Prologue

Notes de l’auteur : Merci de lire :p

Le plus clair de mon temps, je le passe à l'obscurcir, parce que la lumière me gêne. Boris Vian

Il ne devra faire qu'un avec un enfant du diable : c'est écrit, c'est prononcé, c'est décidé.

Il ouvre les yeux et regarde le plafond quelques secondes. 

Six heures et demie sont inscrites sur le panneau d'éclairage de la pharmacie en face de la fenêtre. Encore et encore cette nuit abominable pendant laquelle il rêve de ses démons. Sur les plis des draps du lit, il revoit son visage, toujours le même. Il n'a pas changé, jamais il ne changera à ses yeux. Dévoré par le chagrin, ses nuits resteront minables. Pour lui, il ne sert plus à rien de vivre, il n'y trouve plus aucun intérêt. Il se lève et enfile les chaussons au pied de son lit. Il entend toujours ces voix, celles de personnes qui veulent être sauvées, mais il sait qu'il n'y peut malheureusement rien. Ces personnes le hantent et parmi elles, il y a cette jeune personne promise à un avenir radieux, mais brusquement enlevée par l'un de ses démons. 

Il marche dans le couloir, le regard vide, toujours le même depuis sa mort, depuis qu'on lui a enlevé cette seule raison de vivre. Il avance et finit par arriver à sa destination.

 Il branche la machine, puis va chercher une tasse dans une étagère basse. Il met en route sa machine à café, et s'assoit à son bar et boit le contenu du récipient. Il observe son environnement, sans le vouloir, il revoit les scènes qu'il a eues avec elle, de nombreuses heures à jouer aux cartes. Poker, tarot, bataille, belote, bridge, tout était bon pour elle. 

Il laisse échapper une larme en silence. Jamais il ne s'en remettra, jamais. 

Il retourne dans sa chambre en passant par la salle de bain, mais il n'a plus le courage de prendre soin de lui, sa barbe n'a pas été rasé pendant déjà une semaine et sa maison est un bazar pas possible tandis que se lever est déjà un effort énorme.

 Il s'habille en noir, comme la tenue qu'il avait ce jour-là. De toute façon, plus rien ne lui importe désormais. Il sort de son appartement et rentre la clé dans la serrure en métal, puis tourne trois fois dans le sens des aiguilles d'une montre pour fermer à clé la porte d'entrée. Il descend les escaliers un à un, étage par étage. Nonchalant dans ses pas, l'esprit brouillé, il réfléchit à l'avenir sans elle, même s'il n'en a pas envie. 

Une fois en bas des escaliers, il pousse la porte et sort de la cage. Il marche. Chaque pas est un effort surhumain. Il a envie, à chaque marche, de s'écrouler, mais il ne peut pas et le sait. Il sort, inspire l'air frais de l'automne par ses narines, dans ses poumons, puis souffle non sans mal. Il va dans le parc à côté des appartements. 

Il voit les chemins blancs du parc et pense de nouveau à elle... Mais elle a disparu comme ses anciens amis suite à cette nouvelle ; plus rien ne le force à rester, pourtant il reste. Consciemment, il ne veut plus rester. Inconsciemment, il veut voir ce que cela va donner. Il la revoit sur les feuilles mortes. Il l'aimait tellement, et souvent il la revoit de temps en temps, machinalement dans sa tête, toujours la même. Ses yeux sont ternes ; le café ne lui a visiblement pas suffi. Il marche à travers le parc puis à travers la ville et finit par arriver au tribunal de Paris. 

Il tient fermement dans sa main cette carte : un roi de carreau, la carte favorite de cette personne. 

Il le voit de ses yeux : grand, imposant, impressionnant... Trois adjectifs qui ne suffisent pas pour décrire le tribunal de Paris.

Il prend une grande inspiration puis entre. Le vacarme dans la salle est assourdissant. Le monde est excité à l'idée de savoir où cela va finir, comment cela va se passer. Lui reste assis sur les bancs peints à lasure, le regard vide. Il sait pourquoi il est là, seulement il n'arrive pas à s'y faire, cela lui semble impossible. Au fil du temps, les regards se multiplient. Ils regardent tous dans la même direction et se posent tous la même question : comment peut-on commettre des atrocités pareilles ?

 Elle reste pour le moment sans réponse mais ne sera bientôt plus un secret, ou, en tout cas, un secret partagé. Dans les rangs de l'assemblée, les gens commencent à débattre. Les questions fusent. Un coup de marteau met fin aux discussions.

- Monsieur Johnson, puis-je commencer l'audience ? demande l'un des juges.

- ...

- Bien, comme vous ne voulez pas répondre, nous allons commencer. Faites-nous part de votre mécontentement... S'il y en a un, bien sûr.

Ceux qui étaient debout s'assoient, sauf une partie des juges et l'accusé.

- Vous êtes accusé de cinq homicides ; plaidez-vous coupable ?

- Le saviez-vous ? Les figures de cœur dans le jeu de cartes sont souvent considérées comme étant de bonnes personnes. Étonnamment je n'en fais pas partie...

- Je vous interromps pour vous dire que l'accusé n'est peut-être pas apte à parler de manière cohérente, évoque son avocat.

- Faux, s'exclame-t-il en faisant sursauter l'assemblée. Je peux mais, suspens... Je ne veux pas.

- Vous plaidez donc coupable pour les faits qui vous sont reprochés ?

- Je ne vois point à quoi cela mène ; vous avez toutes les preuves contre moi et tout le monde est d'accord pour dire que je suis un monstre, non ?

- Nous n'avons rien dit de cela et...

- Mais vous l'avez pensé... Interrompt l'accusé.

- Eh bien, peut-être que les gens se sont mis d'accord pour penser cela de vous, mais nous devons tout de même aller au bout de ce procès.

- Bien, je me rends ; Je l'ai aimé à tel point que la raison même s'y oppose. Ça a été ma faiblesse. De plus, s'il y'a quelque chose à blâmer, c'est le 24 juin ; c'est cette date qui m'a créé...

Le procès continue pendant de longues heures.

Lorsqu'il sort enfin du tribunal, le vent souffle, c'est l'automne qui est là . Il est soulagé et en même temps perdu. Il ne s'attendait pas à ce revirement de situation. Il fut surpris de cette déclaration d'amour et surtout étonné de cette sorte de révélation ; que veut-il dire par « le 24 juin m'a créé » ? 

Mais malheureusement, ses hallucinations auditives et visuelles ne se sont pas calmées, voire ont empiré. 

Il la voit s'approcher de lui. Elle le rend fou, et pas qu'un peu. Il la revoit l'embrasser, il sent ses lèvres sur les siennes, de quoi finir à l'asile. Il sait que ce n'est pas normal mais il ne peut s'en empêcher. D'un côté, ça le réconforte, mais d'un autre côté ça le terrifie. Il se dit qu'il est devenu fou. Il fait passer cela pour de l'amour : ça le console, mais il sait qu'il y a un revers à cette médaille et qu'il sera irréversible et pour faute. 

Machinalement, il frappe du pied un caillou gris qui vient heurter un énorme chêne où ils avaient gravé leurs noms au couteau. Encore une larme silencieuse qui coule le long de sa joue. Sa respiration commence à défaillir. Il se pose contre un autre arbre et commence à pleurer. Chaque sanglot coule et décrit une histoire à lui seul, tombe sur la terre et nourrit l'écosystème. Il tente de se relever, difficilement, et il y arrive. 

Il rentre chez lui, pousse la porte d'entrée et s'écroule en pleurs. Il ne peut s'en empêcher. Il se lève, non sans mal, les yeux encore mouillés et se dirige vers sa chambre, ouvre le tiroir de sa table de chevet, prend les somnifères. Il en prend beaucoup plus que d'habitude ; il ne veut plus rêver qu'il l'épouse, quitte à se tuer. Il est prêt à prendre le risque. Cette nuit, il ne reverra plus cette personne ; cette nuit sera sa dernière. Les oiseaux continueront à chanter sans public, le réveil continuera à sonner dans le vide, la machine à café prendra la poussière, mais c'est ainsi que va la vie, après tout...

...

- Qu'avons-nous aujourd'hui ?

- Ce qui ressemblerait à un suicide.

- Bien observé. La personne a pris des somnifères, mais pourquoi ?

- Il n'a pas laissé de lettre, ni de messages dans son téléphone...

- Ce n'est pas un meurtre mais ça ne ressemble pas non plus à un suicide.

- Qu'est-ce qui l'aurait donc motivé à prendre plus que sa dose habituelle, inscrite sur sa prescription médicale ?

- Aucune idée.

Un des policiers commence à fouiller la pièce et ouvre le tiroir d'un des meubles de la chambre. Il y trouve ce qui ressemble à un petit journal marqué d'une carte, un roi de carreaux. La carte tombe à ses pieds.

- Eh, Stéphane, j'ai trouvé quelque chose...

- Fais voir !

- Ça ressemble à un poème, c'était là où se trouvait la carte... :

Je ne veux plus te voir.

Je ne peux pas t'apercevoir.

Dans mes rêves, le chaos devient réalité.

Et alors mon cœur devient accidenté.

Me délivreras-tu de ce cauchemar ?

Ou peut-être qu'on ne m'épargnera ce hasard.

Un jour, je serai de nouveau à tes côtés.

De nouveau dans la chaleur de l'été.

J'affronterai l'enfant du diable.

Trop puissant, il est inépuisable.

Prenez mon argent, donnez-moi du temps.

Du temps pour guérir de ce contretemps.

 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
naomitoudsyg
Posté le 21/01/2025
Un très bon prologue dans lequel on ressent bien toute la détresse du personnage. Dommage qu'il soit mort, du coup x) je voulais en savoir plus sur lui
Dcp_Lison
Posté le 22/01/2025
Oui je suis d’accord mais tu en sauras plus au fils de l’histoire :p
Vous lisez