Pour la deuxième fois...

Notes de l’auteur : Voici la fin avant la fermeture du site, j'espère que ça vous plaira !

Alors, les désillusions, la descente aux enfers.

Et de nouveau, les derniers instants d'un royaume...

 

Le lendemain, le château entier était en effervescence. Le prince Ban était enfermé dans les appartements de son frère, tandis que la princesse Ada refusait d'ouvrir la porte de sa chambre. Le mariage approchait, mais aucun des deux ne semblait vouloir refaire surface. Si personne ne savait exactement de quoi il retournait, tous ceux qui avaient passé la nuit au château se doutaient de quelque chose.

On avait entendu les cris du prince Tan, on l'avait entendu traverser le château en hurlant, on savait d'où il était venu. De la tour de son frère, de la chambre de la princesse. Que s'était-il passé entre eux, que faisait-il à une heure si tardive en ces lieux ?

 

Finalement, le prince Tan émergea enfin. Le visage pâle et les yeux rougis, il se dirigea tout droit vers la salle du trône, pour en faire sortir tout le monde excepté ses royaux parents. Il leur parla. Quant au prince Ban, il alerta le capitaine de la garde, pour lui ordonner de mettre à l'arrêt la princesse aux cheveux d'or, afin de la faire paraître en jugement devant le roi pour haute trahison, ainsi que présumés actes de sorcellerie.

 

*

 

Il n'a suffi que d'un déclic. Une expérience, renouvelée, un sentiment, retrouvé. Une colère sourde, rouge, aussi rouge que le sang, et qui ne fait que noircir.

Ils n'auraient pas dû.

Ada n'existe plus, maintenant.

Maintenant, il est beaucoup trop tard.

 

*

 

Ils allaient menacer d'enfoncer la porte lorsque celle-ci s'ouvrit sur la jeune femme.

 

Tous se turent. Se figèrent.

 

La princesse Ada avait revêtu sa robe de mariage, une magnifique pièce d'un bleu profond aussi sombre qu'un ciel d'orage. Un diadème doré serti sur son front, de longs colliers de perles posés sur sa poitrine, et des bagues multicolores ornant chacun de ses doigts, la princesse était plus resplendissante que jamais. Ses yeux pâles semblaient prêts à foudroyer sur place quiconque se placerait sur son chemin.

Tous s'écartèrent devant elle. Elle passa au milieu des gardes d'un pas tranquille, presque nonchalant. Chacun de ses pas retentissait avec intensité, ses pieds nus claquaient sur les pierres du sol comme l'auraient fait de lourdes bottes. L'atmosphère était emplie d'une tension palpable, personne n'osait faire un mouvement de peur de déclencher quelque chose.

Mais quoi ?

 

La princesse aux cheveux d'or rejoignit la salle du trône, où l'attendait le roi, assis sur son fauteuil royal. A ses côtés la reine pâlit à la simple vue de la créature qui venait de pénétrer dans la pièce. De tous, elle seule fut lucide quant à ce qui allait se produire. Elle inclina la tête devant la jeune femme aux yeux tempête, avant de se redresser dignement, prête à affronter la suite avec honneur. Et sans peur. Seulement de la résignation.

Le prince Tan était là, lui aussi, debout devant les marches menant au trône, et tremblant de tous ses membres. Paralysé par la peur, la peur de la créature qui marchait droit sur lui.

Car Ada avançait, suivie de Ban et de la plupart des soldats de la garnison. La roi Dun Dao dut se lever pour qu'elle s'arrête enfin, à deux pas du prince cadet, le regard rivé sur lui tandis qu'il se liquéfiait sur place. Les soldats encerclèrent la jeune femme, ne sachant trop comment agir, et la salle s'emplit bientôt d'une foule de servants et courtisans curieux venus assister au dénouement de cette étrange matinée.

 

Le roi s'humecta les lèvres.

— Je suis Dun Dao, souverain du royaume de Dang. Ada, princesse aux cheveux d'or, les accusations à ton encontre sont les suivantes : haute trahison, et pratiques de magies occultes. Qu'as-tu à dire pour ta défense ?

 

Les deux princes avaient été témoins de son altérité. Les deux avaient pris peur. Le roi avait accepté les arguments de ses deux fils, la mort dans l'âme. Il ne parvenait pas à croire qu'une aussi sublime créature puisse être animée par des instincts maléfiques. Et pourtant, quelque chose dans le regard de la jeune femme le terrifiait.

 

La princesse Ada ne souriait pas. Son visage n'était plus celui d'une jeune fille, toute trace d'innocence et de candeur avait disparu. Elle avait comme vieilli de dix ans, pour devenir une femme mûre dont la colère semblait aussi redoutable que sa beauté. Ada n'était plus Ada.

 

Le tonnerre se fit entendre, au loin. La pluie commença à tomber sur les lourdes pierres du château.

 

— Je ne vous dois rien, fit la princesse.

Et c'était comme si sa voix provenait de partout à la fois, comme si elle avait chuchoté au creux de l'oreille de tous ceux présents dans la pièce. Un frisson parcourut l'assemblée.

 

— Qui êtes-vous ?! cria le roi. Que voulez-vous ?!

— Je ne vous veux rien. C'est vous qui êtes venus à moi. Qui êtes venus me chercher, pour me ramener ici, dans l'espoir que je devienne votre chose.

Elle se tourna vers le prince Ban, qui la regardait avec colère, les larmes coulant de ses yeux rouges.

— Tu ne peux t'en prendre qu'à toi même, prince. C'est toi qui es venu me trouver sur le haut plateau, toi qui m'a promis monts et merveilles. C'est toi qui m'as fait retrouver la vie de château, une vie de luxure et de contentement. Une vie d'enfermement, d'ennui et de solitude. Vois où cela nous a menés.

Elle étendit les bras, comme si elle voulait embrasser tous ceux présents autour d'elle.

— J'aurais pu ne jamais me souvenir, j'aurais pu redevenir comme vous, j'aurais même pu pardonner ce que vous êtes, ce que vous représentez. Vous avez échoué. Ce que j'ai vu, c'est l'hypocrisie d'une famille qui ne pense qu'à son image, c'est la cruauté d'un château qui préfère garder enfermée sa princesse, sous prétexte qu'elle serait trop belle pour le reste du monde.

Son regard plongea dans celui de Ban, qui fulminait de colère.

— Une princesse que vous avez crue naïve, candide, servile, obéissante, une princesse qui aurait dû se contenter de la place qu'on lui donnait, bien à l'abri dans cette prison de pierre, et condamnée à passer le reste de ses jours seule, à subir vos sévices et à contempler le monde qui vit au-dehors, sans elle. Vous avez cru pouvoir m'acheter avec votre confort, votre luxure...

Les anneaux, bracelets et colliers qu'elle avait revêtus se mirent soudainement à crépiter, et tous purent les voir se liquéfier pour dégouliner lentement sur la peau translucide de la princesse, qui ne paraissait aucunement souffrir et qui restait impassible, le regard dur comme la pierre. Les perles de ses colliers tombèrent avec fracas sur le sol de la salle du trône. Un cri de terreur passa dans la foule rassemblée autour d'elle.

— Sorcière ! hurla le prince en tirant son épée. Etouffe-toi donc avec cette langue qui ne sait que délivrer poisons et mensonges, et assure-toi de ne pas oublier ta place ! Celle qui est jugée, ici, c'est toi, et personne d'autre !

— Oh, mais je ne juge personne...

 

La salle du trône s'assombrit. Ce fut comme si la lueur des torches vacillait, qu'elle prenait moins d'ampleur. La pluie battait à l'extérieur, c'était un véritable déluge.

 

— Démone ! Cesse immédiatement tes sortilèges !

Le prince joignit le geste à la parole et se précipita vers sa fiancée pour la transpercer de part en part de sa longue lame de fer, qu'il eut l'impression de plonger dans l'eau. La princesse resta totalement impassible malgré la violence du coup, et se contenta de jeter un regard dédaigneux au métal qui traversait sa poitrine. Lorsqu'elle releva la tête, le prince put voir ses yeux briller d'un éclat blanc, comme si la foudre elle-même l'emplissait.

— Je ne juge personne, pour la simple raison que je vous ai déjà jugés il y a bien longtemps... bien avant votre naissance, bien avant même que ce royaume connaisse un début d'existence. Votre seul tort, c'est de m'avoir fait me souvenir de qui je suis.

 

La reine se rendit compte à ce moment-là que ce n'était pas de la colère qu'elle lisait sur le visage de la princesse. Non. C'était de la haine. La haine la plus pure qu'il lui avait jamais été donné de voir.

 

— Je suis Adamine, princesse d'Atalante. J'ai été trahie il y a bien longtemps, et j'ai moi-même provoqué la ruine de mon propre pays. Je suis restée trop longtemps en sommeil, à vous laisser agir, vous, humains, comme vous l'entendez, mais je suis maintenant prête à reprendre la tâche qui m'incombe.

Le prince, qui tenait toujours son épée, fut soudainement pris de convulsions. Il poussa un hurlement de douleur et une odeur de chair brûlée se fit bientôt sentir. Une fumée noire s'échappa du corps du prince Ban Dao, qui s'effondra sans vie sur le sol.

— Vous m'avez privée de mon humanité, c'est à mon tour de vous priver de la vôtre. Soyez fiers, habitants de Dang, car vous allez être témoins de la chute de votre royaume.

Elle leva une main, et la foudre s'abattit directement sur elle. Un hurlement assourdissant déchira l'air autour d'elle, le vent et la pluie s'engouffrèrent dans le bâtiment pour former un gigantesque tourbillon dont elle était le centre. Le fracas du tonnerre recouvrait les cris de terreurs de tous ceux présents dans la salle.

 

*

 

Les villageois alentours furent témoins de l'immense boule de feu qui illumina le ciel, bientôt suivie par les débris de roches du château qui surplombait autrefois la vallée. Une tempête plus violente que toutes celles survenues dans cette vallée de mémoire d'homme détruisit totalement le village-capitale de ce minuscule royaume.

 

En une seule nuit.

 

Et pour la deuxième fois.

 

 

Et enfin, des retrouvailles, trop tardives, pourtant...

 

La pluie seule se remémore encore ces mouvements, ces agitations autour d'une cabane aujourd'hui oublié de tous. Une petite cabane, sur un petit plateau, surplombant une large vallée redevenue vierge de toute présence humaine. Et une silhouette, apparue du ciel, tombée. Avec la foudre.

Une silhouette furetant autour de la cabane, ouvrant timidement la porte, fouillant l'intérieur, à la recherche de quelque chose, d'introuvable. Silhouette exsangue, décharnée, vêtue de lambeaux de vêtements, tantôt marchant, tantôt flottant dans l'air lourd et chargé d'électricité. Puis deux yeux brillants, repérant une marque sur le sol, discrète, invisible presque. Et la silhouette de s'enfoncer dans la forêt, petite boule de foudre en quête de quelque chose.

Quelqu'un.

 

Adamine retrouva Li Jin au pied d'un arbre. Un arbre gigantesque, aux longues branches pendantes, formant comme une enveloppe protectrice autour de son tronc. Les gouttes ruisselaient le long de ses longues feuilles, et tombaient en un cercle parfait autour de lui. Elle repoussa le feuillage d'une main, et s'avança vers le tronc protégé de la pluie par le toit de verdure au-dessus d'eux.

A ses pieds reposait l'ermite. Il dormait, comme s'il avait attendu cela depuis des années.

Il avait réussi.

Li Jin ouvrit deux yeux usés par le soleil, les yeux d'un vieillard qui avait trop travaillé. Il reconnut la créature qui le tenait dans ses bras, et il leva une main décharnée pour venir cueillir une larme sur sa joue.

— Tu es revenue, Ada.

— Oui, Li Jin. J'en ai terminé avec ceux d'en bas. Les autres. Ils n'auraient pas dû venir me chercher.

— Tu as éteint les lumières ?

— Comme je te l'avais promis.

L'ermite eut un sourire triste. Il avait toujours su que ceci arriverait vraiment. Que rien de ce qu'elle disait n'était faux. Que sa nature même faisait qu'elle en était capable, qu'elle devait le faire. Ce qu'elle était, vraiment.

— Je m'appelle Adamine, dit-elle doucement.

Le vieillard sourit. Et il y avait tellement de tendresse dans ce sourire que la jeune femme ne put s'empêcher de sourire à son tour. Et ce fut comme si une étoile resplendissante illuminait l'ermite, qui n'aurait jamais pensé être à nouveau témoin d'une telle perfection.

— C'est bien... dit-il dans un soupir.

 

Il mourut, dans ses bras.

 

Et la princesse aux cheveux d'or disparut.

 

*

 

La cabane n'existe plus. Tout le monde l'a oubliée. Personne ne monte plus sur le petit plateau, personne ne va plus chasser dans la forêt qui le surplombe.

 

Au sein de cette forêt, se trouve un arbre gigantesque, un arbre à pluie, aux longues branches tombantes, comme s'il ne voulait pas qu'on atteigne son centre, son tronc.

 

Un tronc, dans lequel est sculptée une figure, celle d'une créature étrange, pas vraiment humaine, aussi belle que le soleil s'élevant dans le ciel. Une sculpture si magnifique que personne ne pourrait la contempler sans défaillir.

 

Une sculpture que personne, jamais, ne découvrit.

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Solamades
Posté le 02/09/2025
Ah ! Je suis contente d’avoir été jusqu’au bout. J’ai ma vengeance 😁
C’est donc une sorte de fable, avec son côté mythologique… mais quelle mythologie ? Princesse d’Atalante. ? Princesse Atlante ? Je repense au récit que j’ai entendu un jour, qui accusait une femme d’avoir causé la fin de l’Atlantide… est-ce que je fais fausse route ?
En tout cas, je suis heureuse qu’elle ait pu retrouver Li Jin à temps.
Merci pour cette belle lecture ! J’espère que j’aurai à nouveau l’occasion de te lire ! 💕
Solamades
Posté le 03/09/2025
Je viens seulement de voir que le chapitre a été publié juste avant que je le lise. Ouh… excellent timing ! 
Effectivement, c’est le triste contexte de PA qui me pousse à avancer sur ma PAL.
Merci pour le partage.
Josépatate
Posté le 15/09/2025
Bonjour, merci pour ta lecture et tes retours ! Content que ça t'aies plu. C'est effectivement un conte un côté mythologie, dans un univers de ma conception mais cette personnage est très inspirée de l'Atlantide, bravo pour l'avoir deviné ! Pour ce qui est de qui a provoqué la chute de cette île, tout ça, c'est encore en cours d'écriture, mais ce ne sera effectivement hélas pas sur PA...
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