Pluie

Par Nascana

– Il pleut, déclare Mathilda en sautillant devant moi.

Je lève les yeux vers le ciel. L’eau dégouline des bacs de culture aériens. Une grimace tord mon visage alors que je déploie mon parapluie. Je déteste ça. Cette pluie anormale me fait froid dans le dos. De toute façon, je n’aime pas cette façon de produire de la nourriture. La mettre en hauteur dans les villes pour soi-disant gagner de la place me paraît une aberration. On ne voit plus rien parce que les bacs cachent le soleil. En plus, pendant les moments d’arrosage, on se prend le surplus sur la tête.

J’attrape la main de ma nièce pour l’obliger à se réfugier sous le parapluie. Hors de question que ça la touche. Je ne sais pas quel résidu d’engrais cela porte. Les gens acceptent que ça leur goutte dessus avec le sourire. Franchement, dans quel monde sombre vivons-nous.

Nous rentrons dans l’immeuble de ma sœur. Aujourd’hui, elle avait un rendez-vous médical. Raison pour laquelle je m’occupe de Mathilda. Après ce n’est pas un gros travail, elle est calme et gentille.

Quand Elsa m’ouvre la porte, je comprends tout de suite que quelque chose ne va pas. Seulement, elle sourit pour se donner de la contenance devant sa fille. Celle-ci lui raconte notre visite à l’aquarium suivi d’une glace pour le goûter. Ma sœur hocha la tête sans un mot. Ma main se pose sur son bras, soutien silencieux.

Mathilda finit par regagner sa chambre pour aller y chercher ses dessins. Elle veut me montrer ses progrès.

– Alors ?

Elsa soupire.

– Les médecins pensent que ça sera difficile pour moi d’avoir un autre enfant.

Sa voix se brise sur la dernière syllabe. Je la prends dans mes bras. Elle se laisse faire, retenant avec peine ses larmes.

– Comment je vais l’annoncer à Jamil ?

– Comme tu viens de le faire pour moi. Exactement comme tu viens de le faire…

Pendant un moment, nous restons enlacés. Je ne dis rien. Je réfléchis. Il se passe quelque chose, j’en mettrais ma main à couper. C’est grave et personne n’en parle. Moi-même, je ne sais pas quoi dire. J’ai toujours peur de passer pour un mec un peu fou qui voit des complots partout. Le gouvernement ne peut pas ne pas savoir. C’est trop gros pour qu’ils l’ignorent.

Je ferme les yeux. Je repense à la boite que j’ai installée sur le toit de l’immeuble. Après tout, nous sommes juste en dessous d’un bac de culture. Qu’est-ce qu’il y a dans cette pluie artificielle ? J’ai peur de l’apprendre. Je crains d’avoir raison. Seulement, on ne peut plus se voiler la face.

En tant qu’enseignant, je me rends bien compte que les classes sont de moins en moins nombreuses. Si l’on regarde la courbe de la natalité, elle était à peu près constante jusque-là. Quelques années après l’installation des cultures aérienne, elle plonge. Pas besoin d’être savant pour faire le lien. Comme personne n’en parle, je me pose des questions. J’avoue que je suis effrayé. Effrayé par cette vacherie qui nous tombe sur la tête. Effrayé que ceux qui veulent révéler ce qu’ils savent disparaissent.

Après un repas en compagnie de ma sœur et sa fille, je m’en retourne à mon appartement. Je prends mon parapluie avec prudence. Cette merde qui dégouline dessus, je ne connais pas son champ d’activité. Dire qu’on la ramène chez nous, chaque jour.

Moi, je mets des gants puis nettoie ce qui a été en contact, avec attention. Ensuite, je lave aussi le seau et le lavabo. On ne sait jamais. Du temps de perdus diraient certains. Une protection nécessaire à mon avis.

La rue est vide. Normal, il fait déjà nuit. Je rentre tout pris à mes pensées. Mes pas résonnent sur le bitume donnant à air sinistre à ce qui n’est qu’une marche habituelle. Errant dans le vague, mes yeux voguent sur les immeubles aux façades couvertes de carreaux blancs, noircis par la pollution des véhicules. Quel monde triste…

Les lampadaires éclairent le trottoir. Leur éclat est visible sur les habitations à distance égale. On ne voit plus la lueur de la lune ou des étoiles dans le ciel. Si on lève le regard, il n’y a que les bacs. Massif, sombre, emplissant la voûte céleste.

Une voiture s’arrête à mon niveau.

– Monsieur Debert ? Veuillez monter s’il vous plaît.

Je comprends tout de suite. Je n’ai pas la force de chercher à m’enfuir. À quoi bon ? L’issue, je la connais. Sans doute n’aurais-je pas dû faire analyser l’eau qui goutte des bacs. Mais pourquoi regretter maintenant ?

J’aurais aimé avoir le temps de dire adieu à ceux que j’aime.

– Monsieur Debert, c’est mieux pour tous, si vous acceptez de venir.

Puisqu’il le dit…

Je lève la tête. Dommage, j’aurais souhaité voir la lune une dernière fois.

J’entre sans un mot dans la voiture. Je n’en ressortirai sûrement pas.

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