A l’extérieur de la Citadelle Céleste, le chaos était total.
Au pied des haut murs d’or, d’airain et d’argent retentissaient le fracas du métal contre le métal, le sifflement des flèches, les cris d’agonie des blessés. De sinistres panaches de fumée s’élevaient dans un ciel rougi, portant un parfum de sang et de destruction. Les deux camps s’affrontaient dans un combat dont le vainqueur déciderait du sort du monde.
Soudain, une explosion retentit. L’onde de choc se propagea jusque dans la cour de la Citadelle, faisant trembler les murailles et le sol de marbre blanc. La Phalange Ultime ne bougea pas. Conservant un alignement parfait, séraphins, héros et saints en armures brillantes dardaient toujours leurs longues lances d’or vers la grand-porte. Tout dans leurs postures donnait l’apparence de la détermination.
Toutefois, pour qui savait observer, l’air empestait de tension contenue. La sueur coulait sur les tempes des gardes de la Citadelle. Certains jetaient des regards nerveux alentour. Un murmure se répandait dans la troupe.
« Tenez vos positions. » dit le Portier.
Malgré le vacarme, il avait à peine élevé la voix. Pourtant, tous l’entendirent. Aussitôt, la nervosité reflua parmi les soldats, les regards revinrent sur la grand-porte, les mains raffermirent leurs prises sur les lances. La discipline était de retour.
« Voilà qui est mieux », pensa le Portier. Distraitement, il lâcha la poignée de son bouclier, dont le bas reposait en équilibre à ses pieds. Sa main droite tenant toujours fermement sa lance, il porta la main gauche à sa ceinture. Comme d’habitude, les clés de la Citadelle y était accrochées. Il n’en doutait guère mais il était difficile d’effacer un réflexe contracté depuis l’aube de l’éternité. Il resserra sa prise sur son bouclier et pointa deux yeux à la couleur d’or fondu vers la porte.
Malgré le carnage au-dehors, il conservait son calme. Il en avait vu d’autres. Depuis que le Premier l’avait tiré du néant, juste après avoir créé le monde, il n’avait toujours eu qu’une tâche : garder la Citadelle. Au cours de cette mission, il avait eu à affronter bien des menaces. Démons, géants, dragons et même simples mortels…nombreux étaient ceux qui avaient eu l’arrogance d’attaquer la forteresse des dieux. Parmi cette multitude, tous avaient échoué. Il devait en être ainsi. C’était écrit. Aucun ne pouvait franchir la grand-porte. Le jour où cela se produirait, cela voudrait dire que…
Une seconde déflagration, plus violente que la précédente, le tira de ses pensées. Cette fois-ci la Phalange ne broncha pas. « Parfait » songea le Portier. Puis son attention revint vers les battants monumentaux. Les sons du carnage résonnaient toujours au-dehors. A en croire les vibrations du sol et les suppliques qui lui parvenaient, le Champion était à l’ouvrage. Il était très efficace lorsqu’il s’agissait d’annihiler une armée ennemie. Mais cela ne devait point surprendre de la part du dieu de la guerre. Après tout, c’était là le but de son existence.
Au moment où cette pensée traversait l’esprit du dieu-gardien, une troisième explosion, colossale, éclata, suivie d’une clameur horrifiée. Le vieux maître des clés sentit une vague de pitié l’envahir. Le Champion n’y allait vraiment pas de main morte. Mais à quoi s’attendaient donc ces hérétiques qui avaient cru pouvoir défier les dieux ? Son marteau pouvait fendre le crâne d’un géant des glaces en un battement de cil et décapiter une montagne en guère plus de temps. Si seulement ces apostats avait renoncé à leur folie, peut-être ce massacre aurait-il pu être évité.
Puis l’élan de sympathie s’effaça. Seul demeura la vigilance, éternelle, inébranlable. Le dieu-veilleur posa à nouveau son regard d’or sur la porte.
Tout à coup, un hurlement déchira le calme trompeur de la cour. Par réflexe, le Portier leva la tête.
Il écarquilla les yeux. Comme au ralenti, il vit un énorme projectile percuter la partie supérieure de la muraille de la Citadelle. Il pulvérisa le chemin de ronde à son point d'impact, en même temps que les malheureux qui s’y trouvaient et fit s’abattre un déluge de débris sur la Phalange. Les soldats célestes qui tardèrent à se protéger moururent sur le coup. Dans un mouvement fluide, le maître des clés brandit son écu au-dessus de sa tête, juste à temps pour intercepter un lourd moëllon d'or. Il ne put que suivre, impuissant, la trajectoire du boulet qui alla s’écraser au beau milieu de la Phalange Ultime. Il y eut des cris, un sinistre tonnerre, un souffle qui souleva les pans de la robe de bure du Portier. Il battit frénétiquement des paupières pour tenter d’en chasser la poussière. Avec peine, il distingua ce qui se trouvait devant lui. Sa respiration s’arrêta net.
Le rocher avait frappé la formation de plein fouet. Inspectant rapidement la scène du regard, il estima que la moitié de la Phalange était hors de combat. Des cadavres gisaient sur le dallage de marbre, des guerriers appelaient pour qu’on les aide à dégager qui un bras, qui une jambe piégée sous le formidable bloc de pierre.
Sauf…qu’il ne s’agissait pas d’un bloc de pierre. Le Portier cilla. Il ne pouvait pourtant y avoir de doute : le projectile qui venait de décimer la moitié de la garde d’élite du Premier était en réalité…la tête décapitée du dieu de la guerre.
Elle avait, semble-t-il, été coupée net, en un seul coup, son casque toujours en place. Du sang coulait encore de la plaie, créant une sombre mare sur le sol de marbre. Le maître des clés pouvait distinguer une vertèbre tranchée avec une précision d’artiste. Le Portier cligna encore des yeux. Le Champion était mort ? Cela ne se pouvait. Pourtant l’évidence gisait devant lui, piégeant sous son poids les blessés de la Phalange. Le dieu défunt le dévisageait de ses yeux morts. Tout dans son expression figée clamait une seule émotion : la stupéfaction.
Un grand bruit fit trembler la grand-porte. Le vieux gardien releva prestement les yeux dans sa direction. Un second coup retentit, secouant le gigantesque portail. Les envahisseurs essayaient de pénétrer dans l’enceinte. Autour de lui, il entendit des soldats crier de terreur, supplier, appeler le Premier à l’aide.
« Tenez vos positions ! »
Cette fois, le Portier dut crier pour se faire entendre. Tant bien que mal, les survivants se rassemblèrent pour former un carré autour de la tête du Champion. Le dieu-gardien fléchit légèrement les genoux, dardant sa lance vers la porte, bouclier en avant. Ses pensées fusaient : le Champion, mort. C’était impossible. Aucun guerrier ne pouvait vaincre le dieu de la guerre. Et maintenant on tentait de briser la grand-porte. Cela aussi était impossible. Si cela se produisait, cela serait le signe de…
Un craquement apocalyptique explosa dans la cour. Les deux portes furent rejetées en arrière, brisées en leur milieu par une puissance colossale.
« …la fin du monde ». La pensée rebondit sous le crâne du Portier. Un frisson remonta le long de sa colonne vertébrale. Il lutta pour empêcher la main qui tenait sa lance de trembler. C’était impossible.
Il plissa les yeux, aveuglé par la lumière qui avait soudain jailli dans la cour. Dans l’encadrement de la grand-porte, une silhouette se découpa. Ses contours demeuraient indistincts mais il entendit une voix forte venant de l’intrus: « RENDEZ-VOUS ! »
Puis, si bas que le vieux maître des clés dut tendre l’oreille : « …s’il vous plaît. »
Wow, j’en reste sans voix… Je n’ai absolument rien à dire. J’ai trouvé ton premier chapitre impeccable. Ton écriture est soignée, l’ensemble de ton travail est très fluide. L’hémoglobine doit y être pour quelque chose sûrement !
Je ne suis pas un grand fan des batailles épiques à grande échelle. Pourtant, suivre l’histoire avec les yeux du Portier m’a vraiment plu. C’est très malin de ta part.
Un grand BRAVO à toi et ton œuvre.
À bientôt,
Zao