Possédée

Par Anne CB
Notes de l’auteur : Scènes à caractère sexuel

La petite victoire de Flavia sur elle-même lui avait donné des ailes, et elle décida de battre le fer pendant qu’il était chaud en allant prendre un rendez-vous chez un gynécologue.

Il était évidemment hors de question de solliciter auprès de Chiara les coordonnées du sien car elle redoutait une indiscrétion, surtout vis-à-vis des cicatrices que lui avait laissées Malaspina.

Une violation du secret médical était peu probable mais cela aurait inévitablement créé une gêne.

 

Tout en marchant, elle se félicitait intérieurement d’avoir réussi à prendre autant de recul vis-à-vis de cet épisode traumatisant, mais elle finit par se demander s’il était normal, voire sain, d’avoir pardonné aussi facilement au capo ses actes de cruauté.

« Qu’est-ce qui ne va pas chez moi ? »  fut une question qui la poursuivit jusqu’à ce qu’elle croise la plaque d’un gynécologue sur la Via Michelangelo Schipa, le docteur Romano.

 

Elle consulta sa montre, qui indiquait midi moins le quart. Elle pouvait donc monter au cabinet pour s’assurer des disponibilités du praticien, ce qu’elle fit sans attendre.

Elle avala les deux étages qui la séparaient du cabinet jusqu’à la lourde porte de chêne à côté de laquelle était fixée une plaque de cuivre au nom du médecin.

Avant de franchir le seuil, elle eut un moment d’hésitation, était-il bon qu’il s’agisse d’un homme ? Mais elle jugea qu’un homme s’alarmerait peut-être moins des stigmates de son corps qu’une femme.

Pour elle, et malgré ses dernières expériences, les hommes restaient une espèce à part, un peu mystérieuse, mais qui en tout cas était moins douée de sensibilité que les femmes.

La froideur que montraient habituellement le capo et Leandro, les deux seuls hommes qu’elle ait jamais fréquentés, la confortait dans cette opinion.

Peut-être cela aurait-il été différent si elle avait connu son père, car elle disposerait d’un repère plus fiable, songea-t-elle.

 

Après être entrée, elle se retrouva face à une femme d’âge moyen, à l’air très sérieux avec son chignon serré et ses lunettes basses.

—  Je souhaiterais avoir un rendez-vous avec le docteur Romano, indiqua-t-elle résolument.

—  Êtes-vous déjà venue le voir ?

—  Non, ce serait pour une première consultation…

—  Nous avons un peu d’attente, les premiers rendez-vous ne sont pas possibles avant le mois prochain.

—  Mais je ne suis jamais allée chez un gynécologue et j’ai besoin de contraception ! s’écria-t-elle, regrettant immédiatement la franchise de ses paroles.

La secrétaire resta en effet interdite devant cette naïve exclamation.

—  Attendez-moi ici, je vais voir si le docteur peut vous recevoir plus tôt.

 

Sur ces mots, elle disparut par une porte située à gauche de son bureau et revint au bout de quelques minutes.

—  Nous pouvons vous proposer de passer demain à midi, est-ce que cela vous convient ?

Flavia, un peu embarrassée mais au fond enchantée de constater qu’il suffisait d’insister pour obtenir ce qu’on voulait, accepta et remercia la secrétaire avant de quitter vivement le cabinet.

« Elle a dû me prendre au mieux pour une folle, au pire pour une désespérée » pensa-t-elle, amusée.

 

Elle passa un après-midi studieux, réinvestissant l’énergie qu’elle avait accumulée par ses petits succès de la matinée, mais en réalité, elle essayait un peu de noyer le trouble que lui donnait une éventuelle visite de Leandro le soir-même.

Plus la journée avançait, et plus cette idée se faisait obsédante.

Elle poussa la pile de livres contre le mur, se massant les tempes, car elle n’arrivait décidément plus à se concentrer.

Ea quae dico…les fines lèvres de Leandro… animone percipis, miles…ses bras puissants…purpura vestiti…son torse râblé mais si doux…satrapisque similes…ses fesses musclées…in publicum procedus…son sexe gorgé de désir…

Il valait mieux tout arrêter car son travail n’était plus efficace, elle sautait une ligne sur deux, était obligée de reprendre ses traductions à plusieurs reprises, y trouvant toujours des coquilles.

 

Elle sentit une humidité gênante dans sa culotte et se tortilla sur son siège dans une vaine tentative de chasser ce témoignage de son excitation.

Il n’y avait qu’Euterpe qui ait le pouvoir de complètement détourner son attention de cette addiction.

Elle alla chercher un disque dans l’étagère, il lui fallait une mélodie au tempo dynamique pour s’extirper de sa rêverie.

Elle choisit l’album Floodland de Sisters of Mercy, qui lui paraissait convenir à merveille avec son rythme endiablé, mais ce fut peine perdue : au titre Lucretia my reflection, ses pensées erraient de nouveau vers le corps de Leandro.

Qu’il serait bon de faire l’amour sur Black n°1, notre étreinte prendrait même une dimension spirituelle, imagina-t-elle en s’humectant les lèvres. Elle se secoua, voilà qu’elle s’abîmait encore dans ses fantasmes !

 

Le tissu de sa culotte collait, de manière entêtante à son entrejambe, elle avait besoin d’une bonne douche… Elle s’apprêtait à se dévêtir quand elle jeta un coup d’œil à l’écran de son téléphone.

Pas le temps de se rafraîchir, il lui fallait courir au restaurant car elle était déjà en retard. Elle se contenta de changer de slip, mais son excitation ne manqua pas de se rappeler à elle toute la soirée.

 

Intriguée par son attitude, Laura finit par lui demander pourquoi elle se dandinait de la sorte et si elle était à l’étroit dans sa jupe. Cette remarque acheva de mettre la jeune fille mal à l’aise et elle eut beaucoup de peine à contenir la maladresse de ses gestes pendant tout le service.

Les hommes présents dans la salle la regardaient de biais, comme s’ils avaient flairé le déluge de phéromones sexuelles qui submergeait Flavia.

Prétextant une indisposition, elle rentra prématurément chez elle et claqua la porte avec fracas.

Elle s’adossa au mur et se laissa glisser par terre, retenant son souffle croyant discerner un bruit de pas dans la cage d’escalier.

 

Et en effet, des coups légers retentirent bientôt, et Flavia se précipita pour ouvrir, sans même s’assurer au préalable de l’identité de son visiteur.

Comme elle l’attendait, c’était Leandro, dont l’ardeur semblait au moins égaler la sienne.

Sans un mot, il entoura sa taille et la plaquant contre l’huisserie, fouilla ses lèvres d’un baiser vorace.

Ses mains fébriles commençaient déjà à explorer les surfaces protégées par le fin coton déjà trempé, quand Flavia, honteuse de la sensation visqueuse que lui donnait un après-midi entier de désir frustré, s’excusa auprès de son amant de devoir aller prendre une douche, prétendant se sentir sale après une soirée de travail intense.

Il sourit à ces justifications car il avait perçu le débordement qui inondait le sous-vêtement.

« Je t’accompagne, même si je pense que je vais te salir davantage » railla-t-il en baissant peu à peu sa jupe et sa culotte.

Flavia déboutonna son chemisier en contemplant avec gourmandise l’homme qui retirait son élégant costume noir.

Sans attendre, il la souleva et la déposa sous la douche, activant l’eau du coude.

Ils ne furent pas même sensibles à l’écoulement d’eau froide qui précédait toujours l’arrivée de l’eau tiède tant ils s’enflammaient mutuellement à force de caresses.

En réalité, ces préliminaires leur étaient aussi insupportables pour l’un que pour l’autre car ils n’aspiraient qu’à s’attaquer directement au plat de résistance.

Ce fut Flavia qui céda au feu qui la consumait.

« Prends-moi maintenant, Leandro » haleta-t-elle.

N’y tenant plus, Leandro la saisit derrière les genoux pour la hausser à son niveau.

« Prends-la en toi maintenant » lui intima-t-il en retour.

Flavia empoigna le membre dressé et l’invita à l’entrée de son orifice, se délectant par avance du coup de rein qui le plongerait en elle.

 

Parvenu au sommet de l’exaltation, Leandro ne se fit pas prier et acculant la jeune fille contre la paroi de la douche, la pénétra d’un coup sec.

Il essaya de tempérer l’accouplement, mais la fièvre le possédait trop pour qu’il ménage Flavia. En conséquence, il la martela assez rudement pour lui arracher quelques gémissements.

À  ce moment, il se pencha sur Flavia pour l’embrasser, c’était tout ce qu’il pouvait faire pour adoucir son étreinte.

Être prise si brusquement n’était pas pour déplaire à Flavia, elle l’avait déjà expérimenté, c’était simplement étrange que cela vienne de lui. Mais cette brutalité faisait écho à la violence de son désir, et elle ne pouvait blâmer Leandro d’être au diapason.

« As-tu pu te procurer une contraception ? souffla-t-il à son oreille. La tête en feu, Flavia fit signe que non.

 

L’homme se retira rapidement et reposa la jeune fille à terre. « Finis-moi » la pressa-t-il.

Sans trop savoir comment s’y prendre, Flavia saisit le sexe dardé de Leandro et le caressa contre son ventre. Ce faisant, elle essayait de lire les réactions de l’homme sur son visage pour savoir si elle était sur la bonne voie.

Il paraissait incroyablement sérieux, lui rendant son regard. Sa main enlaça celle de la jeune fille pour la guider vers l’explosion de son plaisir. Bientôt, elle comprit quels étaient le rythme et la pression qu’il souhaitait, et il lui abandonna totalement la manœuvre.

« Embrasse-moi » ordonna-t-il, alors que son sexe était secoué des spasmes annonciateurs de la jouissance finale.

Flavia sentit alors la semence chaude se répandre profusément dans sa main et sur sa poitrine. Elle continua néanmoins le mouvement, étalant le sperme tiède sur elle, jusqu’à ce que Leandro rompe le baiser.

 

« C’était délicieux, mais vois, je t’ai vraiment salie » reconnut-il, un beau sourire aux lèvres.

« Ce n’est pas sale si ça vient de toi » répliqua-t-elle en se serrant contre lui.

Sur ce, il attrapa le savon et le faisant mousser entre ses mains, le passa sur chaque parcelle de peau de Flavia. Elle ne put retenir un grognement de plaisir.

« Qu’est-ce que tu es sensible… » murmura-t-il alors que Flavia guidait ses doigts vers son clitoris.

Cédant à la demande de sa compagne, il lui fit l’amour assez longuement cette fois, sous la douche, puis sur le lit…

« Tu reviendras me voir ce soir ? » le pria Flavia quand il la quitta au petit matin.

« Je reviendrai dès que je le pourrais, je ne peux pas te promettre quand, car il y a beaucoup de travail imprévu en ce moment, mais dès que j’en aurai la possibilité, je le ferai » répondit-il avant de l’embrasser une dernière fois.

 

La tête pleine de rêves, Flavia demeura éveillée longtemps après le départ de son amant.

Heureusement, l’alarme de son téléphone la tira opportunément de son sommeil à onze heures et demie, elle n’avait que le temps d’une rapide toilette, se vêtir et filer.

En se douchant le bas-ventre, elle constata avec humiliation qu’elle avait fait tant fait l’amour le soir dernier qu’elle était toute irritée à l’entrejambe. Malgré cela, irait-elle quand même chez le gynécologue car il ne manquerait pas de remarquer cela ?

 

Mortifiée, elle se remémora la scène qu’elle avait faite pour obtenir d’être reçue rapidement et respirant un grand coup, elle s’élança à l’extérieur.

En courant tout au long du chemin, elle parvint à être à l’heure, ce qui était un minimum vu qu’elle avait presque extorqué le rendez-vous.

Elle ignorait évidemment que les spécialistes n’étaient jamais à l’heure, et patienta une bonne demi-heure dans la salle d’attente en essayant de reporter son attention sur les magazines féminins qui traînaient là.

« Ce n’est vraiment pas pour moi » pensa-t-elle en les reposant, n’y trouvant aucun intérêt ,« Ce ne sont rien d’autre que des publicités déguisées ».

 

La porte du bureau du Dr Romano s’ouvrit et celui-ci, à l’allure très distinguée avec ses cheveux blancs mi-longs, et sa la blouse aussi immaculée que sa chevelure, raccompagna une jeune femme enceinte et un homme qui lui ouvrit galamment le battant de chêne.

Cette vision d’un couple nageant dans le bonheur lui infligea un pincement au cœur.

« Jamais je ne pourrais avoir cela avec Leandro, je suis là précisément parce qu’il ne veut pas que ça arrive » songea-t-elle amèrement.

 

Sitôt la porte refermée, le médecin se tourna vers Flavia et fit un geste pour l’inviter dans son bureau, une grande pièce toute blanche aux volumes impressionnants.

Une grande peinture noire et beige ajoutait à la froideur du lieu, trônant derrière le fauteuil de cuir sombre du gynécologue.

 

Flavia, très mal à l’aise, le précéda et s’assit sur le siège qu’il lui indiquait.

—  Ainsi, c’est votre première consultation de gynécologie dit-il en préambule.

Flavia acquiesça simplement de la tête, appréhendant la suite.

—  Comme vous êtes une nouvelle patiente, j’ai besoin de connaître quelques informations d’usage, c’est la routine, précisa-t-il avant de solliciter ses nom, prénom, âge, poids et taille.

Avez-vous des rapports sexuels ? l’interrogea-t-il ensuite.

Flavia opina de nouveau, livide.

—  Depuis combien de temps ? reprit-il.

—  Ça fait quelques semaines, répondit-elle en espérant que l’entretien en resterait là.

—  Bien, suivez-moi, je vais vous examiner.

La jeune fille baissa les yeux, le moment redouté arrivait, avec son lot de questions incommodantes.

Sur les indications du docteur, Flavia retira sa culotte, releva sa jupe et s’assit en appuyant ses jambes sur les étriers.

Puis, ayant enfilé ses gants, il se retourna vers elle pour procéder à l’examen.

Le médecin regarda avec surprise Flavia, ne parvenant pas à réaliser l’écart qui séparait la virginale apparence de la jeune fille avec les traces de lacération qu’il était en train d’observer.

—  Est-ce qu’on a exercé des violences sur vous ? demanda-t-il après un moment de silence.

Flavia avait immédiatement compris à quoi il faisait allusion.

—  Non, c’était totalement consenti, affirma-t-elle faiblement, ne sachant à quel point elle mentait.

—  Vous avez commencé à avoir des rapports sexuels il y a peu, et on vous a soumis si vite à des pratiques sadomasochistes ? répéta-t-il, incrédule.

—  Oui, c’est moi qui l’ai demandé, s’entêta Flavia d’une voix mourante.

—  Je dois vous interroger car on nous a sommés de signaler des cas éventuels de violences sexuelles, c’est pour cela qu’il faut que je m’assure qu’on ne vous a pas imposé cela.

—  Je comprends, mais tout ceci est de ma faute, confirma-t-elle une dernière fois.

En prononçant ces mots, elle prenait conscience qu’elle appréciait être soumise à Malaspina, est-ce que cela faisait d’elle une masochiste ? Non de toute évidence, elle adorait les rapports pleins de respect qu’elle entretenait avec Leandro, mais d’un autre côté…

Le souvenir de Malaspina se présenta à son esprit dans toute sa flamboyance, avec une intensité insupportable.

Était-ce possible d’aimer deux hommes en même temps ? Est-ce que cela faisait d’elle une traînée, comme le capo le lui avait dit ? De toute façon, ce genre de réflexion était sans objet car elle n’existait même pas pour Malaspina.

La sensation désagréable du spéculum suivi du bâtonnet de frottis la tira de ses pensées.

— Comme vous avez eu des rapports avant aujourd’hui, puis-je vous demander comment vous avez assuré votre contraception ? s’enquit le praticien.

—  J’ai pris la pilule du lendemain.

—  Après chaque rapport ? Bon, ce n’est pas dangereux du tout de prendre régulièrement cette pilule, mais on va prévoir quelque chose de plus pérenne.

—  C’est pour cela que je suis là.

 

Elle sortit enfin du cabinet, munie de la précieuse ordonnance qui l’autorisait à retirer le médicament chez le pharmacien. Si elle était soulagée d’en avoir fini, elle ne pouvait se résoudre à considérer comme une victoire d’avoir obtenu cette contraception, car ce n’était que la marque d’un refus de s’engager dans une vraie relation.

Malgré toute la douceur dont l’entourait Leandro, cette pilule signifiait qu’elle n’était qu’un instrument de satisfaction des pulsions les plus basses dont était capable un être humain, et rien de plus. Elle n’était qu’une source de plaisir sans conséquence.

De retour chez elle, elle avala immédiatement le premier cachet, tentant de relativiser en pensant que c’était le quotidien de nombreuses femmes. Mais ce fait révélait de manière criante le déséquilibre entre hommes et femmes car s’administrer ce traitement n’était pas sans effets secondaires pour celles qui le prenaient alors que leurs partenaires pouvaient débrider leur désir sans en subir de contrepartie. Est-ce que ce n’était pas purement et simplement une manière de se soumettre ?

 

Perturbée par ces réflexions, Flavia s’obligea à se concentrer sur ses traductions jusqu’à ce que la sonnerie de l’horloge lui rappelle qu’elle devait rejoindre son travail sans délai.

Le service se passa sans encombre cette fois-ci, et Flavia, l’esprit vidé et le corps fourbu de bonne fatigue, s’apprêta à regagner son douillet studio en pensant que tout ceci serait bientôt derrière elle.

 

Mais en ouvrant la porte arrière du restaurant, elle se trouva nez à nez avec Leandro, le visage fermé et la mine sombre, habillé comme la veille. Alors qu’elle faisait un pas vers lui pour déposer un baiser sur sa joue, il l’arrêta d’un geste brusque.

«  Malaspina veut te voir ».

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