Réveil difficile

Par Nascana

Cacilie

 

Est-ce la chaleur ou la voix de ma mère qui m’éveille ? Je ne saurais le dire. Mais après avoir rabattu le drap, je m’étire lentement. Encore une journée de merde qui commence mal… Je pressens un tour de con avant même d’avoir quitté le lit.

– Désolée de te réveiller, mais…

Je jette un coup d’œil sur mon portable. Pas besoin que ma mère en dise plus pour comprendre. C’est l’heure que je bouge mon cul. En vitesse, je récupère une robe violette qui traîne au pied de mon lit. Malgré sa coupe datée, je l’aime bien. Après, il faut avouer qu’on ne peut pas se permettre beaucoup de fantaisie en ce moment. Du coup, nos vêtements viennent de boutiques de seconde main.

Période de vache maigre qui a tendance à s’installer. Si seulement, j’arrivais à décoller avec mes créations internet. Pour l’instant, j’ai plus l’impression d’être payée tous les trente-six du mois. Il faut l’avouer, j’aide pas beaucoup ma mère. Tout serait plus simple si on pouvait se loger en ville plutôt que dans ce motel merdique. Sans moyen de transport, je suis coincée ici.

Parfois, j’ai l’impression que chaque problème en entraîne un nouveau. Pas de permis, pas la possibilité de conduire une voiture, pas de possibilité de me déplacer et donc de trouver du travail. Si l’on continue comme ça, ça fait qu’on n’a pas assez d’argent pour quitter cette chambre minable. Le serpent se mord la queue.

Maman veut toujours voir le positif de l’affaire : on a un toit sur la tête et à manger dans l’assiette, même si c’est souvent des sandwichs pourris de la machine que Larry a fait installer. Encore un moyen de se faire du pognon sur le dos des gens. Avant, on payait pour la chambre et le repas du soir. C’était fait par une vraie cuisinière. Magda qu’elle s’appelait. Elle était toute gentille. Parfois, elle me donnait du rab. C’est sûrement pour ça que l’autre tête de con l’a virée pour la remplacer par une machine. Adieu les pâtes à la bolognaise et bonjour, les sandwichs poulet-mayonnaise avec plus de mayonnaise que de viande.

Je passe un gant de toilette imbibé d’eau froide sur mon visage. Mon corps est moite d’avoir transpiré. Cette température, ce n’est pas normal… Bon, je sens que je vais encore me faire chier à tenter de régler le problème.

Maman tapote à la porte. J’imagine son air gêné à travers le battant.

– Chérie, je suis désolée de te presser, mais j’ai un rendez-vous à 9 h…

Le message est clair, il faut que je me bouge le cul.

– J’arrive.

– Il y a des gaufres que j’ai fait réchauffer dans le grill pain.

À comprendre qu’elles sortent d’une boite. Ça fait longtemps qu’on n’en a pas mangé maison. De toute façon, on n’a pas la place pour en préparer ici.

En vitesse, je dépose trois points de crème sur mon visage puis attache ma tignasse brune avec une pince. Cela permet de me dégager la nuque. J’espère transpirer moins ainsi.

Je sors en trombe. Ma mère me fait un petit sourire.

– Tu es vraiment très belle.

Pour ce que ça m’apporte, je m’en passerais bien. Être très riche me suffirait. Seulement, je ne dis rien. Ce n’est pas la faute de maman tout ce qui arrive. Elle fait son possible pour moi, et je n’aurais pas assez d’une vie pour la remercier.

– Toi aussi, tu es très belle, maman.

Je ne mens pas. Comme moi, elle possède de magnifiques boucles brunes, ainsi qu’une peau couleur cannelle qui s’accorde à merveille avec ses yeux noisette. Les miens sont plus sombres. Un cadeau de mon père. Par contre, j’ai juste un teint ambré. Malgré son âge ma mère a la taille fine et un corps ferme. Personne ne penserait qu’elle a plus de la quarantaine, encore moins qu’elle a déjà eu un enfant. En général, nous sommes vues comme des sœurs. Une situation qui nous amuse.

Elle me tend une assiette et je m’empare d’une gaufre cent pour cent produits chimiques, huile de palme et autres trucs dégueux qui peuvent traîner dans la bouffe. Après niveau goût, j’avoue que cette merde est agréable en bouche.

– Et toi ?

– Ne t’en fais pas…

Une réponse qui n’en est pas une et qui ne fait qu’ajouter à mon inquiétude. Cependant, je ne dis rien. À la place, je range mon ordinateur portable dans sa housse. Il va falloir que je trouve un coin tranquille où m’installer. Lorsqu’il le peut, Bernie me laisse le local ouvert. Il y a un tabouret, une micro table qu’il a déposés là à mon attention et surtout une prise pour brancher mon chargeur.

À peine, je m’agite cinq secondes que je suis en nage.

– C’est normal qu’il fasse aussi chaud ?

– La clim ne marche plus, me répond de manière posée ma mère.

Déjà qu’elle ne faisait pas grand-chose. Si en plus, elle ne fonctionne plus du tout, ça va devenir intenable dans cette chambre de merde.

– Je m’en occupe.

Tout en disant ces mots, je récupère une gaufre dans l’assiette.

– Chérie, j’ai des rendez-vous toute la journée, donc il vaut mieux attendre demain pour la clim. On sera plus tranquille.

Je ne réponds rien, trop occupée à digérer l’info.

– Passe vers onze heures trente, je te donnerai de quoi t’acheter un sandwich.

Pour ne pas la vexer, je me contente de hocher la tête.

– La voyance marche bien en ce moment, murmure-t-elle.

C’en est trop pour mon cœur. Je me saisis de mon ordi, dépose un baiser sur sa joue avant de quitter les lieux.

– À tout à l’heure.

Alors que je m’éloigne, je retiens une grosse envie de pleurer. La voyance… Elle a bon dos la voyance… Je sais bien que ma mère ne reçoit pas des mecs dans une chambre de motel pour leur tirer les cartes. Seulement, je ne dis rien pour ne pas la mettre mal à l’aise. Elle souffre suffisamment pas besoin d’en rajouter.

Un soupir m’échappe. Il est tôt. Malgré ça, le soleil tape déjà fort. Je le sens qui m’échauffe la nuque. La journée promet des records de température. Dommage que celle-ci ne baisse presque pas la nuit…

Du coin de l’œil, j’avise une silhouette que je connais. Un adolescent qui doit avoir mon âge, grand et sec, une caisse à outils dans la main. Son visage est long et ses cheveux ne cessent de lui retomber dans les yeux. Bernie… Comme moi, il a atterri ici par hasard et se retrouve coincé par les pouvoirs maléfiques de ce motel.

Oui, je déforme la réalité. Mais l’idée m’amuse… Vu ma situation, il faut bien que je trouve un peu de bonheur ou je peux.

– Salut !

Un petit sourire passe sur les lèvres du garçon.

– Déjà au boulot ?

– Tout tombe en ruine dans le coin alors…

Il ne termine pas sa phrase. J’ai compris l’essentiel.

– Désolée d’ajouter à ta peine, mais la clim de notre chambre est tombée en panne…

– J’y vais tout de suite !

Je secoue la tête.

– Ma mère est en consultation.

Lui aussi sait ce qu’il en est, même s’il ne dit rien.

– Tu as un peu de temps ? J’ai un truc à te montrer, me propose-t-il avec un sourire gêné.

Pourquoi pas… C’est pas comme si j’avais un emploi du temps de ministre. Je lui emboîte le pas.

 

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Edulitso
Posté le 24/01/2023
J'aime beaucoup. L'héroïne se démarque et c'est ce qu'on attends, elle est brute et c'est parfait. Je n'ai pas assez de connaissances et d'expérience pour le côté technique mais j'apprécie grandement la lecture de ce premier chapitre, merci pour cela.
Nascana
Posté le 05/02/2023
Merci beaucoup. Je suis contente que ça te plaise.
Flo_M
Posté le 15/08/2022
Bonjour Nascana,
Vraiment sympa ce premier chapitre. L’héroïne est tout de suite attachante avec son caractère bien tranché.
J'espère avoir le temps pour lire rapidement la suite, mais je risque de revenir très vite dans ce motel :)
Nascana
Posté le 20/08/2022
Merci. Je suis contente qu'elle te plaise.
Margerie Kremer
Posté le 14/07/2022
Nascana,

Ce début d’histoire me plaît bien. La narration est très fluide, ça se lit tout seul.

La situation de la mère de Cacilie est bien amenée, et il y a déjà du suspens avec ce que Bernie dit à la fin.

Quelques remarques qui ne sont que des détails :
dans « si seulement, j’arrivais à décoller », la virgule est de trop ;
« j’espère transpirer moins ainsi » détonne avec le ton familier, je pense que remplacer « ainsi » par « comme ça » passerait mieux ;
« elle souffre suffisamment pas besoin d’en rajouter » manque d’une virgule après « suffisamment » ;
et il manque l’accent à « boite ».

À bientôt !
Nascana
Posté le 14/07/2022
Coucou,

Je te remercie pour ta lecture et tes remarques. Je suis contente de savoir que cette histoire te plait. J'espère que la suite sera aussi intéressante pour toi.
Hortense
Posté le 21/07/2021
On est propulsé immédiatement dans la vie et la tête de Cacilie, ce qui permet habilement de découvrir son existence et les difficultés auxquelles elle est confrontée, coincée dans ce motel miteux.
L'écriture est vive, enlevée, sans concession, à l'image de Cacilie. Le décor est posé, le lecteur accroché.
C'est un excellent début.
Je vais de ce pas plonger dans la suite !
Nascana
Posté le 22/07/2021
Coucou,

Merci beaucoup pour ta lecture. Je suis contente que ce début te donne envie d'en savoir plus.
Jeff Benoit
Posté le 18/05/2021
Bonjour,
Votre style est très fluide, c'est plaisant à lire. On sent un style d'écriture nerveux, ça me plait beaucoup.
Je vais lire la suite pour comprendre les enjeux, qui est ce personnage, que va-t-il lui arriver,...
Merci pour ce chapitre, et bonne continuation !
Nascana
Posté le 18/05/2021
Merci beaucoup. J'espère que la suite vous plaira.
Taranee
Posté le 22/02/2021
Waouh ! Ton style d'écriture est très dynamique, on a pas le temps de s'ennuyer !
J'arrive pas trop à déterminer quel âge a la narratrice... La vingtaine ? J'ai son caractère. Certaines personnes diraient qu'elle est pessimiste et imbuvable mais vu sa situation, ça se comprend.
J'aime ce début d'histoire, et même si je ne suis pas fan d'horreur (disons que mon imagination s'emballe trop donc je ne supporte pas trop les trucs horrifiques) ce récit m'a intéressé. Tu reprends un des classiques de l'horreur : Le motel sinistre perdu au milieu de nulle part. J'ai hâte de découvrir ton univers, je m'en vais lire la suite ! ^^
Nascana
Posté le 22/02/2021
Elle a 19 ans.

J'espère que ça ira et que tu n'auras pas trop peur. C'est la première fois, que je m'essaie à ce genre d'histoire. Du coup, je suis contente de savoir que c'est plaisant à lire.
Taranee
Posté le 22/02/2021
Ne t'inquiète pas pour la peur !
De toute façon, que serait la vie sans un soupçon de frisson ? ^^
Aline Prov
Posté le 31/12/2020
Hello !

Ce premier chapitre est dynamique, avec une narratrice bien remontée contre sa situation ! J'aime beaucoup comment tu insères la familiarité dans ta narration. Tout ça rend le chapitre très fluide et très agréable à lire !

J'ai hâte de découvrir la suite, ayant surtout été attirée par le tag "horreur". En tout cas, le décor tel qu'il est posé ici me plaît !

Bonne continuation !
Nascana
Posté le 31/12/2020
Coucou,

J'espère que la suite de l'histoire te plaira et que je serais au niveau. C'est la première fois que je tente d'écrire dans ce genre de registre.

Merci beaucoup pour ton passage.
Kieren
Posté le 30/12/2020
Âge rebelle dans une situation injuste. La narratrice peste beaucoup devant son impuissance, mais on ne sait pas non plus ce qu'elle a tenté de faire pour aider sa mère. Elle vomit sa misère à la face du monde, elle a besoin d'être vue pour exister.
Je suis curieux de découvrir d'où partira le scénario horrifique =)
Nascana
Posté le 31/12/2020
Coucou,

Je te remercie pour ton passage. Oui, c'est vrai qu'elle aimerait faire quelque chose. Mais on en apprends plus sur elle par la suite et j'espère qu'elle te plaira.

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