartement.
– On va faire quelque chose de bien, tu vas voir, dit-il mystérieux se retournant vers moi en me lâchant un clin d’œil.
Je m’apprête de mon sourire au coin de ma bouche et le suit dans les dernières marches.
Après la sortie des cours, ne voulant pas rentrer chez moi, je me suis dirigé·e normalement chez lui pour traîner avant de retourner à la dure réalité de ma vie.
Il pousse la lourde porte en métal et me laisse passer sur le toit. Un toit d’immeuble du centre-ville tout à fait normal, des conduits relâchant de la fumée, un vieux sol sale et une vieille barrière l’entourant. Je passe outre l’odeur désagréable que relâche les tuyaux et lâche mon sac par terre et le rejoins à couder à la grille.
– Tu sais ce que c’est ton problème Sasha ?
– Lequel de problème ? Dis-je amer en pensant à la liste de tout ce qui ne va pas dans ma vie.
– Tu accordes trop d’importance à l’avis des gens alors que tu ne les aimes pas, dit-il sérieux en regardant au loin le coucher de soleil.
– Ouais je suis pas très social et j’aime pas la société dans laquelle on est, et ?
– Et dès fois tu devrais crier sur le monde, ça te ferait du bien te lâche quelques instant ta haine,
– Quoi ? Dis-je en lui faisant face.
– Bah crie dans le vide, tu me dis que t’as envie de hurler sur ta mère, sur le monde etcetera, je te dis de la faire ! Dit-il en tendant ces bras dans ce vide noir avec les quelques lumières des immeubles en face allumés.
– Mais…. Je le regarde lui puis, ce vide puis, le sol et je sens la douleur et la haine toujours au creux de ma gorge, n’attendant que d’être libéré.
Je ferme les yeux sous l’émotion, je sens son regard sur moi mais il attend. Je souffle essayant de faire taire la tempête dans mon cerveau, dans mon cœur, dans tout mon corps. Mais c’est peine perdu.
C’est la première fois que quelqu’un me donne un moyen de soulager ma douleur, alors ma tête me crie de le faire, qu’elle soit en paix juste un moment.
Alors j’ouvre les yeux et tombe sur les siens. Son regard est doux comparé au mien qui est douloureux, remplis de larmes.
Je me tourne vers le noir, attrape la barre de toute mes forces et hurle.
J’HURLE.
Je crie quitte à avoir ma gorge qui souffre. Tant que je me sens mieux, et que je lâche ma haine, je m’en fiche.
Alors je crie.
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« Création réalisée dans le cadre du Prix des Jeunes Écritures RFI-AUF 2021, organisé par Short Édition »