L'été: le vent dans les cheveux, le soleil doré au-delà de sept heures de l'après-midi, les chapeaux de pailles et les lunettes, les cocktails sans alcools, la plage, la mer, l'eau...
L'été : les élans amoureux, le cœur battant sans répit, la découverte du désir, la curiosité, la nouveauté...
L'été : les premiers regards amoureux, les premières expériences, les mots doux murmurés au milieu d'un coucher de soleil spectaculaire, les mains entrelacées, les lèvres éclatantes, les yeux scintillants, les inscriptions sur le sable, les souvenirs...
L'été : les dernières escapades en voiture, les derniers feux de camp, les adieux, les lèvres humides à force d'embrasser, les yeux rouges à force de pleurer, les derniers regards échangés, le retour à la réalité...
Et l'histoire se répète à chaque début de mois d'août de chaque années. Mais pour moi, ce n'est pas le cas. Cette ribambelle de touristes n'y connaît rien à la vie terne de la campagne, ce qu'ils appellent "moment de recueil loin de la vie citadine " est en réalité la prison perpétuelle pour moi. Je ne connais rien d'autres que le ruissellement de l'eau après la pluie, la terre humide qui abîme mes chaussures à chaque flaques d'eaux, et les mêmes têtes, tous les jours, tous les ans, depuis 16 ans.
Par contre, quelques petites choses font de ce village un endroit plus ou moins supportable: la nature, la plage, la mer bleue et verte, les animaux, les sables fins, les restaurants de fruits de mer. Tous les mois d'août, des touristes débarquent du monde entier pour profiter de ce petit paradis et s'amuser un peu. De petits bourgeois hautains à la recherche d'une petite villageoise à sauter le temps d'un été. Mes journées se résument à faire mon footing à pied et à m'occuper de ma maison de vacances, je lis aussi énormément dès que je tombe sur une des rares bibliothèques du coin, je dessine aussi de temps en temps. Rien de bien particulier, une vie calme et ordonnée, sans rebondissements.
Et, un jour banal de juillet, ma vie bascule.
Ce jour-là, j'étais assise sur un banc en bois usé, un livre à la main, après une longue journée de ménage. Je feuilletais discrètement quelques pages, sans parvenir à me concentrer sur les mots gravés à l'encre noire. Mon attention se porta sur quelque chose là-bas, de l'autre côté de l'allée, quelqu'un assis comme moi mais sans livre. Il tenait un cahier. Il n'était pas d'ici, j'en étais certaine. Il était trop distingué pour être quelqu'un du coin. Il ne me remarqua pas une seule seconde, probablement à cause des passants qui arpentaient la rue à toute allure chaque seconde. Puis, il se leva et nos regards se croisèrent. Le sol sembla se dérober sous mes pieds, mon corps tout entier cessa de répondre, mes yeux écarquillés. Il était là, devant moi. Paul.
En rentrant chez moi ce soir-là, j'eus l'impression de ne plus me reconnaître. Combien d'années s'étaient écoulées depuis notre dernière rencontre ? Ce visage, ces yeux. Mais je ne pouvais me permettre de perdre mes esprits. Aujourd'hui, nous accueillons avec mon mari un couple de vacanciers. Je devais garder la tête froide. Mais pourquoi étais-tu là ? Je jetai un coup d'œil sur ta page Instagram, mais rien n'indiquait que tu avais quitté Lille, rien n'évoquait une éventuelle petite amie. Après tout, cela faisait plus de dix ans que je n'avais plus de nouvelles. À notre âge, Instagram n'était plus aussi important qu'avant.
Lorsque j'arrive à la villa, la voiture de nos vacanciers est déjà garé sur le parking, merde. Je me dépêche d'entrer par la porte de service qui donne à la cuisine, Hugh a déjà sortie la dinde du four, on peut dire qu'il est particulièrement enchanté par nos visiteurs. Je saisis une bouteille de vin dans le frigo et me dirige vers le salon, où j'entends déjà des voix et des rires.
Tu es là.