Lundi matin, le réveil me tire du sommeil. Sous la couette, je tremble de froid rien qu'à la pensée de sortir de mes draps. Encore une sale journée qui m'attend: quatre heures de philo dans la matinée, deux heures de sport et une de mathématiques l'aprèm. Si j'avais des amis, des vrais, peut-être que le lycée serait plus supportable. Mais les deux gars de mon âge qui passent les récrés en ma compagnie sont plus du genre à rire de mes mauvaises notes plutôt qu'à m'épauler quand ça ne va pas.
Je m'habille en frissonnant. Mes habits sont glacés. Je réchauffe du pain à la cuisine, sans faire de bruit pour ne pas réveiller ma petite soeur qui dort dans la pièce d'à côté. Six heures vingt, c'est encore trop tôt pour une fillette de six ans.
Après manger, je coiffe rapidement mes cheveux bruns devant le miroir tout propre de la salle de bains. J'improvise un chignon que je fixe à l'aide d'un élastique. Mon reflet dans la glace a l'air morose. Il se souvient encore de la fois où un de ses "amis" l'a embêté en critiquant sa coiffure. Ils se tenaient sous l'escalier de la cour, la semaine précédente; Romain mâchonnait ses cookies achetés au supermarché d'à côté, tandis que mon reflet ôtait les feuilles mortes emmêlés dans ses longs cheveux bouclés. Romain s'est soudain exclamé:
– Mais Raph, si t'es un mec pourquoi t'as les cheveux longs en fait?
Mon reflet arbora un sourire gêné (comme si on ne la lui posait jamais cette question-là!) et répondit:
– Ben... Je sais pas, comme ça...
En vérité il le savait très bien: il aimait bien ses cheveux longs qui descendaient sur sa nuque et l'empêchaient de trop ressentir les courants d'air. Mais il craignait un peu le jugement de Romain et des autres, qui pourraient se moquer de ses longs cheveux dénoués. Il serra les lèvres quand Romain insista:
– Et pourquoi tu les laisses toujours attachés? Montre comment ça fait sans élastique, pour voir...
– Non, non, ça ira... a bafouillé mon relfet.
– Mais t'es bête, pourquoi tu veux pas? s'obstina Romain en fourrant ses gants pelucheux dans les cheveux de Raphaël.
Il dénoua l'élastique et se posta devant mon reflet pour contempler le résultat. Ce dernier, très honteux, ne sut même pas comment réagir. Il était certain d'être observé... Tiens, voilà déjà Manon et ses amies qui souriaient dans sa direction. Elles l'ont vu! Et maintenant Mathieu et Aziz se rapprochent...
– Rends-moi ça! s'exclama Raphaël en réenfilant l'élastique promptement.
Il se dirigea vers les toilettes afin de cacher sa honte à ses camarades, en longeant le mur grisâtre de l'établissement scolaire.
Je soupire à l'évocation de ce souvenir si déplaisant. Romain est tellement têtu parfois, c'est insupportable. J'ai le droit d'avoir des cheveux longs si ça me plaît, non? De quoi se mêle-t-il aussi? J'aimerais tellement lui dire ces mots-là en face, mais je le connais. Après, toute la classe va parler de moi et se moquer de mes cheveux. Mathieu m'a déjà surnommé "le mec à la perruque", je n'ai pas besoin de moqueries supplémentaires.
Je laisse tomber mes classeurs noirs dans mon sombre sac à dos, résigné à écouter le prof réciter Zarathoustra dans une salle de classe obscure...