Nouveaux cauchemars

Kélio apprend vite, motivé par cette promesse de revoir sa mère. La Henna devient de plus en plus malléable au creux de sa main. Cela ressemble à une valse mêlant brume et esprit. Ses rêves se complexifient davantage. Pourtant, même si Kélio côtoie sans cesse sa Guide, des parties de son âme lui restent inconnues. Il a plusieurs fois abordé le sujet, mais Armenn détourne systématiquement la conversation sur sa progression. Pourtant, le jeune homme voit à chaque fois leur Arbre dépérir de plus en plus.

Lorsque Kélio aperçoit une branche sèche, il décide d’aller parler à sa Guide, toutefois sans conviction. Le jeune homme a besoin de réponses car ce ne sont pas ses sentiments qui détériorent l’Arbre.

- Armenn, j’ai besoin d’explications. Les feuilles tombent sans raison, une branche a séché. C’est évident que quelque chose ne va pas, mais tu refuses de me parler.

- Y a rien à savoir ! dit-elle en lui tournant le dos.

- Si ! Explique-moi. S’il te plaît.

Armenn sursaute quand elle sent une main juste au-dessous de sa cicatrice. Sans réfléchir, elle se retourne en lui assénant une gifle incompréhensible. Il saisit alors ses poignets et les maintient tout en la foudroyant d’un regard lourd de reproches.

- Je suis désolée, Kélio.

- Non, t’es pas désolée, et tu le seras jamais ! T’as pensé à moi, ne serait-ce qu’une fois ? Ce que je vis ?

La branche sèche se brise et vient avec fracas sur le tas de feuilles mortes.

- Bah oui, je ne fais que ça ! Sans cesse, je cache mes émotions pour t’aider !

- Quelles émotions ?

Piégée et affaiblie par le souvenir de l’homme qui l’assaille, Armenn rend les armes, même si sa colère ne diminue pas.

- J’ai tué Aslinn, ma Guide. J’ai sauté d’une fenêtre, parce que mon copain me violait, hurle-t-elle, des larmes de douleur ruisselant sur son visage.

- Je suis désolé, Armenn. Pour tout.

Sa voix n’est plus qu’un murmure. Enfin, il comprend.

- Donc c’est toi la copine de l’homme qui m’a tué… marmonne-t-il.

- L’homme que j’aimais… Tu le connais ?

- Quand j’étais encore en vie, un homme s’est approché de moi. Tu sais, nous étions pauvres, ma mère et moi. A peine de quoi manger, car mon père est mort dans un accident à l’usine. Je dois endosser ses responsabilités, mais… Les autres n’ont pas plus d’argent que moi. Ils voulaient prendre mon seul revenu, j’ai refusé… Et voilà, je suis là maintenant.

Kélio ne désire pas s’attarder sur le sujet. Armenn a déjà vécu trop de souffrances, et ses problèmes lui paraissent bien dérisoires en comparaison.

- Donc attends… reprend Armenn, troublée. Comment as-tu su que c’est le même homme ?

- Il m’a donné rendez-vous à la Tour, parce que tu y étais morte. Je crois qu’il regrette ce qu’il a fait… Mais cet homme reste mauvais.

- C’est vrai ? dit-elle, étonnée. Il regrette ?

Un soupçon d’espoir perce dans sa voix.

- Je crois qu’il regrette plus son jouet que ta personne. C’est cet enfoiré qui aurait dû passer par la fenêtre.

- On ne peut pas être tout blanc ou tout noir non plus. Il avait sûrement ses raisons.

Le regard de Kélio s’obscurcit.

- Un homme qui en jette un autre par la fenêtre n’a pas de cœur. Il ne mérite pas de vivre. C’est dommage qu’on ne puisse rien faire, à part lui fabriquer un beau rêve.

Les yeux d’Armenn se voilent et une ébauche de rictus vient étirer ses lèvres.

- Kélio, je t’ai pas tout expliqué… Il y a un moyen.

- Lequel ? On est pieds et poings liés, ici. Incapables de retourner dans le monde réel.

La Guide entraîne le jeune homme vers leur Arbre.

- Je vais te montrer. Pose ta main sur la mienne.

Leurs doigts s’entrelacent sur l’écorce. Aussitôt, ils pénètrent l’inconscient d’un enfant d’une dizaine d’années. Armenn commence à manipuler la Henna ; une sombre forêt prend forme autour d’eux. Les arbres ne laissent pas pénétrer la lumière, hormis une lueur au loin. Le garçon court pour rejoindre cette lueur d’espoir, mais rien ne change. Les sapins se succèdent à eux-mêmes. Des yeux jaunes apparaissent dans l’obscurité, luisants. Un cri animal déchire la nuit. Le garçon court, toujours plus vite, toujours plus loin. Epuisé, l’enfant s’effondre et se met à sangloter. Armenn détache sa main de l’Arbre et arrête l’enfer de ce cauchemar.

- Mais pourquoi tu as fait ça ? Tu aurais juste pu m’expliquer ! Tu as terrorisé un enfant d’à peine dix ans ! Et pour quoi ? Ta vengeance personnelle, ce n’est pas contre des innocents que tu dois la diriger !

- Je t’ai juste montré ce que tu voulais. Ne rejette pas toute la faute sur moi !

- Alors dirige ta colère sur les gens qui en sont dignes ! crie Kélio à sa Guide.

- Au lieu de me hurler dessus, tu ne veux pas plutôt essayer ? J’ai déjà tenté ma chance ; j’ai tué ma Guide. Je ne veux plus m’y risquer.

- Soit. Tu refuses d’éliminer ta colère. Tu ne me laisses pas le choix de te protéger. J’essaierai là où tu as échoué, mais pas pour moi, conclut le jeune homme.

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