Prologue

Notes de l’auteur : Bonjour,
petites questions pour toi lecteur, si le cœur t'en dit !
Quelle a été ta première impression, ton sentiment général ?
Qu'imagines-tu pour la suite ?
Peux-tu résumer le roman seulement après avoir lu le prologue ?

Merci

— Il y aurait-il un matin sans pleurs ? murmura un jeune homme de sa voix grave et épuisée.  

Se tenant à l’entrée d’un cimetière fleuri, il fixait inlassablement la scène qui hantait ses jours.  

Sa mine blanchâtre et éreintée par des nuits sans sommeil lui donnait un aspect de croque-mort. Son tablier de meunier et la couleur pastel de sa chemise adoucissaient son teint maladif. Il se tenait sur la colonne du sanctuaire, l’âme en peine, la gorge serrée, le cœur compressé.  

Les boucles châtaines de Florentin chahutées par la brise printanière, s’entortillèrent comme une queue autour de la ganse de son tablier. Elles seules rendaient grâce à son ancienne beauté. Celle que les mois piétinaient depuis l’enterrement de son père.  

Quel jour ! Il pleuvait à torrent. L’eau s’introduisait partout. Les habits de chacun ressemblaient à des serpillières raclant le sol boueux dans lequel les chaussures cirées s’enfonçaient. Sa mère s’était évanoui plus d’une dizaine de fois pendant la cérémonie. Florentin se souvint combien le monde avait pleuré. Le tonnerre s’était invité entre les cris et les murmures. Et c'était rajouté à cela, la musique lancinante d'un violon. Le joueur, un vieil ami de son père, avait achevé les cœurs. La mélopée avait éventré les âmes encore intactes. Quelle douleur, sous les vagues invisibles des cordes frottées. Florentin l'entendait parfois, lorsque les insomnies se déclaraient et qu'il errait sans but dans le jardin, près du verger. Il y cherchait une silhouette qui aurait accompagné le souvenir de cette mélodie écrasante et poignante.

Je t’aime et je te hais, père, songea-t-il l’œil humide. Je t’aime pour ce bonheur inconditionnel dont tu as baigné mon enfance, je te hais de nous avoir quittés sans prévenir, si vite, comme si la foudre avait éteint ton cœur.  

L’air apporta le parfum des mimosas en fleur ainsi que celui des azalées fraîchement coupées et joliment disposés dans les vases trônant sur les tombeaux.  

Le jeune homme s’épancha sur les pétales d’une rose pâle, qui se suspendait aux grilles du sanctuaire silencieux. Il en caressa la douceur et esquissa un sourire – cela ressemblait plus à une grimace d’ailleurs.  

— Est-ce que les sanglots cesseront bientôt ou bien mère, finira-t-elle par se changer en statue de sel à force de pleurer ? demanda-t-il à la rose.  

Florentin posait cette question, à lui-même et à toute chose, depuis plus de dix-huit mois. Et à chaque fois qu’il quittait la maison familiale et qu’il passait devant le portail du cimetière, il observait sa mère, toujours vêtue de ce bleu de deuil. La réponse ne semblait pas vouloir changer.  

La femme, installée sur une chaise qu’elle emportait avec elle chaque matin, se tenait en face de son tendre amour, et brodait les dentelles qui viendraient orner les belles robes de mariée qu’elle confectionnait depuis vingt ans. Hélène parlait à son époux, comme s’il fut face à elle, comme s’il lui répondait, puis la réalité émergeait à nouveau et les larmes coulaient, perdues dans un vaste désespoir.  

Florentin contemplait sa mère, rieuse un instant, bouleversée le suivant, sans pouvoir l’extirper de cet état.  

Du haut de ses vingt-sept ans, il peinait à croire qu’un autre homme, aussi brave et bon, que son père existait sur terre. Alors le faire imaginer à sa mère était peine perdue. Toutefois, la douleur de celle-ci demeurait si terrible à regarder, à écouter, que parfois son fils suppliait l’univers de lui envoyer la providence. Ne serait-ce qu’une amie, quelqu’un pour comprendre sa douleur et l’apaiser.  

Hélène perdait le sens commun. Elle confondait le jour et la nuit, préparait le dîner à la place du petit-déjeuner. Il arrivait, certains jours, qu’elle ne quitte pas son lit… laissant Florentin démuni, inquiet.  

Une vieille dame posa une main ridée sur le bras du jeune homme. Ses yeux, d’un bleu effacé, se voulaient rassurant. Pourtant, Florentin gardait des réserves.  

— Tu devrais partir au travail mon garçon. Ta mère restera ici jusqu’à ce que tu rentres.  

Un silence de quelques minutes suivit les paroles de la vieille femme.  

Chacun d’eux demeurait incertain.  

— Hier, en la ramenant à la maison, j’ai vu une entaille à son poignet. Pas profonde, mais, elle était là.  

— Va, je garderais un œil sur elle. De toute façon, cela fait un mois qu’elle ne quitte le cimetière que lorsqu’elle sent ta présence derrière elle.  

— Merci.  

— Je t’en prie. Va. Lorius n’aime pas que tu arrives en retard. Ce vieux chnoque a perdu sa sympathie depuis bien des années. Ne va pas te faire virer. Ce n’est pas le moment. Cela devient de plus en plus compliqué de trouver un emploi dans notre ville. Clair-de-Lune se modernise et les ruraux viennent en nombre. Le monde se veut ancien, mais il en sait trop sur tout. Il fait semblant et demain, les explosions et les rivalités renaîtront.  

— J’y prendrais garde, mais il me reste encore du temps.  

— Alors ne le perds pas à regarder ce triste spectacle. Ta mère souffre, je le conçois, mais elle déplorerait ton apitoiement, si elle en avait encore conscience. Allez mon garçon, je te laisse.

— Bonne journée, Madame Louise.  

Florentin regarda la femme partir. Le châle qu’elle retenait de ses mains ridées voleta autour d’elle. Le jeune homme s’en détourna, jeta un dernier regard vers sa mère, concentrée sur son ouvrage, et partit à son tour vers la rue commerçante un peu plus loin.  

Dans la foule, il s’appliqua à rester optimiste, pourtant quelque chose de malfaisant parut souffler entre les corps des inconnus qu’il croisait. Il leva alors les yeux vers l’éther et remarqua que des nuages sombres s’amoncelaient dans le ciel azur. Un orage approchait et il s’annonçait terrible. Déjà, les branches des arbres dansaient et les murs des maisons tremblaient.   

Dans cette région, les orages ne présageaient rien de bon en général. Florent avait l’impression qu’une ombre s’installait dans son inconscient. Cette seule pensée lui glaça les sens et lui donna la chair de poule.  

Florentin, ralenti par ses sombres pensées, soupirait quand une personne le percuta. Emporté par la violence de l’impact, il tituba, tenta de se rattraper, bascula en avant et chut sur le bitume humide.  

Un jeune homme, aux regards d’un vert étourdissant, redressa la tête et se confondit en mille excuses.  

— Vous ai-je fait mal ? demanda le garçon, aux joues pleines.  

À mieux le voir, on aurait dit un adolescent, néanmoins l’assurance dans sa voix grave et la façon dont il proposait sa main tendue, lui donnait quelques années en plus. Il ne devait pas avoir plus d’une vingtaine d’années.

— Je vais bien. C’est moi. Je ne regardai pas où j’allais.  

Florentin accepta l’aide et se redressa, sentant la fragilité du poignet de son vis-à-vis. Ce blondinet, devant lui, était taillé dans une longue tige de chair, mais il restait d’une hauteur correcte ; ni trop grand ni trop petit. Ses cheveux courts étaient presque tous rassemblés sur le côté gauche de son front et les ondulations légères lui donnait un air des portraits du siècle dernier. Il ne suivait pas le mouvement de la mode qui prônait que les hommes devaient porter les cheveux longs et que les femmes étaient plus belles en dévoilant leur nuque.  

Le remerciant et s’excusant à son tour, le menuisier s’apprêta à reprendre son chemin, quand le jeune homme demanda sur un ton preste :  

— Pardonnez-moi, sauriez-vous où je peux trouver la boutique « Yves, Fleuriste de père en fille ». On dit qu’ils possèdent des rosiers bleus.  

— Des rosiers bleus ?  

Florentin laissa échapper un rire. Des rosiers bleus, mais quelle idée, pensa-t-il. Il reprit tout de même son sérieux quand il constata qu’une lueur de désespoir brillait dans les yeux tourmaline de l’inconnu.  

— Il est à l’angle de la rue en face du cimetière. Mais, sachez qu’il ne s’agit pas de vrai rosier bleu. Chaque jour, je vois la vendeuse arroser ces petits arbustes avec une eau bleuâtre.  

Florentin aurait pu couper court à l'échange en indiquant le lieu et puis partir. Cependant, la sincérité qui s'étalait sur le visage du blond le rendit plus serviable. L’innocence de ce garçon et sa capacité, à croire en cette fable idiote confirmèrent ses suppositions. Il cherchait un véritable rosier bleu.  

— Vraiment ? Ce seraient donc des roses blanches…  

— Peintes en bleues. Oui, c’est cela.  

L’expression du blond se figea dans une moue sévère et fermée. Pensait-il réellement qu’une telle fleur existait ? Avait-il lu trop de contes de fées ?  

— Si une telle rose existait le monde se l’arracherait. Ne croyez-vous pas ?  

Florentin recula prêt à le saluer et à reprendre sa route. Serait-il à l’heure au travail ? Il zieuta le cadran de sa montre : quinze minutes, il avait encore un peu de marge. Cependant le jeune homme blond répondit à sa question rhétorique

— Le monde perd ses croyances. Les gens préfèrent la froideur du béton à la beauté d’un sous-bois chargé de mystères, ils ne savent plus vivre comme dans le temps, ils n’écoutent plus le chant de la nature avant de se vêtir le matin.  

Sa voix, empreinte de détresse, peina Florentin.  

Comme ce garçon est triste, se dit-il. Quelle est cette inquiétude qui ronge ses beaux yeux verts ? Devant tant de souffrance, Il ne put s’empêcher de répondre :  

— Cette époque, dont vous parlez, est résolue. C'était un beau rêve qu'on fait nos aïeuls après l'explosion du soleil artificiel, mais il n’y a, autour de nous, que du tape-à-l’oeil et la certitude de pouvoir coupler technologie et tradition... Je vous comprends et je suis navré de mon offense. Honnêtement, j’ignore si un tel rosier existe. Peut-être est-ce davantage une légende ?

Le garçon secoua la tête lentement.  

— J’ai vu des roses bleues taillées dans des saphirs, peint sur des fresques plus vraies que nature. J’avoue que j’ai pris plus d’une rose blanche pour une véritable rose à vœux. Je ne sais pas pourquoi, je cours idiotement après cette légende. Pourquoi suis-je en pleine ville, alors que les livres parlent d’un lieu encore vierge, encore empreint d’une beauté sauvage ?  

Les yeux larmoyants, l’inconnu continua de se confier. Incapable de l’interrompre, Florentin se contenta de poser une main réconfortante sur son épaule tout en lorgnant une nouvelle sur son cadran. Encore dix minutes.

— Si vous y croyez, partez vers ce lieu. Ici, à Clair-de-Lune, j’ai bien peur que vous ne tombiez que sur des roses contrefaites.  

— Vous avez raison. Je ne trouverai rien ici. Peut-être ai-je cherché la facilité, tout ce temps ? Le temps… Il m’en manque. Il passe trop vite. J’aimerais trouver l’horloge qui le fera s’arrêter. Ainsi, j’aurais le temps… Merci à vous et vos sages paroles.  

Les deux jeunes gens se sourirent, puis le blond partit. Florentin l’observa s’échapper de la foule et prendre le trottoir d’en face.  

— Quel étrange garçon, chuchota-t-il.  

Le menuisier soupira et en reprenant son chemin, il trébucha sur un carnet échoué sur le sol. Il le ramassa, lu le prénom qui ornait la couverture : Rilieu. Curieux, il l’ouvrit. Une photographie glissa dans sa main. Il la rattrapa et avisa les deux personnes bras-dessus, bras-dessous dans des accoutrements de clown. Il reconnut le blond et analysa une fillette, toute semblable à lui. Quand il releva la tête, prêt à courir derrière Rilieu, Florentin rencontra le vide. Le jeune homme avait disparu, comme envolé.  

Mince, trop tard.  

Il replaça la photo entre les pages et glissa le carnet précieusement dans la poche de son tablier. Reprenant la route d’un pas plus vif, il songea à la peur et à l’angoisse lu dans le regard du jeune homme. 

Florentin s’inquiéta pour Rilieu et oublia sa propre souffrance, le temps d’un instant. Mais comme le reste, elle revint. Tenace. Infatigable. Alors que lui s’évertuait chaque jour à l’achever. Encore un coup d'œil à sa montre. Huit minutes.

Alors qu’il était à deux pas de la porte de la menuiserie, la course effrénée d’une femme l’obligea à s’écarter. Décidément, c’était le jour ! songea-t-il.  

Les cheveux traînant négligemment derrière son dos, elle courrait si vite, qu’un rouleau de papier tomba de son sac et roula jusqu’aux pieds du menuisier.

Florentin le ramassa, héla la femme, mais celle-ci l’ignora. Puis comprenant qu’elle avait perdu un de ses plans, elle stoppa sa course, fit volte-face et revint vers lui. Un voleur n’aurait pas été plus rapide !   

Le rouleau rendu, elle le remercia à peine et fila tel un courant d’air hiémal. Pourquoi était-elle si pressée ? Elle avait une urgence ?

Florentin arqua un sourcil et secoua la tête. Voilà que les gens n’avaient plus le temps de ce sourire. Elle ne l’avait remercié que lorsqu’elle avait eu le dos tourné et il avait à peine eu le temps de voir le brun saisissant de ses yeux et les quelques taches de sons qui ornaient son visage hâlé.  

— Sois content que Clothilde t’ait remercié, intervint la voix du boucher. Cette femme ne prend même pas le temps de respirer. Toujours en train de courir pour un peu de reconnaissance. Elle court tellement qu’elle ne voit plus rien.  

— Bonjour, Roger. Ce n’est pas ce qui manque des gens avec des œillères, dit-il la main sur la poignée.  

— Ah ! En voilà une qui a perdu ses yeux à vouloir trop courir après la réussite. J’espère qu’elle saura s’arrêter avant de passer à côté de sa vie. Clothilde était si mignonne quand elle était petite, mais toujours en manque d’attention. Bon, je fais encore ma commère. Passe une bonne journée, mon petit Florentin. Embrasse ta mère de ma part. En espérant qu’elle aille mieux.  

— Que l’univers entende tes paroles.  

—  Ah ! ça ne s’arrange pas ?  

Le beau Roger afficha une mine compatissante. Son expression parlait d’elle-même. Que dire d’une femme qui avait perdu la raison à cause de la mort de son bien-aimé mari ?  

Florentin sans répondre accepta avec un petit sourire.  

— Courage, mon garçon.  

Le boucher retourna à sa vitrine, et le jeune menuisier passa enfin la porte de la boutique dans laquelle il travaillait depuis trois ans. L’odeur consolatrice du bois et du vernis enveloppa son être. Il les huma en fermant les yeux, puis expira. Le bois lui avait toujours procuré un réconfort troublant et encore aujourd’hui, malgré les moments difficiles, le travailler, effaçait pour quelques heures ses préoccupations. Il façonnait ainsi, jouets, meubles et sculptures à la demande.  

Florentin jeta un regard à l'horloge en face de lui. Il était en avance de quatre minutes.

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Cams
Posté le 05/05/2021
Hello NM Lysias! C'est avec grand enthousiasme et plaisir que je découvre ton prologue.

Ma première impression: "C'est trop bien écrit, c'est hyper poétique". Je suis quelqu'un qui adore les belles tournures de phrases et les mots soigneusement choisis, alors j'ai été bien servie en lisant ton chapitre. Je trouve que c'est très captivant dès le début. On imagine bien la douleur de Florentin au cimetière. On découvre un monde qu'on croit au début "réel", puis on s'apperçoit qu'il est quand même un peu différent du nôtre sans vraiment savoir comment. Clothilde passe en coup de vent (littéralement) dans ce chapitre, alors que j'ai compris qu'elle serait un personnages principal. Je suis hyper curieuse du monde que tu vas nous présenter et de ce qu'il va arriver à Clothilde!

Pour la suite, bah, franchement je ne sais pas trop haha. De ce qu'a dit Rilieu, je m'imagine que la nature et le respect du monde sera présent. Mais tout n'est que mistère pour le moment ;)

Hâte de lire la suite!
NM Lysias
Posté le 06/05/2021
Wahoo ! Ravie de lire ce charmant message. J'espère ne surtout pas te décevoir pour le chapitre de ce soir. En souhaitant que Clothilde puise jouer avec tes émotions.
Tu as raison, ce monde est différent du notre, pourtant il y a beaucoup de similitude et oui, c'est une onde à la nature.

Merci.
Hâte de te revoir.
Vous lisez