Cassandre
Selon la mythologie grecque, Apollon offrit à Cassandre, la fille du roi Priam, le don de prédire l'avenir. Se refusant à lui, il l'a condamnée à n'être jamais crue par personne. Je pense que ma mère a bien choisi mon prénom, elle-même n’étant jamais parvenue à me croire.
Je prédis la mort…
Par peur, je n’ai jamais cherché à comprendre d’où me vient cet étrange don. Lorsqu’une vision se forme dans mon esprit, l’être concerné décède dans les quelques minutes qui suivent. Au départ, j’ai averti ces pauvres victimes, mais elles ont préféré rire plutôt que de me croire. Désormais, je préfère me taire, en restant seule au maximum.
Le fait de vivre dans le Sud de la France n’arrange en rien mon humeur. Quant à mon travail, je gère une boutique d’antiquités, léguée par ma mère à sa mort. N’ayant pas une âme de commerçante, je me demande souvent pourquoi j’en ai repris la succession. Chaque jour, j’observe les passants cheminer sur le trottoir, un café à la main. L’aspect désuet de la façade n’attirant pas les regards, ils ne prêtent aucune attention à la devanture. Leur manque d’intérêt me réprouve l’envie de prendre soin de mon magasin et les vieilleries s’entassent sur des étagères poussiéreuses parmi des livres anciens aux reliures abîmées.
Je retourne derrière un long comptoir en bois faisant office de bureau et dépose ma tasse près de mon ordinateur. Dépitée, je m’attelle à l’ouverture de la pile de courrier en mettant les factures de côté puisqu’il m’est difficile à l’heure actuelle d’éponger mes dettes.
Je sursaute lorsque la clochette retentit soudain. La porte s’ouvre, laissant apparaître une dame d’un certain âge. Je la rejoins, un sourire professionnel aux lèvres.
– Bonjour, Madame, que puis-je faire pour vous ?
Elle affiche une mine joviale en se tournant vers l’une des étagères situées devant la baie vitrée de l’entrée.
– Bonjour, puis-je voir cette montre à gousset, s’il vous plait ? me demande-t-elle d’une voix très douce.
– Bien sûr, Madame.
Je la récupère et lui donne.
– Combien coûte-t-elle ?
– Trente euros, Madame.
– Comment ? C’est tout ?
– Elle est d’occasion.
Le regard voilé de chagrin, elle soupire en me rendant la montre.
– C’est bien triste qu’elle n’ait pas plus de valeur à vos yeux.
– Que voulez-vous dire ?
– Elle appartenait à mon défunt mari.
Je hausse les sourcils, surprise.
– Oh ! Je l’ignorais, désolée.
– Pour lui, elle était inestimable même si elle ne m’avait rien coûté, c’est vrai.
– Je ne comprends pas. Pourquoi votre mari me l’a vendu dans ce cas ?
Elle paraît hésitante, comme si elle cherchait à peser ses mots.
– Je ne sais pas. Depuis sa mort, je la recherche et je suis bien contente de la retrouver chez vous.
– Si vous le souhaitez, je peux vous la rendre.
– Non, je n’en veux plus. Savoir enfin où elle se trouve me rassure. Je dois partir, merci.
– Attendez, vous êtes sûre ?
– Oui, me rétorque-t-elle avec un clin d’œil avant de quitter ma boutique.
Touchée par la détresse de cette femme, je décide de ranger cet objet précieux dans l’un des tiroirs de mon bureau. Au moins si elle change d’avis, je pourrais lui rendre. Je reporte mon attention sur mes lettres. Une bonne demi-heure passe et la clochette résonne pour la deuxième fois de la journée. Je relève la tête, intriguée, et aperçois un homme étrange se tenir devant l’entrée. Il fait beau temps mais il est trempé jusqu’aux os dans sa longue toge blanche. Il me fait penser à un apôtre dans cette tenue. Est-ce un déguisement ? Pourtant, ce n’est pas Halloween...
Je contourne le comptoir et me fige à quelques mètres de lui, mais il réduit l’espace entre nous. Des frissons me parcourent en apercevant ses yeux noirs comme la nuit.
– Cassandre, gémit-il avant de s’écrouler sur le parquet.