Passage à tabac

Par Mme Lee
Notes de l’auteur : C'est une ébauche, un premier jet.
J'ai porté ça longtemps avant de finalement en déposer un peu ici.
Vos retours sont les bienvenus pour grandir et évoluer.

À l'attention des plus sensible, ce chapitre contient une scène de violence physique.

A quel moment commence une Histoire ? A quel moment des faits insignifiants qui se succèdent, deviennent ils Histoire ?
Ne prévenant jamais quand elle surgit, c'est seulement en se retournant que l'on comprend : on l’a vécue sans même s'en rende compte. Quelques instants de notre vie s'y sont inscrit.
Mais au fond, est-ce bien la nôtre ?

"Rivedren, Enfant, quand vas-tu cesser de fuir les chemins que je t'ouvre ?
Ta destinée n'est pas si patiente."

***
                                    


Le sol rugueux de la ruelle râpa sa joue. Il tenta de se redresser. La clef de bras se raffermie, l’agrafant au sol. Il jura. La moiteur du crépuscule devenait étouffante. Du sang épais lui chatouillait nez, laissait un goût âcre dans sa bouche. Les rires se firent plus gras autour de lui :
— "T'as vâoulu jâouer, hein, 'Lameur' ?"
Sa frustration bouillonnait. A sa dernière tentative de défense, son couteau papillon avait pris l'initiative merveilleuse de voler hors de portée après qu'il l’eut planté dans l’épaule de Guert. - Traître -
Six contre un, sérieusement ? Ces types étaient deux fois plus large que lui !
La sueur lui dévalait le dos, froide et désagréable.
Il gardait les yeux rivé sur sa lame, le corps tendu, à l’affût de la moindre ouverture pour se dégager de leur poigne.

Gredin invétéré, il avait toujours eu ce talent particulier : provoquer juste assez, sans déclencher de conséquences graves. Mais cette fois, il avait dépassé les bornes. Trop d'orgueil blessé, trop de têtes importantes dans les bas-fonds qui avaient décidé qu'il était temps de lui rappeler sa place.
Depuis plusieurs jours, les menaces s'accumulaient. Des regards plus lourds que d’habitude, à peine voilés. Des provocations ouvertes, ou une silhouette le suivait un peu trop longtemps. Riv avait tenté de faire profil bas, évitant les lieux dont il avait l’habitude. Mais ça ne fonctionnait pas cette fois ci. Les escarmouches s’intensifiaient, et il avait commencé à comprendre que le problème ne s’éteindrait pas de lui-même.

Deux paires de bras le saisissaient. L’instinct le piqua. Il n’eut pas le temps de réagir. Il se débattit, se tordant les bras à se les arracher, mordit, griffa, étala l’un de ses agresseur d'un coups de pied direct, mais d’autres vinrent aussitôt combler l’espace.
On le traîna alors vers une venelle noire. sans lanternes, sans témoins. Il luttait, les coups pleuvaient. Un crochet au ventre le plia en deux, une claque brutale derrière la tête alluma des lumières aux alentours. On lui fit fléchir les jambes. Malgré tout, il ne cédait pas complètement, insultait, crachait. Mais sa physionomie fine et agile n’était pas taillée pour affronter des types rompu à ce sale boulot. Un poing plus violent dérapa sur sa tempe, fini sa course sur son nez dans un craquement sinistre qui résonna dans tout son crane.
Profitant du fait qu'il était momentanément sonné, on le maintint solidement au sol, pantelant, et la cadence s’intensifia.
Riv savait qu’il était fini. Sa vision se brouillait. Le gout de bile au fond de sa bouche suggérait qu'il avait du rendre le contenu ses tripes plusieurs fois déjà. Pourtant, son esprit hurlait. Pas comme ça. Pas maintenant. Il tenta encore de se libérer, mais son corps changé en coton refusa d’obéir. Le monde commençait à flotter autour de lui. Les voix des hommes lui parvenaient,  ils n'étaient pas pressés.

Un bruit se fit entendre à l’entrée de la ruelle. Des pas calmes mais décidés.
Les brutes se détournèrent un instant de leur activité.
—"Peste, on peu pas être tranquil deux tantièmes."
—"Je m'en occupe Guert, ce fi.."
—"Naen ! Zyeute don abrahuti !"
—"Oh, dracht..."
Les hommes lâchèrent Riv d’un geste nerveux, hésitant entre finir le travail ou s’enfuir.
Ils détallèrent aussi vite qu'ils étaient venus, le laissant à terre, sac de chair meurtri rempli de petits os brisés,  mais vivant.

Les pas résonnaient de plus en plus distinctement.
Des bottes s'arrêtèrent à sa droite. Dans leur prolongement, la silhouette d’un homme portant des vêtements simples et fonctionnels, mais d'un noir de qualité. Dissimulé sous un épais manteau rugueux, aucun symbole distinctif ne marquait le plastron de cuir ni son attirail. De son œil encore valide, Riv remonta lentement en contre-plongée jusqu'à la capuche profonde. Un bref éclat métallique s'en échappa, scintillant dans l'ombre.

L'effroi le figea.
Non. nonnonnon NON ! Pas comme ça. Guert aurait dû finir la travail. Le finir. Propre. Rapide. Pas comme ça.
Dans un reflex désespéré, son corps mobilisa les membres qui pouvait encore lui répondre, tenta de se redresser. Ses côtes lui mordirent les poumons, une lame de douleur blanche lui transperça le corps, sa voix s'enraya dans un juron rauque:
    —  DRrraaAcht..AHHh...! 
Impuissant, il s'affala à nouveau sur les pavés froids alors que le nouveau venu s'accroupissait tranquillement à ses côtés. Celui ci pris soin de relever les pans de son vêtement sur ses jambes pour éviter qu'ils ne traînent au sol, là où le sang de Riv se mêlait peu à peu à la crasse des jointures entre les pierres.
Un grincement de cuir l'accompagna lorsqu'il se pencha davantage au-dessus de lui, procédant à un état des lieux froid et curieux.

Le temps est une chose étrange, c'est fou comme les secondes s'accrochent à certains détails dans les moments les plus intenses.
Riv avait toujours cru que les masques protégeant intégralement le visage des âmes damnées des grandes Maisons, étaient faits de fer. Maintenant qu'il en était assez proche pour y contempler son propre reflet, l'évidence le surpris : ils étaient en verre, des miroirs sans tain.
L'ironie lui arracha un rictus, vite déformé en une grimace de douleur.
"Chacun est son propre bourreau", pensa-t-il amèrement. "La mort n'a pas de visage".
Les alchimistes avaient décidément un sens de l'humour dévastateur.

— "Tu joues trop gros, Riv." annonça l'autre d'un ton entendu. 

Il revint brutalement à la réalité. Ce limier connaissait son nom. Une petite flamme au fond de son âme vacilla. Depuis quand ?? Non.. Ou avait il dépassé la frontière ? Il avait toujours soigneusement évité de se mêler des affaires des alchimistes, de près, comme de loin. Son corps réclama de l'air. Rue Rincome ? La Fabrique ? Il était cuit. Ooh, tellement mort. Si c'est pas pire. Quand l'air s’engouffra enfin en lui brûlant la gorge, les larme montèrent. Non... Pas comme ça.
Il eu un petit sursaut de crainte douloureux lorsque l'homme étendis une main ganté sur son front vers un endroit pas trop amoché; Large, surprenament chaude et légère. Son pouce le cajola doucement juste à la naissance des cheveux, le temps de s'assurer qu'il retrouve un regard alerte.

 — "Réfléchis la prochaine fois que tu voudras dresser le gonfalon de ton ego". sa voix grave et rocailleuse roulait doucement les 'R'. "Terteja est partie en fumée avec la moitié des bicoques qui l'entoure. La Draille retourne chaque gravier des faubourgs. Tout ce petit monde est à cran, cherche un bouc émissaire pour évacuer les remontrances comme on tabasse son chien quand on regagne ses pénates. Et toi, tu trouve rien de mieux que de te la ramener ?"

La main se retira, allant trouver une dague longue sous la cape.

 — "Ils t'ont pas raté le nez ce paquet d'imbéciles. Tu vas avoir le beau profil des piécettes de cinq." on pouvait deviner dans le ton de la voix le sourire narquois sous le masque.
"Bien. Qu'est ce qu'on fait maintenant ?"

Il ne dit rien de plus. Le sous-entendu était clair des deux côtés. 
Il lui devait sa vie - en admettant qu'il passe la nuit. Et si Riv avait la légèreté de refuser la faveur qui venait de lui être accordée...  

Pour les plus fortunés, il y avait la promesse d’une belle pierre gravée dans la nécropole aux portes de la cité, là où les ombres des cyprès tutélaires offraient une sorte de paix factice. Mais pour ceux qui n’avaient pas les moyens ? Et bien, la ville avait ses méthodes pour les rentabiliser jusqu’au dernier souffle. Rien ne se pert. Elle ne pouvait se permettre de laisser traîner les morts dans ses rues bondées — ni même les presque morts, qui d’ailleurs était bien plus intéressants. Ici, tout se transforme.

Il y avait toujours moyen de récupérer quelques piécettes d’un corps encore vaguement en vie. Surtout du côté de la Petite Rue des Étuves. On évitait soigneusement de se demander ce qui se tramait dans les caves aveugles qui bordaient cette ruelle étroite et humide. L’odeur de décomposition chimique, pestilence acide et âcre, qui flottait parfois jusqu’à la chaussée après les épisodes de pluie suggérait une réponse amplement suffisante. Les corps laissé à l'entrée du faubourg disparaissaient simplement. Cela convenait à tout ceux qui ne voulait pas se poser trop de questions.

— "Posons un arrangement toi et moi. Une opportunité, disons." 
Il pris une position plus confortable dans un autre grincement feutré. La dague toujours bien en vue.
Décidément, beaucoup de gens avait du temps à lui consacré aujourd'hui.

— "Tu as de la chance." repris le Limier d'un ton onctueux. " Je t’ai observé, Lameur. Tu es vif. Trop audacieux pour ton propre bien, soit, mais tu as des qualités que d’autres ici n’ont pas. Tu sais t’adapter. Tu sais survivre. Et surtout, tu sais quand il est temps de changer la donne."
Il fit une pause. Visiblement peu habitué à parler autant.
"Travaille pour nous. Tu connais ces rues, leurs visages , les coins d’ombre. En échange, on rétablit une partie de ton quotidien. Et tu seras protégé."

— "Opportunité..?" crachota Riv dans ce qui aurait du être un rire. "Vous avez besoin d'un chien ! Pour vendre les piliers du quartier." 

—  "Tu veux rester ici ?" coupa l'autre froidement. "La situation est simple. Tu n’as plus d’alliés, plus de respect. Ils vont te bouffer. Je t’offre une chance de rester en vie. ça un prix."

Un silence lourd tomba entre eux. Les pensées de Riv tourbillonnaient, chaotiques.

À cet instant précis, la perspective de perdre ce semblant de contrôle sur sa vie lui parut insupportable, humiliante. Il s’était toujours promis de ne jamais se soumettre aux caprices aveugles d’une ambition qui n’était pas la sienne. Et il avait tenu bon.  Dans ce quartier régenté par diverses têtes influentes, il avait su naviguer habilement entre factions : jouant des méfiances, feignant des alliances, toujours suffisamment agile pour ne pas être broyé par les rouages des manigances des uns ou des autres.

L’ordre du quartier ? Une mascarade grotesque pour maintenir un équilibre bancal où les plus sournois prospéraient. L’ordre de la cité ? Une farce monumentale. Athanor n'était qu’un vaste théâtre, et Riv avait toujours veillé à n’y être qu’un figurant discret, invisible, hors des intrigues principales. Une stratégie payante — du moins jusqu’ici. Certes, cela signifiait vivre des miettes laissées, mais c’était le prix de la liberté.

La douleur dans ses côtes était dérisoire comparée à celle, plus insidieuse, de ce qu’il pressentait devoir abandonner : son arrogance, son insouciance, sa fierté d’âme libre. La vérité s’imposait comme une lame froide sans que le Limier eu besoin de la sortir de son fourreau : il n’était ni invincible, ni intouchable.

La migraine montait, implacable, broyant les pensées cohérente qui lui restait.
Coincé entre ces choix qui n’en étaient pas vraiment, il cherchait désespérément une échappatoire — mais ne trouvait rien, juste un gouffre béant.

— "Choisi. La ville ne pardonne pas l’hésitation."

Ses tempes pulsaient, chaque battement brouillait un peu plus sa perception du monde. Le  néant vertigineux s’élargissait, irrésistible.
Pour une fois, les paume moites,  il devait jouer une autre carte. Une qui ne reposait pas sur la provocation, mais sur la survie. La seule qui lui restait.
Un fil ténu était en train de se rompre.

— "Je voulais juste vivre mieux," murmura-t-il pour lui-même. "Juste vivre."

Les contours de la ruelle vacillait, devenant flous, comme noyés sous une épaisse brume noire. Le pavement semblait osciller sous lui, insaisissable. Cette nausée sourde lui tordait les entrailles, le tirant en arrière. Il coulait sous la surface du sol.

La dernière pensée lucide lui échappa alors qu’il chutait, son corps abandonné à la gravité.

Vivre juste. Pas survivre. Pas comme ça. Pas maintenant.

 

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