C'était comme sauter sur un trampoline.
Toujours un peu plus vite.
C'était comme lorsqu'elle sautait de la balançoire, dans son jardin.
Toujours un peu plus haut.
C'était comme lorsqu'elle sentait le vent sur son visage.
Toujours un peu plus froid.
Elle ne se souvenait pas comment elle était arrivée ici, sur ce parking, face à la mer. Elle s'était réveillée emmitouflée dans son sac de couchage, sur la banquette arrière.
Elle se sentait étrangement calme.
De toute façon, le temps s'était déjà arrêté. Ce matin où elle était descendue dans la cuisine, où son père avait posé ses mains sur ses épaules, pour prononcer ces mots qu'elle redoutait le plus au monde. L'année dernière. Ou celle d'avant. Cette amnésie temporaire semblait donc étrangement correspondre à la réalité.
Elle se concentra sur la mer.
À une époque, elle aurait enlevé ses habits et couru jusqu'à l'eau, juste pour le défi. Dans l'eau, elle se sentait invincible ; plus personne, plus de bruit, plus de sensations, car le froid faisait disparaître son corps. Regarder les algues danser dans les courants.
Un jour, ils s'étaient baladés à la plage tous ensemble. Il y avait tellement de soleil. La dernière chose dont elle se souvient, c'est qu'elle était en train de chercher les photos de cette journée sur son ordinateur sans les trouver.
Elle avait tellement besoin de voir son visage.
D'entendre sa voix.
De s'allonger dans son canapé, au soleil, et de parler de tout et de rien.
Trampoline.
Elle avait recommencé à vivre sans s'en rendre compte, tout doucement.
Mais comment était-elle arrivée là ?
Dormir dans sa voiture, ça ne lui ressemblait pas.
Elle décida de sortir.
Elle ne reconnaissait rien. Les rochers étaient roses, comme teintés. Posés les uns sur les autres en équilibre. Comme s'ils pouvaient tomber d'un moment à l'autre ; comme elle.
La mer était agitée, et de l'écume arrivait jusqu'à elle, laissant un goût salé sur ses lèvres.
C'est là qu'elle le remarqua.
Un garçon d'à peu près son âge, sortant lui aussi de sa voiture.
En croisant son regard, elle comprit qu'il était aussi perdu qu'elle.
Il détourna le regard d'un air gêné, et elle se concentra sur les vagues. Elle avait oublié que le bruit de la mer était aussi grave, comme un long murmure qui n'en finissait jamais.
Elle avait déjà dormi sur la côte. Cet été. Heureuse de trouver un petit carré d'herbe au milieu de nulle part, proche du chemin des douaniers. Elle avait installé sa tente à la tombée de la nuit, puis était allée se baigner afin de redonner un peu de fraîcheur à son corps après une longue journée de marche.
Pour la première fois, elle avait compris le sens du terme "dormir d'un œil". Elle avait somnolé toute la nuit, bercée par le chant de la mer, mais aux aguets à chaque bruissement suspect.
Seule, mais libre.
Comme le vent qui la ramena à la réalité.
Encore une tempête. Ses souvenirs se faisaient plus précis. En ce moment, les tempêtes s'enchaînaient.
Une odeur de café. Un café noir, épicé. Brûlant. Nécessaire.
Son téléphone vibra dans sa poche et elle le sortit. On était dimanche ?
Non, c'était impossible. Dimanche, c'était hier, la matinée dans le canapé, à ne se soucier de rien, à boire du café et à manger des gaufres.
Elle éteignit son portable et le ralluma, mais il indiquait toujours la même date.
Dimanche 1er mars.
Elle eut la même sensation que lors d'un rêve qu'elle avait fait, dans le village de ses grands-parents. Elle marchait dans la rue déserte en s'étonnant de la précision des décors qui l'entouraient. Et elle comprenait que dans cette réalité-là, tout ce qui s'inscrirait s'effacerait aussitôt.
Elle se souvint de l'avoir également revue en rêve. Elle avait essayé de lui parler. Mais ça lui avait été interdit. Elle s'était retrouvée muette, et le rêve s'était effacé. On ne pouvait pas tricher avec la réalité. Pas nous. C'est la réalité qui se jouait de nous, pas l'inverse.
Et la réalité se jouait encore d'elle.
Les vagues dansaient devant ses yeux. Quelques oiseaux s'amusaient dans le vent. Le vent soufflait. Le murmure continuait.
La scène était tellement belle qu'elle renonça à essayer de comprendre.
C'était comme changer de chemin. Apprécier la beauté des routes moins sinueuses.
Il lui suffisait de le rejoindre, de s'asseoir et de regarder les éléments se déchaîner autour d'elle.
Elle éteignit son téléphone et alla le poser dans sa voiture. Le vent claqua la portière à sa place alors qu'elle s'emmitouflait dans son manteau d'hiver rouge vif.
Elle faisait tache dans ce paysage aux couleurs aquarelle grises et bleutées, dans la lumière pâle du petit matin.
Il n'y avait que deux voitures sur ce parking. Elle, et lui.
Peut-être qu'il savait quand elle était arrivée là. Si lui se souvenait comment il était venu ici.
Peut-être aurait-il quelques réponses.
Seulement, elle n'était pas certaine de savoir quelles questions poser.
La vérité était juste là, à portée de main. Elle avança lentement sur la plage.
Le sable s'enfonçait sous ses pieds et collait à ses chaussures, car la marée venait de descendre. Des bancs d'algues noires l'obligèrent à faire des détours pour gagner la rive, alors que la mer ne cessait de reculer, comme si elle allait disparaître à l'horizon.
Après tout, tout était possible, dans ce moment présent qui n'existait pas.
C’est un beau texte, poétique et mystérieux, dans les modes contemplatif et introspectif, qui nous emporte dans le flou des questions sans réponses. Parfois, il suffit de regarder, de sentir, d’être là, tout simplement. Elle paraît esseulée, le garçon semble perdu ; peut-être parviendront-ils à communiquer, avec ou sans mots, ou du moins à se côtoyer sur ce rivage hors du temps, face à l’infini… Bravo pour cette pépite.
Coquilles et remarques :
— où son père avait pausé ses mains sur ses épaules [posé]
— A une époque, elle aurait enlevé ses habits, et couru jusqu'à l'eau juste pour le défi. [À une époque / pas de virgule avant « et » / virgule avant « juste » / Pourquoi ce paragraphe est-il au présent ?]
— Un jour, ils s'étaient baladé à la plage tous ensembles. [baladés / ensemble]
— Mais comment était-elle arrivé là ? [arrivée]
— le sens du terme "dormir d'un oeil" [œil (ligature)]
— Elle éteint son portable et le ralluma [éteignit]
— Elle eu la même sensation [Elle eut]
— Elle se souvint de l'avoir également revue en rêve. Elle avait essayé de lui parler. [De qui s’agit-il ? De sa défunte grand-mère ?]
— qu'elle renonça a essayer de comprendre [à essayer]
— Elle éteint son téléphone et aller le poser dans sa voiture [« Elle éteignit son téléphone et alla le poser dans sa voiture » ou Elle éteignit son téléphone pour aller le poser dans sa voiture ».]
— Elle faisait tâche dans ce paysage aux couleurs aquarelles grises et bleutées [faisait tache / « aux couleurs d’aquarelle » ou « aux couleurs aquarelle » ; « aquarelle » n’est pas un adjectif : il ne s’accorde pas]
Bravo !
Et merci pour ce voyage délicat entre paix et drame.
J'avais un peu peur de lire trop vite.
Et de le perdre, cet équilibre !
Mais j'y suis resté
Entre mystère et réminiscence
Voir la marée les emporter
Et le temps et le sens
Qui sait, peut-être une suite dans 4 ans, comme un saut temporel... ^^
Attention petites coquillse :
>Elle éteint son téléphone-> éteignit
>Elle faisait tâche -> tache (tâche signifie travail)
Et merci beaucoup pour ces coquilles! On a beau se relire il en reste toujours ;) !
C'est très beau et très doux, cette image de la mer et des deux personnages qui se retrouvent sans échanger une parole.
On ne cherche même pas à vouloir comprendre à tout prix, on accepte juste la situation.
Merci pour ce texte 😊
En attendant il faut imaginer! Mais après tout c'est ce qui nous guide dans le futur ;)
"Ces souvenirs se faisaient plus précis." ► parles-tu des souvenirs dont elle se souvient, ou bien de ses souvenirs à elle ? Si c'est la deuxième option, ce sera "ses souvenirs" ^^°
"La scène était tellement belle qu'elle renonça a essayer de comprendre. " ► à essayer
Merci beaucoup pour les coquilles!! :)
Que de mystère dans cette nouvelle ! J'ai eu l'impression de lire un rêve et j'avoue que là, j'aurais très envie de savoir la suite.
J'espère qu'il saura lui apporter les réponses... et peut-être bien plus.
Je suis contente de ton expression "lire un rêve", ça veut dire que le ressenti du flou est bien passé :)
Quand à l'avenir... prochain chapitre dans 4 ans? :D
PS: J'ai adoré ta nouvelle très émouvante!
Sans expliquer, tu réussis à distiller tristesse et mélancolie dans ta nouvelle.
J'ai beaucoup aimé cette image du trempoline et des sensations qu'il apporte !
& Vive les rebondissements! ;)