Pyramide

Par Sebours

Les esclaves jouent un rôle important dans la religion d’Abath-Khal. Les prêtres-sorciers pratiquent chaque semaine, le jour dédié au dieu de la guerre, le sacrifice par cardiectomie (ablation du cœur) d'esclaves et des prisonniers de guerre, dans un lieu sacré qui était le plus souvent un temple au sommet d'une pyramide. Dans ce temple, la statue du dieu-jaguar était cachée et seuls quelques privilégiés peuvent la contempler. Une fois par an, on réserve au premier des Sept les captifs pour sacrifice. Lors du premier jour du mois d’abathi, des combats cérémoniels sont organisés dans les lieux de culte. La plus grande pyramide de l’Orcania se situe à Ladin, la capitale du royaume et mesure 70 mètres de hauteur. Les rares autres édifices bâtis par les orcs ne dépassent jamais les 30 mètres.

« Cérémonies et lieux de culte de l’Orcania »

extrait du Traité sur les sociétés du bouclier-monde du maître architecte Vinci

Gal maudissait ce pleutre de roi Orokko. Le capitaine pourpre savait pertinemment que son roi l’avait affecté à Udgog, aux confins de l’Orcania parce qu’il le craignait. Pourtant il était plus rouge et pur que la moitié des géniteurs de premier rang. Le roi Orokko voyait simplement en lui un rival pouvant lui disputer la couronne. Gal était le premier oniromancien à fouler le sol du bouclier-monde depuis un demi-million de cycles, soit dix fois la vie d’un orc.

Mais le redoutable guerrier comptait faire de cet isolement une force. Toutes les nuits, Abath-Khal lui prodiguait ses conseils. Le dieu de la guerre lui racontait la déliquescence de sa bannière et la manière de la redresser pour lui faire retrouver son hégémonie sur le bouclier-monde. L’Orcania manquait de tout. L’Orcania manquait d’un souverain fort, un guide capable de l’emmener régulièrement à la victoire. L’Orcania manquait d’acier parce qu’elle ne maîtrisait que la pierre taillée ou polie. Mais par-dessus tout, l’Orcania manquait de ferveur religieuse. Le dieu-jaguar comptait de moins en moins de croyants sincères. C’était la faute d’Orokko qui se montrait laxiste avec l’ordre religieux des servant-dragons et craintifs vis à vis de tout prétendant potentiel.

Depuis dix ans, le capitaine Gal partait régulièrement en expédition dans l’inframonde. Depuis dix ans, il se déplaçait dans les tunnels obscurs en s’aidant du heaume de vision. Depuis dix ans, il observait la progression des travaux des nains. Depuis dix ans il se contentait de cette routine car il ne rêvait plus ce qui s’avérait dramatique pour lui, un oniromancien. Sans rêve à interpréter, il perdait son pouvoir divinatoire et devait se cantonner à respecter les ordres du roi Orokko et de ses consuls. Enfin, une nuit, au cours d’une de ses pérégrinations, un songe lui vint et le puissant orc sut enfin quel était le chemin à prendre.

Dans ses songes, Gal découvrait la mission que lui confiait Abath-Khal. Celle-ci commençait par la construction d’une pyramide sur le Mont Perdu. Ici, sur les hauteurs de Udgog, loin des intrigues de court du roi Orokko, le capitaine pourpre allait amorcer la renaissance de l’Orcania. Mais étrangement, Gal devait s’éloigner du chantier une fois celui-ci initié pour se rendre au bout du bouclier-monde, au bord du vide. Il devait donc préparé consciencieusement son départ.

Le capitaine pourpre prit une semaine de repos pour se remettre de son périple dans l’inframonde de Dmor-Khal. Le manque de sommeil et le rationnement alimentaire l’avait considérablement affaibli comme à chacun de ses voyages qu’il était le seul à effectuer. Pour masquer son état à ses hommes, il consacra donc les trois premiers jours à féconder les femelles. Cette seule tâche justifiait son inaction et encourageait même ses soldats à lui fournir du gibier sanglant pour qu’il reconstitue ses forces. Avec le temps, Gal pensait que le privilège de géniteur royal avait été inventé par le Maître dans le seul but de permettre aux élites de se régénérer. Il était en effet épuisant de constamment lutter face à ses troupes pour affirmer son hégémonie. La reproduction de la race offrait aux dirigeants une pause dans ce combat permanent.

Chaque clan originel était d’une couleur différente. Les orcs de pure ascendance royale possédaient une peau rouge sang. Rapidement, le légendaire premier roi des orcs Patraocla créa le privilège de reproduction à son seul clan afin d’affirmer sa prédominance. Au fil du temps, les chefs de guerres écarlates prirent l’ascendant et les autres clans périclitèrent. A présent, la pureté du sang d’un orc s’évaluait à la couleur de sa peau, celle-ci oscillant généralement du vermillon au noir. Il existait bien encore quelques poches de groupes de verts, de violets ou de jaunes, mais ceux-ci demeuraient rares. Par chance, le jeune capitaine Gal était assigné au commandement du poste frontière d’Udgog. Le village ne comptait que des soldats anthracite. Sa légitimité ne pouvait pas être remise en cause, malgré quelques imperfections physiques comme ses pupilles jaunes et ses griffes un peu trop claires. Il présentait des caractéristiques plus proche du canon de sang pur que la majorité des géniteurs de premier rang. C’est pour cela que Gal se permettait de s’absenter sans crainte. D’autant qu’il avait choisi avec soin son second, Vlad. Ce colosse deux fois plus imposant que ses congénères manifestait une fidélité indéfectible au capitaine qui lui avait permis de s’extirper de la fange où se trouvaient les autres orcs noirs. Surtout, Gal ne l’avait pas émasculé lors du rite d’initiation grâce à un stratagème. Depuis, ce secret passible de mort liait les deux orcs.

Une fois ses forces régénérées, le capitaine passa en revue ses troupes. Le caporal Vlad lui indiqua un élément qui s’était avéré revêche au cours de son absence. Le puissant second aurait pu régler cette affaire, mais la lui déléguer n’aurait-il pas été un aveu de faiblesse ? Si Orokko se révélait être un roi faible, le capitaine pourpre voulait se monrer fort et intransigeant. Gal devait se montrer impitoyable afin d’annihiler dans l’œuf toute velléité de mutinerie. La renaissance de l’Orcania passait par là. Sa conquête du pouvoir nécessitait cette attitude. De plus, du fait de son long voyage dans l’inframonde, le chef de guerre n’avait pas connu la fureur des combats depuis des lustres. Il se fit un plaisir à provoquer l’élément perturbateur en combat singulier.

Les soldats formèrent un cercle, scrutant les faits et gestes des deux adversaires. Une tension animale flottait dans l’atmosphère. Les deux orcs allaient et venaient de droite à gauche, de gauche à droite en se défiant du regard et en poussant des grognements roques. Gal avança soudain d’un pas décidé, prêt à en découdre. Dans ces instants précédant la bataille, sa large carrure impressionnait toujours ses congénères. Le malheureux soldat regrettait déjà son acte de rébellion et tentait de reculer, bloquer par le cercle de guerriers. Ceux-ci le repoussèrent dans l’aire de combat et Gal lui asséna un coup de poing à la mâchoire qui rompit net sous la violence de l’impact. La victime expiatoire se releva péniblement. Après un déplacement sur la droite de son adversaire, le capitaine prit son impulsion et effectua un saut. Au sommet de son extension, il mit un coup de pied sur le genou du mutin, lui déboîtant l’articulation. Gal harangua alors la foule en levant les bras dans un cri de fureur. La troupe éructa en réponse, sentant l’odeur de la mort poindre. Le capitaine saisit alors la tête de son adversaire entre ses bras et tourna d’un geste sec. L’orc qui avait osé remettre en question l’ordre établi tomba à terre, la nuque brisée.

Gal planta alors ses griffes dans la poitrine du macchabée, arracha son cœur, le présenta à ses troupes, mordit dedans, le jeta à terre, le piétina puis cracha sur sa victime. Par ces actions d’une brutale sauvagerie, le capitaine de la garde exprimait son profond mépris pour les soldats incapables de respecter l’ordre établi. Il remettait aussi en avant les pratiques sacrificielles dédiées au dieu de la guerre.

Une fois la fureur du combat retombée et le calme revenu dans ses troupes, Gal expliqua le projet qui devait être mis en place à Udgog. Certes, les débuts risquaient d’être rébarbatifs pour un orc, mais ce sacrifice permettrait à toute la tribu d’obtenir à terme une position prédominante dans l’Orcania, la nation orc. Suite à sa démonstration de force, Gal ne rencontra aucune opposition et expliqua donc ses plans. Dans un premier temps, tout le village construirait d’importantes infrastructures pendant l’absence programmée de leur capitaine durant les prochains mois. Il y avait besoin de doubler, voir tripler le mur d’enceinte, de construire un fortin de pierre dans lequel se trouveraient des enclos solides ainsi que des cages et des cachots. Une fois cela accompli et après le retour de Gal, les orcs pourraient se livrer à des raids contre tous les peuples qu’ils désireraient. Udgog deviendrait bientôt plus qu’un simple village, son nom serait connu et reconnu dans toute l’Orcania. Cette perspective de combats galvanisa les troupes du capitaine. Ensuite, les esclaves capturés érigeraient une pyramide à la gloire du dieu-jaguar, plus grande et plus imposante que celle de Ladin, la capitale. Udgog deviendrait le nouveau centre de la bannière du dieu de la guerre !

Bien qu’ayant une confiance absolue dans son second, Gal ne pouvait pas lui confier la tâche de superviser les travaux pharaoniques envisagés. Vlad possédait d’évidentes qualités lui permettant de commander sur un champ de bataille, mais son ignorance en termes d’ingénierie constituait une lacune rédhibitoire. Le capitaine délégua donc la responsabilité du chantier à Borg. Ce n’était pas le soldat le plus redoutable dans les combats, mais c’était l’un des rares qui avait suivi une partie de l’enseignement supérieur avec le géniteur royal. Il savait lire, écrire, compter, dessiner et déchiffrer des plans. Rares étaient les éléments présentant l’ensemble de ces compétences parmi les orcs noirs ou rouges. De plus, Borg respectait l’ordre établi, réfléchissait avant d’agir et n’affichait aucune ambition superflue. Gal réfléchissait depuis longtemps à promouvoir le seul compagnon d’armes avec lequel il parvenait à avoir des conversations d’un certain niveau intellectuel. Borg formerait un binôme complémentaire avec Vlad. Il ne remettrait pas en question la position du second et le conseillerait judicieusement. Et l’escouade se doterait à terme d’un ingénieur militaire, privilège accordé aux meilleurs bataillons orcs.

Orokko avait peur de Gal l’oniromancien, le premier liseur de rêves apparu sur les dix dernières générations. Le roi l’avait ostracisé aux confins de l’Orcania, loin de Ladin, loin du trône. Cela causerait sa perte ! Depuis Udgog, le capitaine pourpre conquerrait le royaume des montages. Il rendrait sa grandeur à la bannière d’Abath-Khal, le dieu-jaguar de la guerre. Et de là, il s’emparerait du bouclier-monde.

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Peridotite
Posté le 31/10/2023
On découvre Gal et le royaume orc inspiré des incas.

Je me disais que tu pouvais aller plus loin et décrire un peu plus ces pyramides pour les différencier des incas. De même pour le dieu jaguar. Leur dieu n'est-il pas celui de la guerre, pas le dieu jaguar des incas non ? Ainsi, j'introduirais davantage ce royaume, d'autant que si Gal rêve que sa cité dépasse en taille et en prestige la capitale, on se dit que ce n'est pas le cas maintenant. J'imagine donc qu'il dirige un bourg et qu'il a à peine commencé la construction d'une pyramide ? Ce serait intéressant d'en voir plus. Comme Gal obéit au dieu de la guerre qui lui envoie ses visions, j'introduirais davantage la religion, car elle définit le personnage qui est très croyant ?

D'ailleurs, tu parles souvent des femmes orcs mais ne devrais-tu pas en introduire une qui représenterait les femmes orcs et comment c'est dans ce gynécée orc concrètement ?

Tu décris le rêve de Gal en mode tell mais ce serait intéressant de nous montrer comment rêve un orinomancien ? Est-ce un rêve ordinaire ? Est-il en transe ou quelque chose ?

D'ailleurs, s'il est orinomancien, est-ce nécessaire qu'il soit toujours obligé d'assoir son pouvoir en se battant ?

Il doit se sentir proche de Borg qui est plus intelligent que les autres. Borg est-il noble ? Est-il envoyé de la capitale tout comme Gal ?

Bref, plein de questions à nouveau, mais je trouve cette introduction de Gal intéressante. On comprend dans ce chapitre ses objectifs : prendre le pouvoir mais aussi être prêt à l'abandonner pour obéir à son dieu.


Petites notes :
deux manière
> -s

"Il enfila son poncho de laine mité et miteux puis sorti."
> pourquoi mité et miteux ?
> sortit
Sebours
Posté le 31/10/2023
Merci pour tes retours Peridotite. Comme toujours ils sont très constructifs et me permette de m'améliorer.

J'ai hâte de pouvoir participer à la publication de ton roman (à ma modeste échelle).

La religion, les guerres entre cités, l'oniromancie ... J'essaie de mettre plein de trucs, trop sans doute. Du coup, j'ai l'impression de survoler chaque sujet et d'en oublier en route! Le poids de la religion notamment avec une caste de prêtres-sorciers qui voient Gal, l'oniromancien comme une menace.

Définitivement, il y a trop de trucs! C'est pour ça que j'ai fait le choix de ne considérer les femelles orques que comme des reproductrices. Leur cas est légèrement abordé quand Gal va à la capitale Ladin pour voler la boussole de Ziric. Il va dans le harem royal mais c'est furtif. Je me dis que dans une société aussi guerrière, les femelles n'ont pas de place de choix. (La société viking est un contre-exemple magnifique pourtant.) Par contre une nouvelle sur l'émancipation d'une orque du bouclier-monde ferait un bon sujet. Je le note pour plus tard, un jour peut-être lorsque j'aurais fini mon pavé.

Tu penses que je devrais rédiger plus de passages comme le chapitre "La quête de l’oniromancien" où je décris Gal dans son rêve avec les messages cachés d'Abath-Khal?

Pour les références de la culture orc, je suis plus sur les aztèques et mayas que sur les incas. Chez les aztèques, le dieu-jaguar Tezcatlipoca est associé à de nombreux concepts : la nuit, la discorde, la guerre, la chasse, la royauté, le temps, la providence, les sorciers et la mémoire.

"Il enfila son poncho de laine mité et miteux puis sortit."
> pourquoi mité et miteux ?
C'est juste pour un effet de style sur la consonance.

Encore merci pour tes commentaires!
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