C’est la faim qui me réveille. Un trou qui ronge chaque jour mon estomac. Je suis surpris comment mon estomac est encore actif. Cela fait des mois, bien avant le début de la descente que je n’ai pas mangé de la vraie nourriture. Nsiétcha me donne l’énergie qu’il faut pour que je vive. Mais mon estomac, lui se réveille chaque matin, espérant le retour d’un passé fort lointain. Je considère qu’à mon horloge biologique c’est un nouveau jour. Et barre un nouvel hexagone sur mon carnet. Je n’ose plus compter les pages remplies. J’ai largement dépassé les sept fois sept fois.
La belle Anne n’est plus avec moi, elle s’est rendormie, jusqu’à la Fête. Jusqu’à Nsiétcha peut-être. Alors je déambule dans cette maison. Cela a beau être le matin pour moi, Nsiétcha ne fournit pas plus de lumière. Les chandeliers sont éteints. Les tentures ont disparu des murs. Ils réagissent uniquement à mon approche, et faiblement. Hier c’était la fête. Aujourd’hui semble être gueule de bois.
Je m’égare entre les pièces que je connais, dont j’ai construit les doubles. Cherchant à chacune d’elle, la fonction ici occupée. Pour toutes l’usage est similaire. Cela me donne l’impression, que ma vie même a été copiée. Mon œuvre, ma maison, n’était-elle qu’une copie de celle-ci ? Où était-ce l’inverse ? Même les légères modifications de plan, qu’on m’a autorisées à apporter se retrouvent ici. S’ils la connaissaient si bien, pourquoi moi ? N’auraient-ils pu se passer de moi ?
Le vague à l’âme me reprend, comme avant la fête, avant Anne. Je pensais ne rien chercher, aller de l’avant au hasard. Mais mes pas n’ont pas joué, eux, et ils m’ont conduit indéniablement à l’étude. Celle de mon père. Puis la mienne. Enfin, ici, la copie. Quand j’ouvre la porte, j’y voie la fidélité, au moindre changement que j’ai opéré.
Sur le bureau, un livre dont je connais chaque page. Il présente les plans de ma maison. Je n’ai jamais fait attention à l'auteur, l'architecte. Je les cherche à la dernière page. M’attendant à trouver le nom de Anne, puisque c’est la dernière des quatre grands Architectes. C’est avec stupéfaction que je lis, relis, et encore, de nouveau, lis les quelques lignes.
Plans achevés par Monsieur L. R. C. Cordélio, Professeur en Architecture
184ème étage - 2ème génération
Une note manuscrite avait été rajoutée en bas de page.
Malgré mes propres réticences en tant que Gardien de l'Architecture du 42e étage, les plans ont été modifiés conformément aux instructions du Docteur en Humanités Mme A. Tisella.
Je ne comprends pas. Anne Tisella fait bien partie des quatre Architectes. Aucun doute dessus, je me rappelle la rue qui porte son nom. Je me souviens même qu’elle est associée au taureau du Chlimbo. Mais qu’aurait-elle fait si les plans étaient achevés depuis plus de cent étages ?
Docteur en Humanité. Je ne comprends pas de quel savoir il s'agit. Je me tourne vers les cinq pans de la bibliothèque - identique à celle de ma maison - représentant les cinq savoirs : l'Architecture, les sciences physiques, les naturalités, la mécanique, l'ingénierie.
Mais d'un coup je remarque le sixième pan, qui n'a jamais existé chez moi. Le titre du pan indique clairement l'objet : Humanités.
« Ah, te voilà bien sûr. »
Je sursaute à la voix de mon amante. Je n'ai plus l'habitude de parler avec des vivants, ou avec des souvenirs. Elle glisse ses mains dans les miennes, me faisant lâcher le livre.
« L'Architecture, évidemment. Quoi de plus beau, de plus noble. Tu vas la finir, n'est-ce pas ? »
Et elle de m'envoyer son parfum. De ses doigts qui me parcourent encore ravivant le désir. Le mien. Le sien. Celui de vivre.
« Je serai là, continue-t-elle, toujours. Mais quand tu auras mis l'Arc, je te rejoindrais. Et nous pourrons vivre, nous deux, enfin pourvus. L'un à l'autre. »
Et elle me répète combien il est important que je finisse ma tâche, qu'elle compte sur moi. Qu'elle ne s'est jamais sentie autant vivante que sous mon baiser. La fameux baiser de la légende, celui qui est capable de redonner vie aux souvenirs.
Je l'écoute bien sûr, m'imaginant avec elle. Sous son regard, sous ses doigts. Ceux-là même que je regarde, à moitié transparent. Et derrière le plan s'est ouvert, sur la page de ma chambre et de la pièce cachée, celle qui était inaccessible aux souvenirs. Une pièce pour les trois enfants que nous étions. En dessous du plan son nom signe l’architecte de la pièce.
« L'as-tu aimée ? me demande-t-elle. C'est pour toi que je l'ai dessinée. Un endroit à l'abri du temps. »
Bien sûr que je l'ai aimé. C'était mon refuge. À l'abris du spectre de mon père, ou de mes feux illustres précepteurs.
Une main caressant la sienne, douce et légèrement froide, une idée me titille. Un grain dans un rouage, que je n'arrive à déterminer.
Je tente de réchauffer cette peau qui s'offre à moi, tandis qu'elle s'approche. Je l'embrasse et mes yeux retombe sur cette science dont on ne m'a jamais parlé. Science des Humanités, que l'on m'a caché. Je m'approche de ce pan de savoir qui m'était inconnu. Les plus récent livre - à cet étage- sont signé de ma dulcinée.
« Tu les liras plus tard. » s'interpose-t-elle entre moi et son œuvre. Je tends ma main sur un livre Vie et mort du Dernier Tailleur.
« Non! Hurle-t-elle. Laisse je t'en prie. » Elle me bloque la vue et vient m'embrasser. Mais déjà ce n'est plus qu'un courant d'air. Et je peux ouvrir le livre à son début.
« Depuis 92 étages, les détails de l’Architecture ont été fixés, telle que Nsiétcha devra être à la pose de la dernière pierre. Les variations infinitésimales devront être pris en compte sans que cela pose de problème particulier. Comme il en a été depuis près de cent étages.
Mais surtout, et pour la génération à venir, la difficulté sera d'arriver aux conditions permettant au Tailleur de l’Arc d’activer la grande Fête.
Cordélio l’avait déjà démontré : la volonté de vivre du Tailleur est un l’élément important, qui nous sera transmis pour initier la dernière fête. Comme nos prédécesseurs, nous intuitons, que le Tailleur devra être seul au dernier moment, afin de lui garantir une volonté de retrouver sa vie passée, et de vivre avec nous. »
Je m'arrête de lire ici. Pas que les cris strident et inarticulé des spectres me dérangent. Les vagues d'émotions brutes, de sensation, de déséquilibre j'y suis habitué depuis longtemps. Mon père déclenchait les mêmes phénomènes lors de ses colères sur moi. Je vois Anne, à quelques pas de moi, en train de crier un son, qui ne sort pas de sa bouche mais de Nietschà elle-même.
Je suis surpris, même mon père n'arrivait pas à rester visibles lors de ces crises. Je la sens forte, indépendante. Je sens en elle quelque chose que même Nietschà n'a réussi à faire plier.
Je m'arrête de lire, car la lumière à presque disparue, effacée sous les assauts de celle qui m'a été donnée. Je veux continuer à lire, à comprendre pourquoi elle a écrit ce que devrait être ma vie. Alors je pars vers ma chambre, et à côté, vers la seule pièce ou ni Nietschà, ni les souvenirs ne peuvent intervenir.
Je traverse le corps fantomatique de ma bien aimé. Juste avant, j'aperçois des larmes de douleurs qui coulent lentement sur ses joues translucides.
Sur le chemin la crise de Nietschà ne faiblit pas. J'arrive dans ma chambre, et d'une poussée sur un coin de mur j'entrouvre une petite porte cachée. Mon domaine. Le royaume de paix que je partageais avec Luc et Laëtitia. Un lieu où les trop nombreux mort qui entouraient nos vies ne pouvaient venir. Un lieu de vie, la mienne.
Enfin ici une réplique. Ou plutôt son ébauche. Celle qu'Anne à décider de rajouter aux plans. D'une main j'effleure une gravure d'argent qui allume la pièce. Seule trace d'une magie ancienne, celle d'avant Nietschà.
Je reprends ma lecture un peu au hasard.
« Comme nous l’avons vu précédemment, le dernier Tailleur doit se retrouver seul pour finir Nsietchà. Sa solitude est la clé qui lui donnera ce désir de vivre, de revivre son passé. Désir qu’il pourra nous transmettre, débutant ainsi cette fête. »
Ou encore
« Il est nécessaire que les merveilles de notre civilisation l’abandonnent peu à peu. A travers ceux-ci il idéalisera sa tendre jeunesse. De même les personnes l’accompagnant devront s’enfouir dans la pierre avant l’heure. Cette frustration et ce manque seront le déclencheur de ce désir. »
Je n’en peux plus, referme le livre et l’envoi voler dans la pièce. J’entends alors Anne, qui m’appelle. Je n’avais pas fermé la porte, et elle se trouve en son entrée. Elle ne pourra pas aller plus loin. Cette pièce est faite pour les vivants, uniquement.
« Oublie. Oublie tout cela, me lance-t-elle. Nous nous sommes trouvés maintenant. Nous resterons. Toi et moi unis, pour la Fête éternelle.
– Vous vous êtes tous amusé, n’est-ce pas ? je luis réponds, trop faiblement par rapport à la rage qui m’habite. A écrire ma vie, ces malheurs. Et toi, tu étais la pire. Tu cherchais les pires des malheurs. Tu t’amusais de mon désespoir
– Je t’aime. Je t’ai tellement attendu. »
Et après un long silence, elle rend un bras à travers l'ouverture. Celui-ci disparaît dès qu’il franchit le seuil, tandis qu'un frisson la parcourt dans une grimace.
« Va ! Lis ce livre ! C'est ma vie, ma longue attente. Qu'enfin tu puisses venir. »
Je me dirige vers la petite étude qu'elle me semble désigner. Dans le tiroir central, j'y trouve trois journaux manuscrits, d'une écriture ronde.
Mais j’en ai trop entendu, et je referme la porte. Me voilà seul dans mon antre. Celle réservé aux vivants : au seul vivant.
« Ici, je serais tranquille, écrit-elle. Sans Nietschà pour me surveiller. Enfin libre. Libre d’écrire le plan qui a germé dans mon esprit tant d’années auparavant.
Le mythe que l'on raconte aux enfants indique que le Tailleur de l'Arc pourra, d'un baiser, redonner vie à celle qu'il aime. Et petite, comme toutes les filles à cet âge, j'ai rêvé de lui. J'en étais secrètement amoureuse.
Mais tenace et farouche je me suis accroché. J'ai décidé de faire partie de ceux qui dessineront sa vie. »
Je butte sur le “dessineront” qui me rappelle ailleurs, même si je ne trouve à quoi il se rapporte. Je continue la lecture un peu plus loin.
« J'ai tant pleuré quand j'ai compris qu’Il devrait être seul, mon beau Tailleur. Quelle terrible destiné nous Lui construisons, pour qu'alors nous puissions revivre. »
Plus loin encore
« Plus j'avance dans mon plan, plus je Lui prépare des douleurs comme je n'en ai jamais vécues. Mais c'est le prix à payer pour que je puisse Le voir. »
Ou alors
« Je ne pourrais Lui épargner aucune épreuve. Les peintures de Davian, sur l'adieu qu'Il devra faire à ces amis, sont terribles. »
Les peintures ! L'idée se forme dans ma tête, qu'elle parle de celles que j'ai vu aperçues hier soir. Un pressentiment, une sensation m'envahit tandis que je rouvre la pièce, traverse le corps de ma dulcinée sans même ralentir, et me mets à courir en direction de la salle de réception.
Je monte sur la coursive, et recherche les peintures que j'ai entraperçues hier soir. La pièce est plongėe dans la pénombre, le cadre des peintures à peine visible. Nietschà ne veut pas que je les voie.
« Laisse ce n'est pas important, me lance Anne depuis le bas. »
Mais je pose mes deux mains sur le mur et pousse. Je transfère de l'énergie vers le mur qui reprend textures et couleurs un instant. Une seconde poussée et les couleurs se fixent.
Sous mes yeux je découvre toute ma vie, peinte des étages plus bas, des éons plus tôt. L'enterrement de ma mère, le trio que nous formions, la danse entre Luc et Laétitia tandis que je m'éloignais, un trou central avec deux corps qui disparaissent dans le vide.
Mes espoirs, mes peurs, mes échecs, tout y est. J'étouffe devant cette révélation : je suis un pantin entre leurs mains. Je sors sur le balcon. Je referme la porte au nez d'Anne, mais c'est sur ma haine que je lui renvoie qu'elle trébuche.
« Alors, ça y est ! Je lui crie quand elle arrive enfin à sortir. Vous avez votre cher pantin vous êtes content.
– Arrête, tu ne comprends pas. Lis! »
Elle tend le bras vers son journal que je n'ai pas quitté. En me retournant, je lui renvoie à la figure. Elle protège son visage de ses bras, mais le journal passe au travers.
« Mais je n’en veux pas de votre vie. Je suis fatigué de ce que vous me faites vivre, de ce que je devrais être. Ce n'est pas Nietschà que je désire.
– Je le sais. Je t'ai construit, je t'ai aimé. Crois-tu que je ne te comprenne pas. Ta pièce aveugle était là pour ça. Je voulais que tu viennes me voir. Que nous puissions être pourvu l'un à l'autre. Enfin. »
Elle s'approche de moi et continue dans un murmure:
« Je connais Nietschà, comme personne d'autre. J'ai vu son cœur et ses secrets. Il me fallait au moins tout ça, pour toi. Et j'ai découvert des arcs qui ne seront que pour nous, d'autres qui ramèneront ta mère et tes amis. Pour cela il fallait que tu viennes ici. Ce sera toi et moi, pour l'éternité. »
J'en frissonne un instant de la trahison qu'elle propose. L'amour que je ressens pour elle, l'amour que je ressens d'être pourvu se disputent avec la mascarade que j'ai la sensation d'être. Un jouet mécanique entre ses mains.
Mais déjà Nietschà a senti les possibilités qu'Anne veut m'offrir, le blasphème qui avait germé des étages avant mon ère. Une vague de noir intense monte du plus profond des étages. Elle balaie tout. Elle s'accompagne d'une fureur, qui se transforme en un silence le plus glaçant quand elle arrive sur nous.
A sa reprise Anne n'est plus là. A peine a-t-elle eu le temps de m'adresser un sourire teinté de peine avant d'être engloutie. Je ne sais qu'en penser. Elle m'a manipulé. Créé même d'après ses dires. Je l'aime, mais est-ce parce qu'elle m'aime, ou parce qu'elle m'a dessiné l'aimant.
Je n'ai le temps de poursuivre mes pensées, qui bouclent sans fin, qu'il m'interrompe. J'avais remarqué son ombre bien sûr, mais n'ai pas voulu aller plus loin, le regarder. C’était trop d’effort. C'est la première fois que je le vois depuis que j'ai quitté le Dernier Chantier. Je suppose que c'est Nietschà qui l'a appelé, et l'a fait traverser tant d'étages.
« Mon fils, et sa voix grave autoritaire résonne autant dans Nietschà que dans mon corps j'en frissonne de peur. Tu ne dois pas abandonner. Remonte terminer l'Arc.
– Je ne sais pas si je veux.
– Tu le dois c'est ton devoir et ton rôle.
– Anne, …
– Oublie-la, me coupe-t-il. Tu as déjà été pourvu, à Nietschà elle-même. Quel plus beau rôle voudrais-tu? Nietschà, pour l'éternité.
Je ne réponds pas. Et j'entends un faible écho de la devise, reprise par d'autres fantômes dans toute la ville. Comme un mantra. D’autres souvenirs sont apparus dans la maison, sur le balcon, pour témoigner de leur avenir qui se joue, ici. Par curiosité. Par avidité
– Nous attendons tous que tu nous rejoignes, dit-il en faisant apparaître ma mère.
Mais celle-ci reste muette. Il ne l'a pas autorisé à parler. Il n'a jamais fait réapparaitre ni Luc ni Laetitia, de peur de n'arriver à les contraindre.
– Anne, tente-je encore une fois.
– Oublie. Elle n'apparaitra plus. Elle a voulu être contre Nietschà, pour l'éternité.
Une part de moi la pleure. L'autre est trop tendue par la confrontation avec mon père pour y comprendre quoique ce soit.
– Je ne veux pas. Père je n'en peux plus.
– Si je le veux. Je veux vivre. Tu veux vivre, se reprend-il, pour Nietschà, pour l'éternité.
Je sens mon père et Nietschà qui me martèlent le crâne. Elle me retire son énergie et je vacille.
– Tu dois terminer ta maison, notre maison. Tu dois terminer notre ville, ta ville. Commencer la Fête Eternelle. »
Je sens de la fumée qui s’insère dans mon crâne, comme une poussière que l’on ne peut arrêter. Peu à peu mes défenses faiblissent. Nietschà m’a enlevé tout support. Et je me vois bouger près à sortir du balcon. Tandis qu’à l’intérieur de moi la voix de mon père résonne.
« C’est bien, me murmure-t-il. Laisse-toi faire. Si tu n’es pas assez fort, moi j’ai une vraie volonté de vie. La Fête sera sublime pendant l’éternité ! »
Je pousse, je rage. Je cris. Sans m’arrêter. Sans reprendre mon souffle. Et finalement, après cette seconde qui a duré une éternité, j’expulse mon père. Ma colère fait trembler le verre et la pierre noire. Les souvenirs disparaissent, chassés par ma fureur. J’en entends leurs frustrations d’avoir été ainsi balayés.
Je suis seul, accroupis sur le balcon de verre. Je tente de reprendre mes esprits. Mon père m’a dominé, vampirisé. Je n’aurai pas cru qu’un souvenir puisse en être capable. Je le savais fort, puissant déterminé à vivre. Mais pas à ce point.
Le noir est total, absolu. Jamais Niétscha ne m’avait laissé seul à ce point. Perdu. De mes mains je tâte le balcon de verre, tentant de me repérer. Rien n’y fait. Mes mains tombent sur le carnet d’Anne. Je me remets debout. Je dois aller dans la maison. Dans ma pièce dévolue au vivant. Là, la pierre ne pourra me refuser d’éclairer. Je le sais.
Je butte sur un vent glacial, une présence fantomatique, qui manque de me faire tomber. De surprise et de froid, j’en lâche le carnet. Je vais pour me remettre à genoux, le rechercher. D’un coup, Nietschà s’illumine. De mille feux. Les souvenirs emplissent le balcon. La maison. Chaque mur en est recouvert. Je n’arrive plus à voir où je suis. De partout des fantômes, qui m’entourent. Je n’ose me relever.
D’un cri, inarticulé, sortit des profondeurs du puits, il se jettent tous sur moi. Mon père à leur tête. Ils arrachent des pans de ma vie, tandis que leurs doigts s’accrochent à ma peau. Ils sucent ma volonté, insérant leurs dents de glace dans ma chair, et dans mon âme. A chaque fois, je revois ces moments qu’ils me volent, je les revis. Les cris des joies comme les pleurs. Je me débats. Je joue des pieds et des mains, qui ne rencontrent que du vide, froid.
Ils veulent me prendre ma vie, ma volonté, pour me contrôler. Ils pourront alors terminer Nsiétchà. Et moi je serai condamné à revivre ces moments qu’ils me volent. Ce passé qui me déchire.
Je me remets debout, et tourne dans tous les sens. Je veux trouver la sortie. Là, un espacement. Je me rapproche, et vois un trou dans la meute de mes attaquants. Mes mains atterrissent sur la balustrade.
Je sais ce que je fais. Je n’ai pas à réfléchir. Leurs morsures me font trop mal. Trop de vieux souvenirs que je ne suis pas capable de vivre une seconde fois. J’enjambe la balustrade. Au moment où mes deux pieds sont dessus. Les souvenirs s’arrêtent. Nietschà s’allume, et me redonne de la chaleur.
Chaque fantôme retient son souffle. Je vois mon père, que Nietschà fait disparaitre, à la grande incrédulité de celui-ci. La maison se pare se couleurs. Des reflets s’effacent pour me laisser un passage vers la grande salle de la maison. Au-dessus de la porte en lettre dore, miroite de couleurs la devise de notre ville : « Nietschà, pour l’éternité ! »
Nietschà est prête à tout pour me séduire. Je saute. Avec une pointe de regrets.
Et là, maintenant, j’attends la fin du Puits, le début de la ville. Je sais qu’il arrivera indubitablement. Je me demande combien de temps ma chute durera. Elle a déjà duré longtemps.
J’ai reçu le carnet d’Anne. Comment a-t-elle pu le soulever ? me l’envoyer ? Un fantôme ne peut soulever un objet réel. Je n’ose imaginer ce qu’il lui en a couté.
J’ai relu un passage.
« Oh ! Comme il va souffrir le Dernier Tailleur. C’est obligé. Pour Nietschà. Pour nous. Pour eux surtout. Mais moi, je l’aime. Et je vais lui trouver une sortie. Un endroit où se réfugier. Qu’il puisse toujours penser que quelque chose de bien puisse venir. Ainsi avant la fin, il descendra le long du Puits. Il me verra, me réveillera, me donnera vie. Par un baiser, comme dans les contes. Je lui apprendrais alors les arcs interdits. Ceux qui le feront vivre. Ceux qui me feront revivre, moi, ses amis, sa mère. Je lui montrerais les arcs qui nous donneront des enfants. Nous vivrons ainsi entre nous, autant de temps que nous le souhaitons. Pour l’éternité, et même plus. Lui et moi. »
J’ai ri et pleuré devant les écris de cette jeune femme. De mon amante, quand elle était jeune. J’ai ri devant sa peur de la mort. Et mon rire à fait écho, à l’autre cri, celui qui me pourchasse à travers ma chute.
A chaque nouvel étage, celui-ci s’embrase. Tous les souvenirs se précipitent vers le Puits. Certains sautent, espérant me rattraper. Leur ectoplasme s’efface un mètre après la pierre. Nietschà me donne de l’énergie, de la puissance, pour que je vive, que je m’accroche. Mais je ne m’en sers pas. Je me laisse tomber, impassible, attendant la fin de ma chute : l’étage le plus bas.
Alors les fantômes crient, leurs rages, leurs désespoirs. Cette Fête qui passe entre leurs doigts. Cette éternité qu’ils ne peuvent étreindre. Un cri qui m’accompagne d’étage en étage, jusqu’à la fin, jusqu'au premier étage, jusqu’à l’éternité :
Nietschà, pour l’éternité !
Bravo pour la construction de cette magnifique cité ! Niétscha aurait pu être le coeur d'une histoire plus longue, tu nous as laissé entrevoir une belle richesse. Peut-être y reviendras-tu un de ces jours...
Le style est un régal dans ce dernier chapitre, c'est poétique et mystérieux, ça instaure une ambiance très particulière que j'ai du mal à décrire mais qui fait clairement voyager.
Ce dernier chapitre est un peu plus tourné vers le narrateur, on parle de ses amis, de son père, de l'amour avec Anne. Ca le rend plus attachant et donne du poids à la chute finale (dans les deux sens de chute xD).
Le "Niétscha pour l'éternité" va me rester dans la tête cet après-midi je pense ahah C'était très bien trouvé.
Quelques remarques :
"Je suis surpris comment mon estomac est encore actif." phrase tournée un peu étrangement
"les sept fois sept fois." il me semble que l'expression c'est 77x 7x
"En dessous du plan son nom" virgule après plan ?
Bien sûr que je l'ai aimé." -> aimée
"Les plus récent livre - à cet étage- sont signé" -> récents livres signés
"mon père n'arrivait pas à rester visibles" -> visible
"la lumière à presque disparue" -> a disparu
"Un lieu où les trop nombreux mort" -> morts
"referme le livre et l’envoi" -> l'envoie
"Quelle terrible destiné" -> destinée
"Crois-tu que je ne te comprenne pas." point d'interrogation ?
"Par avidité avidité. Nietschà est prête à tout pour me séduire. Je saute. Avec une pointe de regrets." très joli !
"Cette éternité qu’ils ne peuvent étreindre. Un cri qui m’accompagne d’étage en étage, jusqu’à la fin, jusqu'au premier étage, jusqu’à l’éternité :
Nietschà, pour l’éternité !" La chute est excellente !
Ce fut un plaisir à lire,
A bientôt !
Les petites coquilles :
C’est la faim qui me réveille. Un trou qui ronge chaque jour mon estomac. Je suis surpris comment mon estomac est encore actif. : plutôt « surpris de voir que »
Cela fait des mois, bien avant le début de la descente que je n’ai pas mangé de la vraie nourriture. : virgule après « descente »
Mais mon estomac, lui se réveille chaque matin, : virgule après « lui »
Je considère qu’à mon horloge biologique c’est un nouveau jour : plutôt « je considère que pour mon »
Cela me donne l’impression, que ma vie même a été copiée. : pas de virgule après « impression »
Quand j’ouvre la porte, j’y voie la fidélité, au moindre changement que j’ai opéré. : j’y voiS
Et derrière le plan s'est ouvert, sur la page de ma chambre et de la pièce cachée, celle qui était inaccessible aux souvenirs. : italique à « souvenirs » ?
Les plus récent livre - à cet étage- sont signé de ma dulcinée. : livreS ; sont signéS
Pas que les cris strident et inarticulé des spectres me dérangent. : stridentS et inarticuléS
Les vagues d'émotions brutes, de sensation, de déséquilibre : « s » à « sensation » et virgule après « déséquilibre »
Je suis surpris, même mon père n'arrivait pas à rester visibles lors de ces crises. : pas de « S » à crises
Je traverse le corps fantomatique de ma bien aimé : bien-aimée
Un lieu où les trop nombreux mort qui entouraient nos vies ne pouvaient venir. : « s » à « mort »
– Vous vous êtes tous amusé, n’est-ce pas ? je luis réponds, trop faiblement par rapport à la rage qui m’habite. : je lui réponds
Et après un long silence, elle rend un bras à travers l'ouverture : elle tend
L'idée se forme dans ma tête, qu'elle parle de celles que j'ai vu aperçues hier soir. : plutôt « […] ma tête. Elle parle de […] »
Je monte sur la coursive, et recherche les peintures que j'ai entraperçues hier soir : répétition aperçues/entraperçues
Nietschà ne veut pas que je les voie : je voiS
Je transfère de l'énergie vers le mur qui reprend textures et couleurs un instant. : DURANT un instant ?
Vous avez votre cher pantin vous êtes content. : virgule après « pantin » et « s » à « content »
Que nous puissions être pourvu : pourvuS
Je n'ai le temps de poursuivre mes pensées, qui bouclent sans fin, qu'il m'interrompe ; qu’il m’interrompt
Tu le dois c'est ton devoir et ton rôle. : point ou virgule après « dois »
D’un cri, inarticulé, sortit des profondeurs du puits, il se jettent tous sur moi. : pas de « t » à « sortit »
Comment a-t-elle pu le soulever ? me l’envoyer ? Un fantôme ne peut soulever un objet réel. : majuscule à « me »
J’aime bien les révélations sur Anne, et le fait qu’elle doit faire souffrir le héros. Mais c’est justement là ma question : ces souffrances on ne les a pas assez entrevues pour s’en rendre compte et les comprendre. Peut-être faudrait-il étoffer davantage le texte concernant ce point ?
En revanche, chapeau en ce qui concerne les derniers paragraphes. Là, on sent bien la souffrance du personnage et ce que lui font subir les souvenirs ! J’espère que sa chute va lui permettre de rejoindre Anne…
Je corrige cela rapidement.
J'ai été bluffée!
Ce texte est impressionnant. Les deux premiers chapitres semblent se lire au départ comme une histoire de science-fiction riche et foisonnante, intrigante, on se pose plein de questions sur cet univers étrange où les souvenirs et les morts surgissent et aspirent tous à la vie, on fait plein d'hypothèses.
Et à partir du troisième et dernier chapitre, je trouve qu'on bascule en plus dans un degré plus profond encore, avec une métaphore très belle et puissante.
La confrontation avec le père est terrifiante, et magnifiquement écrite.
J'ai trouvé ces deux passages vraiment sublimes (je les cite en entier du coup):
"Je pousse, je rage. Je cris. Sans m’arrêter. Sans reprendre mon souffle. Et finalement, après cette seconde qui a duré une éternité, j’expulse mon père. Ma colère fait trembler le verre et la pierre noire. Les souvenirs disparaissent, chassés par ma fureur. J’en entends leurs frustrations d’avoir été ainsi balayés.
Je suis seul, accroupis sur le balcon de verre. Je tente de reprendre mes esprits. Mon père m’a dominé, vampirisé. Je n’aurai pas cru qu’un souvenir puisse en être capable. Je le savais fort, puissant déterminé à vivre. Mais pas à ce point.
Le noir est total, absolu. Jamais Niétscha ne m’avait laissé seul à ce point. Perdu. De mes mains je tâte le balcon de verre, tentant de me repérer. Rien n’y fait. Mes mains tombent sur le carnet d’Anne. Je me remets debout. Je dois aller dans la maison. Dans ma pièce dévolue au vivant."
et celui-ci aussi
"Ils veulent me prendre ma vie, ma volonté, pour me contrôler. Ils pourront alors terminer Nsiétchà. Et moi je serai condamné à revivre ces moments qu’ils me volent. Ce passé qui me déchire."
C'est terrible et très fort, j'ai eu peur que ça se termine très mal pour ton pauvre narrateur!
Heureusement, le passage sur ce que son amoureuse lui a écrit est merveilleux.
"Oh ! Comme il va souffrir le Dernier Tailleur. C’est obligé. Pour Nietschà. Pour nous. Pour eux surtout. Mais moi, je l’aime. Et je vais lui trouver une sortie. Un endroit où se réfugier. Qu’il puisse toujours penser que quelque chose de bien puisse venir. Ainsi avant la fin, il descendra le long du Puits. Il me verra, me réveillera, me donnera vie. Par un baiser, comme dans les contes. Je lui apprendrais alors les arcs interdits. Ceux qui le feront vivre. Ceux qui me feront revivre, moi, ses amis, sa mère. Je lui montrerais les arcs qui nous donneront des enfants. "
En un mot, bravo pour cette histoire étonnante, créative, émouvante, et empreinte de symboles!
Merci encore.
Attention, dans ce chapitre comme le précédant, il y a des typos, des mots manquants parfois... Surtout au début (à moins que je me sois simplement trop laissée prendre dans ma lecture au fur et à mesure pour les voir encore - tout à fait possible!)
J'ai beaucoup aimé toute la scène de la chute, notamment la phrase : "Et mon rire à fait écho, à l’autre cri, celui qui me pourchasse à travers ma chute." Très beau. L'image des étages qui s'illuminent au fur et à mesure et des souvenirs/fantômes qui tentent de retenir le narrateur en train de tomber est aussi très frappante !
(euh je vais rajouter le mots 'FIN', et peut-être le préciser dans l'intro). et était penser au départ comme une sorte de nouvelle. (j'avais commencé à l'imaginer pour répondre à une publication sur le thème de l'éternité - mais je n'avais pas eu le temps de l'écrire.
'typos, mots manquants' => mince je pensais m'être bien relus. Je me relis cette semaine et corrige les chapitres.
Merci pour tes commentaires, et ta relecture bienveillante.
Je ne sais pas si rajouter le mot fin serait utile, le final en reprenant "Nietschà, pour l’éternité !" fonctionne très bien aussi. Par contre l'histoire est encore marquée "en cours d'écriture", c'est pour ça que j'ai eu un doute.
Comme je le disais, je trouve que ça fonctionne très bien sous ce format. Merci pour la lecture !