– Hmm Bonjour…
– …
– Pourquoi tu me regardes comme ça ?
– T’es tellement belle…
– Ouais…
– Si je t’assure.
– Tu parles. Au réveil comme ça, les yeux à peine ouverts, décoiffée…
– Moi j’te trouve belle.
– Merci.
– Je t’aime tellement…
– Je t’aime aussi.
– J’veux pas que tu partes…
– On a encore toute la journée, mon train n’est que ce soir…
– Tu sais bien ce que je veux dire.
– Oui je sais…
– Alors reste !
– Je ne peux pas tu sais bien.
– À cause de lui ?
– Pas seulement.
– Quitte-le !
– …
– Quitte-le !
– Non !
– Je te veux toute à moi.
– Non mais ça va pas ?! Qu’est-ce qui te prends tout à coup ? Et puis d’abord je n’appartiens à personne. Ni à toi. Ni à lui. Je le quitterai pas pour toi, ni pour un autre. Tu le sais très bien.
– Tu ne m’aimes pas !
– Si et tu le sais très bien. Et lui aussi je l’aime et tu le sais très bien aussi.
– Mais tu ne m’aimes pas autant que lui sinon tu le quitterais.
– Bon ça suffit ! Et si je le quittais, il se passerait quoi ? Je viendrais vivre avec toi ? Soyons honnêtes. On ne tiendrait pas une semaine ! On s’aime mais on se supporte pas ! On est comme chien et chat. Tu râles dès que j’ai le malheur de mettre une malheureuse miette sur ton canapé. Tu préfères jouer à la console qu’aller dans un musée. On aime pas les mêmes films, pas la même musique... Et puis un jour, tu voudras des enfants. Moi je n’en veux pas, c’est hors de question.
– C’est vrai, mais…
– Mais quoi ? Réveille-toi bon sang ! On n’est pas dans un film hollywoodien. On est dans la vraie vie !
– Oh ça va ! Je sais qu’on est pas dans un film ! Ce serait bien plus simple si c’était le cas. J’serais pas obligé de te partager.
– Tu le savais dès le début. J’ai toujours été claire. Tu savais à quoi t’attendre.
– Oui mais… admets que c’est pas une situation banale.
– J’suis pas une fille banale.
– Ça c’est clair !
– J’croyais que c’était ce que t’aimais, ça, que j’sois différente…
– Oui mais quelquefois j’aimerais que tu le sois moins. J’aimerais que tu veuilles n’être qu’avec moi.
– Mais c’est pas possible et tu le sais. J’suis un électron libre. J’rentre pas dans les cases. Coup de foudre, mariage, enfants, c’est pas pour moi. J’ai jamais cru au prince charmant. J’vous aime tous les deux et je veux pas, je peux pas choisir entre vous deux. Vous m’apportez chacun quelque chose de différent. Vous êtes différents. Choisir entre vous ce serait aussi absurde que choisir entre le chocolat et la confiture.
– Tu parles d’une comparaison ! Ça n’a rien à voir !
– Pourquoi pas ? Qui a décidé qu’on ne pouvait être amoureux que d’une seule personne ? En quoi c’est mieux d’enchaîner les relations ? En quoi c’est mieux de se marier pour divorcer quelques années plus tard ? Ou pire rester mariés mais tromper l’autre ?
– T’exagères tous les mariages ne finissent pas comme ça ! Y’en a qui durent longtemps. Mes parents sont toujours ensemble et les tiens aussi que je sache !
– Oui bien sûr. Je veux juste dire qu’il n’y a pas qu’un seul modèle. Même si c’est ce que la société voudrait nous faire croire. Mais ça n’a pas de sens pour moi. Je sais que l’amour ne se divise pas. Je sais qu’on peut aimer plusieurs personnes en même temps. Parce que je t’aime toi et je l’aime lui.
– Mais comment fait-il, lui, pour accepter tout ça ? Pour ne pas être jaloux ?
– Il m’aime. Comme je suis. Inconditionnellement. Il veut me voir heureuse. Il a compris que pour me garder il devait me laisser libre. Qu’il me perdrait si j’me sentais prisonnière, que je serais malheureuse. Comme un oiseau à qui on aurait coupé les ailes. Et que par conséquent, il serait malheureux aussi. Me savoir heureuse, même avec un autre, le rend heureux. C’est aussi simple que ça. Aimer c’est vouloir le bonheur de l’autre.
– Ça a l’air si simple à t’entendre. Moi j’y arrive pas. J’ai essayé, je t’assure. Mais j’y arrive pas. Quand tu repars, quand je t’imagine avec lui, j’ai le cœur déchiré. Rien qu’à l’idée qu’il te touche, te caresse, j’ai la nausée ! J’ai envie qu’il disparaisse ! Je voudrais… J’ai mal… si mal quand t’es pas là…
– C’est simple pour moi car c’est ce que je ressens au plus profond de moi. C’est mon fonctionnement. Je suis comme ça. J’ai rien décidé, rien choisi. Quand je suis tombée amoureuse de toi, j’ai eu peur. Je ne savais pas quoi dire, ni quoi faire. J’avais peur de te perdre. J’avais peur de le perdre lui. J’avais peur de tout gâcher. Je pensais que j’étais pas normale. Je pensais que j’allais être obligée de choisir. De renoncer à notre amitié pour le garder lui. Ou de renoncer à lui… Et puis j’ai découvert que je n’étais pas seule. D’autres personnes ne se reconnaissaient pas dans les diktats de la société. Ça avait même un nom. J’ai compris que j’avais le droit de vous aimer tous les deux. J’ai compris que j’avais toujours été comme ça, que j’avais toujours eu cette vision de l’amour, de la liberté. Je l’avais juste refoulée… Soudain, tout était clair pour moi. Je pouvais vous aimer tous les deux. Différemment mais entièrement tous les deux. Je ne t’ai jamais menti. Tu as toujours su que je l’aimais aussi lui. Que t’aimer toi ne me faisait pas moins l’aimer lui. Qu’il était important pour moi, tout comme toi, chacun à votre façon. Tu as dit que tu acceptais et j’ai pas cherché plus loin. J’avais tellement besoin de t’aimer. J’avais tellement besoin que tu m’aimes. Je me sentais tellement femme dans tes bras…
– Tu parles comme si c’était fini...
– Je crois que ce serait mieux…
– Comment ça mieux ? Mais je t’aime !
– Je t’aime aussi. Plus que tu ne l’imagines. Mais on peut pas continuer comme ça.
– Pourquoi pas ? Je ne veux pas te perdre ! Oublie ce que j’ai dit tout à l’heure. Reste encore. Tant pis si je dois te partager avec lui mais je vais devenir fou si tu pars, si tu me laisses...
– Tu dis ça maintenant mais on sait tous les deux que c’est faux. On va finir par se détruire. Je peux pas t’imposer ce partage. Là, t’as juste peur. Peur de souffrir comme quand elle est partie, quand elle t’a brisé le cœur. Tu veux pas le reconnaître mais tu en souffres déjà… Et ce sera encore pire si on reste ensemble et j’veux pas faire comme elle. J’veux pas que tu me détestes.
– Mais j’veux pas que tu partes !
– Je sais. J’en ai pas envie non plus. Je t’aime et je tiens à toi. T’es un ami, un frère pour moi. J’me souviens encore de la première fois que je t’ai rencontré. Y’a 5 ans maintenant mais c’est comme si c’était hier. Tu étais avec elle depuis peu. Tu étais tellement différent de son ex… Toi, je t’ai apprécié tout de suite. Je me rappelle de la façon dont tu la regardais… J’étais contente pour elle, qu’elle ait enfin trouvé un mec bien. Puis quand elle t’a quitté, jeté presque, tu étais tellement… Je ne savais pas quoi te dire. Je ne voulais pas prendre parti mais je te comprenais. On s’est mis à discuter. De plus en plus souvent. On parlait de tout. Même de sexe, c’était étrange, t’étais la première personne avec qui je parlais aussi librement de tout ça ! On s’est rapproché. Quand j’me suis retrouvée, seule, à minuit, dans ma voiture, sur le parking de l’hôpital après l’avoir emmené aux urgences, c’est toi que j’ai appelé. Tu m’as écoutée, rassurée. Quand il n’est pas rentré une nuit, que j’avais peur qui lui soit arrivé quelque chose, qu’il ait commis l’irréparable, c’est encore toi que j’ai appelé. En pleine nuit. Je t’ai réveillé mais tu t’en fichais, tu es resté toute la nuit au téléphone avec moi. On s’est soutenus dans les moments difficiles. On a ri, on a pleuré ensemble. Tu m’as appris à jouer à la console, tu m’a fait goûter au whisky, j’avais enfin quelqu’un avec qui regarder les matchs de rugby ! Tu m’as fait me sentir adulte, pour la première fois de ma vie. J’ai fait des trucs avec toi que j’avais jamais fait avant ! On a grandi, on n’est plus les mêmes. Et aujourd’hui je crois qu’on doit apprendre à vivre l’un sans l’autre.
– Mais pourquoi ?
– On n’a pas la même vision de l’amour, ni de la vie. Nos différences vont bientôt nous sembler insurmontables. Nos chemins vont forcément se séparer. Je veux pas qu’on se déchire. On a toujours su que notre histoire ne durerait pas. Trois ans c’est bien déjà. On a toujours su que la fin arriverait, tôt ou tard. On a juste pas voulu y penser. On a juste fait comme si demain n’existait pas mais demain existe et demain est arrivé. Je veux pas gâcher cette belle histoire. Je veux pas qu’on se détruise et ça arrivera forcément si on continue. C’est inéluctable…
– Alors c’est fini ? Tu décides ça comme ça, d’un coup. Juste parce que je t’ai demandé de rester...
– Tu ne m’as pas seulement demandé de rester. Tu m’as demandé de le quitter lui.
– C’est pareil.
– Non. Et si tu l’as dit c’est qu’une partie de toi le pensait.
– Passons. J’ai pas mon mot à dire. Tu décides pour nous deux ?!
– Oui. L’un de nous doit faire ce choix et tu n’y arrives pas. Je ne veux pas te faire souffrir.
– Mais je m’en fous, moi ! C’est mon problème, pas le tien !
– Mais bien sûr que si c’est mon problème ! Tu me crois sans cœur ? Tu crois que c’est facile pour moi ?
– Ça a l’air…
– Ça ne l’est pas. Je vais pas juste perdre un amant, je vais perdre un ami, un frère. J’ai mal aussi. Et j’aurais encore mal demain. Celui qui part est toujours coupable… Mais je crois que c’est la meilleure chose à faire. Je ne veux pas être comme elle. Je ne veux pas que tu finisses par me détester.
– Mais je t’aime justement !
– Oui, aujourd’hui. Mais déjà tu commences à souffrir de notre histoire en pointillés. Ensemble mais pas vraiment ensemble. Je peux pas te donner ce que tu attends et c’est pas juste pour toi. Tu mérites de vivre une belle histoire. Avec une femme qui saura t’offrir ce que je ne peux pas.
– Reste au moins cette journée. Pars pas comme ça. Reste une dernière journée. Laisse-moi t’aimer une dernière fois.
– Non c’est mieux si la dernière fois est déjà passée, si on savait pas que c’était la dernière...
– T’es vraiment décidée alors ? J’te ferai pas changer d’avis…
– Non et tu le sais. Comme tu sais au fond de toi que c’est la meilleure décision pour nous deux.
– Laisse-moi au moins t’accompagner à la gare.
– Non c’est mieux si on se quitte ici. Tu le sais j’aime pas les adieux, surtout sur les quais de gare. Je veux garder une bonne image de toi, ici dans cette chambre.
– Je t’aime…
– Je sais...
Bravo pour cette nouvelle originale !