RABI

C'était comme sauter sur un trampoline. Déphasée dans une autre période, dans un autre lieu. Elle se sentait coulée.

Toujours un peu plus vite.

C'était comme si elle sautait du plongeoir, au bord du lac de Djébara.

Toujours un peu plus haut.

Elle se donnait à ce vague à l’âme.

Toujours un peu plus loin.

C'était comme si elle était dans l’oeil de la noyade, sentant de loin le vent sur son visage.

Toujours un peu plus froid.

 

Elle ne se souvenait plus depuis combien de temps elle était arrivée ici, sur cette île, face à la mer. Elle avait choisi de stationner près d’une plage, sur la côte. Excentrée de la ville, de tous commerces et hôtels. C’était un endroit rocailleux, sauvage et, paraissait-il, assez dangereux. Il serait certainement bientôt interdit au public. Les plus malades qui voulaient surfer ou nager ne pourraient plus se pointer ici. Bronzer uniquement n’aurait aucun intérêt. C’était un coin assez tranquille et désert pour pouvoir s’arrêter et se reposer.

Ce début d’été, elle avait été heureuse de constater que la température n’était pas trop élevée. Elle était comblée de trouver ce petit coin de nature au milieu de nulle part, loin du chemin des douaniers. Elle avait installé son camp à la tombée de la nuit, puis était allée se baigner afin de redonner un peu de fraîcheur à son corps après une longue journée de travail.

Pour la première fois, elle avait compris le sens du terme "dormir d'un œil". Même si c’était un endroit assez calme, elle était trop méfiante des aléas de la vie pour ne pas être aux aguets à chaque bruissement suspect. Elle avait somnolé toute la nuit, bercée par le chant de la mer.

 

Dormir dans sa voiture, ça avait été depuis son quotidien.

Comme d’habitude, elle était libre ... mais seule.

Elle s'était réveillée emmitouflée dans son sac de couchage défoncé, sur la banquette arrière de sa vielle automobile à la teinte verdâtre rouillée et toute dézinguée.

Elle se sentait étrangement calme vu le chaos de sa vie.

 

Le temps s'était arrêté il y a trois ans. Cela avait été le jour qu’elle avait redouté le plus au monde. Ce matin où elle était partie presque sans bagages, abandonnant famille et amis. Ces années avaient passé et la vie meilleure qu’elle leur avait promis tardait à venir. La richesse ne faisait rien pour améliorer des destins unis sous la même bannière déchiquetée de noir. Cette réalité de déni et de mépris, elle devrait l’affronter chaque jour pour la vaincre.

Elle se concentra sur la mer. Cette dernière léchait le sable brun mordoré. Les rochers étaient gris étincelant, comme incrustés de paillettes. Posés les uns sur les autres en équilibre. Comme s'ils pouvaient tomber d'un moment à l'autre, à chaque instant d’existence ; comme elle.

 

À une époque où elle était encore enfant, elle aurait enlevé ses chaussures et courut jusqu'à plus soif de l’eau. Dans l’océan, elle se sentait invisible. Noyée dans le bruit, les sensations remuantes et le froid, l’avalée bleutée faisait disparaître son corps.

Elle ne savait comment elle en était arrivée là. Elle décida de sortir de sa brinquebalante guimbarde, s’approchant petit à petit du rivage.

 

Elle ne reconnaissait la jeune femme qu’elle avait été. Une partie s’en était-elle allée ? Toute la joie, la lumière et surtout son sourire étaient-ils partis ?

La mer était le reflet de son intérieur. Agitée. L'écume arrivait jusqu'à elle, laissant un goût salé sur ses lèvres.

C'était là qu'elle l’avait remarqué parmi les ombres qui commençaient à se dessiner. Ce jour-là, elle avait recommencé à revivre sans s'en rendre compte, tout doucement.

Un jeune homme d'à peu près son âge, sortant lui à la faveur de l’aurore.

En croisant son regard, elle avait compris qu'il y avait une sorte entre elle et lui.

 

Il avait détourné le regard d'un air gêné, et elle s’était de nouveau concentré sur les vagues. Elle avait oublié que le bruit de la mer était aussi grave, comme un long murmure, un songe infini. Le vent qui la ramena à la réalité. Des souvenirs douloureux revenaient, en cavalcade, telle une tempétueux, se faisaient plus précis.

Une odeur corsée s’insinua dans ses narines. Celle d’un café noir, épicé. Brûlant. Nécessaire.

Elle vit que l’autre avait un gobelet à la main et, éberlué, hochait la tête de haut en bas pour la saluer muettement.

 

Elle eut la même sensation que lors d'un rêve. Elle inscrirait ces premiers moments dans ce coin désert d’une plage de Normandie en se souvenant de tous les détails qui l'entouraient avec précision. Non, c'était impossible. Un lundi de surplus, personne ne devait être sur cette plage. Néanmoins, il était là et elle comprenait que c’était la réalité. La seule. L’unique. Serait-ce un douanier ? Elle commença à paniquer puis se reprit. Elle devait garder son calme et faire comme si cette rencontre était la plus naturelle du monde. Son vis-à-vis la dévisageait avec intérêt et curiosité dans le regard, cela en disait long sur l’incongruité de cette situation.

Plus que de faux semblant que de courage, elle fut la première à oser briser le silence malaisant qui stagnait entre eux.

 

— C’est un beau coucher de soleil, hein ?

 

Le demi-sourire était une preuve de son délit d’initié. Elle se réprimanda intérieurement. C’était trop évident qu’elle cachait quelque chose sous sa capeline. Pourtant, l’autre lui répondit avec toute la bonhomie.

 

— C’est vrai. Cependant, il n’est pas aussi éclatant que votre sourire.

 

Son faciès illumina plus que le phare, au loin, qui commençait à éclairer la côte. Et là, Rabi sentit son cœur rater un battement et son ventre palpiter.

Ce compliment un peu bateau l’avait emporté au large, dans une sphère de quiétude.

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Hypatia de S.
Posté le 14/07/2024
Un style tout à fait atypique mais qui colle bien avec le personnage principal. J'aime beaucoup la manière dont tu décris les sensations, ça fonctionne très bien !
Peut-être que certaines formulations mériteraient d'être reprises car certaines peuvent paraître maladroites.
Mimi Sourie
Posté le 14/07/2024
Merci. Pour la reformulation de certaines phrases, je verrais pendant la réécriture. :)
Lealaparisienne
Posté le 09/07/2024
Toujours difficile les descriptions mélangées des lieux, des sensations et des personnages, quand on introduit on texte. Là on est dedans, avec ce qu'il faut d'implicite, et ce qu'il faut d'explicite. A suivre.
Mimi Sourie
Posté le 14/07/2024
Merci pour ce message. J'espère t'avoir entraîné dans mon univers.
Leyslav
Posté le 09/07/2024
C'est pas possible ils se connaissent à peine je tombe amoureuse de leur relation, j'étais hypnotisée par ton récit. Hâte de savoir comment cela va évoluer !
Mimi Sourie
Posté le 14/07/2024
Oh, merci ! Je suis touchée par ton message.
GoatWriter
Posté le 08/07/2024
Chère Mimi Sourie,

Votre récit captivant explore avec poésie et sensibilité les tourments intérieurs d'une protagoniste isolée sur une plage sauvage. À travers vos mots, on ressent profondément le conflit entre la solitude choisie et la quête involontaire de connexion humaine. La rencontre fortuite avec ce jeune homme semble être un tournant, un moment de lumière dans l'obscurité émotionnelle de votre personnage, offrant une lueur d'espoir et de réconfort.

Votre écriture habile peint des images vibrantes et nous transporte dans les émotions complexes de Rabi, faisant de cette histoire un voyage introspectif poignant.

GoatWriter...
Mimi Sourie
Posté le 14/07/2024
J'espère que la suite te/vous plaira autant.
Anis chan
Posté le 08/07/2024
Salut !
J'adore ce début d'histoire, je trouve que tu décris bien ce qui l'entoure. Je me sens aspirée à l'intérieur de l'histoire, j'ai trop hâte de lire la suite !
Bonne continuation !
Mimi Sourie
Posté le 14/07/2024
Merci et courage à toi aussi dans ton écriture.
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