Même les plus grands voleurs ont leur mauvais jour. Optimistes dans l'âme, le piège est bien sûr de surestimer ses capacités. Comment leur en vouloir ? Ils sont capables de se glisser et de s’extraire de n’importe quel endroit. Visiteurs curieux et ombres furtives, rien ne les empêche, rien ne les retient. Rien sauf la superstition. Quand il joue avec le feu, le roublard porte beaucoup d’importance à la chance. Il y a les petits rituels, les gestes à faire et ceux à ne pas faire. Pour Rozenn, avide d’air et de liberté, entrer dans un labyrinthe souterrain devrait faire partie des choses à ne pas faire. Surtout quand les habitants y sont bien trop nombreux et bien trop morts.
La porte s’ouvrit avec un cliquetis de bonne augure. Rozenn savait parler à n’importe quelle porte. Entrée, coffre à code, entrepôt, serrure à point ou digitale, toutes s’ouvraient pour lui livrer leur secret.
Le battant glissa sans un bruit. Un couloir aux pierres blanches finissant dans les ténèbres invitait Rozenn à entrer. Elle remit sa sacoche en travers de ses omoplates et vissa la lampe frontale sur son front. Cela manquait de glamour mais elle lui libérait les mains.
Quelques jours avant, elle avait découvert la porte derrière un rideau de lierre lui-même derrière un mur de buisson. De quoi intriguer les vices qui l’habitaient. Des rumeurs circulaient sur les sous sols de la ville, qui recèleraient des couloirs semblables aux catacombes. Du mystère et un endroit inexploré, il ne lui en fallait pas plus pour se découvrir une fibre catophile.
Elle s’enfonça entre les murs de pierre partant à la poursuite des ténèbres, un sourire mutin sur le visage. Le rayon lumineux manquait de puissance et ne révélait jamais le bout du couloir. Chaque pas foulé en territoire inconnu soulevait son excitation autant que l’attrait du butin. Car qui dit tombe, dit trésor. Elle passa deux croisement identiques au gouleau qu’elle arpentait. Le silence régnait et tout se ressemblait. Puis son exploration perdit en intérêt, contrairement à la fiction, l'archéologie manquait de frisson. Elle sortit un de ses écouteurs et le coinça dans une oreille. La musique lui redonnait un peu de cœur à l’ouvrage.
Elle dépassait les squelettes couchés et autres entassements d’os avec un intérêt en demi-teinte. Les catacombes étaient bien là, mais cela ressemblait plus à une fausse commune qu’une tombe à proprement parler. Il n’y avait rien à se mettre dans la poche.
Par superstition, elle se déplaçait sur la pointe des pieds. Voler les morts restait une zone grise, il était préférable de les respecter. Seule au milieu des cadavres, elle imaginait trop bien ces témoins endormis se relever pour lui lancer des malédictions. Malgré la superstition, entrer dans une demeure éternelle se révélait aussi exaltant que prévu. Quand on aime l’effraction, on ne se refait pas.
Elle songeait faire demi-tour quand elle déboucha enfin sur une salle prometteuse. Une rangée de colonnes soutenaient la voûte. Quatre autres couloirs sans porte rejoignaient la salle circulaire et trois colonnes d’ossement dominaient le centre autour d’un socle rectangulaire qui évoquait une tombe sans inscription. Elle commença à fouiller la pièce. Deux fois, elle tourna autour des colonnes à la recherche d'informations. Des milliers de crânes et de tibias constituaient les piliers. Des plaques par-ci par-là donnaient leur dernière oraison funèbre à ses habitants poussiéreux. Elle leva la tête et siffla d’approbation. Au plafond des motifs reprennaient des schémas hiéroglyphiques en parfait état mais incompréhensible. Étonnants pour des souterrains bien loin de l’Egypte. L’incongruité avait son charme. Elle épousseta la dalle centrale, des gravures identiques au plafond en faisait le pourtour. Elle secoua la tête une fois, les bourgeois avaient toujours des lubies étranges traduisant de très grands égos jusque dans le choix de leur dernière demeure.
Un bruit rythmique lui fit tendre l’oreille.
Des pas lourds résonnaient dans un gouleau encore inexploré et un faible halo lumineux s’approchait au-delà d’une arche. Le promeneur se pensait seul et ne cherchait pas la discrétion. Elle esquissa un mouvement de repli derrière une colonne. Le type apparut soudain dans l'ouverture, plus près qu'elle ne l'avait estimé. Le son se déplaçait différemment sous terre, trompant son estimation des distances. Elle jura intérieurement. Elle aurait dû s'en douter dès les gonds parfaitement huilés. Il y avait toujours une faille dans un plan, l’idée était de rebondir. Avec un peu de chance ce n'était qu’un curieux. Même si un tel face à face n’allait pas lui faciliter la tâche.
Le nouveau venu la regardait comme si elle n'avait rien à faire là. Rien d'étonnant, elle se glissait toujours là où on ne l'attendait pas, déformation professionnelle.
— Qu’est-ce que tu fais là, toi ?
Elle haussa des épaules innocentes.
— Je visite.
Il fronça des sourcils, tentant de déchiffrer un casse tête, surement le mystère de sa présence.
Rozenn se tourna pour masquer son barda mais la surprise de l’homme se mua en colère froide quand il vit son équipement. Faut dire qu'elle n'avait rien d'une touriste, habillée d'une corde, d'un pied de biche et d'autres outils plus subtils. Lui, pensait de toute évidence avoir plus sa place qu’elle dans la tombe. Son verdict sonna le glas d’une vérité exaspérante.
— Une voleuse.
— Non mais je rêve ! fit-elle, levant les yeux au ciel.
Il n'y avait que la pierre au-dessus de sa tête. Elle adressa son dépit à la petite dame à tête d’oiseau gravée sur les bas reliefs.
Un veilleur de tombe, vraiment ? Qui voudrait en faire son métier ? C’était pire que les gardiens de musées qui avaient déjà leur lot de poussière.
Sa besace contenait de quoi parer l’imprévu. D’une main, elle projetta une lame à quatre branches plus dissuasive que létale sur l’intru puis de l’autre, un fumigène entre eux. Le mufle bougea à peine pour esquiver la première et d’un coup de talon se débarassa du second dans la galerie. Le boyau se mit à vomir une fumée rouge.
Coriace, et baraque. Elle tabla sur la lenteur de l'armoire à glace. Plan B. Elle s’élança sur le chemin d’où elle venait dans un nuage silencieux de poussière. En un éclair, il lui barra le chemin.
Cette situation devenait pénible. Il tenta un coup direct vers la tête. Il la prenait vraiment pour une amatrice. Elle esquiva d’une rotation. Ses écouteurs criaient dans ses oreilles, “Dude, you mess with the wrong bitch in the wrong…”, elle perdit l’équilibre en même temps que le refrain et se rattrapa sans grâce. Son écouteur roula loin d’elle. Il l’avait feinté d’une balayette alors qu’elle déplaçait ses appuis. Le traître.
Plan C, dissuasion. Elle sortit un couteau à la pointe brisée dont elle se servait pour couper toutes sortes de choses, souvent des ventres emplis d’or mais jamais des gens.
— Tu ne veux pas en arriver là. fit-il, immobile, les poings le long du corps. Il la prenait de si haut qu’elle jouissait d’une belle vue sur ses conduits nasaux.
— Oh, non, ria-t-elle, débordante de bluff. Tu ne veux pas en arriver là. Allez-viens, si tu l'oses ou dégage.
Son adversaire plissa des yeux. Les iris discordantes lui chantaient menaces et promesses de violences. Elle l’imita, décidée à ne pas en démordre.
Un soupir bref fut sa seule réponse. Parfait, aucun des deux ne voulait en arriver là. S’il voulait bien cesser de lui faire perdre son temps, elle était toute ouïe. Autrement, et bien… elle maintient sa lame haute, le poignet souple. Il resta une fraction de seconde à deux pas d’elle puis se mit en mouvement.
Il frappa le premier. Le premier ? Sérieux ? Il existait donc des gens assez stupide pour attaquer à mains nues une personne armée. Sauf que l’original ne jouait pas au même jeu et l’attaque brutale n’avait rien de dissuasif. Elle esquiva et dévia le bras tendu, puis contre-attaqua, lançant en avant le fil tranchant. Il n’attendait que ça, le fourbe. Il voulut briser sa prise. Les clés de bras, c’est une tannée. Les éviter demande de la rapidité. Elle se baissa et glissa avant que l’étau ne se referme. Indifférent, il changea d’appui et enchaîna.
Ses lourdes bottes donnaient le rythme. La lumière frontale frappait les murs, frénétiques. Elle trahissait plus souvent ses propres esquives que ses assauts inexistants. Il lui fallait une ouverture ou la situation prendrait une tournure désagréable. Sous son pied, la pierre lisse remplaça le sol de terre battue. A force de reculer, elle touchait enfin l’entrée de la galerie. Maigre consolation. Mais l'étroitesse du goulet était favorable à son petit gabarit. Il le compris aussi car il gronda, puis en un battement, réduisit ses espoirs à néant. Le poignard lui fut retiré et elle s’écroula.
Cette fois, elle heurta la pierre avant de comprendre ce qui lui était arrivé. Elle renifla trop près du sol et toussa la suie qui s'était invitée dans sa gorge. Mordre la poussière vous met toujours en colère. Cela vous pousse à dire des insanités, et faire des idioties alors vous la pardonnerez.
— Je suis une fille, connard ! se plaignit-elle arborant sa meilleure indignation.
Il faut dire que la fibre égalitaire et féministe s'évapore vite. Dans le combat, y'a pas de coup bas. Mais la réflexion atterrit dans les limbes, le mec ne cilla même pas. Uh ! D'où sortait ce type ? Il méritait bien son courou. Comme dit le dicton, toujours se fier à la première impression.
— Plutôt une pilleuse de tombe, répéta le tas de muscle, aussi loin de l’humour qu’on pouvait l’être.
— Ouch, Rozenn se retourna endolorie. Porté sur le jugement, avec une tendance justicier, je vois. Ma mère m'a toujours dit qu'il n'y avait pas de sous métier.
De part et d’autre des corps reposaient dans leurs alcôves éternelles. Dans la même position qu’elle mais sans douleur. Elle pouvait presque les toucher. Plan.. ? Et puis merde. Elle tendit la main vers le corps le plus proche. Le gardien émit un grincement qui ressemblait à peu près à “je ne ferais pas ça si …”, elle l’ignora.
Avec une torsion du poignet, elle arracha le crâne de son socle, puis le jeta sur le gardien suivit d’un voile sinistre de toile d'araignée. Quelques vertèbres et côtes dissociées tombèrent sur la pierre et une petite amulette s’échappa du linceul arachnide. Elle luisait faiblement au milieu des os ternes. Reniflant un probable butin, elle le rafla et le fourra dans une poche, geste vif de voleur. Puis elle se releva d’une roulade arrière, l’air de rien, en ignorant au mieux la douleur. Elle tourna un regard calculateur vers son agresseur, évaluant s’il allait lui reprocher sa prise mais son attention était attirée ailleurs. Loin. Silencieux. Tout d'abord un léger tintement, puis un claquement creux qui se démultiplia dans les galeries.
Il la fusilla du regard.
— Quoi ? fit-elle effrontément.
Lui briser les os ne semblait plus une priorité. Elle n’allait pas s'en plaindre.
Les toiles d'araignée ondulaient sur les alcôves sans courant d’air pour les remuer. Les murs bougeaient et grouillaient comme il n’auraient jamais dû le faire. Les tas d'os s'invitaient à la fête. Y'a des individus ils peuvent pas s'empêcher d'être envieux jusqu'à la mort, ça les ronge jusqu'à l'os.
Partout, ça remuaient sévère sous les ossuaires. Il était temps de décamper. Rozenn prit la poudre d'escampette, et poussa sur ses talons. L'extraction était un élément déterminant de sa noble activité. Elle avait travaillé la course et se targuait d'une belle endurance agrémentée d'une jolie pointe de vitesse. Elle pensait avoir posé le point final à la discussion mais le gêneur n'avait pas dit son dernier mot. Il la talonnait de près. De trop près. Les mecs…
Elle décrocha son arme secrète, son fidèle pied de biche. L’heure n’était plus à la dentelle. A grand moulinet elle déboulonna les premières momies sur son chemin. La peau parcheminée se déchirait et exposait les membres jaunâtres. Une main l’attrapa par la sacoche accrochée haute pour ne jamais entraver ses mouvements. Elle pivota en même temps que la lourde barre de fer. L'extrémité passa in extremis sur une pommette bien vivante. Elle écarquilla les yeux d’effroi, elle aurait pu lui décoller la tête aussi sûrement que la précédente momie. Le moment était bien mal choisi pour avoir une montée de scrupule. Figée de stupeur, le gardien prit pour partie qu’elle ne bougerait plus. Il sortit deux sabres identiques longs comme ses avants bras et les assena sur les squelettes grimaçants avec une redoutable efficacité. Les lames glissaient entre les articulations et les jointures de vertèbres. Les momies s'écroulaient, retrouvant leur juste forme : des tas d’os emmêlés. Un crâne sans mandibule la heurta au visage pour glisser dans ses mains. Des lobes vides et sombres dont le fond courbe reflétaient deux éclats animés d'une lueur diabolique. Ce vis-à-vis des plus intimes avec les orbites creuses, les fragments de chairs parcheminées et le baiser macabre auquel elle venait d’échapper la réveillèrent.
Dégoûtée, elle lui assena sur le dos.
— Errh, Dark romantique. Mon ex était pareil. Déso, les diams, c’est plus mon truc.
Hors de question qu’il y ait une quelconque alliance.
Pourtant, situation oblige. Ils progressaient un pas après l’autre sur un champ de craquements frétillants. Les somnambules à la peau ratatinée se relevaient insensibles à la douleur, les tendons offraient un concert de crissements desséchés à chaque mouvement. Les coups assénés arrachaient des poignées de cheveux ternes révélant les os polis par les décennies d’attente.
Des mouvements réduits au minimum et des estocs sèches et précises. Il aurait pu tracer son chemin seul et l’abandonner aux errants. Il n’en fit rien. Au lieu de cela, il frappait l'essaim et la bousculait hors de son chemin sans marquer le moindre arrêt.
Elle ne se soucia donc pas des moulinets chaotiques qu’elle produisait, le laissant esquiver. Dos à dos, les doigts griffus lui demandaient déjà toute son attention. Seule, les morts l’auraient eu à l'épuisement et l'auraient mise au buffet du jour avant même qu’elle ne se soit refroidie. Moins raffiné que les sabres jumeaux, la barre de fer se révélait pourtant d’une terrible efficacité. L’extrémité proposait un délice de possibilités entre frappes contondantes et crochet vicieux et démembreur. Elle déversait sans rougir son lot de côtés et de dents tachées à leur pieds.
Un filet d’air balaya la sueur sur son échine. La porte se trouvait là. Encore une vingtaine de mètres et l’enfer serait derrière eux. Eux ? Non, derrière elle.
Le poids mal équilibré de la barre pesait entre ses paumes. Elle prit exemple sur le gardien, le mieux restait d'économiser son énergie car elle la sentait décroitre de façon exponentielle. Un lot de momies de hauteur similaire lui barrait la route. Il suffisait d’une projection latérale pour en avoir trois d’un coup. Rozenn y mit toute sa force. L'extrémité contondante explosa un crâne, puis deux, puis trois. Elle exultait. Puis le poids l'entraîna dans un demi tour où elle perdit son centre de gravité. Le fer frappa le type dans les côtés, passant sous son angle mort. Le choc émit un bruit mat.
— C’est fini oui ! rugit-il.
Oups. Le virtuose des couteaux était censé esquiver. Elle haussa les épaules mais il lui tournait de nouveau le dos. Elle prit note, celui-là encaissait un peu trop bien. Au moins, l’un d’eux ne se laissait pas distraire. Elle comptait bien là dessus.
Le laissant s'occuper des plus vifs, et deux maccabés trop insistants à terre, elle s’élança. Elle pensait glisser entre les pieds osseux mais rebondit comme un boulet entre les côtes pointues, les fracassants contre les paroies. Les phalanges nues la griffaient pour se refermer sur du vide. Elle y gagna de nombreux bleus mais le résultat n’avait rien de honteux. Puis Rozenn se glissa par la porte fracturée, et s'évanouit dans la rumeur de la ville.
Son poursuivant s’extirpa des catacombes à sa suite. Trop tard, il lui fallait un instant d'inattention pour disparaître. L’heure de pointe lui facilitait la tâche. Les passants se précipitaient pour attraper leur transport, il suffisait de suivre le mouvement.
De dépit, il observa les dégâts infligés à la porte ou plutôt l’absence de trace d’effraction. Après tout, elle n’était pas une amatrice.
Dans l’ombre de la rue, Rozenn passa l’amulette autour de son cou et grimaça autant sous l’effet des hématomes que de la satisfaction. L'orgueil effaçait les malencontreuses étapes nécessaires à cette aventure. Une prise bien maigre, mais s'il y avait un gardien, il y avait quelque chose à garder.
Elle soupira d’aise.
Un bon voleur s’en sort vivant et jamais les mains vides.
Le pied de biche avait retrouvé sa place à sa cuisse, agrémenté de vieilles mèches de cheveux et de poussière d’os. Les catacombes se révélaient terrifiantes mais aussi excessivement cathartiques.
XD...Et qui va encore nettoyer ce bazars ?
Tu me mets presque au Placard avec ma propre histoire tellement les mots sont justes et le rythme est bon le tout agrémenté d'humour piquant.
Je laisse aux autres lecteurs remarquer le décompte astucieux glissé dans le texte et que je n'avais pas vu à la première lecture ;)
plein d'amour à toi et longue vie à tes personnages :D