Père Castor, raconte moi l'Amour

Par Sabi

On cherche trop souvent, Nicolas, à résoudre par soi-même ses problèmes. On nous apprend que l'homme, le vrai, en est capable ; que celui qui n'y parvient pas est, au choix, ou un handicapé, ou un paresseux.

On consulte des psychologues pour soigner ses problèmes psychiques. On se réunit en associations, en groupes afin de lutter contre le réchauffement climatique ; afin de militer pour les causes écologiques.

Le militantisme, Nicolas, parlons-en ! De nos jours, les militants sont partout ! Ils se battent, ils se battent, ils se battent. Leur vie est une lutte perpétuelle pour une cause qu'ils ont choisie.

Et les causes, Nicolas, tu en trouveras en veux-tu en voila ! L'écologie, les droits humains, l'égalitarisme, les minorités...

Les humains se battent pour changer le monde. Parce que, Nicolas, on rêve de changer le monde ! Quel grand rêve, noble et beau !

Personne n'y échappe. Tôt ou tard, on est pris par ce grand rêve de révolution mondiale. Moi aussi, Nicolas, j'ai prêté un temps mes forces à ce rêve.

 

Je croyais que le monde invisible était à l'origine du monde visible. C'est pourquoi, au lieu d'aller vers une association particulière, je suis entré dans des petits groupes où s'organisaient des rituels "nouvel âge". Je pensais participer invisiblement au changement de ce monde en diffusant dans l'inconscient humain des idées nouvelles. Ce faisant, je me croyais bien au-dessus des affaires matérielles, bien au-dessus de ceux qui s'en occuppaient ; quel orgueil, Nicolas, quel orgueil !

 

Et un jour, la grâce de l'humiliation est tombée sur moi avec  la force d'un sac de brique lâché depuis le quatrième étage d'un immeuble.

Il m'est soudainement apparu, Nicolas, que je n'étais rien ; que tout ce que je croyais être était en fait une douce illusion de grandeur. J'étais simplement un homme qui participait à des séances où l'on jouait à être des dieux immatériels.

Méfie-toi, Nicolas, méfie-toi de tes désirs de grandeurs, car ils se cachent derrière d'excellents prétextes : aider l'humanité, améliorer le monde, etc.

Ma petite stratégie à moi pour éviter de faire face à mon orgueil incroyable, c'était de me dire que l'orgueil était un moindre mal pour améliorer le monde.

Mais au final, j'avais encore moins de crédibilité que la plupart de mes frères qui entrent dans des associations militantes. Eux au moins organisent des choses concrètes, ce que je n'ai jamais fait durant tout ce temps.

 

J'ai eu beaucoup de mal, Nicolas, à accepter mon humiliation. Se croire comme un dieu est quelque chose de tellement confortable et agréable. Croire que l'on a forcément raison et que l'autre a tord. Croire que ce que l'on fait est justifié car cela est fait "pour le plus grand bien".

La vérité, c'était que ce que je faisais ne rimait à rien ; que j'étais ridicule.

J'ai mis deux ans à accepter la grâce de l'humiliation qui m'était tombé dessus. J'ai passé deux ans de ma vie, Nicolas, à lutter contre elle ; à refuser ce qu'on me proposait à la place de l'orgueil.

 

Mais l'humilité, Nicolas, finit toujours par triompher, parce qu'elle se base sur la vérité du monde, alors que l'orgueil se base sur une vision tronquée de la réalité.

Regarde, Nicolas. Que nous enseigne le monde contemporain si ce n'est l'humilité ? Notre monde est pourtant bien le résultat final de ce que nous avons créé par nous-mêmes : un monde fait de souffrance.

 

Vois-tu Nicolas, l'être humain veut croire qu'il parvient à vivre par lui-même, sans l'aide de personne. Il se veut indépendant de tout et de tout le monde. Il est l'espèce "dominante" ; celui qui contrôle tout, qui peut tout, même sauver la planète !

Ce qui est ironique, c'est que le monde montre chaque jour qu'en vivant sans l'aide de personne, l'humain a seulement réussi à créer un enfer.

 

L'humain survit en ce monde Nicolas. Il survit jusu'à sa mort, mais jamais, j-a-m-a-i-s il ne vit.

Parce qu'il refuse la vie.

Or, la vie c'est l'Amour.

Et l'Amour, c'est l'acceptation heureuse de la co-dépendance.

Ainsi, Nicolas, l'être humain survit car il refuse de vivre ; son orgueil le lui interdit : tout plutôt que de reconnaître qu'il est faiblement dépendant.

Il refuse de vivre ; sa peur le lui interdit : tout plutôt que de donner la possibilité à autrui de contrôler sa vie.

Et, Nicolas, dans notre monde où l'orgueilleuse position du dominant est une vertu, quelle peur nous ressentons à l'idée d'être un faible mangé par le fort !

 

La vérité, Nicolas, c'est que notre monde est un enfer où la peur et l'orgueil ont condamné la vie qui est Amour ! Et cela, Nicolas, personne ne te le dira ! Tout le monde, en effet, croit qu'il est en vie, trop habitué à la souffrance et à ses flammes pour se souvenir de la bonne santé de l'Amour.

 

En ce monde, Nicolas, seuls ceux qui ont un jour ressenti l'Amour à sa source même ont une chance de sortir de la peur et de l'orgueil.

C'est que, dès que l'Amour frappe à notre porte, nous comprenons où nous sommes, et qui nous sommes vraiment.

Le voile se lève alors, et ne retombera jamais plus.

Dès que le goût de la Vie est sur nos lèvres, il devient impossible de continuer à croire au mythe humain de l'indépendance, du contrôle de soi et de la domination.

 

Je suis, Nicolas, le plus dépendant des hommes !

Je dépends de l'Amour pour vivre.

Par pitié, Amour, reste avec moi pour toujours !

Sans l'Amour, à quoi bon survivre ?

Je refuse pareille survie misérable. Quelle torture ! Pour qui m'avez-vous pris, vous tous ?

 

Depuis que j'ai rencontré l'Amour, Nicolas, quel changement ! Moi qui étais dans un tombeau, je reviens cellule par cellule à la vie.

Mon existence d'avant me semble un rêve gris et fade : j'étais parti au loin, très loin, au point de presque disparaître. Je reviens.

J'étais mort. Je ressuscite.

 

N'aie pas pitié de la planète, Nicolas, aie pitié de l'espèce humaine qui s'efforce de survivre sans Amour.

 

Comme j'aimerais, Nicolas, que tout le monde ressente l'Amour...

 

Aime-moi, Aime-moi !

Nos coeurs sont remplis de ces cris déchirants, comment faisons-nous pour ne pas les entendre ?

Cette jeune femme, Nicolas, qui se raccroche à so mari qui la trompe, n'a-t-elle pas peur du manque d'Amour ?

Aime-moi, Aime-moi, Aime-moi !

Et ce jeune adolescent qui sourie timidement, n'a-t-il pas peur d'être rejeté ?

Aime-moi !

On le demande sans le demander. On a honte de le demander. On a peur d'être faible en le demandant.

Et quand on le demande, souvent, on le demande au mauvais endroit.

Et parfois Nicolas, l'Amour frappe à notre porte sans qu'on l'attende. Quel miracle cela représente alors !

Nicolas, j'ai entendu parler de tellement de gens qui ont connu cette Joie incommensurable !

J'ai connu un soldat durant la dernière guerre, mort au combat sur les plaines de Russie. Sa vie entière, on lui avait appris que l'Amour n'existait pas, et il l'avait cru. Et c'est au soir de sa vie, Nicolas, que l'Amour l'a touché.

Depuis un cratère d'obus, ce soldat a levé les yeux vers le ciel piqueté d'étoiles. Et c'est en regardant les constellations que son coeur s'est ouvert. Comment cela s'est-il produit ? Personne à commencer par lui-même ne le sait.

L'Amour s'est engouffré en lui, a saisi tout son être, a illuminé son esprit. Les larmes se sont mises à couler sur ses joues.

Il eut conscience soudainement que sa vie entière, il avait inconsciemment cherché l'Amour. Il avait désiré le revoir, lui reparler. Et il avait laissé ce qu'on lui avait dit devenir sa croyance.

Quelle tristesse, quelle honte il ressentit à ce moment là ! Mais aussi quelle joie de s'être trompé !

Amour comme c'est étrange, avait-il dit, vois, je vais peut-être mourir demain, et pourtant je n'ai plus peur de la mort.

Et ce furent là ses dernières paroles.

 

Vi(en)s avec moi.

Ce furent les mots qu'entendit très distinctement le jeune Paul en ce matin de Novembre. Ce fut pour lui un événement très étrange, car vois-tu Nicolas, sa mère était en train de le battre comme plâtre. Son corps était tout endolori, et il était roulé en boule sur le carrelage de la cuisine. Il venait d'encaisser un énième coup de martinet sur les cuisses, et tout ce qu'il souhaitait, c'était... Il ne savait même pas trop ce qu'il souhaitait.

Vi(en)s avec moi.

Ce fut comme si un souffle d'air pur lui pénétrait les poumons. Un monde nouveau sembla s'ouvrir sous ses yeux. Pourtant c'était toujours le même carrelage où traînait des moutons de poussière. Tout semblait plus lumineux, plus clair.

Quelque chose. Quelque chose qui n'était pas là avant mais qui aurait dû être là venait de revenir à sa place en lui-même.

Paul était jeune, aussi jeune que toi Nicolas. Son coeur d'enfant ne mettait pas encore des mots sur ce qu'il ressentait. il était heureux, oui. Surtout, il ne voulait pour rien au monde que ce quelque chose reparte.

"Je vi(en)s avec toi ! Je vi(en)s avec toi, alors, pitié reste avec moi !"

Sa mère avait arrêté de le frapper. le martinet pendait balant au bout de son bras. Paul vit dans ses yeux qu'elle comprenait intuitivement que Paul avait trouvé ce qu'elle cherchait depuis longtemps. Quel long cri de supplique le petit Paul pouvait lire dans son regard :

 

"Toi qui donnes sans reprendre, donne nous l'Amour.

Toi qui es en Vie, Vis avec nous.

 

Nous qui sommes des poussières, avec toi, nous devenons des fleurs.

Nous qui sommes moins que du vent, insuffle nous un air pur.

 

Esprit de Beauté qui fait de nous des êtres humains, loué sois-Tu, fais de nous des êtres humains.

Esprit de Beauté, à l'heure où je me laisse aller à la laideur, je conserve ton souvenir en mon coeur."

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