Je me levai le lendemain au son de ma sonnerie, et sans même prendre le temps de me préparer un café, je partis en direction de l’hôpital. D’assez mauvaise humeur suite à mon altercation de la veille, j’avais juste envie de finir vite le tirage et partir retourner au lycée avant midi pour aller courir sur le terrain. Même si j’aimais beaucoup ma sœur, j’avais du mal à me résigner à l’idée d’abandonner la course, et décevoir le professeur qui croyait encore un peu en moi.
Arrivé à l’hôpital, je fis en sorte de croiser et de parler au moins d’infirmiers possible et je m’engouffrai en toute hâte dans la chambre de ma sœur. Je fus déjà surpris de voir qu’était allumé non pas la lampe sombre habituelle, mais ma petite loupiote rouge de la veille.
« Béryl, mais… ? »
J’en laissais tomber ma photo de soleil du jour par terre. Avec un petit rire mélodieux, elle se leva et la ramassa.
« J’aime beaucoup cette lumière là, aussi ! Ça rend la pièce plus jolie, tu ne trouves pas ? »
Je ne sus pas trop quoi répondre. La lumière rouge donnait toujours un aspect assez agressif aux murs blancs, à mon sens, mais elle avait tellement l’air heureuse de la nouvelle lampe que je ne savais comment lui dire.
« Aïden, tu pourrais me la laisser, s’il te plaît !
– Quoi ? Mais…
– Allez, tu pourras bien t’en racheter une, non ? »
En vérité, ce genre de lumière m’avait coûté assez cher, et si j’avais pu profiter de don et de remise conséquence de la part du vieux photographe pour ma première fois, il n’était pas dit que ce sera la même chose pour la deuxième fois.
« Ce n’était pas vraiment ce qui était prévu, bégayais-je assez maladroitement.
– Allez, comme cadeau d’anniversaire !
– Bon… D’accord…
– Génial, tu es parfait, Aïden ! »
Et elle me fit un petit bisou sur la joue. Si j’expliquais la situation au vieux photographe, y croirait-il ? Pouvait-il se permettre de me faire une remise une deuxième fois ? En la voyant presque caresser cette lampe rouge cylindrique tout à fait banale, j’oubliais déjà les problèmes d’argent et pensais déjà à un moyen de faire crédit sur mon argent de poche. Je pouvais me la racheter, oui, mais pour tirer les photos, elle m’était nécessaire et je devais bientôt le faire.
« Le problème, c’est que j’en aurai besoin bientôt pour un tirage… Et que m’en racheter une aussi rapidement, ça va être compliqué…
– Mais l’infirmière m’a dit que cette lampe m’allait bien ! Protesta Béryl, dont le sourire fondit comme neige au soleil.
– D’accord, je soupirai. Je me débrouillerai.
– Sinon, tu n’auras qu’à développer ici ! Je peux cacher les produits, et…
– Tu es folle ? »
Je coupai net Béryl dans son entrain. Elle me regarda avec de grands yeux ronds, et le bleus de ses yeux sembla comme noir.
« Non, mais… Béryl, on peut développer si on a l’autorisation des médecins et que ça n’est pas dangereux pour toi, mais garder en cachette des produits toxiques et t’y laisser confrontée constamment sans aucune idée de quel impact ça pourrait avoir sur ta peau, je ne peux pas prendre cette responsabilité là, tu comprends ? »
Béryl baissa les yeux, et fit une tête de chien battu qui me mit extrêmement mal à l’aise.
« Aussi bien ça ne me ferait rien, et les médecins refusent toujours quand ils ne savent pas…
– C’est normal, leur travail c’est de te préserver, et si il y a un risque inutile, ils préfèrent éviter. »
Elle ne semblait pas convaincue. Il était rare de voir Beryl insister et bouder comme ça. Elle avait tendance plutôt à être résignée et patiente. Cet élan de ce matin me prit vraiment à revers. Ne sachant pas comment briser la glace, je commençais à mettre en place l’agrandisseur sur la table.
« Allez, on oublie ça, on va passer au tirage des photos. Ça ne te plaît pas ?
– Si... »
Elle essayait tant bien que mal de reprendre sa contenance, comme un chat après être tombé dans l’eau.
Je mis en place l’agrandisseur, le papier et les bains en place sur la table en silence. Alors que tout était installé, et que le tirage de la première photo allait commencer, Béryl me demanda :
« Ton chronomètre va encore sonner ?
– Oui, pour prévenir du temps passé. La durée de traitement dans le révélateur est d’environ quatre-vingt-dix secondes, dans le bain d’arrêt environ une minute, et le fixateur environ sept minutes… Pourquoi ?
– Je vais me consacrer à éteindre la sonnerie de ta montre et regarder les effets, alors.
– Tu es sûre ?
– Oui, ça va être plus drôle, de regarder.
– Tu sais, j’ai une pince, si tu veux, moi je peux y aller avec les doigts.
– Non, mais ne t’inquiète pas, j’essayerais après. Vas-y. »
Assez circonspect, je commençais la manipulation du papier dans les différents bacs. Je sentis l’ambiance se détendre un peu au fur et a mesure que l’image apparaissait sur la feuille glacée, et que les différentes sonneries incessantes de mon chronomètre passaient. Je vis ma sœur s’émerveiller devant les premiers tirages et finit par lâcher mon chronomètre pour faire les siens avec beaucoup d’attention. Si déjà les produits utilisés étaient dangereux pour ma peau, alors pour la sienne, la moindre goutte risquait d’être irrécupérable.
« Je ne savais pas qu’on pouvait mettre du papier dans de l’eau sans qu’il s’abîme !
– C’est un papier fait pour. Là, le lavage à l’eau est nécessaire, donc il faut un papier résistant. »
Au bout de quelques heures, une dizaine de photo avec un cercle lumineux traînaient dans un bac.
« Maintenant, ce qu’il faut faire, c’est faire sécher les photos plusieurs heures, comme on a fait sécher la pellicule, dis-je en rembobinant le film de départ.
– Et la bobine, tu vas en faire quoi, alors ?
– Je les garde toutes précieusement dans une boîte sombre où je suis sûr qu’elles ne s’abîmeront pas, répondis-je fièrement.
– Oh… »
Elle avait l’air presque déçue. Son nez pointait vers le sol.
« Pourquoi tu fais cette tête là ?
– J’aurais bien aimé garder en souvenir la pellicule que j’ai pu développer… Vu qu’il est possible que ça ne se reproduise pas…
– Mais si, ça pourra peut être se reproduire ! »
Elle eut un reniflement, sans rien dire de plus.
« J’aurais préféré la garder… Si la photo s’abîme, je peux en faire un retirage si la bobine reste en bon état, et au moins je sais toutes où elles sont… Tu gardes les photos, c’est déjà bien, non ?
– Mais non, tu comprends pas ! C’est la bobine que j’ai développé, que j’ai mis en spire moi-même !
– Oui, si, je comprends, mais, enfin… C’est important pour moi aussi, tu comprends ? »
J’espérais négocier, mais le regard rendu noir de Béryl était indiscutable.
« Non, toi des bobines que tu as développé, tu en as plein, alors une de plus ou une de moins, ça change rien !
– Mes bobines me sont utiles, parce que je peux en prendre soin, les laver, les retoucher, en faire d’autres retirages si j’en ai envie. Je peux encore retravailler dessus. Mais toi, tu ne sais pas faire tout ça…
– Alors tu n’as qu’à m’apprendre ! Je suis sûre que ce n’est pas très compliqué ! »
Et voilà qu’elle me faisait le genre de tête que notre mère faisait avant d’éclater en larme. Je pris une grande inspiration pour me calmer, la mort dans le calme.
« Béryl, c’est puéril, ce que tu me fais, là… Tu en as vraiment besoin, de cette bobine ? »
Sa peau sembla comme vibrer d’hésitation, mais le regard brûlant, elle n’arriva pas à me répondre. Je me laissai tomber sur son lit, entre la tristesse de devoir lui tenir tête et l’incompréhension.
« Tu la veux vraiment ? »
Elle hocha la tête. Je fis alors un grand effort pour barrer définitivement ce film de ma mémoire.
« Ok, alors garde là. Je te dirai comment en prendre soin et comment faire si tu veux retravailler dessus. »
Elle eut comme un air hésitant, presque surprise que je lui concède la victoire. Calmée, elle me regarda avec un air profond.
« Tu es fâché ?
– Non.
– Tu es déçu ?
– Non plus.
– Tu n’as pas l’air heureux, pourtant. Tu sais, si tu veux travailler sur cette bobine, tu pourras le faire ici, moi je suis toujours là... »
Je me remis debout vivement, sans rien dire. Je lui fis un grand sourire.
« C’est pas contre toi, Béryl, et j’aime passer du temps ici, mais… Ce n’est pas ma chambre ou mon lieu de travail, tu comprends ? Je ne peux pas tout faire ici aussi librement que si c’était chez moi.
– Non, je peux pas comprendre. »
Sa voix s’était brisée en disant cette simple phrase. Je me sentis alors comme au fond du gouffre.
« C’est pas grave… Mais qu’est ce qui te prend, aujourd’hui ? Pourquoi tu insistes à ce point pour que je vienne et que je reste ?
– Ça ne te regarde pas. »
Le ton froid et soudain de Béryl me fit froid dans le dos, assez pour que je ne demande pas davantage. Je me rassis sur la chaise, alors qu’elle s’installait dans son lit. Je jetai un petit coup d’œil à ma montre, et je vis 9h26 affiché. Je me rappelais alors de la course du jeudi midi, et je lançais à Béryl :
« Ah, il va falloir que je partes dans une petite heure, j’ai un cours important à midi que je ne veux surtout pas rater !
– Ah bon, tu vas faire quoi ?
– C’est la course, le jeudi midi. On va sur le terrain, on s’entraîne au sprint, au cent mètres, au deux cents mètres et au relai. Je ne suis pas très bon en relai, mais le reste est vraiment bien.
– C’est ce dont tu me parlais hier, c’est ça ?
– Exactement. En plus, le professeur me harcèle en disant que je pourrais bien avoir ma voie là dedans…
– Ah bon ? Et ça te plairait ?
– Je ne sais pas. Mais j’aime beaucoup courir. »
On continua à discuter, et bien que je sois très attentif à l’heure avec une sonnerie de rappel pour bien partir correctement, je restai heureux et investi dans la conversation. Alors que nous étions en train de parler de la photo que je lui avais apporté aujourd’hui, un bruit à la porte me fit sursauter. L’infirmière avec un plateau repas venait d’arriver dans la chambre. Elle me regarda tout d’abord avec un air étonné, puis un voile de mépris se mit comme un rideau dans son regard.
« Les repas ne sont pas fourni même pour du baby-sitting, tu sais.
« Je vous demande pardon ? »
J’étais tellement surpris par le dédain a peine dissimulé dans sa voix que j’en oubliais même de m’indigner.
« Que tu rates le lycée, passe encore, mais je ne vais pas vous fournir un repas pour tous les deux au frais de la maison. Tu n’es pas résident ici, quand même.
– Mais enfin, bredouillais-je en voyant la purée et la compote sur le plateau, c’est absurde, il est à peine dix heures…
– Tu plaisantes ? Il est midi passé. Il est temps de se réveiller, mon garçon. »
Elle déplia la petite table des lits d’hôpitaux et posa son plateau dessus, ne m’accordant plus aucun regard. Complètement abasourdi, je regardai à nouveau ma montre, m’affichant 10h17. Je me levais, comme assommé, et regardai ma sœur, commençant à comprendre. Je finis de réaliser, quand avec un air triste et évitant mon regard, elle murmura :
« Je suis vraiment désolée... »
Elle allait sans doute continuer de s’excuser, ou peut être se justifier, mais je ne pris même pas le temps de l’écouter. Je pris mon sac, mon appareil photo, vérifiait d’avoir ma montre et ma boussole, et je partis en courant. Je me fis interpeller par deux ou trois internes outré qu’on puisse oublier qu’il était strictement interdit de courir dans un hôpital, mais je m’en fichais. Je n’avais même pas le temps d’être colère, tellement j’avais peur de vraiment tout rater.
"Non, je peux pas comprendre." Oh, mon cœur il s'est brisé à ce moment-là, c'est assez dur quand même.
Et wow, si je m'attendais à cette fin :o ! Elle me surprend vraiment, et pourtant c'est tout simplement impossible de le prendre comme de l'égoïsme odieux de la part de Béryl. Le sentiment qui plane sur ce chapitre se retrouve bien dans ce qu'on s'imagine au titre que tu lui as choisi. J'aime bien, j'aime beaucoup, en même temps ça me rend triste, et en même temps c'est plein de douceur et curieusement plein de vie à la fois... (Je me répète, pardon.)
Merci encore pour ce chapitre en tout cas.
"C’est la bobine que j’ai développé(e)"
"avant d’éclater en larme(s)"
"il va falloir que je parte(/)"