Prologue

Prologue

 

Pour la première fois de ma vie, je suis en colère ! Jusqu’à présent, je n’ai jamais été l’ado rebelle et insolente. Je remplis le contrat passé avec mes parents. Je travaille dur à l’école pour avoir de bons résultats et en échange, je peux participer à tous les cours de danse que je veux. Bien sûr, j’avais le fol espoir d’être acceptée dans le corps de ballet de l’école des petits rats de l’opéra grâce à la section sport études qu’ils proposent. J’ai passé les auditions. Oui, j’ai été déçue lorsque j’ai eu mon affectation pour le lycée du coin, mais aujourd’hui, il n’y a plus de déception, juste de l’incompréhension ! Je veux des réponses et je ne vais pas les attendre bien longtemps.

La porte claque fort derrière moi. Quelques photos encadrées menacent de tomber. Au loin, j’entends maman râler. Je me dirige directement dans le salon. À cette heure, elle a les yeux rivés sur son feuilleton. Sans même lui dire quoi que ce soit, j’attrape la télécommande et coupe la télévision.

— Charlotte, qu’est-ce qui te prend ? Rallume immédiatement !

— Pourquoi ?

— Je sais que tu ne t’intéresses pas à ça, mais moi, j’aime bien ! En plus Victor et Jack sont en pleine dispute …

J’ai du mal à me calmer et à mettre mes mots en bon ordre.

— Pourquoi as-tu refusé que j’intègre la section sport étude du ballet ?

— Mais tu es folle ou quoi ? Je n’ai rien refusé, tu as échoué à ton audition… C’est aussi simple que ça !

— C’est là que tu te trompes, j’ai réussi avec mention honorable du jury ! Alors, tu ne dis plus rien ?

Je m’apprête à monter dans ma chambre, mais je m’arrête un court instant. Je retire alors les piles de la télécommande et jette le tout dans l’aquarium qui est juste à côté de moi. Désolée les bestioles, je ne pense pas à votre bien-être, là, tout de suite, je ne veux rien d’autre que l’embêter. À pas lourds, je gravis la volée de marches jusqu’à ma chambre. Je croise ma sœur que les cris de ma mère ont fait sortir de sa tanière. D’un coup d’épaule, je la bouscule et rentre dans ma chambre et la verrouille. Maintenant que je suis seule, je peux enfin me laisser aller et pleurer. Adossée à la porte, je laisse tout couler… toutes mes frustrations, mes colères, mes incompréhensions.

Je m’endors d’épuisement à même le sol. Par la fenêtre ouverte, un vent frais souffle et fait danser les rideaux. La nuit d’été est douce et calme. Si seulement, je pouvais moi aussi ressentir cette paix. J’allume mon ordinateur, me connecte à ma boîte mail et imprime les documents que Madame Suzanne m’a envoyé. Je m’installe à mon bureau et je les remplis et, sans aucune hésitation, j’imite les signatures de mes parents. Personne n’a le droit de briser mon rêve. Personne ! Je vais dans la salle de bain commune à nos chambres et verrouille la porte de Lola de l’intérieur. Si elle m’entend, elle va vouloir venir me parler, me raisonner, mais je ne veux pas la voir. Une fois que toute cette histoire sera réglée oui, je pourrais lui parler, mais pas maintenant. Demain, maman l’accompagne pour une virée shopping, je serai tranquille toute la journée pour exécuter mon plan. L’eau chaude de la douche apaise mes muscles douloureux. Je me sèche et enfile un vieux tee-shirt de papa. Je me brosse les dents rapidement et me natte les cheveux. Lola cogne à la porte et me demande de lui ouvrir, mais je ne lui réponds pas. Elle va peut-être finir par comprendre que je ne souhaite pas lui parler. Ni à elle ni à personne ! Je laisse le verrou sur sa porte et retourne dans la mienne. J’allume ma chaine Hi-Fi et y branche mon casque. Ce soir, j’ai besoin de réconfort et tant que papa est en déplacement, je ne le trouverais qu’avec Casse-Noisette. Tandis que la musique remplit mon esprit. Je me repasse en mémoire la soirée où j’ai eu la chance d’assister à ce ballet. Devant mon air admiratif, papa m’a promis, dans quelque temps, je serais moi aussi sur ce parquet et j’y crois. Je ferai tout pour qu’il soit fier de moi. Nos sacrifices ne seront pas vains. 

Je me réveille en sursaut lorsqu’un coup rageur percute la porte de ma chambre. Lola râle tellement que le voisin d’en face l’entend certainement !

 — Charlotte, tu es vraiment une sale garce égoïste. Par ta faute, j’ai dû utiliser la salle de bain de maman et en plus je n’ai pas pu me maquiller ! Non, mais, tu te rends compte !

Mais qu’est-ce qu’elle peut raconter comme âneries, elle est tellement belle qu’elle n’a absolument pas besoin de maquillage !   Bref, dans peu de temps, elles vont partir. Il est presque dix heures, j’attrape mon téléphone et fébrilement appelle Madame Suzanne. J’espère qu’elle sera chez elle comme ça, je pourrais lui donner les documents. Lorsqu’elle me donne son adresse, j’ai un léger moment de doute. Le métro ne va pas jusque là-bas ! Ce n’est pas grave, j’irai à vélo. Ça me fera faire un peu d’exercice. Par la fenêtre, je vois maman attendre Lola dans la voiture. Je détourne le regard. J’attends encore un court instant puis, le plus silencieusement possible, déverrouille ma porte et descends lentement l’escalier. J’ai tellement faim ! Lola est dans l’entrée, face au miroir. Je reste cachée. Elle parle au téléphone :

— … je te dis qu’elle prépare un mauvais coup, non, tu la suis et tu l’empêches de… Le plan A n’a pas marché alors tu lances le plan B… Quoi, comment ça ? Mais alors, ça veut dire que tu ne m’aimes pas ! Vallteri… Vallteri, je ne demande qu’à te croire mon chéri, je t’assure que je n’en peux plus. Une fois que je serai libérée d’elle, je serai entièrement disponible pour toi….

Mais qu’est-ce qu’elle fabrique ? Le temps que je reprenne mes esprits, la porte claque et la voiture démarre. Je m’en occuperai plus tard, en tous cas, je plains la pauvre fille qui l’emmerde parce qu’elle a la rancune tenace !  Sans plus attendre, je me fais un énorme bol de céréales que j’engloutis en quelques secondes. Je remonte en vitesse dans ma chambre, m’habille en vitesse avec un short et un tee-shirt rouge. Je noue mes converses. Il ne me reste plus qu’à prendre une casquette et un sac à dos. Surtout ne pas oublier les documents, une bouteille d’eau, des compotes, ma carte d’identité. De ma tirelire, je retire cent euros au cas où.

J’aime la sensation du vent sur mon visage. Je pédale aussi vite que possible tout en étant très attentive aux piétons et aux voitures que je croise. Lorsque je suis stressée, je fredonne une berceuse en caressant ma médaille. Comme mes mains sont occupées, je la tiens serrée entre mes lèvres. Elle me donne la force. Peu à peu, je m’éloigne des grands axes routiers. C’est dingue, ici, on se croirait presque en pleine campagne alors que les grands boulevards ne sont qu’à quelques pas ! Il me reste environ cinq kilomètres à parcourir et ce vent de face ne m’aide pas. Encore un petit effort, et je serai bientôt arrivée à bon port. Il est temps, je commence à fatiguer et vraiment, je ne suis pas rassurée. Certains conducteurs sont très dangereux. Une voiture derrière moi klaxonne longtemps, je ne comprends pas ce qu’il veut. Je tourne la tête et là, tout ce que je vois, ce sont deux phares qui s’avancent si vite vers moi que je ne peux plus rien faire.

Je ne suis plus que douleur et froid. Peu à peu, je sombre dans les ténèbres.

— C’est fait bébé, je te jure… La danse, c’est fini pour elle !

 

 

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