Acte 1
Scène 1
(Noir. Une porte claque lourdement. Le rayon d’une lampe torche éclaire un jean usé, puis des baskets et des marches d’escaliers. La personne descend précipitamment et éclaire autour d’elle. On distingue un homme trempé, mal rasé, l’air épuisé, portant plusieurs vêtements sales et un sac à dos.)
ABEL (murmure) : Une cave...
(Abel cherche quelque chose. Il lâche un cri victorieux en trouvant des piles de cartons. La lampe entre les dents, il en porte plusieurs pour bloquer la porte, puis redescend, satisfait.)
ABEL : Ca devrait le faire.
(D’un mouvement circulaire plus lent, il illumine son environnement. C’est un sous-sol avec une pièce supplémentaire. Il s’approche prudemment de l’ouverture mais se ravise. Brusquement, il sursaute et éclaire un point à l’opposé de l’ouverture. C’est un vieux vélo d’appartement qui semble ne pas avoir servi depuis longtemps.)
ABEL (avec un rire d’autodérision) : Quel con.
(Un bruit de toux se fait entendre, et il braque sa lampe vers l’ouverture de la deuxième pièce.)
ABEL : Y’a quelqu’un ? Montrez-vous !
Scène 2
(Une lumière orangée augmente progressivement alors qu’un personnage s’avance d’un pas. C’est une femme à l’air aussi déterminé qu’épuisé. Ses cheveux sont presque gris de poussière et elle a sur le visage ce qui pourrait aussi bien être de la boue que des taches de rousseur. La lampe provoque des ombres qui creusent ses traits et rendent son regard indéchiffrable. Abel coupe sa lampe torche, devenue inutile.)
OLIVE : Vous êtes qui ?
ABEL : Abel. Je... J’avais besoin de m’abriter.
(Les deux lèvent la tête vers le plafond, d’un même mouvement.)
OLIVE : Vous êtes mordu ? Griffé ?
ABEL : Non.
OLIVE : Sûr hein ? Qu’est-ce qui m’dit que vous l’êtes pas ?
(Abel marque une pause)
ABEL : Je… Je n’aurais pas barricadé l’entrée.
OLIVE : Ou alors vous cherchez un endroit tranquille où vous transformer ! J’ai pas besoin de deux infectés ici !
ABEL (inquiet) : Deux ?
(Olive hoche la tête et s’approche d’Abel tout en gardant une distance de sécurité. Elle désigne l’autre pièce.)
OLIVE : Mon mari. Il est blessé, et il a beau dire que c’est rien… Comment savoir ? Vous étiez poursuivis ?
ABEL : Hein ? Non, je... l’orage. Y’a un orage terrible dehors.
(Ils se taisent et, de très loin, on peut entendre de la pluie et un vague grondement.)
ABEL : Je peux le voir ? J’étais infirmier. Je pourrais vérifier s’il a été mordu.
OLIVE : Allez-y si vous voulez, mais au premier coup de dents, j’vous tue.
(Elle sourit comme si c’était une bonne blague et Abel s’autorise un rire poli. Il passe dans la pièce suivante. )
Scène 3
(Un homme y est allongé sur une couverture : malgré des traits creusés par la fatigue et la faim, il conserve une carrure imposante et des bras épais. Il a une lampe près de lui. Damien a le mollet en sang et l’air inquiet.)
DAMIEN : Abel c’est ça ? Je vous ai entendu... J’ai pas été mordu.
ABEL : On va voir ça.
DAMIEN : C’était un clou. Juste un clou. J’ai glissé. Un accident stupide.
ABEL : Je peux regarder ?
(Damien le fixe avec méfiance mais finit par accepter. Abel s’accroupit et l’examine longuement et silencieusement. Damien cherche Olive du regard.)
ABEL : Un clou, vous êtes sûr ?
DAMIEN : Mais oui je le suis !
ABEL (levant les mains pour l’apaiser) : Ces derniers-temps on ne peut pas savoir.
DAMIEN : Alors ça vaut pour vous aussi !
ABEL (rit) : Vous marquez un point. Je vais commencer par désinfecter, d’accord ?
(Il sort de son sac à dos de la gaze, une bande et un antiseptique. Il présente le tout à Damien et ne commence les soins qu’une fois qu’il a accepté d’un hochement de tête.)
ABEL : J’aime bien pouvoir m’occuper des gens. Ca me rappelle mon métier d’avant – j’étais infirmier, vous l’avez sûrement aussi entendu. J’ai déjà essayé de soigner des infectés. Ça servait à rien, mais c’était plus fort que moi... je me sens utile, vous voyez ?
DAMIEN : Je vois.
ABEL : Ces infectés, ils sont perturbants. Je regardais parfois la série, là... celle avec des zombies et le type qui arrête pas de crier « Carl ! Carl ! »
(Il fait une imitation un peu ridicule qui fait rire Damien)
DAMIEN : The Walking Dead ?
ABEL : Oui, voilà. Ma femme est fan. Était. (Il s’assombrit, commence à bander le mollet de Damien puis se reprend) Dans cette série c’était facile de les reconnaître. Ils étaient absolument tous puants et décomposés mais là... (Il cherche ses mots). Ils meurent aussi que si on leur explose la cervelle mais, dans leur façon d’être… Ils sont presque trop normaux...
DAMIEN : Ouais. Je vois ce que vous voulez dire.
Scène 4
(Olive entre.)
OLIVE : Alors ?
ABEL : Ça n’a pas l’air d’être une morsure. J’ai désinfecté.
(Elle reste debout un peu à l’écart)
ABEL : Alors, euh… Comment vous vous êtes retrouvés là, tous les deux ? C’est votre mari, c’est ça ?
DAMIEN (nostalgique) : Oui. On s’est rencontrés dans un bar, un soir de match. Nos amis respectifs nous y avaient traînés. On s’est trouvé plein de points communs. Olive m’a épousé deux ans plus tard.
(Olive parait confuse. Elle s’agite un peu, passe son poids d’une jambe à l’autre, fronce les sourcils.)
OLIVE : C’tait romantique.
DAMIEN : On a eu un petit garçon vous savez, un beau bébé. Mathias. Si beau. Je lui ai construit une balançoire dans le jardin. Ce qu’il était content quand il l’a vu. Mathias, il… (Sa voix se brise, il a les larmes aux yeux.) Il n’est plus… Une infectée a…
ABEL (l’interrompant, l’air catastrophé) : Je vois, je comprends. Je suis désolé.
(Damien se met à pleurer doucement.)
ABEL : Vous devriez vous reposer. Oui, je… Je vais vous laisser vous reposer.
(Il se lève et se dirige vers la porte. Olive lui emboîte le pas. Ils sortent.)
Scène 5
(Dans l’autre pièce, Abel et Olive se regardent un moment.)
OLIVE : Vous avez faim ?
ABEL (l’air surpris) : Oui, plutôt.
(Olive s’assoit par terre et attrape une boîte dans un sac. Abel s’assoit en face.)
ABEL (sortant lui aussi des provisions) : Vous en faites pas pour moi, hein. J’ai ce qu’il faut.
(Ils mangent en silence. Abel a vite fini et regarde le repas d’Olive. Il renifle l’air.)
ABEL : Ça sent bon ce que vous mangez. C’est quoi ?
OLIVE : Le reste de ce que j’avais préparé avec Mathias.
ABEL (gêné) : Ah, il… Il vous a… quitté il y a peu.
OLIVE : Oui. (Elle s’assombrit) Damien et moi, on a pas encore surmonté ça. (Elle se force à sourire) Vous avez encore faim ? Vous en voulez ?
ABEL : Oui. Oui, ça faisait longtemps que j’avais pas eu aussi faim.
(Olive lui donne une partie de son repas.)
ABEL : Et Damien ?
OLIVE : J’ai d’jà essayé. Y dit qu’y veut pas manger. Pourtant j’entends son ventre gargouiller.
ABEL : Ah. Il veut sûrement économiser vos réserves.
(Il mange.)
ABEL : C’est bon !
OLIVE : J’vous l’fait pas dire.
(Elle le regarde manger un moment, puis passe dans l’autre pièce retrouver Damien.)
Scène 6
(Abel reste assis et porte les mains à sa tête, comme souffrant d’un vertige. Il inspire longuement, racle le fond de son assiette, se fige.)
ABEL : Merde.
Acte 2
Scène 7
(Damien, toujours allongé, se redresse péniblement. Olive se tient sur le seuil)
OLIVE : Ça va mieux ? Ta jambe t’fait moins mal ? Et ta fièvre a baissée ?
DAMIEN : J’ai toujours aussi mal. Et j’ai pas de fièvre.
(Un silence s’installe, Olive hésite mais se rapproche de Damien)
DAMIEN : Non. (Il pose une main sur la couverture qui semble cacher un objet) Reste à l’écart.
OLIVE : J’veux qu’on parle de c’qui est arrivé à Mathias.
DAMIEN : Je ne vois vraiment pas ce qu’il y a à dire !
OLIVE : Il était trop jeune, Damien. Il croyait encore au Père Noël et à la p’tite souris… Tu crois qu’il aurait été bien dans c’monde ? (elle désigne le décor qui les entoure)
DAMIEN (furieux) : J’ai pas besoin que tu te justifies !
OLIVE (l’ignorant) : Nous, on se souviendra de lui.
DAMIEN : Tu mens. Tu te souviens déjà plus.
OLIVE (s’approchant encore) : Tu veux pas que j’te donne à manger ? Il reste ce que j’ai préparé.
(Damien sort un revolver de sous la couverture et le braque sur elle.)
DAMIEN : Recule !
Scène 8
ABEL (entre précipitamment dans la pièce) : Que se passe-t-il ? (Il s’arrête en voyant le revolver de Damien)
OLIVE : Il menace d’me tuer !
DAMIEN : Qu’elle reste à distance ! Et vous aussi ! (Il braque successivement Abel et Olive)
ABEL (lève les mains en signe d’apaisement) : D’accord, on ne vous approche pas. Dites-moi juste ce qui se passe.
DAMIEN (désespéré) : C’est elle ! Vous pouvez pas comprendre, vous la connaissiez pas, mais c’est plus elle !
ABEL : Damien, vous délirez, je ne comprends rien.
(Abel échange un regard avec Olive.)
ABEL : Vous avez sûrement de la fièvre.
DAMIEN : Je n’ai pas de fièvre !
ABEL (tout bas à Olive) : Vous pourriez sortir un moment ? Je vais essayer de lui parler.
(Olive hésite puis sort.)
Scène 9
(Damien, hébété, pointe toujours le revolver vers l’endroit où Olive se tenait un peu plus tôt.)
ABEL : Ça va, mon vieux ? Vous transpirez. C’est votre jambe qui vous fait mal ?
DAMIEN : C’est pas à ma jambe que j’ai le plus mal… (Il se frappe la poitrine et se met soudain à crier.) C’est là ! C’est là ! Mon coeur, mon âme ! C’est mon âme, je vous dis !
(Abel s’approche lentement et tend le bras.)
ABEL : Damien, je vais vous toucher. (Il applique sa main sur le front de Damien.) Merde, vous êtes brûlant. Allongez-vous. Tenez, donnez-moi le fusil.
DAMIEN : Non, veux pas.
ABEL : Vous allez vous blesser.
DAMIEN (s’allongeant) : Veux pas ! N’est pas en sécurité, ici… Pas avec elle. Plus maintenant, non. (Il marmonne.)
ABEL : Quoi ? Qu’est-ce que vous dites ?
DAMIEN (chuchotant) : Moins fort, elle va entendre !
ABEL (chuchotant aussi) : Qui ça ? Olive ?
DAMIEN (chuchotant) : Pas Olive, la chose… (Il attrape le poignet d’Abel.) La chose qui a pris sa place !
(Abel se dégage sèchement.)
ABEL : Mais qu’est-ce que vous racontez, mon vieux ? La fièvre doit être encore plus forte que je ne croyais…
DAMIEN (chuchotant) : Moins fort ! Il faut que vous sachiez, vous ne pouvez pas finir comme moi… C’est elle, la chose, c’est elle qui a tué Mathias !
(Choqué, Abel se relève et sort.)
Scène 10
(Dans l’autre pièce, Olive est assise sur le vélo d’appartement. Elle taille un morceau de bois.)
OLIVE : Y s’est calmé ?
ABEL : Il a beau dire ce qu’il veut, il a de la fièvre ! Il… Il délire, je crois.
OLIVE : D’la fièvre, c’est pas bon ça.
(Abel s’adosse à un mur et fixe Olive en silence pendant un moment.)
ABEL : Dites-moi, comment Mathias est mort ?
(Olive se mordille puis se lèche les lèvres avant de répondre.)
OLIVE : Mangé. Mangé par des infectés.
ABEL : Il s’était éloigné de vous ?
OLIVE : Pas vraiment. On s’tait fait attaquer pendant une visite à la supérette, on avait eu chaud. J’me r’posais, du coup, et il est sorti pisser avec son père. Y s’est pas éloigné beaucoup, le gosse, juste un peu. Y s’est fait bouffer.
(Ils s’observent.)
OLIVE : La faim, c’est affreux. C’est affreux, vraiment, la faim. Hein ?
(Abel hésite, il porte une main à son ventre.)
ABEL : Ouais.
(Un grand bruit se fait entendre dans la pièce voisine. Ils s’y précipitent.)
Scène 11
(Damien est étalé au sol, il a visiblement essayé de se lever. Il se redresse et pointe son arme vers Olive.)
DAMIEN : Encore elle ! Je vous dis que c’est elle ! C’est elle qui a tué Mathias !
(Un sanglot lui échappe, ses bras tremblent mais il ne lâche pas son arme. Abel observe Olive et s’écarte d’un pas prudent.)
ABEL : Vraiment ?
OLIVE : Ouais.
DAMIEN (pleure) : Je peux pas la tuer. C’est quand même encore ma femme. Je peux pas.
ABEL : Bien sûr. Je... je peux le faire, si vous voulez.
OLIVE : Ou je vous mords. Damien, chéri, tout serait plus simple (elle tend les bras vers lui.)
ABEL (en criant) : Laissez-le ! Donnez-moi l’arme, Damien !
(Il s’avance d’un pas décidé et Damien le laisse prendre son arme. Abel met Olive en joue. Un silence pesant s’écoule. Il soupire, baisse l’arme.)
ABEL : C’est marrant. Ça fait pas longtemps mais, je sais déjà que l’ancien moi aurait réagi différemment.
(Il se retourne vers Damien et pointe l’arme sur lui avec un sourire désolé.)
ABEL : C’est vraiment con. La mort ça arrive, comme ça, d’un coup, pouf ! Et ça s’passe même plus comme au bon vieux temps...
OLIVE : La mort c’tait mieux avant. Mais c’tait moins nourrissant...
ABEL : Je pensais vraiment pas m’être fait griffer ce matin. Je croyais que c’était bon. Je suis... triste ?
(Il semble perplexe. Olive lui sourit devant un Damien tremblant et médusé.)
OLIVE : Ça va passer. On oublie vite. Le petit Mathias, franch’ment... Je sais que j’l’aimais, mais je sais surtout qu’il était bon.
ABEL (avec un sourire complice) : Délicieux. Mais il y en avait trop peu.
(Ils se tournent vers Damien qui essaie de se traîner loin d’eux. Ils se jettent sur lui. Noir. Bruits de mastication et cri de Damien. Rideau.)
Le bingo me permet de dépoussiérer des petites pépites xD C'est vraiment une super nouvelle ! La mise en scène théâtre n'empêche absolument pas d'être investi dans l'ambiance anxiogène, au contraire. Ca doit vraiment rendre bien en scène. Du début à la fin, on a envie de savoir qui est zombie et qui ne l'est pas, tous les personnages peuvent mentir et la tension ne cesse de grimper. La chute est très satisfaisante.
La fin est bien horrifique, notamment le passage sur l'enfant. Très réussi !
Un plaisir,
A bientôt !
J'ai adoré l'ambiance glauque de cave et le côté "survivants post-apo" des personnages ^^ Surtout qu'en pièce de théâtre c'était original !
On se doutait bien qu'il y avait des zombies dans les trois, mais je trouve que le suspens se maintenait bien... Puis l'horreur qui monte au fur et à mesure qu'on devine, qu'on comprend... Arg, le gamin en ragoût, ça m'aura achevée ça !
Bref, j'ai adoré ! C'était horrifique à souhait et super bien mené :D Bravo !
Et les 3 personnages : 2 hommes, une femme... c'est Huis Clos chez les zombies ! C'est voulu ?
Très très bien mené : on sent bien qu'il va y avoir des surprises sur qui est qui, (et sur ce qu'il mange), mais ça n'empêche pas le bon frisson à la fin.
Bravo pour la performance !
Vous avez bien travaillé le suspense! J'aime beaucoup cette version des zombies, la seule chose que je me demande est la suivante: puisqu'ils ne se putréfient pas mais ont faim, pourquoi ne se mangent-ils pas entre eux?
De plus, c'est le problème de tous les zombies: pourquoi les vieux zombies ne mangent-ils pas les nouveaux zombies aussi frais que des vivants ? Et comment font-ils pour digérer ?
Autant d'incohérences (cf Walking dead) que l'on doit accepter quand on lit une histoire de zombies ou morts-vivants.
J'avais bien remarqué la fameuse phrase qui m'a mis la puce à l'oreille et a confirmé mon intuition qu'Abel et Olive étaient peut-être des zombies.
Juste une remarque : vous parlez de revolver et ensuite de fusil. Peut-être y-a-t-il plusieurs armes et que je ne l'ai pas vu ceci dit.
Je m'en vais faire quelques cauchemars !
Pareil, je n'avais pas compris le double sens de "ce que j'ai préparé avec Mathias" mais finalement c'était peut-être mieux parce que...beurk.
Cette vision des zombies est assez sympathique, ça change l'ordinaire ^^