"Next"

« Next »

 

 

1 - Les mauvaises pioches

 

J’étais là, attendant le bus devant le cinéma « Le Rido ». Mais qu’est-ce que je faisais là ? J’avais accepté pour rire de participer à ce jeu de recherche d’âme sœur. Le principe était simple. Les producteurs de l’émission m’avaient choisi cinq prétendants selon des critères que je leur avais fournis. Ces cinq concurrents étaient donc dans le bus et espéraient tous me séduire. J’allais les rencontrer un à un et si l’un d’entre eux ne me convenait pas, je pourrais lui dire « Au suivant » ( Next en anglais ).

Chaque minute qu’ils allaient passer avec moi leur rapporterait 1 euro. Et à la fin, si j’en avais sélectionné un, il aurait le choix : moi ou l’argent. Enfin bref, vous voyez le truc. Pourquoi avais-je accepté ? Mais il n’était plus temps de me poser des questions car déjà, les portes du bus s’ouvraient et un adolescent boutonneux à lunettes faisait son apparition. Rien qu’en voyant son expression toute nerveuse, je savais qu’il n’était pas pour moi. Avant qu’il n’avance d’un pas de plus, je lui dis :

« Désolée, ça ne va pas marcher, t’es trop jeune, Next ! »

Il fit demi-tour et rentra tout penaud. Il avait quand même gagné un euro. Il pourra s’acheter un paquet de bonbons !

 

Deuxième lascar, une armoire à glace qui arborait fièrement ses pectoraux. Il me décrocha un :

« Salut poupée, ça va ?

- Oui très bien, Next ! » Dis-je d’un ton ironique.

Il retourna aussi sec dans le bus. Allez un euro !

 

Ensuite, vint le « fils à papa », il se tenait raide comme un piquet et transpirait abondamment dans son costar. Je me risquais à essayer de lui faire la bise mais au lieu de cela, il me tendit une main tremblante.

« Ecoutez, détendez-vous.

- Je ne peux pas, c’est une question d’éducation.

- Dans ce cas, next !

- Ravi de vous avoir entre aperçu.

- Moi de même » Répondis-je à moitié exaspérée.

Et l’énergumène rebroussa chemin en traînant ces souliers fraîchement vernis. Il avait quand même pu avoir 3 euros. C’était pour le moment le meilleur score.

 

2 - Jack

 

Je commençais à désespérer mais avant que je ne tourne les talons pour tirer une révérence face à ce jeu absurde, j’entre aperçus le manche d’une guitare. Intriguée, je me retournais et l’instant d’après je crus à une hallucination car devant moi se tenait le guitariste de mon groupe préféré « les Rocking Sparrows ». C’était Jack. Il ressemblait à un pirate des temps modernes et c’est justement cela qui m’avait fait grimper le thermomètre ! On aurait dit que mes pieds étaient cloués au sol alors qu’un cri de groupie hystérique restait bloqué dans ma gorge du genre : « AAAaaaaaahhh ! Prends- moi tout de suite aaaaaaaahhhh !!!! » mais au lieu de ça, des mots sortirent de ma bouche de manière maladroite :

 

« Enchantée de vous embrasser … Euh … Je voulais dire … De vous connaître »

 

À cet instant, je devais être rouge comme une tomate, voire pire ! Mais lui eut une réaction beaucoup plus posée et il me dit d’un ton taquin :

 

« Pas tout de suite trésor ! je te connais à peine, mais à ce que je vois, toi tu m’as reconnu. Allez, détends toi, laisse-moi prendre les choses en main …

- Euh … J … Je … Je vais essayer !!! Écoute, je te propose de faire comme si tu étais un candidat comme les autres, même si ça va être dur ok ?

- Pas de problème poupée, j’adore les défis ! »

 

Je commençais déjà à me sentir plus à l’aise et à me prendre à son jeu de séduction. Je lançais alors les hostilités :

 

« Tu vois le costume de poule qui est là-bas ? Eh bien, tu dois l’enfiler et je te retrouve après. »

Quelques instants plus tard, je vis arriver jack avec ce costume de poule ridicule. Rien qu’à cette vue, je me retrouvais pliée en deux de rire.

« T’as déjà un bon point ! Dis-je entre deux hoquets d’hilarité. Mais ce n’est pas fini, pour arriver vraiment à me faire rire aux larmes, tu dois incarner cette poule. Vas-y cocotte !

- PôôôôT !!! » gloussa-il de manière plus vraie que nature en marchant tel le gallinacé prêt à pondre un œuf. Ça y est, j’étais en larmes ! je réussis à balbutier tout en me tenant les côtes :

« T’as réussi, c’est bon ! Arrête maintenant ou tu vas finir par pondre un œuf !

- Toi, t’as des idées franchement, mais j’avoue qu’en poule je ne suis pas mal !

- Ça, tu peux le dire ! » Dis-je en m’essayant les yeux tandis que ma vague d’hilarité se calmait peu à peu. Si on allait prendre un verre …

- De rhum ! Compléta-t-il. Va commander, je te retrouve tout de suite. »

 

Peu de temps après, nous étions attablés devant nos verres et discutions de choses et d’autres. Nous sentions tous deux que quelque chose se passait entre nous. Mais c’est avec un soupir de regrets que je me décidais à poser ma question fatidique :

 

« Tu vois ton avenir plutôt casé ou toujours à t’éclater avec ton groupe ?

- Je comprends le sens de ta question mais la musique c’est toute ma vie et je ne suis pas encore prêt à changer de cap.

- Dommage, mais au moins, t’es honnête. T’es vraiment un type bien tu sais. »

 

A cet instant là, nous étions côte à côte, les yeux dans les yeux. Nous étions tellement proches que je sentais son souffle caresser mon visage. Malgré ce feeling électrique, je dus prendre une décision qui m’attristait mais je devais voir la réalité en face, je ne pouvais vivre constamment à l’attendre :

 

« Je suis désolée mais … Ne ... »

 

Le mot mourut sur mes lèvres, emporté par le baiser le plus enflammé et le plus sincère qu’aucun homme ne m’avait donné auparavant. Peut-être était-ce l’alcool qui me fit tourner la tête ou l’expertise sensuelle dont il faisait preuve. Telle une caresse, sa langue dessinait les moindres contours de mes lèvres puis s’insinua dans ma bouche pour continuer cette danse sauvagement douce.

 

« En souvenir de moi trésor … soupira-t-il dans ce baiser … On se verra à mon prochain concert, je t’invite. » Et il me tendit un billet numéroté pour une place au premier rang avant de me laisser, encore sous l’emprise de son charme.

Il repartit quand même avec ses 120 euros qu’il donna généreusement à l’A.B.R.I. (Association des Buveurs de rhum Invétérés) dont il est le président.

 

3 – Will

 

Quelques minutes, après, une voix me tira de mon état de transe.

« Excusez-moi mademoiselle, je viens pour le jeu … »

 

Je clignais des yeux pour me retrouver face au sosie parfait d’un jeune pirate qui m’avait fait tant rêver au cours d’une trilogie mythique. Je sentais que j’allais bientôt perdre tout contrôle de moi-même, alors je balbutiais :

 

« Pardonnez-moi deux minutes ! »

 

Je fonçais tout droit vers les toilettes publiques et une fois à l’abri devant le lavabo, je laissais échapper un cri d’hystérie accompagné de mimiques dignes des plus grands humoristes : « Ha ! C’est lui ! Il est beau ! Il est beau ! Il est beau ! »

Puis, mue par une inspiration subite, je saisis mon portable et appela Suz, une de mes meilleures amies :

 

« Allo ?

- Tu sais le jeu ! ça s’est très bien passé, j’te raconterai plus tard …

- Mais, qu’est-ce qu’il se passe alors, pourquoi tu m’appelles ?

- Tu devinera jamais avec qui je suis !

- Je sais pas moi, Wentworth Miller ?

- Non, mais ça en vaut autant le coup, c’est Will !

- Quoi ! Will ???! Tu veux dire, Will Smith ?

- Non, encore mieux !

- Mais enfin, il n’y a pas d’autre Will.

- Mais si, mon Will !

- Arrête de délirer, qu’est-ce que t’as mangé ?

- Mais rien du tout, je te dis qu’il est là !

- Mais c’est un personnage fictif, tu le sais ça ! frotte bien tes yeux, t’as du avoir un effet d’optique ou un truc comme ça, ou t’as passé trop de temps devant Youtube à le mater, maintenant tu le vois partout !

- J’te jure ! J’ai pas la berlue ! Ecoute, je me charge de te fournir une preuve de ce que j’avance !

- Bah, alors dans ce cas, profite bien, touche le, enfin, normalement hein ! Ne lui met pas la main aux …!

- Arrête, tu me donnes des idées, bon j’y retourne, à plus !

- Ouais, et tiens moi au courant ! »

 

Je raccrochais, me refis une beauté en quatrième vitesse et allais rejoindre le dernier concurrent.

 

« Tout va bien au moins ? demanda-t-il d’un air inquiet

- Oui, ne vous en faites pas, un coup de fil urgent, j’ignorais si j’avais bien fermé la porte de mon appartement à clé, mais c’est bon.

- Tant mieux alors … À qui ais-je l’honneur ?

- Rose, et vous ?

- William Bloom.

- Ah ! J’en étais sure ! M’exclamais-je avant de pouvoir m’en empêcher.

- Oui, je sais, on me dit souvent que je ressemble à l’acolyte de Jack Sparrow.

- Vous n’êtes pas forgeron au moins ?

- Si, je l’ai été.

- Quoi, mais c’est une plaisanterie ?!

- Non, je n’oserai jamais mentir à une aussi jolie damoiselle.

- Et en plus, vous parlez comme lui. »

 

Au fond de moi, je décidais de laisser l’extraordinaire de la situation m’emporter.

 

« Et, maintenant, vous travaillez dans quel domaine ?

- Je suis paysagiste, je m’occupe plus particulièrement de créer et mettre en place des roseraies. J’ai une passion pour ces fleurs, et à mes heures perdues, je crée différentes sortes de roses. D’ailleurs, en voici une pour vous, c’est une hybride, elle est unique. Chaque pétale est une histoire d’amour, à la naissance, elle est pure et blanche, la maturité la fait passer par des teintes de roses du plus nacré au plus vif pour arriver enfin à un rouge passionné qui délivre toute la senteur et toute la force de sentiment si compliqué qu’est l’amour.

- Hum … C’est … C’est … C’est vraiment passionnant !

- Et en plus, j’ai trouvé un procédé qui lui confère l’éternité.

- Que c’est romantique !

- Oui, on me reproche souvent de l’être trop d’ailleurs.

- Tout comme moi, on me dit souvent que je suis fleur bleue, mais je suis fière de l’être.

- Bon, alors, quand est-ce que je me lance dans le défi qui ouvre le chemin de votre cœur.

- Ah oui, le défi … j’avais presque oublié, il me semble si futile à présent … Et en plus, sans le vouloir, vous l’avez remporté et haut la main. J’allais vous demander de me prouver votre romantisme, et vous l’avez fait sans même que je vous le demande, lis-tu dans mes pensées William ?

- Appelle moi Will, c’est mon père qui m’appelait William.

- Oh, mais vous dites m’appelait, est-il décédé ?

- En quelques sortes, oui. Il a disparu en mer.

- Ta mère doit être affligée.

- Elle l’était, oui, mais là où elle est, elle ne souffre plus. » Dit-il en avalant péniblement sa salive.

Je ne trouvais rien de mieux à faire que de lui prendre la main pour lui témoigner mon soutien. À cet instant, il n’y avait plus de jeu, rien que deux êtres qui se comprenaient.

 

« Tu as déjà eu une relation sérieuse ?

- Oui, avec une femme du nom d’Elizabeth.

- Comme par hasard ! Et tu vas me dire qu’elle ressemble à celle du film ?!

- Comment as-tu deviné ?

- L’intuition féminine !

- Les belles femmes ont souvent des dons ou des talents incroyables.

- Bon écoute, je sais que c’est stupide, mais il faut quand même en finir avec ce jeu. Alors, cela fait 120 minutes, à peu près que tu es avec moi, soit tu empoches 120 euros, soit tu acceptes qu’on se revoie.

- Toutes les sommes du monde n’égalent pas les moments passés avec toi. »

 

Enfin je savais que j’avais trouvé celui que j’attendais depuis si longtemps et notre tendre étreinte nous ouvrit les portes d’un avenir radieux. Après nous être séparés pour la soirée, je bondis dans le taxi qui me ramenait chez moi et appelait Suz, pour la tenir au courant, comme promis.

 

« Allo ?!

- Ouais, c’est moi ! T’es prête, je t’envoi la preuve !

- J’attends de voir ! »

 

Je lui envoyais la photo que j’avais prise de nous deux par mms, et là je reçus une réponse par sms, très claire :

« Je sui tombé ds lé pom, bravo pr ce coup là, j’tapel kan jserai remise !biz »

 

Ce fut Quelques mois plus tard que Will, Suz et moi allions assister au concert des « Rocking Sparrows » au cours duquel ils interprétèrent leur tube « Lizzie don’t go » qui pour l’occasion avait été rebaptisé « Rose don’t go ».

Au cours du refrain, Jack me fit un clin d’œil coquin auquel je répondis discrètement en lui soufflant un baiser en souvenir de notre rencontre, Oups, Will m’a vue…

 

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Aliv
Posté le 08/06/2013
Une petite histoire originale et très agréable à lire. Un bon moment. Merci.
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