- Bonne année ! hurle Fabrice, son verre haut levé.
Il avale goulument son contenu, la tête renversée en arrière. Ses amis crient, rient, boivent d’aussi bon coeur, avant de s’entre-congratuler avec de nombreuses claques dans le dos. Paul glisse un bras autour des épaules de Fabrice et ébouriffe ses cheveux amicalement.
- Bon alors ces résolutions ? Les mêmes que chaque année ?
Amusé, le jeune homme repousse son ami qui s’esclaffe.
- Non, cette année, je deviens raisonnable. C’est pas drôle de ne jamais atteindre mes objectifs.
Paul soupira, la moue désabusée :
- Mais c’est toi qu’est pas drôle ! Tu as mis quoi sur ta liste ? Faire les courses et le ménage ?
- Ha ha ha, hilarant. Nan, quand même pas, par contre faut que je répare ma porte de frigo, elle grince c’est chiant. Et puis me trouver enfin un boulot. Jouer aux jeux vidéo c’est pas suffisant. Me trouver une copine. Eh ! s’exclame Fabrice lorsqu’il remarque que son ami fait mine de vomir, je suis super sérieux !
- Mais bien sûr mec. Aller, je te connais depuis qu’on porte des couches, elle dit quoi ta liste secrète ?
La liste secrète. Seul Paul en connaît l’existence, bien que Fabrice la tienne depuis ses douze ans. Chaque année, il rédige deux listes de résolutions : la publique, qu’il partage avec ses amis et qui est… non pas réalisable mais raisonnablement irraisonnable ; et la secrète, qui contient ses souhaits les plus inavouables. Il baisse la voix :
- Tu le dis à personne ?
Paul claque les lèvres, mimant de les verrouiller avant de jeter la clé invisible. Fabrice roule les yeux, mais au fond, il est amusé. Son ami a toujours été plus pitre que sérieux. Il se penche vers lui et chuchote quelques paroles au creux de son oreille, un effort inutile au coeur de la fête qui bat autour d’eux. Paul éclate de rire quand il a fini.
- Bon bah on peut pas dire que ça c’est pas ambitieux !
Il lève son verre puis remarque qu’il est vide. Son regard court autour de la pièce avant de repérer deux bouteilles de champagne copieusement entamées sur une table. Il les attrape et en tend une à son ami.
- A la réalisation de nos voeux les plus fous !
Le lendemain, Fabrice se réveille avec une migraine affreuse. Son coeur cogne si fort dans sa tête qu’il lui semble que la fête ne s’est pas terminée. Ou est-ce le cerveau dans la tête ? Il grogne. Argh, la douleur. Jetant un coup d’oeil à son réveil, il baille. Onze heures. Grr. Le jeune homme repousse ses couvertures, balance ses jambes sur le côté et glisse au sol sans volonté. Ses fesses heurtent mollement le parquet. Il bâille encore, passant une main dans ses cheveux. A moitié endormi, il se redresse. Il se gratte le dos tout en se dirigeant vers le rez-de-chaussée et en évitant les restes de la soirée. Fabrice louvoie entre quelques convives endormis. Ou sont-ils morts ? Qu’importe, il a faim.
Une dame s’affaire déjà dans la cuisine. Elle lève la tête quand il entre avant de l’incliner doucement.
- Bonjour monsieur, vous avez des pancakes dans le frigo si vous voulez monsieur.
Fabrice reste immobile un instant. Il la connaît ? Non, il ne croit pas. Qu’est-ce qu’elle fait là ? Elle paraît trop âgée pour la fête de la veille, et en trop bon état surtout. Il fronce les sourcils. Sa tête… Grimaçant, il ignore sa propre réflexion. Tant pis, ça sera pour plus tard. Là, maintenant, son soucis est de remplir sa panse qui grogne comme un bouledogue mal élevé.
Il tend la main, actionne la poignée du frigo. Le battant s’ouvre. Son front se plisse. Il le referme. Le tire à nouveau vers lui. Fabrice aurait juré qu’encore hier la porte grinçait. Il hausse les épaules. On s’en fout, le principal est qu’elle ait été réparée, ça lui fait un soucis de moins. Il attrape une assiette dans laquelle s’amoncellent des pancakes gonflés à souhait. Le jeune homme remonte dans sa chambre, happant au passage le pot de Nutella. La dame est toujours dans la cuisine. Elle s’est lancée dans le nettoyage du four. Fabrice rejette ses pensées. Il verra plus tard de quoi il en retourne, réfléchir avec un gueule de bois et l’estomac vide n’est jamais une bonne idée.
Le jeune homme se jette sur son lit, et quelques pancakes glissent de l’assiette pour retomber sur le drap. Peu dérangé, il se contente de les replacer au sommet de sa pile. Il ouvre le pot de pâte à tartiner avant de confortablement se caler contre le mur. Les grandes fenêtres révèlent un brouillard dense. Il baille. Le temps ne s’est pas amélioré depuis la veille. Fabrice tend la main et attrape un pancake qu’il glisse directement dans le pot avant de mordre dans sa chair tendre. Hum… Voluptueux à souhait. Il ne se souvient pas d’en avoir acheté mais qu’importe, ils sont délicieux.
Un flash l’éblouit. Son sursaut est si important qu’il glisse de son lit, les jambes empêtrées dans les draps. Sa tête manque de peu l’angle de la table de chevet, qui heurte à la place son épaule. Une étoile de douleur apparaît. Les yeux larmoyant, Fabrice se dépêche de se relever avec des gestes si maladroits qu’il tombe à nouveau. Enfin sur ses pieds, il s’approche de la fenêtre, juste à temps pour voir une silhouette passer par-dessus le mur d’enceinte et disparaître. Le jeune homme fronce les sourcils : depuis quand y’a-t-il un mur d’enceinte autour de chez lui ? Il se frotte le crâne, perturbé.
- Amour ? intervient une voix douce dans son dos.
Il se retourne avec précipitation. Une jeune femme se tient derrière lui. Ses cheveux blonds artistiquement bouclés couvrent ses épaules comme une cape et un grand sourire étire ses lèvres gonflées d’une manière peu naturelle. Sa tenue, très légère et courte, ne cache rien de son imposante poitrine trop ronde pour ne rien devoir à la chirurgie ou de ses fesses fermes. Fabrice a conscience qu’il est bouché bée, ce qui n’est pas très poli, et qu’il reluque l’intruse, ce qui l’est encore moins, mais il ne peut s’en empêcher. Puis son cerveau se rebranche et il plisse le front. Que fait cette bimbo chez lui ? Il ne la connaît pas. Un de ses amis s’est-il offert une prostituée pour le nouvel an ?
Elle s’approche de lui, la mine bienveillante.
- Amour ? répète-elle.
- Hein ? répond très intelligemment Fabrice.
Elle rit, claquant avec familiarité un baiser sur les lèvres du jeune homme. La texture des siennes est très perturbante, un peu comme du latex trop étiré. Il rougit brusquement, ses pensées aussi affolées que des autruches.
- Ca va, chaton ? T’as pas l’air dans ton assiette aujourd’hui.
Elle jette un coup d’oeil à la vitre.
- T’as déjà eu un paparazzi ce matin chaton ?
Fabrice fronce les sourcils, tentant, en vain, de rassembler des idées cohérentes. Il ouvre et ferme la bouche comme un poisson, ce qui amuse la jeune femme.
- Amour t’as perdu ta langue ? (Elle l’embrasse goulument avant de s’écarter tandis qu’un sourire victorieux se dessine sur ses lèvres botoxées) Ah non, la voilà !
Son rire retentit à nouveau. Ses mains glissent sur le torse du jeune homme, s’aventurant avec beaucoup d’intrépidité, ce qui semble l’amuser follement. Fabrice attrape ses poignets pour l’empêcher de descendre plus bas. Elle lève un regard déçu et surpris.
- Amour ?
- T’es qui ?
- Oh ! un jeu de rôles ? J’adore les jeux de rôles ! Je suis… euh… la reine d’Angleterre tiens, mais pas la vieille, la jeune. Et toi t’es un beau pirate qui vient de me kidnapper ! Comme c’est excitant !
- Sérieux, j’te connais pas.
Elle plisse le front, la mine soucieuse.
- Ca va chaton ? Tu as tellement bu hier que tu te souviens de rien ?
Fabrice ferme les yeux, la bouche crispée. Son dos repose contre la vitre.
- Apparemment, consent-il enfin. Tu peux me dire… ce que j’ai oublié ?
- J’en reviens pas que tu m’as oubliée, genre moi on m’oublie pas moi !
Elle roule les yeux avant de reprendre :
- Je m’appelle Klariss et j’suis ta femme depuis euh… pff… quatre mois je crois. Ou six ? Fin on s’est mariés on était bourrés genre bien fort comme des trous donc bon mais ça compte quand même.
Le jeune homme est de plus en plus confus. Il n’a aucun souvenir de celle qui lui fait face. Soudain elle s’écarte de lui pour faire un grand geste joyeux vers la fenêtre. Un flash l’éclabousse de lumière puis elle revient vers lui, un grand sourire aux lèvres.
- J’espère qu’il a pris mon bon côté celui-là, j’aime pas les paparazzi qui prennent le mauvais, ça fait de la mauvaise presse de ouf.
- Euh… des paparazzis ?
La main de Fabrice se crispe nerveusement, secouée par des tremblements involontaires.
- Mais oui, t’sais, depuis qu’on a gagné à Les petits couples dans la plage ? T’sais, là où on s’est connus au départ et tout ? Même que c’est Arthur qui nous a marié parce qu’il était aussi bourré que nous mais que lui il avait une licence et tout, t’sais à l’Amérique c’est pas compliqué de pouvoir faire un mariage et Arthur il a l’autorisation et tout et du coup il nous a mariés, t’sais ?
Fabrice tente en vain de contrôler le tic qui agite son sourcil droit. Plus il écoute cette Klariss, moins il en comprend. Il ne se rappelle de rien. En creusant dans sa cervelle, il se souvient que, quatre mois plus tôt, il était à une compétition amatrice de jeux vidéos, qu’il a lamentablement perdue par ailleurs. Il n’aurait pas oublié une participation à une émission de téléréalité quand même, si ? Ou encore Klariss… Il la dévore d’un oeil appréciateur. Non, une bimbo pareille ne s’oublie pas.
Elle gigote sous son regard, la mine faussement gênée.
- C’est bon tu te rappelles Amour ?
Non, il ne se souvient de rien du tout, mais si une fille aussi canon veut l’appeler amour, ou chaton, ou l’enlacer (ce qu’elle vient de faire), il n’a pas le droit de la contredire. Il sourit et hoche la tête. Klariss s’esclaffe, l’embrasse comme si elle voulait aspirer ses lèvres puis recule, se retourne et s’éloigne, roulant exagérément les hanches. Fabrice ne peut s’empêcher de les quitter des yeux. Le mouvement l’hypnotise.
Klariss jette un coup d’oeil par-dessus son épaule alors qu’elle approche de la porte.
- Tu viens chaton ?
- Tout de suite… Amour.
Klariss éclate de rire une nouvelle fois.
Très bien trouvé, ce doublon de listes - et le construction narrative, avec les lecteurs.trices qui ne savent pas exactement de quoi il en retourne. J'ai tenté de deviner quel était son souhait secret, mais sans succès !
En revanche, autant l'idée de gloire, d'amour, de sexe... est réaliste, autant j'ai trouvé Klariss un chouia trop cliché... Ou alors, quand bien même il s'agit de la réalisation d'un fantasme de mec, j'ai été gênée par le fait qu'elle reste un cliché sexiste... ? A réfléchir !
En tout cas, bravo à toi et à très vite !
Merci !
Ce qui est étonnant, c’est que le protagoniste semble ne pas se rendre compte qu’il a souhaité ce qu’il est en train de vivre. Ou peut-être que ça a moins de saveur dans la réalité qu’en imagination ?
Quoi qu’il en soit, c’était un agréable moment de lecture. :-)
Coquilles et remarques :
— Il avale goulument son contenu [« goulûment » est la graphie classique, « goulument » la graphie rectifiée ; il faut choisir et employer toujours la même (2 fois dans le texte et 1 fois dans le résumé)]
— Mais c’est toi qu’est pas drôle [qu’es]
— elle grince c’est chiant [J’ajouterais une virgule après « grince ».]
— mimant de les verrouiller avant de jeter la clé invisible [la tournure « mimer de » (+ infinitif) me laisse perplexe ; je propose « simule le geste de »]
— Bonjour monsieur, vous avez des pancakes dans le frigo si vous voulez monsieur. [Tu as volontairement mis « monsieur » deux fois ? Ça me rappelle le fameux « Chef, oui chef ! »]
— son soucis est de remplir sa panse / ça lui fait un soucis de moins [souci]
— Il verra plus tard de quoi il en retourne [de quoi il retourne ; « en » fait double emploi avec « de »]
— réfléchir avec un gueule de bois [une]
— Il baille [bâille]
— Les yeux larmoyant, Fabrice se dépêche [larmoyants]
— depuis quand y’a-t-il un mur d’enceinte [y a-t-il ; pas d’apostrophe : il n’y a aucune élision]
— pour le nouvel an [Nouvel An (on le trouve également dans le résumé)]
— j’aime pas les paparazzi qui prennent le mauvais / Euh… des paparazzis [Il faut choisir entre la francisation (un paparazzi, des paparazzis) et le pluriel italien (des paparazzi), mais là, le singulier donne un « paparazzo », ce qui passe mal en pays francophone]
— c’est Arthur qui nous a marié [mariés]
— Il ne se rappelle de rien [Il ne se rappelle rien ; on se rappelle quelque chose]
— Fabrice ne peut s’empêcher de les quitter des yeux [Là, tu dis le contraire de ce que tu voudrais : ça veut dire qu’il les quitte des yeux bien qu’il ait envie de les regarder]
Il faut écrire : « cœur », « vœux », « œil », (et pas « coeur », « voeux », « oeil »)
L’Académie française recommande de mettre les accents sur les majuscules, de même que le tréma et la cédille, parce qu’ils ont pleine valeur orthographique. Grevisse est du même avis. [À la réalisation / À moitié / Ça va, chaton ? (2 fois dans le texte).]
Je ne sais pas si beaucoup de garçons rêvent de cette vie-ci, mais il est certain qu'un tel désir serait probablement mal vu. Après, il y a en effet des hommes qui vivent cette vie, c'est probablement qu'ils l'ont voulues ou qu'en tout cas ils n'ont rien eu contre... Je ne sais pas au final mais en effet ce n'est pas un désir que l'on révèle à voix haute xD
Ceci étant, j'ai aimé lire ce texte. Je le trouve fluide et bien structuré. Les descriptions sont intéressantes, notamment celle de Klariss qui a été poussée pour correspondre au cliché de la bimbo. Jolie participation, merci !
En effet, j'avais réfléchi dans un premier temps au fait qu'il comprenne, qu'il trouve ça ennuyant au final, avoir une compagne superficielle et aucune intimité à cause des paparazzi mais je n'avais clairement pas assez de mots pour pousser aussi loin. Du coup j'ai décidé qu'il serait au moins provisoirement satisfait.
Pour la réalisation, en effet, je ne l'ai pas mise mais il me semblait étrange qu'il réalise directement et comme pour au-dessus, pas assez de mots malheureusement :x
Et je reste frustré, je dois dire, car si je comprends bien, ce sont les vœux de la liste officielle qui ont été réalisés et encore que… il a eu son boulot ? La fameuse liste secrète, on ne sait jamais de quoi il en retourne. Ou alors j'ai lu trop vite. Dans tous les cas, je me sens frustré de ne pas savoir. Faut-il officialiser sa liste pour qu'elle se réalise ? Parce que le personnage a l'air de se contenter de la liste publique, au final.
Merci d'avoir participé ! :)
Son boulot : il est devenu star de la téléréalité (d'où le paparazzi entre autres), et c'était ce que contenait sa liste secrète.
Au départ j'ai réfléchi autour de mes propres résolutions, mais aucune de fait une bonne histoire (le fait d'éteindre plus tôt ou de faire plus souvent le ménage n'est pas hyper excitant xD) du coup je suis tombée sur la fantaisie de la célébrité etc etc etc... et c'était amusant à écrire ^^