Prologue : Une nuit déchirée de cris et de larmes

Notes de l’auteur : Premier chapitre, et probablement le dernier. Le site ferme bientôt

Encore une nuit froide, encore une pluie battante sur la forêt. Père est en rage, et une fois de plus, c’est maman qui encaisse sa colère.

Il a dû vendre ses terres — celles où poussaient jadis radis, tomates et pommes de terre — à un riche du village. Il n’avait plus les moyens de les entretenir. En échange, il n’a reçu qu’une modeste prime de mille-trois-cents karus.

Maintenant, il ne reste plus rien. Si père et mère ne trouvent pas vite un moyen de gagner de l’argent, leur vie est bientôt terminée.

Père hurle. Maman pleure de douleur sous les coups de bâton de son mari.
Au fond de la pièce, mes frères et sœurs sanglotent, blottis les uns contre les autres.
Les murs de bois de la maison grincent à chaque bourrasque de vent.

Et moi, je reste debout, immobile, muet, face à une scène devenue presque quotidienne.

Un coup de plus. On entend un crac. Ma mère ouvre la bouche, mais aucun son n’en sort.

— Pourquoi ?! Pourquoi, hein ? Dis-moi pourquoi ! Pourquoi la vie est-elle si dure depuis qu’on s’est mariés ? J’aurais dû te tuer dès le début !

Ma mère encaisse. Elle ne dit rien. Des larmes coulent en flots sur ses joues.
Elle sait que ce n’est qu’un mauvais moment. Que Père n’est pas naturellement cruel, mais qu’il a ces accès de rage, où tout doit sortir.

En cette époque, au Japon, le Père est désigné chef de la maison — et qui dit chef, dit autorité. Il croit avoir tous les droits, que ce soit sur sa femme ou sur ses enfants. Impossible de porter plainte : pour le village, c’est normal.

Je ne peux que laisser le temps passer en priant que la situation s’améliore, que nous trouvions rapidement un moyen de sortir de ce pétrin…

Les coups de Père sur Mère deviennent de plus en plus forts, de plus en plus violents : des gouttes de sang perlent sur la barre de bois. Je vois mon petit frère Kaomi, terrifié, blotti avec ma petite sœur. Jamais la crise n’a été aussi violente qu’aujourd’hui.

Je décide d’aller les voir. En passant près de Père, celui-ci, prenant de l’élan pour frapper, me donne un coup dans les côtes. Je ne dis rien, malgré la douleur.

Devant Kaomi et Suka — ma sœur — j’essaie maladroitement de les réconforter, sans succès. La seule chose utile que j’ai trouvée est de me placer devant eux, pour leur épargner la vision de l’enfer.

À travers un petit trou dans le bois, j’aperçois la lumière de l’aube. Le soleil va bientôt se lever : la crise va enfin se terminer.

L’hystérie de Père est effroyable. Je n’ose même plus regarder la scène.

Je n’entends que le bâton s’abattre sur le dos de Mère, déjà évanouie.

Silence.

Je ne perçois plus que la respiration haletante de Père et les sanglots étouffés de Kaomi.

Puis Père se redresse. Il lâche prise sur la batte, qui retombe lourdement sur Mère, arrachant à celle-ci un faible gémissement.

Le plancher grince. Ses pas résonnent dans la pièce.

Il sort.

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