Quelque part mais pas ici

Par Lyrou
Notes de l’auteur : Impressions visuelles à l'écoute de "Arriving Somewhere but not Here"

        Tout jusque là avait ressemblé à un rêve. Il lui avait en fait été difficile de déterminer à quel instant elle s’était réveillée. Elle ne savait plus si la route qu’elle avait arpenté en voiture était réelle, si elle s’était arrêtée à cet endroit, si les halos de ses feux qui à ses yeux fatigués avaient paru un instant dévorer le monde, appartenaient à la réalité ou non. Elle était maintenant dans la forêt, une lampe torche à la main, bien éveillée, et elle avait froid. La peau rosie par l’air frai, seul son visage se détachait de l’obscurité ambiante, le reste étant couvert de vêtements sombres. Mais même ainsi elle ne semblait faire qu’un avec la forêt, et sa présence n’était finalement dénotée que par la tâche lumineuse qui jaillissait de sa main. Le blanc de sa lampe faisait s’évanouir les ombres sur son passage, pour en laisser d’autres réapparaître dans le sillage de sa lumière. Là se distinguait une branche, là un tronc, là un feuillage, là du vide angoissant. Certains recoins obscures lui serraient le cœur : de la même façon que dans de l’eau profonde et noire l’on s’attend inconsciemment qu’un danger s’en échappe, il lui semblait que les ombres abyssales fonderaient sur elle. Elles restaient immobiles pourtant, laissant planer entre les arbres la possibilité de l’inconnu féroce.

    Puis la lampe s’éteignit. Ce ne fut pourtant pas source d’inquiétude, comme si elle s’y attendait, qu’elle savait que la lumière s’en irait. Elle ne le savait pas, pourtant, mais au moment où elle se trouva noyée dans l’obscurité cela lui parut naturel. Ce fut à cet instant qu’elle réalisa un fait curieux : si elle sentait moult odeurs, principalement celle de la pluie sur les feuille et dans la terre, elle n’entendait rien. Sinon le craquement de ses pas, eux-même très silencieux, il n’y avait pas un bruit. C’était comme le calme avant la tempête. Il lui semblait que la forêt entière lui hurlait sans voix que quelque chose venait. Elle retint son souffle, son cœur vint battre jusque dans ses oreilles, ses doigts se mirent à triturer la lampe éteinte. Puis il y eu un hululement. Les minutes qui suivirent ne furent plus que rythmées par cet enchaînement de notes quelque part autour d’elle. Elle fixait le vide d’où le bruit semblait provenir, les yeux grands ouverts, tentant de percer les ombres pour apercevoir l’oiseau. Elle comprit qu’il s’approchait d’elle quand elle vit ses deux yeux s’agrandir doucement ; puis il fut juste devant elle. C’était un hiboux, sans doute proche du grand-duc, et l’orange de ses iris semblait flamber autour de ses pupilles. Elle le fixa, ne clignant des yeux que rarement quand cela devenait insoutenable, puis eut l’impression de se noyer dedans. L’orange parut plus orange encore, le noir plus noir, et c’était comme si les yeux grandissaient, grandissaient encore pour la toiser tout entière, qu’ils prenaient vie, que le globe s’agitait, s’enflammait, crépitait devant elle et que les braises venaient lui brûler les doigts. Puis l’oiseau s’envola. Elle courut aussitôt à sa poursuite. Le chemin se dégageait devant elle, elle ne trébucha sur aucune racine, aucune motte de terre, elle glissait entre les arbres, les yeux rivés sur les éclats de cendre que formaient les plumes du hiboux dans la traînée de couleur de ses yeux. Puis elle dû s’arrêter subitement sous peine de tomber dans l’eau. L’oiseau disparu dans l’obscurité et il ne resta plus qu’elle, sur un petit quai en bois au bord d’une rivière d’encre. Sa largeur lui était impossible à évaluer : elle semblait s’étendre à l’infini, se mêlant à la forêt, et la forêt se mêlant au ciel. Seuls les remous qui entouraient les pilotis en bois lui indiquaient où la nuit était faite d’eau.

    Les bruits de la forêt avaient repris leur cours, accompagnant les clapotis du quai par des grésillements et des bruissements divers. Elle resta là quelque instants à fixer les nuances d’ombres qui se déployaient tout autour d’elle jusque la voûte céleste où elles étaient par endroits tâchées de blanc, puis un grincement la fit se retourner sur sa droite. Là elle se figea. Elle se tenait devant elle-même. Un autre elle, à l’identique, le même pull noir, le même pantalon crasseux, le même chapeau usé. Elle tendit la main pour toucher un miroir, mais il n’y avait rien. À la place elle rencontra la main de cette silhouette qui s’était matérialisée à ses côtés, et celle-ci lui attrapa le poignet. Elle eut un mouvement de recul, voulut se dégager de son emprise, mais plus elle bougeait plus elle la serrait. L’originale s’immobilisa alors, et la silhouette leva son autre main. Des étincelles jaillirent de ses doigts, puis bientôt des flammes. Elles glissaient sur sa paume, s’enroulaient autour de ses phalanges, et grandissaient à chaque minute. Elle façonnait le feu à sa guise, sculptait ses ondulations reptiliennes sans même y penser, par un mouvement rapide, une agitation du poignet. Puis elle la lâcha elle, et les flammes remontèrent le long de son bras. La double eut un rictus que l’originale ne comprit pas, puis le feu la dévora toute entière. L’originale tomba en arrière et rampa sur le quai de bois pour s’éloigner de la silhouette de flammes qui semblait ne plus savoir se mouvoir. Elle la fixa quelques instants, le double face à elle, la forme de son visage toujours dirigée vers elle, puis la suivi du regard quand elle s’approcha de la rivière. Elle tendit les mains dans un élan de volonté de la retenir, mais l’être brûlant fit un pas sur l’eau, puis s’évanouit en une fumée noire. Rien que comme ça, elle avait disparu. C’était à cet instant qu’elle vit ses mains. Des flammes galopaient sur sa peau, et se réfugièrent dans son poing quand elle le serra. Lorsqu’elle rouvrit la paume, elles se libérèrent puis glissèrent de nouveau tout autour de ses doigts et le long de ses lignes de vie. Ses mains crépitaient si fort, le bruit lui remplit les oreilles toutes entières, en cet instant il n’y avait plus que ça : le feu, et son crépitement. Puis elle distingua des sons similaires non loin, pas si proche que ses mains, derrière elle sans doute. Elle se retourna, et là au pied d’un arbre des corps dansaient.

    Depuis le quai elle distinguait les longs tissu blancs onduler, créer et détruire des formes à l’infini, des ombres qui glissaient sur les robes, des fleurs qui s’y cachaient. Puis en se rapprochant de quelques pas elle vit des visages curieusement pâles auréolés de cheveux blonds, aux traits fins et précis comme sortis d’une peinture classique. Toutes ces silhouettes formaient une ronde autour d’un objet qu’elle ne sut pas distinguer dans le ballet des tissus. Elle ne fit qu’un pas de plus une fois qu’elle eut quitté le quai et se décida à les apostropher. Les visages se tournèrent vers elle, et la scène se figea, resta quelques instants dans cette pause de statue de marbre, puis les tissus retombèrent et bientôt disparurent derrière les arbres. Elle les appela plusieurs fois, leur demanda de revenir, mais ils n’en firent rien. De la ronde ne restait qu’un globe noir, de la même façon que de l’être double ne restait qu’un filet de brume à la surface de l’eau. L’objet était luisant, et sa surface inégale. Elle y fit courir ses mains léchées de flammes, et s’aperçut ainsi qu’il était recouvert d’autres petits globes encore qui y étaient partiellement encastrés. Il lui sembla alors voir la mer. Le feu de ses mains se reflétait sur le noir de l’objet, créant des remous, des vagues de crépuscule qui glissaient sur les galets, tournaient autour comme des petits poissons, sans jamais cesser de se mouvoir. Elle se saisit alors du globe, et il se prit à vibrer. D’un coup il fut parcouru de dizaines de petites lumières de couleurs dont l’origine pouvait être attribués aux plus petits globes qui trouaient sa surface. Les lumières y tournèrent, et bientôt avalèrent le feu. Il n’y avait plus que ces petits points de couleurs sur la boule. Ils envahirent ensuite sa main, puis son bras, son corps, et la forêt tout autour d’eux. Les lumières dansaient dans l’air, brisaient l’obscurité avec une parcimonie humble, noyaient le noir dans de la couleur, découpaient les ombres au couteau. Elle posa alors le globe sur le sol, puis ne le quitta plus des yeux. La couleur de son iris se perdit dans celles des lumières, son visage éclairé cessa de lui appartenir, tandis que sa pupille et le reste d’elle s’évanouirent dans la nuit par contraste. Seul le feu revint. Le feu qu’elle avait façonné, qui maintenant se parait de miles couleurs et pourtant restait si pur dans son camaïeux d’oranges. Le bleu, le vert, le rose, le lilas des lumières glissaient entre les flammes sans parvenir à s’y accrocher, et retournaient danser dans le noir jusqu’à s’y perdre complètement. Elles dansaient en elle, aussi, et elle eut l’impression que les lumières se glissaient sous sa peau pour réchauffer son cœur.

    Qu’avait-elle voulut se prouver au juste, en quittant la route en pleine nuit pour s’enfoncer dans la forêt, et comment avait-elle pu supposer que cet endroit remplirait son vide. Maintenant elle était là, debout entre les arbres, les bras ouverts, l’ombre comme celle d’un ange, et elle inspirait des couleurs. Elle les sentait danser en elle, prendre vie, et lui en rendre un peu. C’était ça. Elle se sentait en vie. Elle apprenait à respirer, à sentir les battements de son cœur, à écouter cette voix qui murmurait dans sa tête qu’elle était en vie. L’horizon s’ouvrit alors sur une boule de feu qui montait dans le ciel, un astre gigantesque qui d’ici paressait si petit, et la lumière envahit tout. Les petites lueurs se fondirent dans le halo du soleil levant, et le feu rejoignit l’or qui se déversait entre les arbres.

    Elle ferma les yeux, pour prolonger l’obscurité, rien qu’un peu, puis les rouvrit sur une aube ambrée qui à cet instant semblait pouvoir durer toujours.

 

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Dersou
Posté le 06/01/2020
Salut Lyrou,

J'ai joué le jeu, je me suis mis "Porcupine Tree" en bande son ;)
Alors voilà : ton texte est riche et très imagé. Ton entrée en matière me plaît, ta description d'une sortie en forêt en pleine nuit est très parlante (c'est du vécu). Quand on comprend qu'il s'agit d'un texte onirique, on risque de décrocher si on n'est pas très "apocalypse selon Saint jean". Dans le cas contraire, on est récompensé par la fin, très ouverte (ou fermée, selon qu'on l'envisage comme un big bang, ou une fin du monde).
Attention à de nombreuses coquilles, comme
"l'air frai", "il y eu", "elle dû"
et à certaines phrase un peu lourdes, comme "Il lui avait en fait été difficile de déterminer à quel instant elle s’était réveillée".
Je sais de quoi je parle, je fais souvent des phrases lourdes ;) mais quand elle se trouve en tête de texte ça peut décourager le lecteur. Tu aurais pu écrire "Elle avait eu de la difficulté à déterminer à quel instant elle s'était réveillé ou plus léger encore "elle avait du mal à savoir quand elle s"était réveillé".

Je lis ton deuxième texte.
Lyrou
Posté le 24/01/2020
Coucou Dersou!
Pour n'avoir jamais fait de sortie en forêt en pleine nuit (dont je me souvienne en tout cas) c'est top si ça t'as parut crédible de ce point de vue là
Merci pour les coquilles et pour les suggestions! Je file checker ça
Et merci pour ton commentaire!
Liné
Posté le 30/11/2019
Hello Lyrou,
Ça oui, effectivement c'est du rêve ! D'ailleurs je serai bien curieuse de savoir comment une seule chanson (que je ne connais pas) a pu t'inspirer autant de détails !
Ton récit est agrémenté de pas mal de connecteurs logiques, du coup il en ressort une impression de "normalité" et de "raisonnable" calquée par-dessus le tourbillon d'images oniriques.
A bientôt pour la suite !
Lyrou
Posté le 24/01/2020
heyo Liné
J'ai une visualisation visuelle très forte donc ça produit facilement de petits films là-haut! D'autres détails se sont ajoutés au moment de l'écriture cela dit, le hiboux notamment, et les petits corps qui dansent
merci pour ton commentaire linéliné!
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