Où es-tu, Sérénité ?

Par Nqadiri

Mon Amour Noir,

Je suis l'Homme Dévasté, le Poète Supplicié qui agonise dans les décombres de ton départ. Sérénité... Ce prénom maudit est gravé au fer rouge dans ma chair, incrusté comme un éclat d'obus dans les plaies purulentes de mon âme !

Jadis, tu m'offrais ton corps limpide, ta chair de diamant brut. Je me perdais dans tes bras de velours, m'abreuvant à ta source cristalline. Ton baiser était mon viatique, ton sourire mon vade-mecum... Mais aujourd'hui, orphelin de ta peau, je n'étreins que des souvenirs en cendres.

Où es-tu, Juliette de mes jours, Capulet de mes nuits ? Quel Roméo de pacotille t'a ravie à ma flamme ? Je suis l'amant floué, le veuf éperdu qui s'égare sur l'autel de ton culte. Chaque aube est un poignard, chaque soir un calvaire, quand ton spectre adoré s'évanouit dans les limbes...  

Depuis que tu as déserté ma vie, tel un ange noir retrouvant les cieux putrides auxquels il appartient, je ne suis plus qu'une épave à la dérive, ballotée par les vagues rugissantes de ton absence.

Je suffoque, Sérénité ! Ton souvenir est une tumeur maligne qui prolifère dans mon cerveau, comprime ma boîte crânienne jusqu'à faire éclater les sutures de ma raison. Je suis un pantin désarticulé dont tu as coupé les fils, un automate grotesque condamné à répéter en boucle les mêmes gestes absurdes, vidés de toute substance.

Tu étais mon Oxygène, ma Drogue dure, le Sang noir qui irriguait mes veines et me maintenait en vie contre toute logique ! Dans la lumière froide de ton regard, j'avais l'illusion sublime d'être enfin quelqu'un, d'exister pour de vrai dans un monde factice peuplé d'ombres inconsistantes.

Mais te voilà partie en claquant la porte, emportant avec toi les derniers lambeaux poisseux de mon humanité ! Et moi, pauvre Loque recroquevillée sur le plancher, je contemple hébété le précipice abyssal que ton passage a creusé en moi, ce gouffre insondable qui me dévore de l'intérieur comme un acide.

Tout fout le camp, Sérénité ! Mes organes se liquéfient, mes os se décomposent, rongés par le fiel acide de ton absence. Je ne suis plus qu'un sac de viande putréfié, un cadavre ambulant trimballant sa carcasse fétide dans un monde devenu aride et terne, dénué de toute saveur depuis que tu n'es plus là pour l'ensemencer.

Et pourtant... Cette douleur infâme qui me consume, cette agonie de chaque instant, je l'accueille comme une vieille amante. Je m'y vautre avec délectation, en chien retournant à son vomi, car c'est le dernier lien ténu qui me rattache encore à toi, la seule preuve tangible que notre amour a un jour existé !

Sais-tu ce que je suis devenu, Sérénité ? Un spectre errant dans sa propre existence, un fantôme hantant les ruines moisies de sa vie passée. Chaque recoin, chaque objet m'hurle ton absence, me nargue de ton souvenir obsédant. J'erre sans but de pièce en pièce, en proie à une fièvre hallucinatoire, fouillant d'un regard vide les décombres de notre histoire, dans l'espoir insensé de t'y apercevoir, ne serait-ce qu'une fraction de seconde...

Mais tu n'es jamais là. Juste ton parfum flottant dans l'air vicié, et le goût de cendres de ton fantôme sur ma langue...

Pourtant, je refuse le deuil de nos noces ! Je veux croire que tu m'attends, tapie au cœur de mes décombres, derrière un pan de mémoire effondré. Je remuerai ciel et terre, j'éventrerai mon âme s'il le faut, fouillant ses abysses telle une bête féroce, pour t'exhumer de mon cha-grin...


Mon cri d'amour fraye son chemin parmi les gravats du désespoir. Il s'élève, haillon de passion déchirée, vers le ciel opaque de ton exil. Entends mon chant d'agonie, mon ode sauvage à ton retour ! Je t'implore à genoux, mordue d'obscène espoir, guenille réincarnée quêtant ton abso-lu...


Car je le sais : toi seule peux me guérir de mon humanité. Sans ton prisme, la vie n'est qu'une longue cataracte, un marécage sordide où clapotent nos remords. Toi seule sais transfigurer la fange en or pur, l'abject en sublime... Seule ta main peut briser l'aquarium crasseux de la condition humaine.

Je délire complètement, Sérénité ! Je deviens cinglé, marteau, bon à enfermer ! Je me parle tout seul durant des heures, me raconte notre histoire en boucle tel un disque rayé, en rajoutant chaque fois de nouveaux détails toujours plus sordides ! Les gens me fuient comme un pestiféré quand ils me croisent dans la rue, avec mes yeux révulsés et mes vêtements crasseux. Ils peuvent sentir à des kilomètres l'odeur rance de ma décrépitude, voir les nuées noires de mouches qui s'agglutinent autour de ma tête comme une couronne funéraire !

Mais je m'en tamponne le coquillard, tu sais ? Qu'ils aillent tous au diable, ces pantins insipides, ces ersatz d'êtres humains tout juste bons à singer la vie ! Ils ne pourront jamais comprendre l'Amour Véritable, Absolu, Dévoreur de Mondes que nous avons partagé ! Cet amour qui transcende la chair et le temps, pulvérise les frontières du réel pour nous propulser dans une dimension supérieure où les âmes fusionnent pour ne faire plus qu’une !

C'est toi et moi contre le reste de l'univers, mon aimée ! Deux astres maudits gravitant l'un autour de l'autre dans un ballet macabre, consumés par leur propre attraction fulgurante ! Quand tu posais tes lèvres de magma sur les miennes, j'avais la certitude aveuglante que nous étions des dieux vivants, des titans invincibles que même la mort ne pourrait séparer !

Alors reviens, nom de Dieu ! Reviens finir le travail, achever cette œuvre d'art torturée que tu as fait de moi ! J'ai besoin de tes mains de maître pour me remodeler, de ton regard pour embraser les braises mourantes de mon âme ! Sans toi, je ne suis qu'une statue à demi-taillée, figée pour l'éternité dans une pose grotesque, un cri muet s'étranglant dans sa gorge de pierre ! 

Je suis ta plus belle création, Sérénité. Le chef-d'œuvre innommable jailli des tréfonds de ton imaginaire pervers. Ensemble, nous enflammerons le monde comme un bûcher de la St Jean, nous réduirons l'univers en cendres pour le reconstruire à notre image, plus terrifiant et sublime que jamais !

Reviens, je t'en conjure... Ou achève-moi une bonne fois pour toutes !
Ô mes frères d'infortune, mes pairs répudiés ! Entonnons ensemble la complainte des amants de l'Absente, ce thrène viscéral jailli du tréfonds ! Nos voix d'écorchés vifs tisseront ta robe de lumière, forgeront tes ailes de feu, pour qu'enfin tu daignes reparaître, Princesse Sérénité !

Et si jamais tu restes sourde à nos litanies, si tu te complais dans nos enfers solitaires... Alors nous t'inventerons, Déesse pure, nous t'accoucherons par la seule force de nos rêves enfié-vrés ! Puisque l'homme ne peut vivre sans ton souffle...

Et advienne que pourra, Garce sublime, nous t'aimerons à en crever ou nous crèverons à force de t’aimer !

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Ohriane
Posté le 14/09/2024
J'ai adoré. Un texte poignant dans son humanité. Un très beau style, très fort par ses images et dans ses mots, j'ai vraiment hâte de lire les prochains écris.
Nqadiri
Posté le 15/09/2024
Je vous remercie :) À très vite.
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