L'agent funéraire procéda à l'ouverture du cercueil pour l'exhumation. Il était vide. La commissaire Élisabeth Magnan, debout sous la pluie à côté de lui, ne manifesta pas la moindre surprise. Elle se contenta de resserrer les pans de son manteau autour d'elle, puis déclara à l'intention de son collègue en civil plus jeune qui l'accompagnait :
– Notez : disparition du cadavre d'Emma Leroy constatée ce jour. Investigations à poursuivre. Prenez les déclarations du témoin. Monsieur, demanda-t-elle en se tournant vers l'agent, vous confirmez que la pierre avait été déplacée et le cercueil ouvert avant aujourd'hui ?
L'interpellé hocha la tête. En quinze ans de carrière, il n'avait jamais vu ça. On avait volé un cadavre ! Dans son cimetière !
– Vous n'avez vu entrer ou sortir personne ?
– Non, madame. Et pourtant il y a toujours un gars qui surveille. On l'avait enterré il y a trois jours à peine. Service minimum : il n'y avait qu'une sœur, ou quelque chose du genre, la demoiselle n'avait plus de famille sinon.
– Et rien n'avait bougé depuis ? Personne n'a montré d'intérêt particulier pour la tombe ?
– Ben, non.
– Ce sera tout merci. Si jamais quelque chose vous revenait, n'hésitez pas à contacter le commissariat.
***
Un chat faisait le pied de grue sous un lampadaire devant chez elle. Un beau chat, Élisabeth devait bien l'admettre. Son pelage noir était parsemé de zones plus claires, grises ou rousses ; il trônait, la queue enroulée autour des pattes, sans se soucier de la pluie. Il l'observa de ses yeux ambre tourner la clef puis refermer la porte derrière elle.
Lorsqu'au moment de préparer son repas elle jeta un coup d’œil distrait par la fenêtre, le chat l'observait encore.
Elle rêva de deux yeux orange à pupilles verticales.
***
Ils avaient déjà réalisé l'opération des dizaines de fois. Les serviteurs ne faisaient jamais long feu chez eux. Ces petites choses fragiles...
Octave conduisait la cérémonie. Ils avaient choisi la femme parce qu'elle était jeune, qu'elle vivait seule et qu'elle semblait n'avoir de liens particuliers avec personne. Il avait fallu de longues heures d'observations à Éléonore pour parvenir à ces conclusions. Ensuite, elle n'avait pas mis longtemps à s'introduire chez sa proie et à débuter sa dégénérescence. Les victimes se ne méfiaient jamais. Elles trouvaient un matin un chat affamé devant leur porte ; un peu de persuasion et le voilà installée. Bientôt, elles dépérissaient – mais qui pourrait accuser la boule de poils mystérieusement apparue devant chez elles ?
Le plan s'était déroulé une nouvelle fois sans anicroche, et à présent la femme gisait sur le sol, habillée des vêtements dans lesquels elle avait été enterrée. Une cérémonie maussade et sans intérêts, devant un public inexistant, conduite à toute allure par un employé peu intéressé. Deux nuits plus tard, elle et son amant se faufilaient à travers les tombes et ramenaient le cadavre à leur demeure. Presque trop facile. Elle regrettait la chasse.
Elle avait bien préparé son travail. Lorsqu'Octave mordit la morte, son sang se mit à couler, alors qu'il aurait dû être coagulé depuis longtemps. Il en récupéra au fond d'un bol qu'il mélangea avec le sien et celui d'Éléonore, puis il fit couler le liquide dans la bouche de sa victime.
Ils attendirent, guettant les signes. Ce ne fut pas long. La jeune femme – Éléonore, à qui revenait cet honneur, décida de l'appeler Alexandrine – papillonna des paupières, puis se redressa brusquement. Elle resta là, assise bien droite, le regard vide de toute expression et la peau bleuâtre.
– Lève-toi, ordonna Octave.
Elle s'exécuta. Éléonore échangea un coup d'œil entendu avec son vieil amant. Ils avaient un nouveau jouet.
***
Théo Boisseau était un bon élément, jugeait Élisabeth. Il venait à peine de sortir de l'école et était originaire de la région, ce qui le rendait fort utile. Elle regrettait seulement son obstination à lui servir un café dilué, parfois même sucré. Servir le café à son supérieur n'entrait pas dans ses attributions légales et Magnan lui rappelait régulièrement qu'il pouvait s'en dispenser. Elle avait une dizaine d'agents prêts à remplir ce rôle, des gens qui comprenaient que le principe du café était d'être aussi fort que possible. Mais rien n'y faisait, et lorsqu'elle débarqua au commissariat, la tête encore pleine de ses rêves étranges, il se précipita sur elle pour lui coller un gobelet en carton entre les mains, ajouté d'un « au fait, un témoin a appelé ce matin. »
On avait constaté la disparition du corps l'avant-veille. Rien n'était paru dans la presse, mais dans une ville aussi petite, Élisabeth ne se faisait guère d'illusions. Tout le monde savait, et ils allaient avoir des témoins par dizaine.
– Elle passera à dix heures, ajouta Théo. Elle a dit qu'elle avait des preuves.
Allons bon. Elle jeta son gobelet à la poubelle en allant s'asseoir. Elle verrait bien ce qu'on avait à lui dire.
À dix heures, Boisseau introduisit dans son bureau le témoin auto-déclaré et prit sa place. La nouvelle arrivante ne devait pas avoir plus de vingt-cinq ans. Brune, quelconque, veste militaire, sacoche à appareil photo en bandoulière.
– Je viens suite à la profanation de tombe, déclara-t-elle d'une voie aiguë.
Sur un signe de Magnan, elle expliqua :
– Hier, je suis allée prendre des photos près des ruines. Il y avait du brouillard et j'ai pensé que c'était l'occasion de tester mes nouvelles pellicules en noir et blanc. Je me suis approchée le plus possible et j'ai vu une silhouette humaine de l'autre côté de la barrière. Je connaissais Emma, on était au collège ensemble. J'ai eu le temps de prendre un cliché. Regardez.
Elle étala ses négatifs sur la table. Élisabeth en prit un. Des murs à moitié écroulé... Une forme floue ressemblant vaguement à un chat... Encore un mur, par-dessus lequel on voyait s'étaler la ville... Une figure humaine au milieu...
– Vous avez un tirage ?
La jeune femme acquiesça. La photo était un peu floue, le visage lointain. Élisabeth sortit un portrait de la disparue pour comparer.
– Boisseau ? Votre avis ?
– On dirait bien, madame la commissaire.
Élisabeth observa à nouveau l'image en noir et blanc. Une jeune femme morte depuis une semaine s'y tenait debout, en robe noire, l'air parfaitement vivante.
***
Sur un coup de tête, Élisabeth réquisitionna Boisseau pour monter au château. Il n'en restait que des ruines. Leur accès avait été interdit il y a quelques années, lorsqu'une pierre s'était détachée d'un mur et avait failli tuer le jeune couple qui s'y était donné rendez-vous. On avait décrété le bâtiment instable et fait installer une barrière métallique tout autour.
À cause de la pluie incessante des derniers jours, le sentier était complètement détrempé. L'air empestait l'humidité. Le brouillard, de retour, dissimulait la vallée.
– Vous savez qu'on dit ces ruines hantées ? Fit Théo.
– Vos vampires locaux ? Difficile de passer à côté. On trouve leurs noms partout. Dès qu'il se passe quelque chose on les accuse.
– Et bien, vous avouerez que des cadavres qui reviennent à la vie, ça ressemble bien à l'extraordinaire, rétorqua Boisseau. Et la base de la légende est vraie : on a assassiné une demi-douzaine de personnes ici. Il y a un rapport sur la découverte des cadavres dans la cave aux archives.
– Vous êtes bien informé, dites donc.
Elle s'accouda à un reste de muret. Un chat passa en trombe en direction des ruines. Elle l'avait déjà vu quelque part.
– C'est que... heu... cette histoire m'a beaucoup intéressé quand j'étais petit...
Elle retint un ricanement. Ce n'était pas comme s'il se passait beaucoup d'aventures dans ce patelin...
– À votre avis, d'où les photos ont été prises ?
Il fit un tour sur lui-même.
– Plus proche des murs, peut-être même derrière les barrières. On n'a pas cette vue panoramique d'ici. C'est pour ça que c'était un lieu de rendez-vous si prisé, vous voyez. Venez, je vais vous montrer.
Il se dirigea vers l'arrière du château et elle le suivit.
– Vous n'êtes jamais venue ici ? Lui demanda-t-il en chemin.
– On a essayé, une fois, mais les vieux cailloux, ce n'est pas trop mon truc.
Il s'arrêta et pointa vers la vallée.
– C'est le bon angle de vue. Je pense qu'elle était par là. Il y a un endroit où la barrière manque. On peut passer sans trop de problème et s'approcher. Elle n'a pas été très loin pour prendre ses photos. On n'en a pas besoin pour avoir une jolie perspective.
Élisabeth hocha la tête et fit quelques pas pour tenter de trouver le meilleur angle.
– Vous avez parlé de cave, non ? Elle existe toujours ?
– Je crois, mais les couloirs se sont effondrés il y a des années, c'est ce qu'on m'a toujours dit.
– Vous n'êtes pas allé voir vous-même ?
– Heu, non. Ma mère m'aurait tué.
Elle rangea la question dans un coin de sa tête. Après un détour pour constater la disparition de la barrière, sur laquelle elle se promit de rédiger un rapport pour les services de la voirie, ils quittèrent les lieux.
Le chat tricolore sortit sa cachette et se hâta vers son foyer.
Beaucoup d'intrigues et de frissons, hâte de voir la suite. Directement dans la PAL ! J'ai fait une grosse pause de deux ans d'écriture et de lecture qui s'avère fructueuse.
Amicalement
Roxy
Ton histoire m'a l'air pleine de mystères... Une ambiance austère, un lieu sinistre, un cadavre exhumé qui revient à la vie... Tout ça se rapproche beaucoup d'un roman d'horreur, ça me semble palpitant !
Quand un chat passe dans la rue, devant les yeux de l'inspecteur, tu insères l'information discrètement, rapidement, comme si le personnage le remarquait à peine, du coin de l'oeil, je trouve que c'est bien joué, c'est comme si on était un peu avec le personnage...