PARTIE 1 -Taïe / Chapitre 1

Par Mila
Notes de l’auteur : Enfin le début de ce deuxième tome ! Je vous souhaite une bonne lecture.
Si vous ne l'avez pas fait, je vous enjoins vivement à lire les Notes qui se trouvent juste vant. Elles peuvent éviter de nombreuses confusions.
Bonne lecture !

La lumière. Voilà la première chose qu’elle remarqua en émergeant de la Brume.  La lumière éclatante du soleil, et le vent qui faisait bruisser les feuilles des arbres. Rien d’étonnant, après tous ces jours passés dans l’obscurité.  Quel bonheur d’enfin sentir le vent sur son visage ! Sous leurs yeux s’étendait une plaine d’herbe foncée, au relief léger. À leur droite, ils distinguaient les fameuses montagnes qui avaient causé la discorde entre Naliah et Ouvrier. Ils n’étaient pas passés loin d’y déboucher. 

 

Tous avancèrent d’un pas lent dans la grande plaine. Le silence, le vent, rien n’était si différent de l’autre côté de la Brume. 

Trouve la vérité…

Taïe soupira bruyamment. Ça n’allait pas recommencer ! Elle avait été relativement épargnée durant la traversée de la forêt. Je m’en approche, de ta vérité. Je suis en Helere, n’était-ce pas là que tu voulais que j’aille ? 

Tout le monde était un peu perdu. Que faire à présent ? Comment retrouver Saziel dans l'immensité de ces terres ? Après y avoir réfléchi un moment, quelqu’un proposa de se diriger vers la capitale. Après tout, c’était là que l’on retrouvait le plus de gens. 

Ils se mirent alors en chemin vers le sud-ouest. Ils se basaient sur l’emplacement qu’avait eu la cité sur la carte qu’ils avaient trouvée dans la Brume. L’information avait de fortes chances d’être erronée, avec tout le temps qui était passé, mais Ka’ni avait avancé l’argument que Vagua’hey, Feli’ah et Far’hey, elles, n’avaient pas bougé.  

Ce ne fut qu’au bout de plusieurs heures de marche qu’Ouvrier se manifesta. Tout le groupe avait fini par oublier sa présence, et ne se souvint de lui que lorsqu’il s’effondra à terre en criant. Agenouillé, il plaquait ses mains sur sa tête en hurlant des mots inarticulés. Inquiet, le groupe s’approcha de lui avec prudence. Taïe portait déjà sa main à son poignard, se rappelant qu’elle avait promis de le tuer. Il ne me l’a pas rappelé. Pourquoi ? Il semblait y attacher une telle importance… une mort rapide. 

Pour l’heure, l’homme de pierre se griffait les oreilles, les yeux révulsés. Prudente, Taïe s’approcha doucement et s’agenouilla à ses côtés.

“Ouvrier ? Que se passe-t-il ? demanda-t-elle d’une voix douce.

-Je ne l’entends plus. Je ne l’entends plus !Pourquoi est-ce que je ne l’entends plus ?”

Il s’était tourné vers elle, les yeux écarquillés, mi-criant mi-gémissant. Inquiète, Taïe recula de quelques pas. Elle se tourna vers les autres, qui semblaient aussi perdus qu’elle. 

“Est-ce que vous pensez que je dois…”

Elle fit un petit geste de sa lame pour illustrer son propos. Personne ne répondit. De toute façon, elle lui avait promis, elle allait devoir le faire. Mais maintenant ? Cela semblait un peu déloyal, pendant qu’il était dans cet état. 

“Tu devrais le faire maintenant, dit enfin Ka’ni. il l’avait demandé, et, de toute façon, il n’a pas l’air d’être très en forme.

-Oui, répondit Taïe en se levant. C'est le bon moment.”

Je ne serais pas parjure, lui chuchota une petite voix. Elle ne l’écouta pas. Ça n’avait rien à voir. Il avait demandé à être tué. Elle allait faire un pas pour se rapprocher de lui quand il tourna brusquement la tête en sa direction, avec un air terrifié. 

Est-ce de moi qu'il a si peur ?

Mais un cri derrière elle la détrompa bien vite. Se retournant, elle n’eut que le temps de voir Nali’ah saisir sa lance avant qu’Elyie ne la percute violemment et la fasse tomber à terre. Que se passe-t-il ? Pendant un instant, elle crut que Elyie l’avait attaquée, mais elle comprit en voyant une ombre passer au-dessus d’elle. Se redressant, elle vit l’animal qui venait de leur sauter dessus. Mécontent d’avoir raté sa cible, il faisait déjà demi-tour, les crocs à découvert. 

“Relève-toi ! Vite ! pressa Taïe en prenant Elyie par le bras. Mets-toi derrière moi.”

La soigneuse dans son dos, elle fit face à la bête. C’était un gros loup aux crocs luisants de bave. Légèrement plus grand que tous les loups qu’elle avait déjà rencontrés, il possédait de surcroît une paire de cornes qui lui sortaient du crâne. Sa fourrure épaisse était un mélange de brun et de roux sale. Il n’était pas seul : c’était toute une meute qui attaquait le groupe de voyageurs. Celui qui lui faisait face se rua sur elle avec une vitesse qui la prit par surprise. Elle ne dut sa survie qu’à son instinct, se déportant rapidement sur la gauche. Laissant Elyie à découvert, et dans la trajectoire de la bête. En une fraction de seconde, son poing libre se resserra, elle eut l’impression que son corps se déchirait, et l’animal se figea en plein saut. Ne sachant combien de temps elle parviendrait à garder figé un animal si gros, elle ne perdit pas de temps et se glissa sous lui avant de lui trancher la gorge. Elle se précipita ensuite vers Elyie.

“Je retire ce que j’ai dit. Ne reste pas derrière moi, mets-toi à l'abri !” 

Une fois que la soigneuse eut détalé, elle balaya la plaine du regard. L’un des loups gisait à terre, criblé d’éclats givrés, œuvre de Nali’ah. Ban’eh était aux prises avec un spécimen blanc et noir, et Ka’ni luttait avec un deuxième. Lo’hic, Elyie et Ouvrier n’étaient nulle part en vue. Pavel, lui, faisait face à l’une des bêtes, dont le pelage était en flammes. Avisant un nouvel animal qui se jetait sur lui, Taïe saisit son deuxième poignard, et, d’un geste vif et précis, l’envoya se ficher dans le cou de l’animal. Le Korafiè, qui n’avait rien remarqué, vint à bout de son adversaire au même instant. Le loup s’écroula, toujours en feu, exhalant une affreuse odeur de poils et de chair grillée. Le coup qui lui avait été fatal avait brûlé toute une partie de son museau, laissant à découvert une portion de crâne d’un blanc sali. Cette vue rappela à Taïe l’affreux visage du Paria qu’elle avait transporté jusqu’aux falaises, juste après l’attaque de la Tribu. Elle alla récupérer son poignard dans la gorge du loup, et Pavel la rejoignit. 

“Où sont les autres ?” demanda-t-il, essoufflé. 

Nali’ah, Ban’eh et Ka’ni étaient venus à bout de leurs adversaires, mais nulle trace de ceux qui s’étaient mis à l'abri. Ils crièrent leurs noms dans la plaine jusqu’à ce qu’une réponse leur parvienne, et que Lo’hic et la soigneuse apparaissent au sommet d’une colline. 

“Où est Ouvrier ?” demanda Lo’hic en s’approchant.

Tous regardèrent autour d’eux, mais aucune trace du Radvenheng. Taïe dirigea son regard vers le sol, peut-être était-il toujours prostré à terre, mais seuls les cadavres de la meute l'occupaient. 

“Où est-il bon sang ? s’agaça Ban’eh. On ne peut pas le laisser vagabonder comme ça.”

Ils eurent beau chercher une bonne partie de la plaine, l’ouvrier restait introuvable. 

“Peut-être l’un des loups l’a-t-il emmené, suggéra Ban’eh.

-Dans ce cas, prions pour qu’il ait une une mort prompte, comme celle que je lui avais promise.”

Taïe pensait vraiment ce qu’elle avait dit. Il avait tant craint Saziel et la torture que Taïe lui avait fait miroiter qu’une mort rapide lui avait semblé la meilleure solution. C’était quand même une triste fin de vie.

Quelque peu ébranlés par l’attaque subite qu’ils avaient subie, ils cheminèrent désormais sur le qui-vive. La plaine morne et sombre semblait ininterrompue. Le soleil s’était progressivement caché derrière de lourds nuages gris, plongeant le monde dans une atmosphère morose. Taïe avait l’impression d’être hors du temps. L’attaque des bêtes lui avait semblé si rapide que c’était comme si elle n’avait jamais eu lieu. Seule l’absence d’Ouvrier témoignait de la bataille. 

Lorsque la nuit tomba enfin et que seule la lumière de Pavel leur permettait d’avancer sans crainte, ils avaient atteint un amalgame de collines au cœur desquelles poussait un bois touffu. Ils s’abritèrent sous ses branches pour la nuit, et Taïe fut prise d’un affreux pressentiment lorsque son dos la tirailla en s’asseyant. Non non non, pas maintenant. C’était fini ! Déjà une autre crise ? Elle se força à respirer profondément et se calmer. Une petite voix lui souffla qu’elle devrait prévenir les autres, mais elle fut bien vite balayée par celle de Temps qui l’enjoignait encore à trouver la vérité.

Trouve la vérité… trouve l’homme pour trouver la vérité. Trouve les autres….

Rien de nouveau de ce côté. L’homme était Saziel, et elle devinait que les autres étaient ceux qui n’étaient “pas liés par le serment”. Temps les avait évoqués lors d’une vision que Taïe avait eue alors qu’elle était très malade. Elle était alors si mal en point qu’Elyie avait pu partager ce songe. Les deux jeunes femmes en avaient conclu que plus Taïe était faible, plus l'âme était puissante. Quant aux “autres” évoqués par temps, ils faisaient référence à des individus qui connaissaient la fameuse “vérité”. Ils étaient apparemment plus nombreux en Helere qu’en Oedoria, ce qui avait été l’un des motivations de leur traversée de la Brume. De plus, ils avaient eu confirmation par Ouvrier  que Saziel se trouvait à l’ouest, ce que Taïe avait déjà deviné grâce aux lames utilisées par les attaquants des villages de l’Atè’idi. C’était toute cette tripotée d’indices qui les avaient menés jusqu'ici mais pour l’heure, tout ce qu’ils trouvaient n’était que de l’herbe à perte de vue. Et une forêt. Cependant, pas un signe d’habitation. Pourtant, Taïe était certaine qu’ils ne tarderaient pas à trouver des traces de civilisation. 

Le feu craquait doucement au centre du camp lorsque la majorité du groupe s'endormit, les deux Néréeins se tenant à l’écart des flammes et Lo’hic montant la garde. 

 

Un nombre important de personnes se tenaient sur la place pavée, tous les regards dirigés vers l’homme qui se tenait en son centre. Tous leurs visages étaient sombres, invisibles, tous se confondaient.

 

“C’est aller à l’encontre des lois divines, cria quelqu’un dans la foule.

-Cela fait bien longtemps qu’il les a outrepassées,  rétorqua celui qui les dominait. Notre foi lui appartient, à présent. Nul de joue avec les dieux sans en payer le prix. Pensez-vous que l’ire divine nous épargnera ? Nous sommes tous complices. Notre esprit n’est qu’un, les fautes en sont de même. 

-Oui ! Ne sommes-nous pas tous des frères, des sœurs ? renchérit un autre spectateur. Lorsqu’une unique larme perle, c’est de mille yeux qu’elle s’écoule. 

-Que sera la suite ? Battez-vous, mes frères ! Résistez, mes sœurs ! Jamais notre liberté ne tombera aux mains des oppresseurs.”

L’une des silhouettes rabattit sa capuche et s’éloigna en prenant par le bras l’un de ses camarades. Il masqua son visage de la même façon, et tous deux s’en allèrent d’une démarche calme, mais la voix du premier trahissait son inquiétude lorsqu’il prit la parole. 

“Jamais je n’aurais vu tant d’opiniâtreté partagée à un si grand nombre d’esprits. L’ire divine ? Si nous devions la subir, je crains que cela se soit fait il y a bien longtemps, mon frère. Il est trop tard, à présent. Mais étrangement, cela ne fait qu’accroître mes craintes pour le futur. Rien n’est plus dévastateur que l’attente, même si le châtiment qui la termine se révèle bénin.”

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