Prologue : Donédia

Dans la vieille bibliothèque d'une ville isolée en bord de forêt, un vieil homme ouvrait un livre. Installé confortablement dans un fauteuil, il tourna lentement la première page et plongea dans sa lecture, le regard empreint de mystère.

« Il était une fois un monde magique nommé Donédia, prospère grâce à un grand sage, du nom de Ryu, qui bouleversa l'ordre de la magie il y avait de cela mille ans. À l'époque, les donédiens utilisaient la magie librement, souvent pour la guerre, ce qui causait d'innombrables souffrances. Ryu, révolté par ces injustices, souhaitait instaurer l'égalité et la paix, quitte à priver chaque habitant de sa magie personnelle. Cependant, il découvrit que la magie était vitale pour Donédia. La détruire risquait de mener à l'effondrement du monde.

Après de longues réflexions, il imagina une solution : donner une conscience à la magie pour qu'elle ne puisse être utilisée à mauvais escient. Avec l'aide de son village et de la famille royale, il créa des êtres magiques conscients, appelés les hespas, qu'il enferma dans des sphères nommées talias. Ces talias, aux couleurs des éléments magiques (feu, eau, terre, air, lumière, ténèbres et foudre), étaient indispensables : les donédiens dépendaient des hespas pour utiliser la magie, et inversement. Ce système instaurait un équilibre, réduisant les conflits.

Cependant, une magie noire particulièrement puissante échappa au contrôle de Ryu. Malgré ses efforts pour la sceller, il pressentit un danger immense. Lors d'une ultime méditation, il eut une vision qui sembla effrayante et énonça une prophétie :

« Quand l'élu du monde parallèle

Recevra des ailes,

Donédia renaîtra.

Son courage et sa magie curative

Guideront les sages vers la lumière.

Sept talias il réunira,

Face au démon il se dressera.

Un chemin périlleux,

Un destin mystérieux,

Mais il est notre unique espoir. »

Peu après, il créa sept talias correspondant aux éléments et sacrifia sa vie pour achever son œuvre. Les talias et la prophétie furent oubliées, sauf par les habitants de son village, Alcative, qui transmirent ses paroles à travers les générations.

Des siècles s'écoulèrent, et les donédiens s'adaptèrent à cette nouvelle forme de magie. Les talias furent protégées par des tatouages empêchant leur vol, ce qui renforça le lien entre humains et hespas. Avec le temps, certains humains développèrent des pouvoirs uniques grâce à leurs hespas et apprirent à fusionner temporairement avec eux, devenant plus puissants.

Mais une tragédie survint. Un homme, méprisé pour ne pas posséder de tatouage, libéra l'hespa scellé né de la magie noire, devenant un démon invincible. Il prit le contrôle de Donédia, extermina la famille royale, et imposa sa tyrannie. Malgré quelques résistances, il régna sans partage pendant six cents ans.

Un jour, une femme réussit à échapper au démon après avoir donné naissance à son fils. Sa fuite ranima l'espoir des habitants d'Alcative, qui se tournèrent vers la prophétie de Ryu. Ils envoyèrent dix sages sur Terre à la recherche de « l'élu », seul capable de sauver Donédia avec l'aide des sept talias.

Après des décennies de recherche, seuls trois portails magiques restaient. Les sages étaient à bout de forces, et leur monde à l'agonie. Vous, lecteur, pourriez être cet élu.

Et vous ? Acceptez-vous de relever ce défi ? De devenir le héros ou l'héroïne dont Donédia a désespérément besoin ? Si vous choisissez d'embrasser cette quête, vous serez transporté dans un monde de magique et de danger, où lumière et ténèbre s'affrontent.
Votre choix déterminera le destin de ce monde.

- Oui, je souhaite devenir l'Élu et sauver Donédia.

- Non, je préfère clore ce livre.

Si vous choisissez d'accepter cette quête, préparez-vous à affronter des épreuves redoutables et à découvrir un monde qui vous dépasse. »

Jagen referma lentement le livre, le regard perdu au-delà de les fenêtres poussiéreuses de la bibliothèque. Chaque mot de la prophétie résonnait en lui comme un écho lointain, une lueur vacillante qu'il s'efforçait de raviver. Il posa le livre sur l'étagère, caressant du bout des doigts les lettres dorées qui formaient le nom de Donédia. Ce monde qu'il avait abandonné pour mieux le sauver.

Autour de lui, les murs de la bibliothèque semblaient vibrer d'une énergie sourde, comme si le cœur battant de l'arbre géant qui trônait au centre de la pièce résonnait jusque dans les moindres fibres du bois ancien. Une odeur de vieux papier et d'encre imprégnait l'air, mêlée à une subtile fragrance de cire d'abeille. Le silence était presque palpable, seulement troublé par le léger bruissement des feuilles de l'arbre et le craquement occasionnel du bois sous le poids des innombrables volumes. Ce sanctuaire n'était pas seulement un lieu ; c'était une mémoire vivante de Donédia, une enclave de sa patrie arrachée au temps.

Jagen était un vieil homme qui ne comptait plus les années. Son visage ovale était creusé par le temps, son teint pâle lui donnait un air fatigué et sage à la fois. Ses cheveux mi-longs grisonnants tombaient sur un front large. Ses grands yeux noirs, cernés, étaient surmontés d'un nez camus. Sa bouche fine était dissimulée sous une moustache et une barbe parfaitement taillées. Jagen avait des épaules trapues, de grandes mains ridées et des jambes fatiguées, mais musclées malgré tout. Il boitait légèrement d'une jambe à cause d'une vieille blessure.

Il avait lu ce livre des dizaines de fois, espérant voir apparaître l'élu par magie. À chaque fois qu'il le refermait, il revenait à la triste réalité : l'élu était toujours introuvable. Jagen était sage d'Alcative, le dernier. Les autres venaient d'autres villages de résistance, trop peu nombreux. Il se trouvauit dans un endroit où il n'y avait que de vieux livres, un peu perdu entre la sortie d'une ville et l'entrée d'une forêt. Les humains n'y venaient presque jamais ; sa seule occupation étaient les fleurs du parterre de l'entrée et les livres qu'il connaissait par cœur. Cette bibliothèque était une partie de Donédia qu'il avait emmenée avec lui, espérant que l'élu y trouverait des réponses.

Les espaces-temps des deux mondes n'étaient pas les mêmes ; le temps s'écoulait beaucoup plus vite sur Donédia que sur Terre. Jagen avait posé le pied sur cette Terre il y a quatre ans et demi. Un laps de temps dérisoire comparé au gouffre qui le séparait de Donédia. Là-bas, cinquante-quatre années s'étaient écoulées, effaçant des vies, tissant de nouvelles histoires en son absence. Un prix terrible à payer pour sa mission.

Les portails vers la Terre étaient épuisants à créer et seuls ceux qui possédaient des hespas de voyages pouvaient les traverser. Chaque retour accentuait le vieillissement de Jagen ; son propre temps, lui, restait désorganisé entre les deux réalités. C'était pour cela que les livres portails étaient si importants : ils étaient la seule façon de faire traverser l'élu et de le protéger du contrecoup temporel. Si une personne traversait à l'âge de 20 ans sur Terre, cela reviendrait à 220 ans tout à coup, ce qui serait mortel pour n'importe qui. À chaque retour de voyage, la différence de temps rattrapait Jagen et les autres, si bien qu'ils sacrifait tous une bonne partie de leur vie dans l'unique but de voir un jour la paix.

Il avait pu rentrer la première fois, après un an et demi pour lui, mais 18 années l'avaient rattrapé ; il avait retrouvé sa femme. Il était resté jusqu'à la naissance de son fils, deux ans pendant lesquels deux mois s'étaient écoulés sur Terre.

La seconde fois, c'était pour l'union de son fils, il avait 18 ans. Pour lui, un an et demi s'étaient écoulés seulement, mais il n'était resté que quelques semaines.

La troisième fois, pour la naissance de son petit-fils, un mois après l'union de son fils pour lui, un an après pour eux. Il avait passé un an chez lui, un mois d'absence sur Terre.

La quatrième fois, c'était pour un événement beaucoup plus triste : l'enterrement de sa femme, de son fils et de sa belle-fille. Il était resté un an, ne voulant pas laisser son petit-fils seul. C'était 11 mois plus tard pour lui, mais 11 ans pour les autres ; le garçon n'avait aucun souvenir de lui.

La dernière fois, il était rentré pour les 15 ans du garçon, passant six mois avec lui avant de retourner sur Terre où s'étaient écoulées deux semaines. Depuis, il ne l'avait pas revu ; deux mois pour lui, deux ans pour le garçon. Jagen se sentait seul, désespéré, et voulait passer le flambeau et rentrer chez lui. Il avait vécu 4 ans et demi sur cette planète qui lui avait coûté 54 années de sa vie.

Le vieil homme s'approchait de la fin, il ne lui restait que deux jours avant de rentrer chez lui. Il savait qu'il allait rentrer sans l'élu et que l'espoir demeurerait sur Terre, mais il ne supportait plus la solitude. Cinquante-quatre ans pour un Terrien, c'était plus de la moitié de sa vie. Cinq décennies. À moins d'un miracle, il rentrerait dans deux jours ; sa décision était prise.

« Peut-être est-il déjà passé... et si tout était perdu ? » murmura-t-il pour lui même.

La pensée lui glaça le cœur. Si l'élu était venu, et qu'il l'avait manqué, alors tout serait perdu. Tout, et son monde finirait par être détruit par le mal.

Pendant ce temps, une voiture avancée dans l'allée d'une maison de cette même ville. Une femme en sortie et se dirigea vers la porte avant de parler avec un couple de personne agée. Une jeune femme sortit du véhicule avec une petite valise et un sac à dos puis s'adossa contre le métal froid.

« Encore une nouvelle ville, encore un nouveau départ... » pensa Taylor en observant l'assistante sociale discuter avec la famille d'accueil sur le pas de la porte.

Ils semblaient aimables, comme presque toutes les familles chez qui elle avait été placée. Mais elle savait que ça ne durerait pas. Bientôt majeure, elle était consciente que les familles d'accueil préféraient les enfants plus jeunes, plus simples à éduquer. Ici, ce n'était qu'une solution temporaire, le temps qu'une place se libère en foyer. L'adoption ? Elle n'y croyait plus depuis longtemps. L'assistante sociale l'interpella.

« Mlle Dreki, approchez. »

Ajustant son sac à dos sur son épaule, Elle attrapa sa petite valise et s'éloigna de la voiture. De près, le couple paraissait plus âgé. La femme, de taille moyenne, portait des cheveux teints en blond pour masquer ses mèches grises. Son sourire doux et sincère contrastait avec l'homme, grand et aux mains abîmées par des années de travail physique. Pourtant, lorsqu'il regardait sa femme, ses traits s'adoucissait. La jeune femme suivit le couple et l'assistante sociale à l'intérieur.

En passant devant un miroir dans le couloir, son reflet attira son attention : ses cheveux noirs ondulaient sur ses épaules, et ses yeux d'un vert clair presque surnaturel brillaient. Une fraction de seconde plus tard, ils virèrent au marron avant de reprendre leur teinte originale. Elle jeta un regard discret autour d'elle, personne n'avait remarqué. D'un geste nerveux, elle remit une mèche de cheveux en place et rejoignit le groupe.

« Ce sera ta chambre, dit la femme en ouvrant une porte. J'espère que tu t'y plairas. Je suis Agnès, et voici mon mari, Henri. Nous te laissons t'installer. Rejoins-nous quand tu seras prête.

- Merci. Je suis Taylor, » murmura-t-elle avant d'entrer.

La pièce était modeste mais accueillante : des étagères, un bureau, une armoire, et un lit simple. Par la fenêtre, elle aperçut un jardin bien entretenu, avec des meubles artisanaux et un potager. Elle posa sa valise et s'assit sur le lit. Sortant une photo froissée de la poche avant de son sac, elle contempla les visages de ses parents. Du moins, c'est ce qu'on lui avait dit. Sans un mot, elle rangea l'image et commença à défaire ses affaires.

Un coup frappé à la porte interrompit ses gestes.

« Oui ? » dit-elle en se tournant, un t-shirt à la main.

L'assistante sociale entra.

« Mlle Dreki, je vous laisse avec les Durand. Votre comportement s'est beaucoup amélioré dernièrement. Continuez ainsi.

- Oui, madame, répondit Taylor, serrant le t-shirt contre elle.

- Les Durand sont ravis de vous avoir. Espérons qu'ils souhaiteront vous garder jusqu'à votre majorité.

- Oui, madame.

- Bien, si vous n'avez pas de question. Au revoir.

- Au revoir. »

La porte se referma. Taylor finit de ranger ses affaires et, elle fixa une plante fatigué sur le rebord de sa fenêtre. Elle sourit doucement en s'approchant. Elle passa la main au dessus et lorsqu'elle vit à nouveau la plante, elle été en pleine santé.

« C'est mieux comme ça... » murmura-t-elle.

Elle avait toujours été différente, trop différente, s'était ce qui l'empêché de s'intégrer. Elle se tourna vers la porte, après une brève hésitation et un soupir, elle rejoignit le couple dans la pièce de vie. Agnès lui adressa un sourire chaleureux.

« Alors, bien installée ? La chambre te plaît ?

- Oui, merci. Elle est très bien. J'ai même pu ranger tous mes livres, dit-elle avec un sourire timide.

- Tu aimes lire ? demanda Agnès.

- Oui, beaucoup. J'ai presque plus de livres que de vêtements, répondit Taylor en jouant avec une mèche de cheveux.

- Il y a une vieille bibliothèque à dix minutes d'ici. Je t'y emmènerai demain, si tu veux. Les gens disent qu'elle est incroyable même si elle est étrange.

- Vraiment ? Merci ! s'étonna Taylor, les yeux brillants.

- Mme Jean nous a prévenus de tes fugues passées, mais je préfère te faire confiance. Promets-moi juste de ne pas t'éloigner trop loin et de rentrer à l'heure. »

Henri approuva silencieusement.

« Tu n'es plus une enfant. Tes erreurs passées ne doivent pas définir ton présent.

- Merci, murmura Taylor avec un sourire sincère. Je tiendrai parole.

- Parfait. Maintenant, viens t'asseoir et raconte-nous un peu ton histoire », proposa Agnès.

Après une courte pause, Taylor s'installa sur le fauteuil qu'on lui désignait. Pour la première fois depuis longtemps, elle ressentit un semblant de sécurité. Peut-être avait-elle finalement trouvé sa place ?

 

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