Lynn pris Sam par la main, et décida que le temps était parfait pour une promenade dans les dunes en ce début d'après midi d'été.
Sam, du haut de ses quatre ans, était très flatté d'avoir été choisi par sa grande sœur de seize ans pour l'accompagner. Il se sentait élevé au-dessus de sa condition de bébé à laquelle "les grands" le confinait sans ménagement. Était-ce de sa faute si "les grands" étaient si grands! Il avait couru mettre ses chaussures et prendre un pull comme l'avait recommandé Lynn. Lui, il s'en serait passé du pull, mais il fallait mieux obéir vite, de peur que Lynn ne change d'idée, ou que Maman n'y trouve à redire.
Il faisait chaud et beau, Sam était très fier, Lynn souriait, la vie était belle. Sam avait envie de parler, de dire qu'il était content, qu'il aimait Lynn, et qu'elle était drôlement gentille. Mais il se taisait, car les "petits" doivent attendre pour parler que les "grands" commencent, et puis on était encore trop près de la maison pour contrevenir à cette règle!
– " Tu veux des bonbons? " questionna Lynn.
– " Oh! oui alors! " s'exclama Sam.
Lynn sortit de ses poches un tas de petits paquets remplis de friandises et en distribua généreusement à son frère.
– " Merci, t'es chouette comme grande sœur " déclara Sam la bouche déjà pleine.
Lynn sourit et ébouriffa les cheveux du petit garçon. Enfin un peu de liberté, loin des autres! Sam commença à babiller, les bonbons avaient été le signal que l'on était assez loin de la maison et des interdits.
Lynn était perdue dans ses pensées et n'interrompait Sam que par monosyllabes. Lui, ravi donnait libre cours à tout ce qui lui passait par la tête. Il était aux anges, enfin personne ne le reprenait et Lynn d'habitude si sévère avec lui semblait heureuse de ses histoires. Cela l'étonnait, le ravissait, et l'inquiétait un peu. Il lui lâcha la main, elle ne fit pas de réflexions. Il se sentait grand, il marchait à côté d'elle comme son égal en mâchouillant ses bonbons. C'était mieux qu'un rêve.
Lynn faisait abstraction de Sam, non pas qu'il l'ennuie, mais elle arrivait à ne suivre que d'une oreille distraite son babil enfantin. Il lui suffisait juste de répondre de temps à autre et cela suffisait. Les dunes s'étendaient à perte de vue et elle était soulagée d'avoir obtenu la permission de cette sortie. Elle s'en étonnait encore. Que l'on put croire que Sam lui servirait de garde du corps dans les dunes dépassait son entendement. Elle pencha plutôt pour la solution qu'elle débarrassait tout le monde de la présence du petit. Il est vrai qu'il était parfois assommant à traîner dans les pattes des grands, mais Lynn se sentait d'humeur protectrice et trouvait injuste leur attitude à tous. Car si Sam devait toujours se taire, elle, elle ne devait jamais sortir seule. On ne sait jamais ce qu'il peut arriver! Une jeune fille courre toujours de graves dangers selon eux. C'est quand même incroyable ce qu'ils peuvent être inquiets pour rien les parents! Pourtant elle ne se met jamais en situation dangereuse. On a beau lui dire qu'on ne peut pas faire confiance aux inconnus, elle a vraiment l'impression que c'est en elle et en son jugement que ses parents ne font pas confiance.
Sam se mit à courir devant elle en riant.
– " On fait la course! "
– " Mais tu prends de l'avance! Tu vas voir si je t'attrape petit sacripant! " gronda Lynn en souriant. Sam pris ses jambes à son cou suivi d'une grande sœur qui faisait mine de ne pouvoir le rattraper. Le petit était fou de joie et il s'étrangla presque lorsque dans un roulé boulé Lynn le rejoignit. Tout les deux se regardèrent, pour un peu ils avaient le même âge. La malice éclairait leurs yeux.
– " Vient, on roule jusqu'au bas de cette dune "
– " Comme des cassadeurs? "
– " Comme des cascadeurs, répète: cascadeurs"
Sam regarda Lynn d'un air inquiet, elle ne pouvait pas laisser tomber, cassadeurs cascadeurs c'était pareil. Mais elle n'avait pas l'air de plaisanter.
– " Cascadeurs " annona-t-il d'une voix morne. Il fallait donc qu'elle ne laisse rien passer. Son plaisir de dévaler la dune s'en trouvait amoindri. Lynn lui releva le menton, frotta son nez contre le sien et dit en souriant:
– " Monsieur et Mademoiselle les "cassadeurs" vont bientôt descendre cette dune a une allure vertigineuse, si vite qu'on ne pourra pas les photographier. T'es cap'?"
– " Bien sûr que j'suis cap' " se rengorgea Sam soudain ragaillardi.
Ils s'allongèrent sur l'herbe rase et roulèrent jusqu'au bas du monticule. Tout étourdit, les cheveux et la bouche pleins de sable, ils restèrent un moment immobiles à contempler les nuages.
Sam crachota et se remit debout, il était près à continuer la marche. Lynn secoua ses cheveux et ceux de son frère pour ôter l'excès de sable. Elle repartit d'un pas allègre, Sam trottinant sur ses talons, puis elle ralentit un peu le pas pour que celui-ci puisse la suivre sans trop de fatigue. Elle avait une vague idée de l'itinéraire qu'elle comptait prendre, elle faisait confiance à son sens de l'orientation mais de toute manière ils longeraient les dunes en suivant la mer dans un sens puis dans l'autre, à quelques détails près.
Sam était heureux, il parlait pour deux. D'ailleurs c'était fou ce qu'il pouvait avoir de choses à raconter! Lynn se disait qu' heureusement que les autres n'étaient pas là car il y a longtemps qu'ils lui auraient dit de se taire. Pourtant, il était drôle avec ses histoires sans queue ni tête. Toutefois, Lynn jugea qu'il serait bon d'avoir un moment de silence constructif. Elle proposa cette pause à Sam qui posa sur elle un regard d'incompréhension.
– " C'est quoi un silence constructif? J'ai plus le droit de parler? " questionna-t-il d'un air déçu.
– " Mais si tu as le droit de parler, seulement, tu peux le faire après avoir observé quelque chose en particulier et que tu le décrives. C'est une sorte de jeu en somme. " expliqua Lynn.
– " Ah, bon! " soupira Sam d'un air soulagé.
Il fronça ses sourcils pour se concentrer. Il allait dire quelque chose, puis tout-à-coup il s'arrêta pris d'un doute. Son observation était-elle digne d'intérêt? Fallait-il à tout pris, que ce qu'il devait dire soit intelligent et instructif. Il avait peur, il n'aimait pas du tout ce jeu, il préférait comme c'était avant.
Lynn l'observait du coin de l'œil et vit son air inquiet et traqué.
– " Tu sais, cela peut-être quelque chose de simple, de curieux ou même qui te semble bête ou sans intérêt? " le rassura Lynn.
Sam la regarda avec circonspection, puis il se lança:
– " Il y a pleins de petits chemins partout, tu crois que ça pourrais être autre chose que les lapins qui les font? "
– " Je crois que ce sont principalement les lapins qui les tracent, mais il peut également y avoir d'autres animaux qui s'en servent. " répondit Lynn en souriant " pourtant il est possible que ce soit complètement autre chose... "
Lynn laissa sa phrase en suspens, captant ainsi toute l'attention du petit.
– " Évidement je peux me tromper, mais imagine que c'est un petit peuple qui se serve des chemins tracés par les lapins. "
– " Et alors ils se serviraient des lapins comme si c'étaient des chevaux! " l'interrompit Sam tout excité.
– " Hé! bien c'est tout à fait possible, ils fabriqueraient des harnais avec des herbes, tu sais comme les bracelets que je fais. "
– " Ah! Oui, on suit les traces dis? "
– " Oui. "
Ils suivirent un moment le petit sentier avec des précautions de sioux à l'affût d'indices. La moindre brindille faisait l'objet de commentaires doctes, et d'affirmations pour le moins fantasques. Ce basculement dans l'imaginaire leur était aussi indispensable à l'un comme à l'autre. Le temps était suspendu, et le jeu régnait en première place. C'était dans ces instants que l'adolescente se raccrochait à son enfance trop vite envolée au profit des responsabilités inhérentes à son rôle d'aînée. Non pas que l'on manquât d'imagination dans sa famille, mais les soucis ces derniers temps avaient pris le pas sur l'insouciance d'autrefois. Aussi il était bon de pouvoir s'échapper physiquement et mentalement pendant de courtes périodes, la réalité se chargeait de bien remettre tout le monde vite dans le réel. Mais pour l'instant, pas de rabat-joie, ni de tristes idées, seuls les lutins occupaient les pensées des deux compagnons.
Ils furent bientôt arrêtés par un massif de ronces sur lequel quelques mûres précoces étaient chauffées par le soleil. La bouche déjà barbouillée de violet, Sam cherchait les fruits les plus mûrs avec délectation. Lynn, quant à elle, picorait avec précaution de peur d'avaler un insecte, en s'attaquant aux branches les plus hautes.
– " C'est bon dis! On en rapporte aux autres? "
– " Ça serait une bonne idée mais on n'a pas de sac pour les mettre dedans. "
– " C'est dommage. " conclu Sam en mettant une dernière mûre dans sa bouche.
Après cette dégustation improvisée, les deux compagnons reprirent leur chemin en laissant les lutins à leurs secrets. Les dunes défilaient au rythme soutenu de leur marche. Le soleil avait largement dépassé son zénith lorsque Lynn songea qu'il serait temps de rebrousser chemin, d'ailleurs Sam commençait à manifester des signes de lassitude, après tout il n'avait que quatre ans et leur marche même pour elle était assez longue.
Le soleil commençait à décliner et il était temps de prendre le chemin du retour, en rejoignant la plage ce serait plus direct. Sam traînait un peu la jambe et son enthousiasme était mort. Il questionnait juste de temps à autre:
– " On rentre bientôt? "
– " Oui, oui, bientôt " répliquait alors Lynn en réalisant que ses seize ans avaient surestimés la force des petites jambes de quatre ans. En plus on devait se demander où ils avaient bien pu passé, qu'ils devraient être rentré depuis longtemps, que pourtant Lynn était raisonnable, mais s'ils avaient fait une mauvaise rencontre, si un serpent avait mordu l'un d'entre eux et si... Non! Lynn secoua la tête énergiquement, elle allongea le pas, distançant Sam de plusieurs mètres.
– " Mais attends-moi, Lynn, attends! ". Sam étouffa un sanglot, il était fatigué et voulait voir Maman.
Lynn s'arrêta, elle-même était fatiguée et inquiète du chemin à parcourir. La crainte d'être grondée la tenaillait et Sam était trop lourd pour être porté, pourtant lorsqu'il se mit à pleurer d'épuisement, elle le prit sur son dos. Le sable ne facilitait pas son allure. Après plusieurs minutes, elle le reposa à terre et il se remit à pleurer.
– " Sam arrête! Sèche tes larmes. Ce n'est pas en pleurant qu'on sera plus vite rentré. On va marcher doucement et je te porterai de temps en temps, mais il faut que tu marches, compris. "
– " Oui, Lynn " hoqueta Sam, " mais j'ai mal aux jambes. " termina-t-il d'une petite voix.
– " Je sais, je suis désolée, mais je ne peux pas te porter tout le temps, tu es trop lourd. " dit Lynn d'un ton radoucît.
Courageusement, ils avancèrent en butant contre les galets et en s'enfonçant dans le sable. Sam eut encore des crises de larmes spasmodiques, mais il tint bon tout le long de cette immense plage. Lynn tenta de le dérider et de détourner son attention vers d'autres sujets, mais le cœur n'y était plus.
Il restait encore la côte bien raide qui conduisait à la maison et Sam n'en pouvait vraiment plus. Lynn ne savait plus quoi faire, elle ne voulait pas le gronder pour sa fatigue puisqu'elle en était entièrement responsable; quand tout-à-coup, Sam s'écria:
– " Papa, c'est la voiture de Papa! " et il bondit vers le véhicule. Les portes s'ouvrirent et Sam se précipita dans les bras de son père. Lynn s'approcha, lut l'inquiétude sur le visage paternel et sourit timidement:
– " On s'est promené un peu loin... "
– " Mais qu'est-ce que vous avez foutu, tu as vu l'heure qu'il est? " la coupa son père. " Monte. "
Lynn prit place dans la voiture et en moins d'une minute, ils étaient rendus à la maison. Maman accueillit les promeneurs avec soulagement.
– " Il ne faut pas rester si longtemps dehors, je me suis inquiétée. Allez, venez manger. "
Les deux enfants embrassèrent leur mère et Sam conclu:
– " Je ne me promènerais plus avec Lynn, c'est trop long et j'ai mal partout. "
Il avait tout oublié de la journée, songea Lynn, peut-être que les bons moments reviendraient plus tard, lorsqu'il serait reposé. En attendant, ils buvaient leur soupe avec délectation avant de monter se coucher.
Le lendemain, Sam courbatu, pouvait à peine marcher. Lynn s'approcha de lui et dit avec malice:
– " Je vais faire une balade, tu viens avec moi? "
– " Ah non!" s'écria Sam effrayé " certainement pas! "
– " T'inquiètes pas gros bêta, quand nous irons nous promener, nous irons moins loin. "
– " Peut-être " dit Sam pas très convaincu.
Comme il s'éloignait en claudiquant Lynn pensa que de toutes façons, elle n'aurait pas l'autorisation avant un bon moment de renouveler l'expérience. Elle monta dans la mezzanine-bibliothèque et se réfugia dans ses livres, là, au moins elle serait tranquille.
Lynn et Sam partagent d'autres moments seuls ou ensemble.... Patience....
On trouve toute les nuances d'une relation de frère et sœur, à la fois très proches et pleine d'imagination, en gardant en toile de fond la situation familiale compliquée. Sam est attachant et Lynn pleine de bonne volonté envers son frère. J'ai beaucoup aimé le passage où Lynn entre dans le jeu de son frère, tout en le sortant de son monologue. On sent que la vie à la maison est loin d'être facile, et que cette promenade représente une bouffée d'air pour tout les deux.
En somme, un très beau texte touchant et une relation frère / sœur à la fois simple et sincère.
N'hésite pas à publier d'autres nouvelles XD
Emmy