Blanc…
Tout est blanc autour de moi.
Ma chambre est blanche, mes murs sont blancs, les draps sont blancs et les gens sont blancs. De temps en temps du bleu vient colorer cet univers blanc, mon univers blanc.
Maman est à mes côtés, elle me serre la main mais je ne peux pas serrer la sienne. Elle pleure, elle me parle mais je ne comprends rien. J’entends juste sa voix me parler tendrement, doucement puis mourir doucement.
Elle est assise près de moi, petit être de chair et de sang immobile au milieu d’un lit aux draps blancs. Mes yeux sont clos, mes oreilles n’entendent plus, ma bouche ne sourit plus, mes mains ne bougent plus. Plus rien en moi ne vit mais pourtant je suis là, près d’elle. Je la contemple, incapable de la rejoindre…
…je suis partie trop loin.
***
Dans la voiture, j’ai fermé les yeux doucement, portée par le bruit du moteur de la voiture. Je ne voulais pas dormir mais je n’ai pas réussi à lutter. Je me suis retrouvée dans le noir, toute seule. Je ne sais pas combien de temps cela a duré mais un jour mes yeux se sont rouverts brusquement…
…et je me suis vue.
Petite fille de 7 ans allongée sur ce lit blanc, vision d’une enfant innocente pour qui le soleil ne se lèvera plus jamais. Sa mère restera auprès d’elle pendant des heures, des jours, des semaines, des mois…et même peut-être des années.
J’ai eu peur, j’ai hurlé puis j’ai pleuré comme une enfant. Quand ils ont enfin cessé, le silence de cet hôpital a résonné dans mes oreilles. J’étais seule, prisonnière d’un endroit inconnu où l’on peut voir les autres…mais où ceux-ci ne nous voient pas…
…où règne l’indifférence.
Minute après minute, ses pas l’ont menée à explorer ce monde, à voir les autres évoluaient. Sa famille a continué à vivre sans elle. Elle a vu son beau-père pleurait son absence, sa petite sœur se posait des question mais le pire a été de voir sa mère dépérir. A cet instant, elle a compris qu’ils tenaient à elle comme elle aimait son père.
Laissez-moi revenir auprès de vous, laissez-moi rentrer à la maison. Je ne veux pas vivre dans cet endroit, je veux être à vos côtés. Papa, aide-moi à rentrer…
En voulant fuir sa vie, elle a fini par en perdre le contrôle. Elle n’a jamais voulu ça mais elle doit payer le prix, la vie est ainsi faite. Personne ne peut y échapper, pas même les plus riches...
…personne.
***
Les jours se sont écoulés entre indifférence des autres et tentatives ratées pour retrouver les miens. La voix de ma mère devenait de plus en plus lointaine, les mots n’étaient plus compréhensibles, ce n’était plus qu’une mélodie douce et déchirante à mon oreille. J’avais besoin d’elle mais je ne pouvais pas m’empêcher de la détester aussi. Entre l’entendre et ne plus l’entendre, je ne savais que choisir. Chacun d’eux me faisait souffrir à sa façon…
Un jour comme les autres, Elle est revenue vers moi sous une forme méconnaissable. Je ne l’ai pas tout de suite reconnue à cause de cette apparence humaine. Une femme superbe aux cheveux longs et dorés…
…la vision d’un ange.
Elle n’a rien dit, elle m’a juste tendue sa main laissant un froid soudain envahir l’atmosphère. Ma main s’est approchée de la sienne, instinctivement mais au moment de la saisir, j’ai reculé, brusquement. Je ne voulais pas suivre cette inconnue, alors elle m’a rassurée avec un sourire. A cet instant, j’ai su qui elle était…
Elle.
Un sourire s’est dessiné sur mes lèvres, ma petite main s’est approchée de la sienne mais je l’ai retirée vivement après l’avoir effleurée. J’hésitais à la suivre, certaine d’aller droit vers une issue que je ne voulais pas. Ma bouche s’est entrouverte…et ma voix s’est faire entendre…doucement…
« Je ne veux pas mourir. »
Alors j’ai compris qui elle était, j’ai compris pourquoi je la voyais. Ce n’était pas une illusion, une créature venue d’ailleurs mais un ange…
…celui de la Mort.
Elle n’a rien dit, sa main s’est retirée et elle est partie. Je ne l’ai pas retenue, certaine de la voir revenir jusqu’au jour où j’accepterais l’évidence…
…chose qu’une petite fille de 7 ans ne veut pas accepter.
***
Passé, présent, futur n’existaient plus dans ma vie. J’étais là à regarder le temps passer, à voir ma petite sœur grandir, devenir une adolescente comme les autres, avoir des petites amies et hurler au son de mon prénom. M’avait-elle renié de son existence ? Non, elle était là dans ma chambre quand sa grande sœur lui manquait. Elle me raconter tous ses secrets, certaine que je les garderais précieusement pour moi. Parfois, elle s’amusait à me faire des tresses avant de m’embrasser sur le front et de repartir vivre une adolescence que je ne connaîtrais sans doute jamais.
Ces visites étaient nombreuses remplaçant celle d’une mère trop éplorée pour accepter de voir sa fille dans cet état. Mon beau-père essayait de lui tenir la tête hors de l’eau mais j’assistais à sa chute sans pouvoir réagir. J’aurais voulu pouvoir la sauver de ce puit sans fond dans lequel elle était tombée mais mes efforts n’étaient pas suffisants. Fallait-il que je meure pour la sauver ou au contraire, fallait-il lutter ?
A cette question, aucune réponse ne voulait venir. Je restais enfermée dans cette vie intemporelle sans chercher à en sortir vraiment. Si je l’avais réellement souhaité, je me serais réveillée mais la peur d’affronter mes proches m’en empêchait. A l’inverse, mourir me faisait aussi peur à cause de son aura d’inconnue. Face à ce choix, j’ai douté…
…et je n’ai rien fait.
Ma vie est devenue celle d’un fantôme errant dans la vie de ses proches. Elle est revenue me voir tous les jours attendant de découvrir ma décision, repartant toujours seule. A chaque fois, je me contentais de la fixer sans vraiment la voir, les larmes aux yeux…
…ma vie était un beau gâchis.
Je n’avais pu fêter mes anniversaires en famille, je n’avais jamais connu l’amour d’un amour, le bonheur m’était interdit. Je ne vivais plus, je survivais alors pourquoi continue à attendre. J’aurais pu la suivre, j’en avais envie mais une chaîne continuait de me maintenir dans cet état…
…une chaîne infime…
…mes proches.
Il me manque, je leur manque, je ne veux pas partir. Je ne leur ai pas encore dit au revoir, je n’ai pas eu le temps. Alors, je ne la suis pas, j’attend de trouver le bon moment pour cet au revoir imaginaire, illusoire.
J’attend, toujours et encore, en silence.
Les jours peuvent défiler, cela n’y changera rien, ici le temps n’existe pas.
***
Petite fille n’est plus...
Adolescente n’existe pas…
Aujourd’hui, je vais être majeure mais je ne serais pas là pour le fêter. Ma mère viendra peut-être, ma sœur sûrement. L’une d’elle viendra me tenir la main, m’inventer un mensonge que je ne comprendrais sans doute pas, puis elle repartira, en larmes.
Je ne peux plus revenir, il est déjà trop tard. On ne revient pas d’un coma de onze ans…
Malgré cette évidence, je suis toujours là, entre la vie et la mort, incapable de dire lequel des deux est le meilleur. Les médecins voudraient me laisser partir, mais mes proches se rattachent à l’espoir illusoire de ce réveil.
Aujourd’hui, je n’y crois plus. Mes espérances se sont envolées, mon cas vient de s’aggraver.
Mes yeux sont braqués sur cette ligne représentant les battements de mon cœur. Je la contrôle, je la ralentis tranquillement. Elle ne va pas tarder à être plate…le signal sonore retentira tel le bruit d’un train prêt à partir.
Les minutes s’écoulent lentement vers l’inévitable issue…
Elle me regarde faire sans un mot, un sourire aux lèvres. Mon père apparaît à ses côtés, sa main se tend vers moi. Mes yeux pleurent mais je ne bouge pas. Mon regard se détourne vers le lit où je suis toujours immobile…
Ma mère est là, sa main dans la mienne. Je la sens qui me la serre m’obligeant à rester près d’elle. Je ne sais pas lequel choisir…
Mon père ou ma mère…
La vie ou la mort…
Mes yeux se ferment puis s’ouvrent espérant voir cette situation s’effacer. Je suis en train de faire un cauchemar…
Je me tourne alors vers Elle. Son regard me scrute avec intérêt attendant de voir si je fais le choix de défier la mort ou si je choisis de la suivre. Je l’implore de me répondre à mes doutes mais elle ne peut le faire…je n’entends plus rien depuis longtemps.
J’aurais…
…mais je ne peux pas.
Les larmes coulent. Le signal retentit. Les médecins écartent ma mère. J’entends son cri résonner dans mes oreilles. Je pleure.
***
Blanc…
Tout est blanc autour de moi.
Ma chambre est blanche…
Mes murs sont blancs…
Mes draps sont blancs…
…et ma mère est là…mon père aussi.
Ouvrir les yeux ou les fermer pour toujours là.
Vivre ou mourir…
…peu importe le choix…
…une chose est sûre…
Je renais.
On savait que le dernier chapitre allait avoir un hôpital pour cadre, mais j'étais loin de me douter qu'on allait plonger d'un coma de plus d'une décennie... ! Je me suis demandé si là encore, ça pouvait être le cauchemar d'une petite fille (ou d'une adulte, d'ailleurs), revisiter le deuil et une forme de dépression via un rêve plus vrai que nature ? Et ça pourrait tout à fait coller avec les derniers mots (renaitre / se réveiller).
J'avais faux sur toute la ligne, avec ma théorie selon laquelle "Elle" est un avatar de la narratrice - mais alors, j'ai rarement eu aussi tort !
Je ne sais pas trop ce que la conception, l'écriture et la publication de cette histoire a fait chez toi ,ce que ça a remué de bon comme de mauvais, mais j'espère que cette aventure scripturale t'a aidée.
Merci pour ce moment de partage :-)
Oh si tu savais ce que ça a remué et ce que ça remue encore avec le recul.
Il faut savoir qu'il existe une version de la suite. Peut-être qu'un jour, je la ressortirai. Maintenant si je le fais, il faudrait sans doute que je corrige deux trois détails... Après j'aime aussi l'idée de laisser le lecteur choisir sa propre interprétation parce qu'au fond, je ne voulais en imposer aucune.
En tout cas merci d'avoir lu jusqu'au bout et pour tes commentaires. J'ai pas su répondre aussi bien que je l'aurais voulu, mais MERCI !
Je crois que je n'avais encore jamais rien lu de toi, voilà qui est corrigé ! Et je ne regrette pas de m'y être intéressée, parce que c'était un très bon moment !
Au début, j'étais un peu gênée par le niveau de langage employé par la petite fille, et surtout par la manière dont il variait. Maintenant je comprends beaucoup mieux, et je suis heureuse d'avoir choisi de tout lire puis mettre un commentaire à la fin, plutôt que morceau par morceau !
Comme dit plus haut, j'ai vraiment passé un bon moment... la plume est belle, précise, avec une très belle rythmique. Je ne suis pas une grande amatrice du présent + P1, mais dans ton récit ça tombe naturellement sous le sens, et ça apporte vraiment quelque chose !
J'ai vraiment adoré ton travail sur la peur de l'enfant, et ces tableaux cauchemardesques que tu arrives à créer, dans une sorte de flou halluciné qui rend vraiment très bien ! Ta fin éclaire tout le reste, et j'adore ces récits où - lorsqu'on lit une seconde fois - on voit les choses complétement autrement parce qu'on a fini une première fois !
Les émotions sont pertinentes, et il y a plein de petites choses très bien vues, notamment sur le rapport entre la petite fille et sa soeur, ainsi que les gestes et les pensées de la famille. J'ai particulièrement apprécié les métaphores et comparaisons (la pizza, le coca/orangina), et aussi l'espère de petit clin d'oeil à Alice aux pays des Merveilles, que j'ai cru voir au premier chapitre !
Enfin : j'adore tout particulièrement le fait d'avoir pris une couleur et une situation pour chaque départ de chapitre.
Voilà, merci pour la lecture !
Je suis désolée, je pensais avoir répondu mais non.
Merci pour ton commentaire. Il m'a fait très plaisir surtout que l'histoire est ancienne... et ça me fait chaud au coeur qu'elle ne paraisse pas aussi naze que mon souvenir en a fait !
Je ne suis pas très bavarde, mais je vais garder chacun de tes mots précieusement pour les relire quand je doute.<3*
Et oui y a du clin d’œil à Alice. J'aime bien faire des clins d'œil.
Mais merci encore d'avoir pris le temps de commentaire (et je suis d'accord, Colora c'est sans doute mieux de commenter à la fin. <3 Ce n'est pas la seule de mes fictions d'ailleurs à être écrite pour des commentaires finaux et non par chapitre !)
Très beau récit, je suis profondément émue et bouche bée devant la qualité de ton écriture et de cette narration.
C'était à la fois dur à lire et en maintenant impossible de s'en détourner avant la fin.
Un grand bravo :)
Wouah comme il est puissant ce chapitre. On est pas dans l'horreur, mais dans une tristesse infinie. C'est tres beau cette intemporalite que tu décris, cette relation entre sœurs qui continue de vivre malgré tout...
Et la fin, si j'ai compris, elle renaît, elle a la chance de revivre sa vie ?
En tout cas, merci d'avoir été bout de l'histoire et d'avoir commenté jusque là. <3