« Brise. Douce caresse sur ma peau.
Souffle. Sa main passe dans mes cheveux.
Vent. Il est là, il m’entoure.
Tornade. Sa puissance croît, il se fait connaitre.
Ouragan. C’est un dieu, c’est Léole. Tout ploie sous lui.
Tempête. D’un geste, il balaie le monde. »
Les pensées de Pandora s’envolaient par la fenêtre, et rejoignant les nuages. C’était toujours ainsi, quand elle jouait pour Léole. Avec passion, elle se déchainait sur les cordes de son violon, faisant valser l’archer comme un épéiste l’aurait fait avec un fleuret. Ce n’était plus de la musique, c’était une incantation. Mais le moment ne dure jamais longtemps. Déjà, l’air en mouvement autour d’elle s’apaisait. La jeune femme posa son instrument, sortant doucement de sa transe. Elle laissa glisser ses yeux vers l’extérieur de la pièce, vers ce ciel laiteux où résidait Léole.
Pandora était aussi passionnée que sérieuse. Aussi, après avoir joué, elle retourna à son travail. Elle se mit au bureau, devant la fenêtre, sur lequel séchaient de vieux documents qu’elle devait recopier. Copiste, c’était un travail qu’elle aurait préféré éviter. Abrutissant, et si loin de ce que ses études lui permettaient. Elle aurait pu écrire un texte bien plus juste que celui qu’elle devait copier. Mais bien sûr, quand elle se présentait à une abbaye, et décrivait ses études philosophiques, ils n’étaient pas beaucoup à la prendre au sérieux. Elle qui n’était ni noble ni riche faisait pâle figure face aux étudiants nantis qui suivaient les cours auxquels elle n’avait pas droit. Qu’importe. Elle en savait surement deux fois plus que les professeurs.
Non pas que sa condition déplaise à Pandora. Elle ne s’en plaignait jamais, trop contente d’avoir le gîte et le couvert pour un travail si simple. Il était même arrivé que certains érudits la prennent au sérieux et lui donne un travail d’étude bien rémunéré. Mais même ainsi, la philosophe ressentait toujours un manque … Depuis son humble mansarde, faiblement éclairée par le peu de lumière passant à travers l’épaisseur des nuages qui tapissaient le ciel, Pandora pouvait voir le passage incessant des villageois sur la place en dessous. Elle appréciait la compagnie des êtres partageant sa condition de mortelle, mais elle ne pouvait s’empêcher de rechercher une existence plus noble, plus brillante. Sa fascination pour le divin était grande, et remontait à ses plus lointains souvenirs.
La philosophe se laissa absorber par son travail rébarbatif. Les heures passant, une migraine légère s’installa, elle y était habituée. Mais quand le soleil couchant embrassa le rouge des toits, la douleur se fit plus intense. Impossible de l’ignorer. C’était un va-et-vient qui gagnait en force, accompagné d’un grondement sourd, une sensation que Pandora connaissait bien.
« Quoi ? Maintenant ? S’exclama-t-elle. Non ! Pas déjà ! »
Mais la douleur et ce bruit ne faisait aucun doute. Tout son corps la ressentait à présent : ils se rapprochaient. Sans plus attendre, suivant des mouvements trop souvent répétés, Pandora sortit une grande malle de sous son lit, y rangea ses livres précieux, son journal vierge, son violon, et en sorti Epine, son épée. Ce n’était qu’une précaution, elle ne comptait s’en servir qu’en dernier recours. La douleur était à la limite du supportable.
Le temps était compté. Pandora choisit la voie la plus rapide : la fenêtre. D’un bon, elle jailli de sa chambre. Mais alors qu’elle aurait dû heurter le sol dallé avec violence, c’est à peine si on entendit le bruit de ses bottes toucher le sol. D’un simple mouvement de doigt, elle avait demandé son aide à Léole, qui comme toujours consentait à la protéger.
« Léole ! Psalmodia-t-elle, j’en appelle à toi, dieu des vents ! Que mes pieds sois lestes, ma course rapide, et loin de mes ennemis me guide ! »
Sitôt la pensée du dieu du vent en son esprit, Pandora se senti légère comme une plume, capable de courir aussi vite qu’une biche. Une violente bourrasque parcourue la place, faisant crier tous les villageois. Elle était si puissante, et Pandora, si légère, que celle-ci fut littéralement soulevée, projetée en avant dans un saut vertigineux. Aux anges, la jeune femme souriait, pendant un instant, insouciante du danger qui la faisait fuir. Mais en retombant, avec l’aisance d’une plume, le bruit et la douleur lui revinrent. Elle sentait que le malheur était tout proche. Dans un dernier grand bond, elle sorti du village, sans prêter attention aux hurlements indignés de la foule.
Elle se sentait désolée pour les habitants du village, mais leur destin était scellé. De toute manière, si elle les prévenait, ils ne la croiraient pas. Personne ne la croyait. Elle aurait pu combattre pour les défendre. Cette idée lui arracha un sourire. Ridicule, elle tenait bien trop à la vie pour la risquer aussi stupidement. Quand elle fut à bonne distance du village, sur une colline la surplombant, elle risqua un regard en arrière. Sa vue de loin était troublée par la blessure de son œil gauche, aussi elle le ferma pour se concentrer. Une masse informe, hétéroclite et monstrueuse s’abattait sur le pauvre village. Des démons, encore. Le bruit, sourd au début, était maintenant un cri d’effroi parfaitement clair. Ou bien était-ce le cri des villageois ?
« Pourquoi sont-ils encore après moi ? pensa Pandora, désespérée. Qu’ai-je donc fait pour mériter cela ? Je ne peux m’installer nulle par plus d’un mois ou deux avant qu’ils ne surgissent. Pourquoi moi ? »
Ces questions, cela faisait près de dix ans qu’elle se les posait. Pendant tout ce temps, elle avait fui, menant une existence incertaine, errant de ville en village. La seule chose qui l’empêchait de perdre espoir, c’était Léole. Sa présence quand elle jouait, son souffle et sa protection. Tout cela, depuis l’enfance, la guidait vers une vie de recherche. Un jour, elle le savait, elle pourrait rejoindre ce dieu, comprendre sa Substance. Mais cette fuite perpétuelle ne lui donnait aucune occasion de se consacrer au divin, et elle ne savait guère ou aller pour trouver des réponses … d’autant plus que l’endroit serait de toute façon attaqué, si elle s’y trouvait.
Remuant ces sombres pensées, Pandora reprit sa route, tournant le dos au village et à ce spectacle qu’elle ne connaissait que trop bien.