Cacilie
Le chat s’est enfui dès que je suis sortie à l’air libre. Je le comprends, l’animosité de Larry était perceptible. Cela dit, je suis certaine qu’il va rester dans le coin. À part le motel, il n’y a rien dans cet endroit du désert.
Je n’ai pas travaillé de la matinée et pour cause, j’étais plus occupé à créer une petite cabane pour notre ami poilu, tout en la dissimulant pour que Larry ne la trouve pas. Du coup, j’ai sorti l’escabeau pour coincer le carton en hauteur. Le félin pourra sauter sur l’armoire électrique accrochée au mur extérieur derrière le motel. De là, il pourra sûrement rejoindre l’auvent. J’y place la boîte en le bloquant contre le mur. J’espère que ça sera suffisant. La gamelle d’eau rejoint l’abri.
Mon travail terminé, je suis satisfaite. Je regagne la terre ferme avant de ranger l’escabeau. Au moins, je ne me suis pas fait prendre. D’un revers du bras, j’essuie la sueur qui perle sur mon front. J’aurais bien besoin d’un peu d’eau fraiche. Sauf que la bouteille que je trouve attend dans le local depuis un moment et s’avère plus tiédasse qu’autre chose.
Mon regard se porte sur mon ordinateur. Si je veux travailler, je devrais l’allumer. Mon estomac lui émet un bruit mécontent. Il doit être pas loin de midi. C’est normal d’avoir faim. Je me décide à retourner vers notre chambre. Si les rideaux sont tirés, c’est que maman n’est pas seule. Par chance, ce n’est pas le cas. Un soupir de soulagement m’échappe.
Malheureusement pour moi, ma mère a un autre rendez-vous. J’ai donc moins d’un quart d’heure pour engloutir la salade de riz au thon. C’est frais et ça tient au corps : deux éléments importants dans ma situation. Je quitte les lieux après un baiser sur la joue de ma mère. Elle me glisse un billet dans la main. Cela me met un goût amer en bouche. J’ai envie de fermer la porte à clé et serrer maman dans mes bras, en lui disant qu’on va trouver une autre solution. Je manque malheureusement de courage pour le faire.
Telle une âme en peine, je traîne dans le motel, mon purgatoire personnel. J’atterris devant le distributeur de boissons. Sans réfléchir, j’y glisse un billet avant de taper le code pour faire tomber une bouteille d’eau. Maintenant, je sais où aller.
Je prends la direction de la chambre deux. Lorsque j’arrive, la porte est ouverte. J’entre sans frapper.
– Chiotte !
Je fronce les sourcils, je ne m’attendais pas à entendre ces mots dans la bouche de mon ami.
– Bernie ?
Surpris, il se retourne, une grimace gênée prend place sur son visage.
– Désolé. Les plombs de cette chambre ont sauté. Encore ! L’électricité est pourrie et je ne peux même pas tout refaire parce que mon oncle trouve que ça coûterait trop cher !
Il se lève et secoue la tête. Je lui tends la bouteille d’eau.
– Elle est fraiche. Ça pourrait te faire du bien.
Un sourire éclaire son visage.
– Tu es la meilleure !
– Pas vraiment… Sinon on ne serait pas dans cette chambre à chercher des solutions à des problèmes stupides.
En silence, nous regardons. Bernie s’installe sur le lit double et me fait signe de venir m’asseoir près de lui. Sans un mot, je me laisse tomber sur le matelas. Ça pourrait être romantique sans la fuite d’eau, les plombs qui sautent et Larry qui pompe l’air de tout le monde. Nous ne bougeons pas. Je crois que chacun de nous espère mieux sans savoir quoi faire pour l’obtenir.
– J’ai construit un abri pour le chat.
– C’est super !
– Je souhaite juste qu’il puisse s’y rendre.
D’un sourire, il essaie de me rassurer.
– Il n’y a pas de raison.
Le silence se fait de nouveau.
– Parfois, j’ai envie de partir d’ici, et tenter ma chance ailleurs, déclare Bernie.
– Tu devrais. Tu as de nombreuses compétences, tu pourrais trouver beaucoup mieux.
– Toi aussi. Mais ce motel, c’est comme un aimant, une fois que tu es passé trop près, tu es coincé.
Il ressent la même chose que moi.
– J’ai parfois l’impression d’être bloqué dans un purgatoire et je me demande quelle faute j’ai commis.
– Aucune. Tu es trop gentille pour ça.
Sur un coup de tête, je pose la main sur la sienne. Je ne sais pas pourquoi je fais ça, mais ça me fait plaisir. Ses joues s’empourprent. Je me sens bête, je ne voulais pas le mettre mal à l’aise, juste lui faire comprendre que je suis bien en sa compagnie. Après tout, il est gentil, travailleur et ne passe pas son temps à faire des remarques idiotes comme des tas de mecs de son âge. Non, c’est un garçon mature. Je voudrais qu’il sache qu’il est important pour moi, mais j’ai peur que ça ne lui cause des problèmes avec son oncle.
– Merci d’être là pour moi.
– C’est toi qui viens de me ramener une bouteille d’eau. C’est moi qui devrais dire ça.
Je me sens bien. Discuter avec lui me fait plaisir.
– Tu veux que je te rapporte un sandwich ?
Je me redresse.
– J’en profiterai pour passer au disjoncteur.
– Tu es vraiment un ange.
Bernie sort quelques pièces de sa poche.
– Tiens pour le distributeur.
Je le remercie avant de tourner les talons en promettant de revenir au plus vite. Mon pas est rapide alors que je traverse le motel en cherchant l’ombre des bâtiments. Le soleil tape fort à cette heure de la journée. Je préfère faire attention et éviter l’insolation.
De loin, j’aperçois deux silhouettes inconnues. En approchant, je reconnais un homme qui tient par la taille une fille de mon âge environ dont les vêtements permettent de deviner son corps. Lui paraît beaucoup plus âgé : la quarantaine, je dirais. Un frisson me parcourt la colonne vertébrale. Il serait possible que je sois à la place de celle qui ricane et minaude devant ce type. L’idée de le laisser me toucher par celui qui l’accompagne me provoque un haut-le-cœur. Comment maman arrive-t-elle à sourire après ça ? Une fois encore, mon inutilité me frappe.
J’entre à l’intérieur du bâtiment pour me diriger vers l’accueil. Larry s’y trouve, vissé à son siège. En entendant le bruit de mes pas, il relève la tête.
– Qu’est-ce que tu veux ?
– L’électricité dans la chambre deux a sauté. Il faudrait la remettre.
Je fais un sourire faux, en priant pour que ça passe. C’est ma chance puisque Larry ouvre avec une clé l’armoire qui referme le compteur.
– C’est fait.
Je le remercie et m’apprête à filer lorsqu’il me rappelle.
– Ça te dirait de gagner vingt dollars ?
– Qu’est-ce que je dois faire ?
Mon corps se contracte pour se préparer au pire.
– J’ai besoin que tu fasses le ménage dans la chambre quatre et six. Après, il faudra que tu t’occupes de celles où Bernie travaille.
Ça ne m’a pas l’air sorcier. Je l’ai déjà fait. Larry a tendance à me prendre pour son intérimaire favorite.
– D’accord, mais pour cinquante.
Il ricane.
– Trente et ça sera mon maximum.
– D’accord.
– Attention, je veux du propre ! Sinon, tu referas tout une deuxième fois !
Mes yeux se lèvent vers le ciel.
– Ça sera propre !
Larry me lance un regard soupçonneux pour la forme, mais je ne lui prête plus attention. S’il me donne de l’argent en plus, c’est qu’il doit y avoir du boulot. J’ai intérêt à attaquer tout de suite.
Larry n'est-il qu'un pingre opportuniste dénué de sentiments ou un prédateur tapis dans l'ombre et qui attend son heure ? Je m'interroge.
Comment vont cohabiter tous ces êtres disparates, écorchés par la vie ou poursuivant un dessin obscur ? Je ne devrai pas tarder à avoir quelques explications.
Bon chapitre, efficace. Tu vas à l'essentiel sans tournicoter autour du pot.
J'attends impatiemment la suite.
Quelques remarques :
- J’y place la boîte en le bloquant contre le mur : en la bloquant (la boîte)
- Mon estomac lui émet un bruit mécontent : je mettrais "lui" entre deux virgules.
- En silence, nous regardons : nous nous regardons ?
- En approchant, je reconnais un homme : j'identifie un homme (elle ne l'a jamais vu)
- Il serait possible que je sois à la place de celle qui ricane et minaude devant ce type. L’idée de le laisser me toucher par celui qui l’accompagne me provoque un haut-le-cœur. Est-ce que je pourrais te suggérer une formulation plus légère : "Je pourrais être à la place... L'idée de me laisser toucher par son compagnon...." ?
A bientôt
C'est sûr que ce qu'ils vivent les rapproche. Reste à savoir si le destin les réunira.
Je suis contente que la lecture te plaise.
Merci pour ce chapitre !