Partie 2

Par Feydra

La salle de pierre ne comptait qu’un seul objet : un piédestal sur lequel était posé un petit coffret d’or et de pierreries. Mais sur les murs étaient gravées des scènes représentant des créatures humaines à tête de crocodile, de faucon ou d’hippopotame. Un symbole singulier, une croix à la forme étrange, apparaissait à intervalles réguliers. Morgause avait appelé cela un Ankh. Pathemin présuma qu’il s’agissait d’un terme de magie. L’obscurité était pesante, il lui semblait entendre des murmures indistincts juste à la limite de sa perception.  La lumière de leur torche avait des difficultés à la percer.

Pathelin soutenait maladroitement Pléthor, dont la blessure à l’épaule saignait abondamment. Ses épées et son armure étaient imbibées de sang. Ils avaient dû se frayer un passage à travers une tribu d’hommes lézard qui avaient élu domicile dans les environs du temple. Ils semblaient vouer un culte à cet endroit ou du moins à l’artefact qu’il contenait et ils avaient très mal accueilli leur volonté de le visiter.

Pathelin ne cessait de surveiller Morgause. Elle avait fait preuve d’une telle férocité pendant le combat qu’il en avait encore des frissons. Sa magie était puissante, bien plus que ce qu’elle avait laissé entendre. Qui plus est, elle avait quelque chose d’étrange qui inquiétait le voleur.

Morgause était immobile, debout juste devant l’objet. Elle semblait fascinée.  Il lisait comme une anticipation dans son expression, comme un désir ardent d’ouvrir le coffre, comme s’il contenait quelque chose de vital pour elle. Quelque chose clochait. Il en mettrait sa main à couper.

Il allait rompre le silence qui s’éternisait, lorsqu’elle fit un pas en avant et prit le coffret. Le jeune homme fit une grimace, mais rien ne se passa. Elle l’ouvrit et fixa longuement ce qu’il contenait. Elle parut soulagée et se détendit visiblement. Elle tenait le coffre comme s’il était la chose la plus précieuse au monde. Pathelin et Pléthor étaient totalement oubliés par la magicienne. Il en vint d’ailleurs à se dire qu’il était peut-être temps d’emmener son ami presque comateux loin de cet endroit, tant le comportement de leur compagne était suspect et franchement angoissant. L’objet était certes beau et paraissait valoir son pesant d’or, mais sa vie et sa santé mentale valaient bien plus,  merci bien !

Il s’apprêtait donc à trainer discrètement son ami vers la sortie lorsqu’un rugissement retentit. La porte de pierre vola en éclat. Le souffle les fit basculer sur le sol et Pathelin manqua de peu de se faire éborgner par un éclat gros comme son poing.

Il toussait sous l’assaut de la poussière et ses yeux larmoyaient. Une silhouette énorme envahit son champ de vision. Il cligna plusieurs fois des yeux. Lorsque la poussière fut retombée, il eut une bonne vue sur la créature qui avait fait irruption si impoliment dans leur pillage.  Il aurait préféré ne pas la voir. Un frisson de terreur se répandit dans ses muscles. Pltéhor parut avoir suffisamment repris ses sens pour avoir une réaction très similaire à la sienne.

Devant eux se trouvait un monstre gigantesque. Ses pattes antérieures étaient celles d’un lion alors que les postérieures étaient celles d’un hippopotame. Son cou épais recouvert d’un pelage doré était surmonté d’une tête de crocodile, dont la mâchoire claquait. Ses yeux noirs paraissaient insondables. Il s’immobilisa dans la pièce, regardant droit dans la direction de Morgause qui n’avait pas bougé.

- Isis, grogna-t-elle, tu n’as pas le droit d’être ici !

- J’ai bien plus le droit que toi, Ammit, dévoreuse de chair, répondit alors la jeune femme.

Au son de sa voix, Pathelin se tourna vers elle  et écarquilla les yeux : ce n’était plus Morgause qu’il voyait, mais une femme gigantesque à la silhouette élancée, au regard de flammes. Elle était vêtue d’une robe chatoyante. Sa voix avait pris une puissance qui faisait trembler les parois de la pièce.

Le monstre se mit à rire.

- Par Seth, tu ne retrouveras jamais ton époux, Ô déesse, je t’en empêcherai, car je suis la dévoreuse des âmes.

Sa voix était rauque et crissante. Les deux hommes se sentirent soudain minuscules, perdus au milieu d’un combat divin. Morgause – Isis – resplendissait : sa lumière inondait maintenant la salle. Elle arborait une expression d’une douceur divine. Mais ses yeux étaient deux orbes emplies de fureur.

- Crois-tu vraiment que tu peux quelque chose contre moi, hybride ?

La déesse referma doucement le couvercle du coffret. Sa lumière s’intensifia et le monstre recula. Pathelin et Pléthor se recroquevillèrent du mieux qu’ils purent, se couvrant les yeux, mais la lumière ne leur apportait qu’une chaleur vivifiante et aucune douleur. Une voix retentit alors autour d’eux, une voix qui semblait faite de milliers d’autres.

- Je suis la mère des étoiles, femme et sœur d’Osiris, le plus puissant parmi les dieux. Et tu oses te mettre en travers de ma route !

La lumière devint flamme ; un brasier dévorant enveloppa alors la créature qui leva la tête en hurlant et en se débattant. Elle recula encore, heurta l’une des colonnes qui s’écroula sur elle ; mais elle était toujours débout, rugissant de douleur et de haine. Elle agonisa ainsi une longue minute, impuissante. Enfin elle s’écroula, sans vie. Le feu la quitta et s’engouffra dans la forme immense et nébuleuse qu’était devenue la magicienne. Elle sembla ensuite se comprimer et reprit forme humaine. Morgause fut de nouveau parmi eux.

Elle regarda un long moment les cendres : son regard contenait encore tellement de haine mêlée à une profonde tristesse. Puis ses yeux se posèrent sur les deux hommes toujours pelotonnés contre un débris de roche, qui la regardaient d’un air ébahi. Elle sourit et s’agenouilla près d’eux. Le mouvement de recul et la terreur que ce mouvement provoqua ne l’étonnèrent pas : c’était une réaction toute naturelle des rares humains qui l’avaient vue sous sa vraie forme.

- Ne vous inquiétez pas, mes amis. Je vous dois des remerciements : grâce à vous, j’ai pu retrouver l’un des fragments de mon cher époux.

- Un frag… fragment, balbutia Pathelin à la fois perdu et intéressé.

Alors elle ouvrit le petit coffre et leur en montra le contenu. Pathemin eut un hoquet de surprise lorsqu’il découvrit un cœur palpitant, rouge comme le cœur des humains, mais duquel émanait une lumière dorée. Une telle puissance rayonnait de cet organe que le voleur ne put se contrôler : il tendit la main. Avec un léger claquement de langue réprobateur, Morgause referma le couvercle.  Puis elle se leva.

- Je me dois de vous offrir quelque chose en échange de vos bons et loyaux services.

Quand un doux éclat les enveloppa, tout ce que Pathelin put voir était le sourire empreint de bonté et les yeux de la déesse où flottaient des étoiles. Une seconde plus tard, il se réveilla dans un lit moelleux. Eberlué, il regarda autour de lui : il était à n’en pas douter dans une chambre d’auberge et s’il s’en référait aux bruits qui pénétraient par la fenêtre ouverte et aux odeurs, il se trouvait dans un village.

Il n’eut pas le temps de se lever que le battant de sa porte claqua contre le mur et qu’une silhouette imposante se pencha sur lui. Il s’attendait presque à croiser le regard d’un crocodile mais tout ce qu’il vit fut les yeux écarquillés de son ami.

- Tu as vu ? fit celui-ci sans lui laisser le temps de dire un mot.

- qu… quoi ?

Soudain sur la couverture de son lit dégringola un tas de pièces d’or.

- Un coffre plein. Et toi aussi tu en as un, regarde.

Pléthor se décala et il put voir un gros coffre, plein de pièces d’or et de joyaux. Gravé sur le coffre, il aperçut la drôle de croix qu’il avait vu dans le temple.

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EryBlack
Posté le 28/05/2023
J'ai bien aimé ta façon de traiter le mythe d'Isis et d'Osiris ! Je ne savais pas à quoi m'attendre pour Morgause et ça m'a plu que cette magicienne cache une déesse. Sur certains détails, je me dis que cette révélation peut être mieux préparée : par exemple, jusque-là je n'étais pas du tout dans une ambiance égyptienne, ni d'aucune autre civilisation d'ailleurs, j'avais simplement dans l'idée un monde de fantasy. Le décalage pourrait être intéressant : nous plonger dans une autre civilisation et hop, en fait c'est une déesse égyptienne qui parcourt le monde pour rassembler les morceaux d'Osiris. Je me suis aussi demandé pourquoi elle avait pris le nom de Morgause. Là aussi, je me disais qu'une magicienne sans nom ce serait intrigant, et qu'on comprendrait à la fin qu'elle cache son nom car il aurait révélé sa nature divine. En l'état, j'ai moi aussi du mal à comprendre pourquoi elle avait besoin de l'aide des deux gaillards. J'aurais apprécié qu'on nous décrive une étape de leur périple pour laquelle la présence d'un humain serait réellement nécessaire, par exemple.
Bref, je vois des pistes d'amélioration et je te les livre, mais j'ai tout de même apprécié ma lecture, c'était imagé et comme je te le disais pour le premier chapitre, l'ambiance jeu de rôle me plaît bien ^^ Et ton utilisation de l'ellipse m'a plu aussi, c'est intéressant les choix de ce qu'on raconte ou pas, finalement l'imagination du lecteur comble facilement les trous !
Feydra
Posté le 28/05/2023
Merci pour ton commentaire. Contente que cela t'ait plu et merci pour les pistes d'amélioration. Pour ce qui est de tes questions, à toi de choisir la réponse que tu préfères. ;)
Nathalie
Posté le 09/12/2022
Bonjour Freyda

J'aime beaucoup le fait que tu passes sous silence le combat contre les protecteurs du temple. Il a eu lieu. L'autre est plein de sang. On s'en fout. J'adore. L'important, c'est le coffre. Les détails, pas besoin. Totalement mon style. On en vient à se demander, vu ses pouvoirs, pourquoi elle avait besoin de l'aide de deux pauvres humains mais après tout, qui peut se targuer de comprendre les limites et volontés d'une déesse ?

Proposition de correction :

Sa magie était puissante, bien plus que qu’elle ne l’avait laissé entendre. → Pas certaine mais je me modifierais en « Sa magie était puissante, bien plus qu’elle ne l’avait laissé entendre. »
Il s’apprêtait donc trainer discrètement son ami vers la sortie lorsqu’un rugissement retentit → Il s’apprêtait à donc traîner discrètement
Lorsque la poussière retombé → « Lorsque la poussière fut retombée » ou bien « Une fois la poussière retombée »
je t’en empêcherais → empêcherai
tellement de haine mêlé à une profonde tristesse → mêlée
Le mouvement de recul et la terreur que ce mouvement provoqua ne l’étonnèrent pas : → répétition de « mouvement »
Une second plus tard → seconde
Feydra
Posté le 10/12/2022
Merci pour ton commentaire et tes corrections. J'aurais dû mieux me relire.
En ce qui concerne les ellipses, j'aime bien les utiliser : c'est très pratique pour gérer le rythme du récit.
Pour ton autre remarque, je me suis inspirée du mythe d'Isis de la mythologie égyptienne : Seth ayant découpé le corps de son frère Osiris en morceaux et les ayant caché tout autour du monde, Isis part en quête des fragments de son époux pour le ressusciter, mais a besoin d 'aide et d'indices pour les trouver. Voilà.
Ayunna
Posté le 14/10/2022
Me revoilà Feydra !

Ooh, très sympa ce mélange avec la mythologie égyptienne !
Ton écriture est toujours aussi fluide, la scène est bien retransmise.
Pour ma part ça va j'ai compris ta transition : on est déjà au temple.
J'aime bien le fait qu'Isis récompense ses guerriers
Feydra
Posté le 14/10/2022
Ravie que cela fonctionne bien ! Merci !
Loup pourpre
Posté le 12/10/2022
C'est un texte très bien écrit reposant d'évidence sur la mythologie égyptienne. C'est juste un début mais il était prenant. Les personnages sont bien décrit et l'intrigue est menée tambour battant. L'ellipse m'a un peu perdu entre les deux parties mais heureusement je me suis retrouvé. Je demande à voir la suite si elle est aussi bonne que le début.
Feydra
Posté le 24/10/2022
Merci pour ton commentaire. C'est très gentil. Je n'ai pas encore prévu d'écrire la suite : c'est juste une petite "tranche" d'histoire en quelque sorte.
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