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« Au voleur ! Au voleur ! ». Les cris de l’épicier résonnaient dans toute la ruelle. Rouge et transpirant de fureur, il s’époumonait en pointant frénétiquement du doigt le dos fuyant d’une jeune fille qui courrait avec dextérité entre les passants, le fruit de son larcin tenu d’une main sûre au creux de son bras nu.

– Mais qu’est-ce que vous attendez bon sang ! Ne la laissez pas s’échapper ! Vociféra de plus belle le marchand en direction de ses employés qui regardaient jusqu’à alors la situation sans réagir.

Sans attendre un mot de plus, ils détalèrent à la poursuite de l’inconnue. Des rues bondées, s’élevèrent les cris et les jurons causés par leur course effrénée. Ils évoluèrent à grandes peines à travers la foule, la jeune fille s’éloignait. Ils interpellèrent les gens dans l’espoir que quelqu’un arrête la fuyarde. Un homme d’âge mûr, attentif à leurs injonctions, barra la route de la jeune fille de ses bras massifs. Elle ne ralentit pas. Elle s’élança à son encontre. Accélérant sa course, elle feinta à droite et coupa brusquement sa course. Elle tourna sur elle-même et se faufila sous le bras gauche du solide gaillard. Il se tourna dans l’espoir de la rattraper. L’inconnue était déjà loin.

Fière de sa manœuvre, elle courrait de plus belle dans les petites ruelles de la cité, laissant les rumeurs du marché s’éteindre peu à peu dans son dos. Elle ne s’arrêta que lorsqu’elle aperçut au détour d’un carrefour ce qu’elle cherchait. Au bout d’une des routes pavées, le sol s’arrêtait aussi brusquement que la ville. Elle avait atteint le bord de la montagne.

 

Elle se rapprocha du précipice. De l’obscurité confinée de la petite ruelle, elle fut éblouie par l’immensité du ciel et de l’espace qui s’offrait à elle. Perdue dans les nuages, elle contempla le temps de reprendre son souffle la cité en contrebas qui se dévoilait sous ses yeux. Dense et anarchique, c’était un agglomérat d’habitations qui s’entassaient sur un relief inégal où chaque structure redoublait d’ingéniosité architecturale pour s’encastrer dans le moindre espace disponible ; allant jusqu’à s’installer à même la paroi rocheuse de la montagne. Des milliers de ponts en bois s’étendaient sans logique entre différentes bâtisses et sommets voisins ; formant une toile de cordes et de bois soumis aux caprices du vent juste au-dessus de la ville. Véritable labyrinthe vertical composé d’escaliers, de tunnels et de passerelles ; bon nombre de personnes s’étaient déjà perdues dans les ruelles sombres et de la cité.

Ne s’attardant pas plus pour admirer le paysage, elle descendit l’une des échelles accolées à la paroi menant jusqu’à un solide promontoire. Dessus, de gigantesques créatures à plumes étaient parquées dans un enclos. Quelques employés installés un peu plus loin s’assuraient de l’accueil d’éventuels clients et s’affairaient aux bons soins de leurs horribles pensionnaires. Ils étaient tellement occupés par leur tâche que personne ne remarqua la jeune fille ayant tantôt descendu l’échelle et qui se tenait maintenant discrètement accroupi derrière la clôture enfermant les animaux. Celle-ci se faufila à l’intérieur de l’enclos par un interstice, trop petit pour laisser passer ses occupants mais assez grand pour son petit gabarit. Aux aguets et à demi-accroupi, elle évolua ensuite lentement jusqu’au cœur du troupeau. L’espace était à peine assez grand pour contenir tous ses occupants, et à de nombreuses reprises elle frôla leur peau écailleuse. Quelquefois, leurs plumes éparses venaient lui chatouiller le visage.

La voleuse n’était pas sereine, ces mouvements, bien que fait pour déranger les étranges volatiles le moins possible, provoquaient de temps de temps des réactions vives de leur part. Ils s’agitaient, quelque chose d’inhabituel se passait au sein du troupeau et les volatiles n’aimaient pas ça. Ils suivaient maintenant du regard le moindre de ses mouvements. De trois fois sa taille, des pattes finissant en d’énormes serres acérés de la taille de son bras, et ajouté à cela un bec qui pouvait aisément transpercer une armure, elle n’arrivait pas à empêcher les ratés que faisait son cœur à chacun de leurs mouvements brusques.

Elle s’arrêta un moment, pour se calmer mais aussi pour guetter les rumeurs de la ville. L’épicier beuglait toujours, sa voix puissante portait loin, mais ce qui attira surtout son attention était les voix des hommes qui se rapprochaient. Et si elle se fiait aux cliquetis qui les accompagnaient, il s’agissait certainement des gardes de la ville. Le marchand avait le bras long, il était puissant et avait la main mise sur une bonne partie du marché noir. Beaucoup de personnes fortunées faisaient appel à ses services pour leur dénicher des objets rares et illégaux. Mais le risque en valait la peine pensa-t-elle en serrant son butin contre sa poitrine.

Elle se redressa doucement et reprit son chemin entre les volatiles, guettant d’un œil l’échelle qui menait au promontoire. Elle soupira de soulagement lorsqu’elle trouva des montures toujours scellées. Vérifiant de nouveau l’échelle et s’assurant qu’aucun employé de l’enclos n’était là, elle se dirigea tout d’abord vers la porte menant à la sortie. Maintenue fermée que par un simple loquet, elle l’ouvrit en grand sur une passerelle côtoyant le vide. Elle se tourna de nouveau vers les immenses créatures et se dirigea vers la monture la plus proche. Celle-ci, d’abord passive à son approche, eut un mouvement de recul lorsqu’elle tendit sa main pour saisir ses rennes. Intriguée mais surtout irritée par la petite créature qui venait troubler son repos, la bête tournait la tête de droite à gauche, comme si elle n’avait pas encore décidé quel œil utilisé pour surveiller l’intruse. L’oiseau émit un piaillement grave tout en piétinant le sol de sa patte monstrueuse. Loin de se laisser démonter, la voleuse tendit lentement son bras libre devant elle en signe d’apaisement, même si la créature la terrifiait, elle n’avait plus beaucoup de temps devant elle et était exaspérée devant l’hermétisme du volatile face à ces invitations. Déjà les voix se faisaient de plus en plus distinctes, et bientôt elle vit du coin de l’œil plusieurs têtes se profiler du rebord qu’elle avait tantôt descendu. Ne cédant pas à la panique, elle concentra toute son attention à calmer l’animal qui la fixait toujours de son œil torve. Il sentait la frustration et la peur de la fillette et même s’il était dompté, son instinct animal se méfiait de l’étrangère devant elle.

Agacée et voyant que l’oiseau s’agitait toujours elle avança lentement vers lui. Elle approcha sa main fermée vers son encolure. L’animal recula. Écartant toute prudence la jeune fille prit de vitesse le volatile et empoigna solidement sa bride. Furieux, l’animal battit des ailes soulevant un tourbillon de poussière et claqua du bec en direction de son agresseuse. Rapide, elle esquiva le coup et se hissa souplement sur le dos de l’animal. Il rua. Elle était repérée. Déjà quelques gardes descendaient l’échelle, et d’un coup d’œil la fillette put voir que d’autres encore empruntaient le chemin qui montait doucement en direction de la ville. Elle était encerclée.

Paniquée et le corps encore remplie de l’adrénaline du coup de la monstruosité à plume qui avait bien failli l’embrocher, elle tira de toutes ses forces sur les rennes. Étrangement docile tout d’un coup, sa monture se calma et n’opposa bientôt plus aucune résistance. Mais la jeune fille n’eut pas le temps de se réjouir que déjà elle entendit un homme au bord de l’enclos hurlait des ordres en la pointant du doigt alors que des gardes se frayaient un chemin tant bien que mal à travers le reste du troupeau.

Elle enfourna dans l’une des sacoches accrochées à sa selle le sac qu’elle tenait depuis le début de sa fuite et empoigna fermement les rennes. Elle talonna vivement les flancs de sa monture mutine qui poussa un autre piaillement grave d’indignation avant de s’élancer vers l’avant. Les autres créatures de l’enclos s’agitaient maintenant de façon frénétique sous les cris des gardes et suivirent le mouvement de la monture de la jeune fille. Les gardes tentèrent en vain de rattraper la voleuse, mais elle prenait déjà de la vitesse et se dirigeait sans hésitation vers le gouffre devant elle, suivit de près par tout le troupeau. Sans un regard en arrière elle agrippa la selle des deux mains et attendit la chute.

Et elle vint. D’un coup. Son cœur s’envola et elle disparu de la vue des soldats dans un océan de plumes. L’horizon défila autour d’elle, le sol qui s’était éloigné, tentait par tous les moyens de la ramener vers lui. Et à peine son corps commençait à s’adapter à la vitesse de la chute que sa monture déploya ses ailes. La brusque décélération lui retourna l’estomac, mais elle tint bon. Elle se retourna, les oiseaux qui la suivaient jusqu’alors se dispersaient anarchiquement autour d’elle. La ville était déjà loin. Elle put de nouveau admirer les neuf pics montagneux qui accueillait la cité. Au-dessus de chacun d’entre eux tournaient d’immenses oiseaux, certains transportant des marchandises, d’autres avec leur cavalier patrouillaient le ciel. Elle espérait que la nuée de volatiles qu’elle avait libérées dans sa fuite seraient une diversion suffisante. Par précaution elle dirigea sa monture en direction du soleil, elle espérait ainsi réduire les chances que ses éventuels poursuivants ne l’entre-aperçoive. Elle ne se relâcha qu’après qu’elle fut sûre que personne ne la suivait. Mieux valait faire preuve d’un excès de précaution que de se retrouver dans de mauvais draps musa-t-elle.

Elle récupéra son précieux butin des sacoches. Par chance elle aperçut en plus de son sac les réserves de nourriture de l’ancien propriétaire, mais si elle avait pris tous ces risques ce n’était pas seulement pour quelques denrées. Soigneusement, elle prit au creux de sa main une petite boussole. Elle semblait très vieille, le métal s’était oxydé depuis longtemps et elle avait la particularité de ne pas avoir qu’une seule aiguille mais une multitude, toutes de couleurs différentes. Elle étudia longuement l’objet, toutes les aiguilles pointaient obstinément le haut du cadran qu’importe la direction vers laquelle elle pointait l’antiquité. Seule l’une d’elle, dont la pointe était verte oscillait légèrement de droite à gauche en direction du Sud-Est. Elle rangea la boussole dans l’une des poches de sa veste et changea de cap.

 

Au bout de deux jours de voyage, l’anxiété de la jeune fille ne faisait qu’augmenter au fil des heures. Elle était fourbue, les fesses ankylosées et les jambes meurtries. Son dos la faisait souffrir mais le pire était le vent, ses yeux étaient rouges, ses oreilles sifflaient et lui faisaient mal. Elle avait beau eu essayé de se confectionner un abri ou ne serait-ce qu’une simple protection pour son visage avec ses vêtements, mais l’ensemble partait à la moindre bourrasque. Lors de l’un de ces nombreux essais elle y avait presque laissé sa chemise. Elle devait donc faire des pauses fréquemment et dormir la nuit, de toute façon elle n’avait pas l’équipement nécessaire pour affronter le froid du soir sur sa monture volante et elle était éreinté après la longue chevauchée de la journée. Pour ajouter à sa fatigue sa monture l’inquiétait. Elle la ménageait, mais elle ne savait pas tous les combien de temps il fallait nourrir un animal de cette taille, et elle se doutait bien que les maigres rations qu’il lui restait n’allait pas la contenter. Après avoir attaché l’animal, son repos était léger aux aguets des moindres rumeurs de la nuit, effrayé d’avoir fini sur le menu de sa propre monture.

Le long de son périple elle avait remarqué que l’aiguille verte de la boussole oscillait de plus en plus fortement. Mais au bout du troisième jour de voyage elle s’était arrêté, parfaitement immobile, pointant obstinément la même direction. Elle survolait à ce moment un vaste miroir composé d’eau dans lequel se reflétait le ciel. Toute la région avait été submergée sous une eau cristalline. L’eau était peu profonde et elle pouvait y voir distinctement le fond. Les algues qui recouvraient le sol donnaient l’impression de vastes plaines verdoyantes balayées par le vent. Ici et là quelques îlots de sable émergeaient de l’eau. Elle remarqua alors sur l’un d’entre eux une sorte de pierre érigée. Intriguée elle atterrit avec sa monture non loin de cette étrange structure. C’était une immense stèle, recouvert de symboles que la jeune fille ne parvenait pas à comprendre. Elle remarqua en son centre une sorte d’orifice parfaitement rond, elle sortit de nouveau sa boussole, l’aiguille verte tournée dans tous les sens, désorientée. Elle logea la boussole dans l’interstice. Elle s’y emboîtait parfaitement. Soudain la structure vrombit, l’air résonnait autour et on pouvait entendre comme de violents coups de marteaux qui résonnaient maintenant dans toute la plaine. Le silence revint aussi vite qu’il avait été rompu, et un faisceau de lumière fini par jaillir du haut de la stèle et perça les cieux.

La jeune fille repris sa boussole, toutes les aiguilles bougeaient à présent, et la verte liée à la stèle indiquait à présent une toute nouvelle direction. Regardant une dernière fois le phare de lumière la jeune fille sourit « Bientôt je retrouverais ma famille » pensa-t-elle joyeuse.

 

Au même instant, dans un autre lieu, au cœur d’une immense grotte bercée par l’obscurité, une femme aux longs cheveux bruns se tenait devant une stèle qui pulsait d’une douce lumière chaude. Elle soupira. « Juste à temps, murmura-t-elle, il semble que la dernière stèle vient d’être activée ». Un froissement à l’entrée de la grotte attira son attention. Dans un coin reculé, un homme agonisant se traînait sur le sol, tentant d’atteindre la sortie. Le cadavre de ces camarades gênait sa progression et il peinait à rester conscient. Le sabre à la main, la femme approcha du mourant.

– Où crois-tu aller comme ça. Susurra-t-elle.

Le cœur du pauvre homme loupa un battement. Le désespoir décupla ses forces et il rampa de plus belle, il voulut crier, demander grâce mais seul un gargouillis de sang s’échappa de sa bouche. Il ne sentit que trop tard la morsure de la lame froide qui l’avait transpercé de part en part, le clouant au sol. La femme sortit son sabre du corps du malheureux et en essuya la lame sur l’un des nombreux corps gisant au sol. Elle sortit d’une de ces poches une petite boussole d’or. Sous la lumière de la stèle un sourire rare se dessina sur son visage, l’aiguille noire bougeait de nouveau à présent.

 

Au milieu de ruines, un homme en armure dont le visage dur témoignait d’années de batailles se tenait assis là, calmement. Il fixait du regard un jeune soldat qui se précipitait vers lui. « Commandant ! la stèle… » dit le jeune homme à bout de souffle. Le commandant sortit de sous les plis de son armure une boussole entièrement noire. Toutes les aiguilles indiquaient une direction différente à présent. Il avait pu voir tout au long de son périple, les aiguilles s’arrêter une à une, jusqu’à la dernière, entièrement verte. Ces aiguilles semblaient étrangement liées à ces stèles parsemant le monde. Lui-même en avait activé trois. Mais quelle aiguille suivre à présent. Il sourit, l’aiguille rouge oscillait frénétiquement.

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