Samedi 5 juillet 2025, peu avant minuit. Le Diable entre en scène, se tenant le bras et maugréant à qui veut l'entendre en cette heure noire et tardive.
LE DIABLE
Maudit été. Maudit solstice. Maudit coup de soleil. Regardez comme mes bras sont rouges après cette horrible journée ensoleillée et enfin terminée.
Oui, je sais bien que ma peau est toujours rouge ! Je suis un Diable, pas une chochotte à peau blanche ! Regardez, bon sang ! Elle est rouge foncé alors que d’habitude elle est rouge vif. Ça brûle et ça picote horriblement, vous n’auriez pas un petit gel hydratant ou une compresse d’eau fraîche ? J’ai l’impression que ça pourrait être carcinog … Bon. Je vous attends. Faites vite car je souffre.
Ahhhhh, ça fait du bien. J’espère que ce n’est pas un cancer de la peau irréversible. Heureusement que je suis un vrai dur à cuire. HOHOHoho…ho…. ho...
Vous ne riez pas ?
C’est parce que vous n’avez rien compris à mon jeu de mots avec dur à cuire en rapport avec le soleil cuisant, mais si je vous explique ça annule l’effet comique. Vous êtes très mauvais public vous savez.
Qu’à cela ne tienne. Je vais vous expliquer ma théorie sur le soleil et la stupidité ambiante à la place. Il n’y a vraiment pas de quoi rire, ça devrait donc vous plaire. Humhum. (Il se racle la gorge avant de se lancer dans sa tirade).
Soit il y a du soleil et il fait chaud. Tout le monde est content. Abrutis.
Soit il y a du soleil et il fait froid. Tout le monde râle mais moins que quand il pleut.
Soit il n’y a pas de soleil et ça caille. Mais comme tout le monde dort sous sa couette de plumes ou se dandine en boîte, ils s’en foutent. Sauf ceux sous les ponts, mais ceux-là tout le monde s’en fout de toute façon.
Voyez-vous, tous les cas de figure sont possibles dans ce bas-monde SAUF la chaleur sans soleil. Pas de soleil. Pas de chaleur.
Pour avoir la chaleur sans soleil, il faut allez en Enfer. Chez moi donc. Il fait hyper chaud grâce aux fournaises. Car s’il y a une chose que je sais faire c’est allumer le feu. Je suis l’astre pyromane de l’Enfer.
J'avoue que j'ai parfois un peu exagéré dans la fougue de mes débuts et que j'ai pu faire fuir quelques âmes par excès de zèle et chaleur excessive au temps des grands bûchers. Il faut dire que c'est tellement jouissif de voir les flammes de l'Enfer tout brûler sur leur passage que c'est dur de résister à l'envie de remettre de grosses embûches, pardon bûches, ou un petit coup de soufflet sur les braises.
J'ai donc revu ma stratégie dantesque de A à Z dans le cadre des mesures récentes de restructuration et modernisation de l'Enfer. Fini les méthodes drastiques et dramatiques, aujourd'hui je passe tout en finesse, on me prendrait presque pour la Vérité tellement je suis malin.
Fini le temps des grandes épidémies et des gens qui mourraient comme des mouches avant même d'avoir fait de la vie des autres un Enfer. Le problème avec les virus, c'est le juste dosage. Ils ne doivent être ni trop virulents, ni trop poussifs. Les spectaculaires crachats de sang, pustules et coliques foudroyantes sont malheureusement assez inefficaces à long terme. Comme quoi on ne peux pas tout avoir. J'ai mis des siècles à maîtriser l'art de la pandémie. C'est une autre histoire mais elles se valent dans leur raffinement machiavélique et ont pour but commun le confinement de l'individu dans les confins de la peur.
Mon but ultime est bien entendu de rameuter les gens en Enfer. Plus on est de fous plus on rit. Mais pour cela il faut d’abord convaincre les masses des inconvénients du soleil, autrement dit de la lumière divine : coups de soleil, canicule, cataractes, aveuglement, allergies, vieillissement prématuré…
À ces fins diaboliques, j’ai développé une stratégie anti-solaire multiphase aussi efficace pour gâcher l’été qu’une guêpe une soirée barbecue.
Are you ready ? Je vous préviens, c'est assez diabolique mais je ne suis pas le Diable pour rien.
TADA ! J’ai l’honneur et l’avantage de vous présenter : Le Grand Avènement de l’Ère de l'Écran Total !
Première phase : L’implantation - par un processus publicitaire amorcé dans les années 80 à grand renfort de références au trou de la couche d’ozone - de l’idée fixe de l’absolue nécessité de mettre de la crème solaire, illustre inconnue au bataillon jusqu’alors, soit dit en passant. Articles sur les méfaits du soleil sur la peau et les grains de beauté, échantillons gratuits, avions qui survolent les plages en tirant une banderole « protégez-vous !! »…
L'avantage avec les masses c'est que, bien que longues à la détente - c'est pourquoi il ne faut jamais hésiter à mettre le paquet sur le budget marketing et les Google Ads - une fois convaincues du bien-fondé d'une idée, aussi stupide soit-elle, elles basculent dans ce qu'il convient d'appeler l'hystérie collective.
La stratégie a marché au-delà de toute espérance comme l’atteste la tronche des bébés dans les poussettes avec leurs lunettes en plastique, leur petites faces enfarinées et leurs T-shirts anti-UV à manches longues, alors qu’en faisant preuve d’un peu de bon sens il suffirait de les laisser jouer sous un arbre en évitant les heures de pointes. Rester tapis dans les ténèbres. À l’ombre du doute. Mais non ! On préfère s’exposer au soleil de midi en maillot de bain intégral ou en s’aspergeant de spray soleil effet glacé. Pssccchhhh…aahhh! (Il soupire d’aise en faisant mine de s’asperger de spray solaire rafraîchissant).
C’est que le marché de la crème colaire, pardon solaire, est très lucratif, c’est bon pour le business. J'en ai bien sûr profité pour en décliner une infinité de variations multifonctions. Anti-UVA et UVB. Anti-rides. Anti-nanoparticules. Anti-pollution. Anti-méduses. Anti-moustiques. Antibactérien. Il n’y a pas de limites aux formules gagnantes qui jouent avec les peurs des moutons de Panurge.
Une fois l’idée bien ancrée - ça a quand même pris près de deux décennies - on passe à la phase suivante : pointer aux générations qui ne peuvent déjà plus s’en passer tout le mal qu’elles font avec leur crème solaire : pollution des océans, intoxication de la faune marine, nanoparticules plastiques et perturbateurs endocriniens, blocage du métabolisme de la vitamine D et dépression consécutive assurée, encrassement des filtres de piscines, taches grasses non-détachables sur vêtements estivaux…
La phase suprême étant d’induire un état de confusion mentale tel que les victimes n’osent plus NI se tartiner NI se mettre au soleil et passent tout naturellement de l’écran total à l’écran total (sourire satisfait). Je vous explique puisque vous ne comprenez pas les jeux de mots : ça veut dire passer le TOTAL de ses journées sur l’écran !
Je vous jure que les parents Millenials – Milleniaux ? – enfin ceux de la Gen Y préfèrent mettre leurs enfants toute la journée devant un écran plutôt que devant la mer !!! Je travaille actuellement à l’implantation d’un écran in utero pour la Gen Z qui jure déjà aussi sûrement par les écrans que les Boomers par la fessée pour avoir la paix.
Et maintenant écoutez-moi déclamer un poème d’inspiration moyenâgeuse en hommage à la crème solaire pour laquelle ces malheureux auraient été bien en peine de soupçonner une utilité quelconque. (Il se lève pour réciter mélodramatiquement, le dos d’une patte sur le front :)
« Je vis, je meurs : je me brûle et me crémoie,
J’ai chaud extrême en endurant froidure ;
La vie m’est et trop molle et trop dure.
J’ai grands ennuis entremêlés de joie. » *
Ce qui est bien avec les artistes décédés c’est que leur œuvre est depuis longtemps tombée dans la désuétude du domaine public et ce n’est donc pas la peine de les citer. Tout le monde sera oublié sauf MOI. Immortel et fantastique.
Incroyable comme des vers vieux de 500 ans reflètent la plus brûlante des actualités. Croyez-moi quand je vous dis que si les tortures ont évolué, les souffrances sont bien pires que jadis ! Vous ne me croyez pas ? Si-si… voyez plutôt comme les drames d’antan pâlissent comparés aux maux qui affligent notre société modernes :
Attraper la lèpre. Oublier sa crème solaire SPF 50.
Bubon de la peste. Bouton d’acné mal retouché sur story insta.
Travail aux champs par quarante degrés sans eau potable. Pas de clim et plus de coca dans l’open space.
Famine trois hivers consécutifs. Plus de lait d’avoine au coffee shop.
Ergot de seigle. Allergie au gluten.
Torture et inquisition. Pas de likes.
Pendu pour le vol d’un quignon de pain. Cancelled sur les réseaux sociaux.
Brûlée vive sur un lit de paille. Paille en plastique dans mon basil mojito.
Pas de médecin. Pas de Wi-Fi.
Fouet et martinet pour les enfants. Pas de prolongation du temps d'écran.
Morte en couche. Procès pour péridurale posée cinq minutes trop tard.
Nounou en retard. Pas de bébé, parce qu’il n’a pas survécu au croup.
Se faire arracher une dent pourrie sans anesthé.. (DING DONG). Grrr ! Déjà minuit! Sacré nouveau jour, un dimanche en plus ! Qu’il entre, la liste est interminable de toute manière.
Ceci dit, tous ces problèmes ancestraux seraient bien vite réglés si le soleil disparaissait. En huit minutes et vingt secondes exactement. Le temps qu’il faut aux rayons pour atteindre notre triste planète. Tous disparus en moins de temps qu’il n’en faut pour scroller les potins du jour alors qu’on aurait pu appeler sa grand-mère, apprendre un morceau de piano ou l'espagnol. Con-gelés.
Bref. Pas de soleil, pas de problème.
Le Diable claque des doigts et disparait en laissant une odeur de soufre et de crème solaire flotter sur scène.
Mais quel enfer de voir les évolutions de notre société ! Ce culte induit par le Soleil et ses effets tantôt bénéfiques tantôt néfastes sur notre peau diaphane ! Mais que Diable ! Faites-le se taire cet astre abominable !
Par contre, on ne critique pas le Solstice sans impunité ! C'est le nom d'un bar qui me tient beaucoup à coeur, hein ?
A bientôt dans une séance de rattrapages !
J'ai bien rit à son monologue, et surtout son combat de l'anti-tout
Après c'est vraiment drôle de voir un diable, qui vit en enfer, entourée de... feu, se plaindre de la chaleur et du soleil XD
A bientôt ! :D
Au Moyen Âge, une petite accusation de sorcellerie suffisait à conduire au bûcher. Pas besoin d’écran total pour un bon spectacle.
Ça c’est à force de consulter sa psy, ça se met à penser sophistiqué plus que fondamentaux.
PS : ça donne quoi un diable qui pèle ?
Quelques remarques au fil de ma lecture :
« Vous êtes très mauvais public vous savez. » -> oui :D
« Soit il y a du soleil et il fait chaud. Tout le monde est content. » -> va falloir observer les gens d’un peu plus près monsieur le diable, moi j’en connais des tas qui n’apprécient pas de se sentir une familiarité avec la grenouille dans sa casserole d’eau bouillante là, dans l’expérience...
« Sauf ceux sous les ponts, mais ceux-là tout le monde s’en fout de toute façon. » -> :’))
« Voyez-vous, tous les cas de figure sont possibles dans ce bas-monde SAUF la chaleur sans soleil. » -> hein ?
« Je suis l’astre pyromane de l’Enfer. » -> joli
« on me prendrait presque pour la Vérité tellement je suis malin. » -> xD
« ont pour but commun le confinement de l'individu dans les confins de la peur » -> on fait une vilaine répétition là, est-ce voulu... ?
« vieilleissement » -> ça s’écrit pas comme cha
« pointer aux générations qui ne peuvent déjà plus s’en passer tout le mal qu’elles font avec leur crème solaire » -> diabolique en effet :P
« et passent tout naturellement de l’écran total à l’écran total (sourire satisfait) » -> j’ai ri x)
« Ce qui est bien avec les artistes décédés c’est que leur œuvre est depuis longtemps tombée dans la désuétude du domaine public et ce n’est donc pas la peine de les citer. » -> je suis au regret de vous communique que, eh bien, en France, domaine public ou pas, il faut citer ces sources :D Donc hop, je veux voir cette chère Louise mentionnée dans le texte ou en Note de l’auteur, eh oui !
« Ergot de seigle. Allergie au gluten. » -> comme une envie d’ergoter (haha), mais les deux existaient et existent toujours (et en plus c’est vilain l’allergie au gluten, la vraie, c’est pas comme « pas de Wifi »... j’imagine que le diable en a peu à faire du validisme, mais c’est pas très sympa de se moquer des allergies :/)
« Procès pour péridurale posée (administrée) cinq minutes trop tard »
« Pas de soleil, pas de problème. » -> Mais c’est rigolo les humains, c’est si divertissant...
Déjà, un petit aïe sur mes yeux pour le gras.
Ensuite, c’est très drôle, et je trouve que ça se « tient » plus au niveau du concept de fond que les autres textes que j’avais déjà lu de ta plume. Ici, on a le fil conducteur clair du soleil, et l’exposition du plan machiavélique de la crème solaire.
(D’ailleurs, euh, pourquoi ? Je vois l’idée de créer le malheur avec la confusion mentale et les écrans, mais il me semble qu’en tant que pauvre mortel’le, il m’échappe un peu le lien entre ça, et le fait de rameuter plus de gens en Enfer...)
Merci du partage, j’ai bien ricané :D
Le gras? C'est pour mieux vous en mettre plein les yeux mon enfant...
J'ai renvoyé ma secrétaire, ça lui apprendra à taper trop vite!
Pyromaniquement vôtre.
Le gras? C'est pour mieux vous en mettre plein les yeux mon enfant...
J'ai renvoyé ma secrétaire, ça lui apprendra à taper trop vite!
Pyromaniquement vôtre.
Le début était intéressant, mais je n'ai rapidement plus trouvé ça drôle du tout, trop proche de ce que disent beaucoup de personnes, au 1er degré, sur internet, et aucun contre-pied final dans ce texte.
Et juste, je n'ai pas trouvé ça drôle du tout la liste finale, surtout que sur certains points... et bien nous sommes toujours dans le passé. A chacun son humour, et ce n'est décidément pas le mien, désolée pour ça !
Le format style pièce de théâtre et le choix du narrateur sont intéressants cependant.
Merci pour le partage !
Qu'il est drôle ce diable avec ses campagnes de crème solaire anti-tout (je veux bien ses bons plans pour la crème solaire anti moustique !) et en bonus l'odeur en disparaissant !
Merci pour ce texte humoristique entre deux apocalypses sans soleil, j'ai bien rigolé de toutes les trouvailles !
Et j'aurais dit tant qu'à faire :
Pas de médecin. Pas de médecin.
Texte bien drôle, que ce monologue du diable :)
J'apprécie aussi l'aspect "théâtre" qui a été choisi !
Je me demandais cependant si la mise en forme, tout de gras vêtue, était nécessaire ?
Une chute plus poignante aurait été appréciable, mais c'est vraiment pour chipoter.
À bientôt (quoique, ai je vraiment envie de revoir le diable ?)
Je ne vais pas vous mentir : j'ai lu votre texte parce qu'il était indiqué sur la page d'accueil de PA qu'il avait été écrit par le diable. Qui ne voudrait pas lire une histoire écrite par le diable ? (Votre pseudo, vraiment, m'achève).
C'est très kitch, c'est too much, mais c'est drôle, c'est invraisemblable et farfelu ! Quel diva, ce démon. La crème solaire, je ne l'ai pas vue venir. Louise Labé réinterprétée, j'ai trouvé ça bien vu et rigolo. La fin m'a un peu déçue, je trouve que vous avez eu la main un peu lourde avec votre liste d'exemples avant/maintenant, au bout de deux ou trois couples on a compris.
Ma phrase préférée, c'est celle-ci : "Car s’il y a une chose que je sais faire c’est allumer le feu." J'ai ri (et imaginé Franck Dubosc en slip pour la dire, allez savoir).
J'ai juste relevé une coquille, "vieillissement".
Merci pour ce texte, M. Le Diable !
Pour la liste d'exemples, je suis bien d'accord avec vous, c'est la faute au compteur PA qui m'a forcé à en rajouter plus que de raison. N'hésitez pas à allez vous en plaindre aux petites administratrices sans oublier de préciser que vous avez très bien trouvé Louise Labé toute seule sans mon aide.
J'ai viré ma petite secrétaire, ça vous dit de reprendre le job? Vous me semblez très qualifiée.
J'ai bien aimé le // écran total et les comparaisons d'horreurs avant VS nos jours.
Il y en a 1 qui est à l'envers je pense : Nounou en retard. Pas de bébé, parce qu’il n’a pas survécu au croup.
(Vive les aérosols qui nous épargnent du croup ✨️)
À une diabolique prochaine fois 😉