Prologue.
Au plus profond de la terre, au plus noir du néant, le monde sembla s'ébranler.
C'était comme un grondement qui montait, qui allait et venait, brisant l'assourdissant silence. Cela avait commencé avec seulement quelques vibrations, comme si cela venait de ses oreilles. Parfois elles se mettaient à bourdonner sans raison, peut-être pour se souvenir de leur utilité ?
Le sol allait-il s’effondrer ? Ou bien serait-ce les murs ? Elle s'était redressée, alertée par le bruit. Car ce n'était pas normal, pas habituel. Le froid, lui était normal, l'humidité aussi, la douleur, le silence, oui tout ça c'était normal. Mais pas cette vibration qui courrait partout dans les pierres.
Gardant les mains contre le mur, à l'aveuglette, elle ne savait pas bien ce qu'elle était en train de faire. Se tenir ? Tenter de se lever ? Ou même sentir les vibrations le long de la pierre? Oui, c'était ça. Il fallait qu'elle touche, qu'elle sente par elle-même, pour être sûre que ses oreilles ne la trahissaient pas. Il se passait bien quelque chose au-dessus de sa tête. Très haut au-dessus.
Les fers à ses pieds tintèrent tandis qu'elle se mettait à genoux pour poser son oreille sur les pavés glacés. Cela dura un long moment, parfois le son s'éloignait, puis il revenait. De temps à autre une explosion, ou quelque chose de la sorte, se faisait entendre. Etait-ce la guerre? Ou bien, un incendie? Peut-être l'orage avait-il fait s'effondrer le bâtiment ? Son cœur se mit à battre un peu plus fort dans sa poitrine et une sensation étrange commença à la saisir. Le bruit se rapprochait. Autour d'elle, les vibrations se muèrent en bruit de pas. Des centaines de pieds à la fois martelaient les couloirs et les escaliers. Ils arrivaient.
Ses yeux se mirent à brûler soudainement et elle se jeta dans un coin de sa cellule, heurtant sa cruche d'eau qui se fracassa en répandant ses réserves pour la journée, ou de la nuit. Figée contre le mur, son esprit s'était éteint et son souffle raréfié. Comme un animal pris au piège, peut-être qu'elle pourrait se faire oublier, disparaître dans ce mur. On approchait, le vacarme semblait ne pas avoir de seuil maximum, continuant à emplir de plus en plus les ténèbres.
Elle se recroquevilla sur elle-même, fermant les yeux et se bouchant les oreilles, tremblante. Non, c'était trop pour elle. Était-ce la fin du monde ?
« Par ici ! Il y a des geôles, clama une voix, à quelques dizaines de mètres.
- Vraiment ?
- Il y a du monde, je peux les sentir.
- Continuez les recherches, je vais voir. Vous deux avec moi. » dit une autre voix.
Les bruits de pas reprirent pour s'enfoncer dans les méandres des couloirs. La lumière se fit plus forte. Non loin d'elle, une porte racla sur le sol dans un grincement atroce, faisant vibrer ses tympans douloureusement. Le bruit se répéta.
« Celui-là est mort depuis des mois…
- Celle-ci est vide.
Les bruits de pas se rapprochaient. Les souvenirs d'une prière monta dans son esprit, mais elle la refoula alors que la lumière d'une torche éclaira l'intérieur de sa cellule et que la porte s'ouvrait dans ce même bruit gigantesque.
- Qu'est-ce que … commença la voix.
Plus loin, une nouvelle porte s'ouvrit, puis une autre encore. Elle ne releva pas la tête, puis tenta de se coller plus encore contre la paroi humide, espérant que la pierre absorberait son corps.
- J'en ai un de vivant ici! lança l'homme de l'autre côté du couloir.
- Moi j'ai trouvé une femme, annonça l'homme tout près d'elle d'une voix blanche.
- Quoi? lui répondit l'autre après une seconde.
A l'extérieur, elle perçut des exclamations de surprise. Des cris, le bruit des chaînes et des épées. Puis soudain, celui qui l'avait trouvée se secoua,, retira sa veste et lui jeta dessus. Pour autant, il n'osa pas l'approcher.
- Elle n'a pas l'air en bonne santé, mais … mais c'est une femme, ajouta l'homme d'une voix plus basse. Et elle, elle...
Soudain quelqu'un se précipita dans la cellule, repoussant l'homme sidéré dans l'encadrement de la porte. Doucement, il s'approcha et l'aida à se cacher sous la veste, posant sa torche près d'elle. Tous ces bruits… c'était insupportable.
- Achevez les autres prisonniers, nous en avons déjà bien assez. Et s'ils sont là c'est pour de bonnes raisons... dit l'homme a genoux d'une voix ferme, avant de reprendre et doucement de lui parler. Bon, au diable le protocole... On va vous emmener dehors, okay ?
Gabrielle ne voulait plus bouger, sa vessie se vida dans un tremblement. Si elle ne regardait pas... peut-être que... L'homme poussa un soupir. Puis s'avança encore un peu plus pour constater son état. Il attrapa la chaîne qui entravait ses chevilles. Elle se surprit à lâcher un gémissement étouffé en se rejetant en arrière pour que cela s'arrête.
L'homme leva les mains, tentant de lui faire visiblement comprendre qu'il ne voulait aucun mal.
- C'est fini, on va vous sortir d'ici. Vous êtes d'accord pour qu'on se parle ? Je ne vous ai pas demandé, mais je ne sais même pas si vous êtes en état de parler, alors je prends les devants.
La jeune femme tourna la tête, avant d'ouvrir difficilement ses yeux. La lumière de la torche brûlant à seulement deux pas d'elle était saisissante, douloureuse. Tout semblait flou et brillant. Devant elle, l'homme cilla, puis pencha la tête sur le côté.
- Il n'y a plus rien par ici, fit soudainement une voix dans le couloir.
Elle sursauta en regardant vers la porte. L'autre homme la regardait avec stupeur. Mais ce n'était pas ce qui retint son attention, pas l'homme.
La porte.
La porte ouverte. Ses yeux s’écarquillèrent. Elle était ouverte.
- Rejoignez les autres. J'arrive, répondit celui qui était accroupi devant elle.
Elle tourna la tête vers lui. Les ombres qui dansaient sur sa peau étaient terrifiantes. Ses yeux semblaient aussi sombres que ses cheveux mi-longs. Une éclaboussure de sang barrait son visage. Elle était incapable de savoir ce qu'il pensait car son expression demeurait neutre.
- Nous allons sortir avec vous. Je peux vous porter, ou si vous voulez, vous pouvez marcher. En êtes-vous capable?
Elle ne savait pas si elle comprenait vraiment les mots qui sortaient de sa bouche. Ses yeux étaient de moins en moins endoloris par la lumière et elle pouvait se décrisper. Elle alternait entre le visage de l'homme et la porte ouverte vers... vers … elle n'osait même pas le formuler dans son esprit. Est-ce qu'elle devait répondre? Que devait-elle dire? L'homme s'approcha un peu plus pour lui attraper une main. Elle sursauta, sortie de ses pensées, mais se laissa faire. Son instinct savait visiblement qu'il ne fallait rien faire de stupide, ni résister si elle voulait survivre. L'homme porta sa main à son visage, plus précisément, son poignet. Elle sentit ses lèvres appuyer contre sa peau alors qu'il respirait, qu'il sentait. Il releva les yeux vers elle, ressemblant soudainement à un prédateur.
- Allez, venez on sort. »
Sans attendre une seconde de plus, l'homme s'avança vers elle et l'attrapa. Il ne semblait gêné ni par son poids, ni par son odeur d'urine, ou même celle de sa crasse. Elle ne cria, ni ne se débattit. Au bruit de métal de ses fers, l'homme gronda une nouvelle fois, le son semblait venir du tréfonds de son torse. Il ajusta la veste qu'on lui avait jeté, cachant son visage et ses cheveux, ses épaules.
Gabrielle passe le seuil de la porte dans les bras de l'homme. Son cœur se remit à battre plus fort et le bord de sa lèvre se mit à tressaillir. Serrée comme une enfant, il avait passé ses bras sous ses genoux et dans son dos, son contact était froid mais ferme. Une odeur incroyable lui monta au nez et elle ferma les yeux pour s'en imprégner, voulait fixer dans son esprit ce moment. L'odeur d'un être vivant. Aucun parfum, aucune fragrance exotique, juste: la peau, la sueur, le savon, le sang. Quelque chose au fond de son esprit vibra intensément.
Ils remontèrent des escaliers et un homme apparut face à eux. Il se mit à jurer et s'approcha doucement.
« Si je m'attendais à ça… commenta-t-il dans un souffle.
- ils l'ont trouvée dans les geôles.»
Pour toute réponse, l'autre se mit à jurer.
A suivre...