Les haïkus compilés dans ce recueil suivent autant que possible les règles détaillées en introduction : posséder en tout et pour tout trois vers de 5, 7 et 5 syllabes (pour un total de 17 syllabes) ainsi qu’un kigo (mot de saison) et un kireji (césure entre un vers et les deux autres). Néanmoins, ayant à présent écrit plus d’une centaine de ces petits poèmes, je remarque que je me suis de plein gré fixé quelques règles supplémentaires, en plus d’être devenu très souple quant au « mot de saison », préférant une simple référence à la nature où à un moment du jour. Les règles que je vais détailler ci-après n’ont donc rien d’officiel, cette forme poétique étant de toute manière très libre dans ses usages en Occident. Il me semble en tout cas justifié d’en faire part dans un chapitre dédié afin de mieux comprendre certains de mes choix en termes d’écriture et d’ainsi apprécier davantage la lecture de ce recueil.
⁂ Le marquage les césures ⁂
Certains de mes haïkus possèdent un tiret long au moment de la césure, d’autres non. En effet, je considère que la césure doit être marquée à l’écrit par un tiret uniquement lorsque les deux images qu’elle sépare (ou relie) sont bien distinctes et/ou qu’il s’agit de deux sujets différents. Si les 3 vers forment une seule « phrase », pas de tiret long, pour ne pas couper celle-ci dans sa continuité ; en revanche, pour bien signaler l’emplacement de la césure, j’ai décidé que le vers suivant devait débuter par une majuscule. Autre subtilité : les ponctuations expressives (point d’interrogation, d’exclamation, deux points ou trois points de suspension) peuvent remplacer un tiret long !
Exemples :
L’heure des moustiques
a sifflé à mon oreille —
Gifle involontaire
Dix bottes de foin
éparpillées dans le pré
Sentent la poussière
Aurais-je moins chaud
sans thermomètre à mes yeux ?
Alarme incendie
⁂ 12 + 5 = 17 ⁂
Cette règle additionnelle se base sur deux autres règles : celle des 17 mores (devenues 17 syllabes en français) et celle du kireji, la césure entre un vers et les deux autres. Pour moi, il faut que les deux vers liés puissent se lire d’une traite ; il doivent donc faire 12 syllabes au total. Cela pose alors question dans un cas comme celui-ci :
Cyprès solitaire
entre quatre champs dorés
Voit passer les trains
Ici ce sont les deux premiers vers qui sont liés (c’est-à-dire qu’ils forment à eux deux une seule image, ou en tout cas un ensemble contrebalancé par le troisième vers) : la césure a donc lieu juste après « dorés » (elle est indiquée par la majuscule au début du vers suivant).
On remarque que la dernière syllabe du premier vers se termine par une coda suivie d’un e caduc (ou e muet) – une coda est en linguistique une consonne prononcée à la fin d’une syllabe (ici le r de « solitaire »). Dans ce cas de figure, le premier mot du vers suivant se doit de commencer par une voyelle, afin que le e caduc soit élidé (c’est-à-dire qu’il reste muet du fait de la liaison avec le mot suivant). Si le vers suivant commençait par une consonne, le « re » serait alors prononcé et compterait comme une syllabe supplémentaire, ce qui ferait un total de 13 syllabes et non plus 12.
Je ne me permets de terminer un vers par une coda + e caduc avec consonne au début du vers suivant que si les deux vers sont séparés par la césure. J’estime que la pause créée par la césure, à la lecture, permet au e de ne pas être réalisé (prononcé). Ainsi il ne compte pas comme une syllabe supplémentaire.
Ces deux règles additionnelles, comme les quatre règles de base, ont été suivies scrupuleusement pour la quasi-totalité des haïkus de ce recueil – à l’exception de quelques rares récalcitrants que je vous laisse le soin de pointer du doigt.
⁂ La « syllabe fantôme » ⁂
Cette règle-ci n’en est pas vraiment une. Il ne s’agit en fait pas d’une contrainte ; j’aime simplement achever le dernier vers du poème par une syllabe comportant une coda et un e caduc, ce qui crée une sorte de « syllabe fantôme », une demi-syllabe, qui ne compte pas parmi les 17. Je la vois comme une ouverture au poème, une porte ouverte sur une suite, un ailleurs. Ce n’est donc pas une contrainte supplémentaire, mais plutôt un ornement.
Exemple :
Silence éloquent —
L’oyat aux dunes se meut
devant ma lucarne
⁂