Prologue : La déesse des tenêbres

Prologue

La déesse des ténèbres

TENEBRA

 

Debout à la frontière ouest de son royaume, là où le désert laissait place à une falaise vertigineuse, Tenebra contemplait Angelica. La cité des anges était merveilleuse. Merveilleuse et méprisable. Elle flottait dans un ciel parsemé d’étoiles, paisible, bienheureuse, presque invisible grâce à ses bâtiments de nuages qui se fondaient dans le paysage. Tenebra, elle, serrait les poings sur sa robe déchirée qui tombait sur ses épaules trop maigres. Bientôt, le silence de la cité serait déchiré de hurlements et de sanglots ; et ce ne serait que justice ! 

Mikko se planta sans bruit à côté d’elle. Les yeux délavés de son bras-droit observaient la ville avec indifférence. Au loin, une silhouette ailée rejoignait le quartier résidentiel. Tenebra la suivit du regard et sentit la haine et l’appréhension enfler dans son cœur. Cette ange était la clé de leur vengeance.

- Chomïdae*, murmura-t-elle

L’ange disparu entre les nuages.

- Ça a marché, commenta Mikko d’un ton neutre.

Dans quelques minutes, le temps que l’ange rentre chez elle et s’endorme profondément grâce à la dae que Tenebra venait de provoquer, leur attaque commencerait. Elle sentit le regard incertain que Mikko posait sur elle. Son ami avait passé la nuit à apaiser ses cauchemars et ses angoisses. Désormais, elle ne doutait plus. La cité des anges ne résonnait d’aucun des cris de désespoir et de rage avec lesquels elle avait grandi. Leur paix était une insulte. Elle prenait fin ce soir.

Tenebra se tourna vers ceux de son peuple qui mèneraient l’attaque à Angelica. Les yeux des Miséris brûlaient de haine. Ils l’avaient suivie jusqu’ici pour faire payer aux peuples de Magical, les Imagis, leur silence et leur indifférence. Ils lui avaient fait confiance. Elle ne les décevrait pas.

Un chant rauque résonna entre les dunes où ils étaient rassemblés. Un oiseau aux plumes de feu se posa sur son bras, porteur d’un message.

Tout est en place,

Brand

Elle avait envoyé des Miséris dans chaque coin de Magical. Leur vengeance atteindrait tous les royaumes, tous les Imagis. Pas une seule cité ne serait épargnée. Elle relâcha l’oiseau et observa les siens. Ils étaient maigres, fatigués, mais elle savait qu’ils n’avaient besoin d’aucun encouragement. Comme elle, ils avaient rêvé de ce jour. Comme elle, ils avaient survécu pour ce jour.

- Vous savez ce que vous avez à faire.

Les Miséris hochèrent la tête comme un seul homme.

- Après cette nuit, les Imagis ne pourront plus jamais nous oublier, nous ignorer. Nous allons brûler jusqu’à la dernière trace de ce silence qui a tué les nôtres. L’heure de notre vengeance est venue !

Sa voix résonna entre les dunes silencieuses comme un cri de guerre. Tenebra s’élança dans le ciel en courant sur l’air comme sur un sol en dur : une capacité que seul son peuple possédait. Elle se dirigea vers une grande tour blanche, translucide dans la nuit : le palais d’Angelica. Les Miséris se dispersèrent dans la cité pendant qu’elle grimpait jusqu’au dernier étage. L’appartement du couple royal d’Angelica était ouvert à tous les vents. Il ne lui fallut pas longtemps pour trouver la chambre et le lit où le roi et la reine dormaient paisiblement, inconscients de ce qui se préparait. Tenebra se fendit d’un rictus. Ils n’avaient aucune idée de ce qu’elle allait leur infliger. Ils avaient tourné le dos à l’enfer des Miséris et maintenant, c’était elle qui tenait leur vie entre ses mains. C’était grisant.

Elle tourna son regard vers deux cercles de nuages qui flottaient l’un au-dessus de l’autre. Il s’agissait de la Spazzia. Centre névralgique de la cité. On y trouvait les écoles, les commerces et les lieux de loisirs. Les anges y stockaient aussi tout ce qui était nécessaire au bon fonctionnement de la cité. Mikko et son équipe étaient en ce moment même en train de réquisitionner leurs vivres, fruits des accords qu’ils avaient passés avec les royaumes des fées, des elphes et des sirènes.

Il fallait qu’ils se dépêchent. Les secondes s’égrenèrent lentement, et Tenebra n’était pas loin de la panique quand elle aperçut une colonne de fumée qui montait du milieu de la Spazzia. Ils avaient réussi, et sans se faire repérer. Dire que le quartier résidentiel était juste à côté et que les anges n’avaient rien entendu… Quels imbéciles ! Du côté est de la cité, les cages fabriquées par les Miséris étaient prêtes à accueillir les anges. À elle de jouer à présent.

- Fiammadae

Des flammes dansaient dans sa paume ouverte. C’était le signal. Des dizaines de points lumineux répondirent à son appel, disséminés dans la cité qui s’illumina d’une lueur chaleureuse. Tenebra écrasa sa paume enflammée sur un des murs du palais en hurlant.

- Fiammordae !

Les flammes s’éveillèrent et grossirent à vue d’œil. Affamées, elles entreprirent de dévorer le palais de nuage en crépitant de joie. Tenebra s’écarta et observa la cité des anges qui s’embrasait toute entière. Un premier cri brisa le silence, suivi de centaines d’autres. Le chœur de hurlements et de sanglots qui avait envahi la cité résonna aux oreilles de la déesse comme une douce mélodie. Les flammes mordaient et dévoraient chaque mur, chaque habitation, rugissantes comme un monstre nourri pendant des années de la haine des Miséris. La Spazzia n’était plus qu’un immense brasier. Les anges volaient en tous sens, si paniqués qu’ils se cognaient les uns aux autres. Les enfants fuyaient sur des pontons de bois flottants en geignant. Les Miséris poursuivaient tous les habitants de cette cité peuplée d’ignares et de faiblards en hurlant de joie, de colère et de rancœur. Tenebra éclata d’un grand rire. C’était si bon de les voir souffrir. Enfin, ils payaient.

Un hurlement, suivit d’une exclamation d’effroi, résonna à quelques mètres de Tenebra. Le couple royal s’était enfin réveillé. Debout devant leur unique porte de sortie, elle les vit émerger des flammes. Ils suffoquaient, les yeux agrandis par la peur. Tenebra ne bougea pas. Elle attendit qu’ils la remarquent. Curieuse, elle observa leurs cheveux soyeux, leurs tenues sans accro, brodées de fil d’or, l'embonpoint du roi et les formes de la reine, signe d’une alimentation plus que convenable. La haine enfla dans son coeur et elle dû se retenir de les étrangler sans attendre.  

Enfin, le roi et la reine remarquèrent sa présence et se figèrent. Leurs yeux reflétaient l’incompréhension la plus totale. Elle se présenta avec un grand sourire.

- Je suis Tenebra, fille de Timéo et petite-fille de Timerest, reine des Miséris !

D’un seul mouvement, le couple royal recula, comme si la vérité les avait frappés. Elle goûta la peur dans leurs yeux, le désespoir. Ils savaient. Ils savaient que leur règne de silence s’arrêtait là. La reine essaya quand même de l’amadouer, après avoir jeté un coup d’œil effaré à sa cité en prise avec la haine des Miséris.

- Écoute-moi. Je suis sûre qu’on peut trouver un compromis. Tu n’es pas obligée de faire ça, la supplia-t-elle.

Tenebra éclata d’un rire sans joie. Ils voulaient trouver un compromis, maintenant que les Miséris avaient pris les armes ? Après des années d’ignorance ? Ils voulaient sauver leur cité alors que son peuple vivait dans des ruines ? Que des Miséris mouraient tous les jours ? Hypocrites ! Menteurs ! Assassins !

- Je n’ai pas à t’écouter ! explosa Tenebra. Je suis une déesse ! La déesse des ténèbres !

L’atmosphère autour d’elle se mit à crépiter et à flamber plus que tous les feux de la cité. Le couple royal se recroquevilla face à l’essence de Tenebra, cette énergie vitale qui permettait aux peuples de Magical d’interagir avec leur environnement. Elle était souvent le reflet de leur personnalité. L’essence de Tenebra était un feu : un feu de haine, froid, amer, mais puissant ; habité de rêves de vengeance et de carnage. Sa voix résonna dans le brouhaha des flammes et des cris d’impuissance des anges.

- Vous nous avez laissé crever de faim ! Il est temps de payer ! Almonatadae !

Une seconde plus tard, le couple avait disparu sans un bruit. La déesse dirigea son regard vers les cages immenses qui flottaient à mis chemin entre le palais et la Spazzia. Le roi et la reine, bien qu’elle ne puisse plus les distinguer parmi la centaine d’anges pris au piège, continuaient de l’implorer. Un peu plus loin, un combat avait éclaté. Elle ne s’en inquiéta pas : les quelques anges récalcitrants seraient vite maîtrisés. Elle observa le spectacle jusqu’à ce que les seuls mouvements autour d’elle soient ceux des Miséris ou des flammes. Les anges pleuraient en observant leur cité, leur trésor, partir en fumée. Derrière Tenebra, le palais était méconnaissable. Auparavant fière tour qui se dressait au centre de la cité, elle n’était à présent qu’un amas de nuages crépitants, dévorés par les flammes. Tenebra sourit devant cette scène. Enfin, cette cité suintait la même destruction que la ville des Miséris.

Les anges avaient été pris par surprise : même les guerriers les plus aguerris n’avaient pas résisté à l’attaque. Au loin, dans tous les coins de Magical, résonnaient des cris similaires. Partout où se portait son regard, les flammes dévoraient la terre, l’ignorance et l’indifférence. Le visage de la déesse se fendit d’un rictus : cette opération était un succès.

Un silence de mort tomba sur la cité. Un silence semblable à celui qui régnait dans la ville des Miséris. Qu’il était agréable de l’entendre chez ceux qui avaient ruiné leurs vies. Tenebra marcha jusqu’au quartier résidentiel d’Angelica. Là, elle déambula entre les feux innombrables. Les maisons-nuages, après avoir lutté en vain contre les flammes, fondaient ou s’évaporaient. La déesse s’arrêta devant le seul nuvoli intact. La forme de la maison-nuage lui rappela celle d’une larme, et son nom, La solitaire, lui confirma son impression première.

Le deuxième étage du nuvoli comportait une grande ouverture. Quelques cendres en profitaient pour entrer dans la chambre. Elles se posaient ensuite sur le lit où dormait une jeune ange, celle-là même que la déesse avait endormie grâce à une dae un peu plus tôt. Elle n’avait qu’un an de moins que Tenebra mais, contrairement à elle, la jeune fille avait encore les traits naïfs et paisibles de son âge. Son visage fin, illuminé par un sourire bienheureux, portait encore sur ses joues les rondeurs de l’enfance. Son sommeil ne semblait troublé par aucun cauchemar. Tenebra ne distingua autour de ses yeux aucune cerne, sur son corps aucune des traces que la faim avait imposées au sien. Et ses cheveux blonds et épais étaient beaux, bien loin des cheveux filasses de Tenebra.

La Miséris sentit sa mâchoire se contracter dans un rictus. Elle haïssait cette ange, comme elle haïssait tous les Imagis que les Miséris avaient capturés cette nuit. Ils n’étaient pas tous responsables du sort des siens, mais beaucoup l’avaient connu, et oublié. Les autres s’étaient vautrés dans une paix qu’ils avaient gagné au prix du sacrifice des Miséris. Elle était belle, leur amitié chérie ! Leur Grand Chêne où le Conseil Royal se réunissait alors qu’au beau milieu du désert Tenebra et les siens crevaient de faim et de désespoir ! Elle ne les laisserait plus oublier. Elle ne les laisserait plus choisir pour eux. Désormais, la déesse des ténèbres menait la danse, et son peuple allait retrouver sa place. L’ange endormie devant elle était la clé de sa vengeance.

De nouveau, Tenebra murmura et des flammes apparurent dans sa paume ouverte. Elle savoura une dernière fois les cris qui s’évanouissaient au loin et la vision de la cité vaincue par le feu, puis apposa sa paume contre le nuvoli de l’ange. Les murs de nuage du nuvoli commencèrent à fondre. L’ange se retourna dans son lit, l’air de faire un joli rêve. Elle se réveillerait bientôt, dans un enfer sans nom.

La déesse des ténèbres se hâta de rejoindre le désert où les siens l’attendaient, pendant que les gardes partaient enfermer les anges dans la prison qu’elle avait créée. Les premières lueurs du jour éclairaient la cité. Le soleil faisait pâle figure comparé aux flammes qui illuminaient encore le ciel. Un sourire cruel illumina le visage de Tenebra en pensant à la suite de son plan.

 

 

 

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Zephirs
Posté le 31/05/2022
Salut !
Ce n’est pas commun de commencer par un point de vue antagoniste qui répand le chaos avec, qui plus est, une raison compréhensible. J’aime bien l’idée ! Tenebra à l’air d’être un personnage sacrément rongé par la haine tout de même. ^^
J’attends de voir plus pour me prononcer, mais il y a l’air d’avoir un univers assez développé derrière tout cela.

Mes remarques :

Je trouve qu’il y a un manque de descriptions. J’ai eu du mal à me représenter les personnages (habits et traits physiques) et également les lieux. Pour ces derniers, on a une idée générale, certes, cependant pas de point précis (architecture, spécificité,...).

Il y a pas mal de lore de donné d’un coup, et un point qui m’a dérangé, c’est que les mots ne sont pas expliqués. Certes, il y a un glossaire, mais un glossaire est censé être facultatif. Il faut pouvoir expliquer, ou au moins, faire deviner le sens des mots que l’on emploi dans le texte. Dans le cas contraire, il y a un risque de freiner le lecteur dans sa lecture, voire de carrément de le faire sortir de l’histoire.

Il a pas mal d’utilisation des verbes faibles (avoir, être, faire,..). Je pense que le texte gagnerait à varier un peu plus cela.

L’histoire m’a tout de même plus et je suis curieux de connaître la suite.
J’espère que ce commentaire a pu t’aider, à plus tard !
Annaïck-autrice
Posté le 02/06/2022
Salut,
Merci pour ton commentaire constructif, je prends note de tout ça et je regarderai ce que je peux faire pour m'améliorer
A plus pour la suite !
Baladine
Posté le 24/05/2022
Hello ! C'est original de commencer par une scène de chaos orchestrée par un personnage antipathique. Une atmosphère apocalyptique dans une langue maitrisée. Bravo ! J'ai vu des astérisques, est-ce que tu mettras les notes à la fin des chapitres ?
Annaïck-autrice
Posté le 24/05/2022
Salut,
merci pour ton retour, effectivement ce n'est pas commun mais Tenebra est en fait un des personnages principaux de mon histoire. J'aime bien l'idée d'avoir plusieurs points de vus sur une situation.
Normalement j'ai un glossaire à la fin de l'histoire, mais je vais peut-être le mettre au début du coup, merci de ta remarque !
A une prochaine fois !
Edouard PArle
Posté le 14/05/2022
Coucou !
Voilà une histoire qui commence joyeusement xD Je sais pas si on avait le pdv de l'antagoniste ou si son continuera à avoir le pdv de Misera dans les prochains chapitres mais j'aime déjà beaucoup le personnage. La rage qu'elle a, sa haine, sa soif de vengeance, son combat, elle me plaît déjà beaucoup !
On plonge directement dans la vengeance des opprimés envers leurs oppresseurs, avec tes belles descriptions et le fait qu'il s'agisse d'anges et de déesses, ça donne un chapitre vertigineux, super agréable à lire !
Tu plantes déjà un certain nombre de mots de vocabulaire propres à ton univers, sans que ce soit trop lourd non plus. Ca aide à se mettre dans l'ambiance.
Voilà pour mon avis général, j'ai hâte d'en apprendre plus sur ce qui se trame, sur ce qui a provoqué la haine de Tenebra, sur la suite de son plan. J'espère qu'on aussi un pdv du côté des anges pour mieux les comprendre.
Mes remarques :
"L’ange disparu entre les nuages." -> disparut
"elle n’avait plus aucun doute." -> elle ne doutait plus ?
"Leur paix était une insulte. Elle prenait fin ce soir." super passage !
"Alors elle ne les décevrait pas." je trouve que la phrase serait encore plus percutante sans le "alors"
"jusqu’au dernier étage de la tour." tu peux enlever de la tour, on a déjà l'info juste avant
"Elle gouta" -> goûta ?
Un plaisir,
A bientôt !
Annaïck-autrice
Posté le 16/05/2022
Salut,
Merci beaucoup pour ton commentaire détaillé qui fait bien plaisir et tes remarques très constructives.
Au plaisir d'avoir ton avis pour le prochain chapitre !
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