Roméo et le miroir aux rêves

Roméo et le miroir aux rêves 

 

Chapitre 1 : Le miroir 

 

Il n’y avait vraiment rien à voir dans ce vieux grenier. Du haut de ses six ans, Roméo laissait son regard se balader de cartons poussiéreux en cartons poussiéreux, constatant avec ennui que ceux-ci n’étaient guère plus distrayants, que ceux qui remplissaient la maison dans laquelle il venait d'emménager avec ses parents. Tous deux lui avaient promis que la vie serait plus agréable ici, loin de la ville bétonnée et, de ce fait, loin de tous ses amis. Oui la maison était jolie de l’extérieur, mais il y avait encore des travaux à faire, et loin de tout ce qu’il avait jamais connu, le petit garçon avait perdu sa joie de vivre. Sa mère, Laura, voulant débuter son rangement en paix, lui avait demandé d’aller s’occuper de sa propre chambre. Mais ces quatre murs mal repeints, avec pour seul meuble son lit au centre, ne pouvaient certainement pas être sa chambre. Alors Roméo était parti voir son père, avec lui on s’amusait toujours. Papa rendait tout drôle. Mais il devait y avoir quelque chose dans l’air, peut-être était-ce la grisaille Bretonne qui avait pris possession du cerveau de son père, mais pour la première fois il ne voulait pas rire avec lui. 

– Mais je m’ennuie, s’était alors plaint Roméo. 

– Va explorer, lui avait répondu son père distrait par la pile de papiers lui faisant face. 

Le jeune garçon avait grommelé avant de tourner les talons mais il l’avait rattrapé par le bras. 

– Je suis sûr que le grenier regorge de trésors, lui avait-il dit alors qu’il semblait avoir retrouvé un peu de lumière dans le regard. Mais tu devrais les trouver avant que maman ne mette la main dessus. 

Maman le corsaire savait se montrer sans pitié. 

– Comme ça je pourrais le garder ? avait alors demandé Roméo dont l’excitation était remontée en flèche. 

Mais celle-ci était vite retombée à la vue dudit grenier. Aucun trésor digne de ce nom ne pouvait se trouver dans ces vieilles boîtes tachées d’humidité. Il hésita à redescendre mais se décida quand même à explorer un peu les lieux. Il avança entre les vieux meubles, se faufila sous les penderies débordantes de manteaux poussiéreux, et s'arrêta sous un faisceau de lumière qui traversait une des lucarnes au-dessus de sa tête. L’air sentait comme la grand-mère de Jules son meilleur ami et cela le fit sourire. 

Par où commencer ? se demanda-t-il. 

Balayant du regard les piles qui l’entouraient, il se dirigea vers l’une d’entre elle qui attira son regard. Pas de cartons ennuyeux cette fois, mais de jolies malles en cuir de différentes couleurs. Du vert, du brun, de l’orangé offraient un camaïeu de teintes qui détonnait avec l’ambiance austère des lieux. 

Voilà qui est digne d’un trésor, pensa-t-il. 

Il déplaça difficilement l’une des valises qui était plus lourde qu’il ne l’avait imaginé, mais il ne voulait pas appeler un de ses parents à l’aide préférant garder pour lui cette découverte. Papa le lui avait promis, il pourrait garder ses trouvailles. Alors, il redoubla d’efforts, et réussit à faire tomber l’un des coffrets sur l'épais parquet usé. Le bruit du fracas l'immobilisa et il resta ainsi de longues secondes en priant pour que celui-ci n’est pas alarmé un de ses parents. Il entendit des pas se rapprocher de l’entrée du grenier et s'arrêter devant les marches. 

– Tout va bien là-haut ? demanda sa mère. 

– Oui maman ! cria Roméo. 

– Fais attention à ne pas te faire mal mon chéri, dit-elle avant de retourner à ses occupations. 

– Promis, répondit-il en soufflant enfin. 

Une fois que le bruit des pas se fut suffisamment éloigné, il entreprit d’ouvrir la malle qui venait de tomber. Les verrous n’étaient pas fermés constata-t-il avec soulagement et Roméo débuta ses fouilles. Il ouvrit une valise, puis deux, puis trois et sans s’en rendre compte termina d’explorer toute la pile. Il avait découvert d’anciens vêtements bien pliés, des livres de grandes personnes, des photos datant d’avant la naissance de ses parents, et plein de petites babioles très jolies, mais avec lesquelles il n’avait aucune envie de jouer. Il était néanmoins heureux d’avoir trouvé un livre parlant de fleurs qu’il rapporterait à sa mère. Dehors, le soleil se couchait et la pénombre emplissait de plus en plus les combles. Il devait être là depuis plusieurs heures se dit-il en regardant à travers l’une des fenêtres, constatant que le ciel prenait de belles teintes orangées. 

– Roméo, viens manger ! cria son père depuis l’étage inférieur. 

Sa voix, brisant le silence qui l’entourait depuis son arrivée dans les combles, le fit sursauter et il lâcha l’ouvrage botanique qui tomba à ses pieds. 

– Mince, murmura-t-il. Oui papa, j’arrive ! répondit-il plus fort. 

Mais il ne pouvait pas laisser le cadeau pour sa mère ici, alors il s'accroupit pour le ramasser. Soudain, une voix, non un murmure, se fit entendre. Il n’en était pas sûr, il plissa les yeux et se concentra sur son ouïe. Quelque chose parlait, il n’était pas seul. C’était un son si bas, que le bruit de sa propre respiration serait parvenu à le masquer sans peine. Cependant plus il y prêtait attention, plus celui-ci semblait s’intensifier. Il se redressa doucement et tourna sur lui-même à la recherche de l’origine de ce son. La pièce devenait plus sombre et il n’avait pas beaucoup de temps devant lui, mais le jeune garçon ne pouvait se résoudre à quitter ce grenier avant d’avoir trouvé d’où provenait ce murmure. Roméo ne comprenait pas ce qu’il disait, c’était comme une langue inventée, peut-être celle des fées dont parlait maman. 

Mais les fées ça n’existe pas, pensa-t-il. 

Suivant le chemin que lui indiquait ses oreilles, il se rapprocha de l’une des malles qu’il avait déjà fouillée un peu plus tôt. Le bruit des murmures s’était un peu intensifié mais les mots demeuraient incompréhensibles pour lui. Il approcha sa tête de la valise ouverte et se laissa guider vers l’un des bords de celle-ci. Aucun doute, le son venait bien de là. Roméo laissa glisser ses doigts le long de la doublure en velours rouge et sentit un relief sous celle-ci. Il tenta de gratter le tissu pour le détacher, sans succès. Il regarda autour de lui et saisit un ouvre lettre en métal qui brillait faiblement sous la lumière du soleil couchant. Il inséra la petite lame à la jonction entre le tissu et le cuir et la remua doucement pour décoller celui-ci. Le tannage vieilli ne résista pas et le jeune garçon put détacher l’étoffe à la main sans peine. Les voix qui murmuraient étaient devenues plus nombreuses et lui faisaient mal aux oreilles, mais cela ne l'arrêta pas pour autant et il glissa sa main dans l’ouverture qu’il venait de créer, recherchant à l’aveugle la source de ce bruit devenu assourdissant. Soudain, ses doigts rencontrèrent un métal froid. Sans hésiter, il le saisit et l’extirpa de sa cachette. Aussitôt, les voix césserent. Roméo, assis sur ses genoux, contempla lentement sa trouvaille. Un petit miroir au manche richement travaillé lui renvoyait son reflet. Il le tourna et le retourna encore, perplexe. Un miroir ne pouvait pas être à l’origine des voix qu’il avait entendues. Il le rapprocha de son visage, scrutant chaque centimètre de ce dernier en quête d’une réponse censée. Alors qu’il le faisait tourner une énième fois, Roméo sursauta de surprise. Il aurait juré que son reflet venait de lui faire un clin d'œil. Il se regarda une nouvelle fois plus lentement, mais l’image qu’il contemplait était la même que d’habitude, ses yeux bruns semblaient plus sombres à cause du manque de lumière mais c’était toujours lui, Roméo. 

Il entendit une cloche sonner et compris que ses parents l’attendaient pour dîner. S’il ne se dépêchait pas de les rejoindre, son père ou sa mère finirait par venir le chercher et il voulait garder son miroir caché à l’abri de leurs regards. Il n’aurait su expliquer pourquoi, mais cela devait rester son secret. 

 

Chapitre 2 : Bienvenue à Bruadar 

 

La lumière du soleil aveugla Roméo qui mit plusieurs secondes à s’y accoutumer. Combien de temps avait-il dormi ? Il avait l’impression de ne s’être reposé que quelques heures, mais la lumière qui emplissait la pièce lui indiquait le contraire. 

Ils ne m’auraient pas laissé dormir aussi longtemps, pensa-t-il.  

Quelque chose dans l’air ennuyait le jeune garçon. Une drôle de sensation dont on n’arrive pas à se défaire, qui vous dit que tout n’est pas à sa place sans pouvoir précisément le pointer du doigt. Il se leva et remarqua immédiatement que le parquet ne grincait plus sous ses pieds. Il regarda les lattes vernies briller sous les rayons du soleil, à la place du vieux bois ternis qui était habituellement là. Roméo fronça les sourcils et avança sans quitter le sol du regard. Il ouvrit la porte de sa chambre et ne ressentit pas le froid matinal habituel. Aujourd’hui la température était surprenament agréable, même le carrelage ne venait pas glacer ses orteils. Mais ces détails n’étaient rien en comparaison avec la stupeur qui le saisit lorsqu’il releva les yeux. Le triste couloir froid qu’il avait traversé la veille, avait laissé place à un lieu décoré de photos de famille, aux murs repeints avec une odeur de gâteau au chocolat flottant dans l’air. Immobile, Roméo n’osait plus faire un pas. 

– Maman ? appela-t-il. 

Mais sa voix se perdit dans le silence de la maison. 

– Papa ? essaya-t-il à nouveau après de longues secondes sans réponse. 

Toujours rien. 

Il inspira profondément avant de tenter un pas prudent vers l'escalier. Guettant le moindre son provenant du rez-de-chaussée, il avançait d’un pas léger. Lorsqu’il se décida à descendre les marches, il se pencha vers l’avant, tentant de voir si quelqu’un se trouvait en bas. Mais personne ne l’attendait. Personne, hormis une maison qu’il ne reconnaissait pas. Le salon était maintenant aménagé et dans la cheminée brûlait un feu étincelant. Depuis le pied des marches, il put apercevoir la pièce qui devait devenir l’atelier de sa mère, déjà emplie de plantes, de fauteuils et d’ustensiles de peinture. Une nouvelle fois il tenta d’appeler ses parents, sans succès. Cette maison ne pouvait pas être la sienne. Bien que les murs soient restés les mêmes, tous les cartons avaient disparu, le désordre avait laissé place à la chaleur et tout semblait avoir trouvé sa place. Mais où étaient ses parents ? Ils n’avaient pas pu faire tout cela en l’espace d’une nuit, sans aucun bruit qui plus est. Avec la même prudence, il avança à pas feutrés vers la porte d’entrée. Peut-être avaient-ils décidé d’aller au jardin ? Il enfila une paire de bottes de pluie, toujours absorbé par la contemplation de ce qu’était devenue leur maison. Il ouvrit l’épaisse porte d’entrée, le regard rivé sur une gamelle de croquettes qui n’avait rien à faire là puisqu’ils n’avaient pas de chien. Alors qu’il allait relever la tête, Roméo tomba à la renverse, renversé par un puissant souffle. 

Ses yeux s'écarquillèrent quand il découvrit que le jardin, les haies et tout ce qui faisait les alentours de sa maison avait disparu. À la place, la demeure était maintenant entourée d’une épaisse forêt dont les arbres filtraient les rayons du soleil. Des lapins aux couleurs de l’arc-en-ciel sautillaient entre des buissons qui râlaient d’être ainsi dérangés. Les feuilles des arbres riaient face à ce spectacle dans un bruit semblable à celui du vent d’automne. Le jeune garçon étouffa un cri dans sa main et retourna en un éclair dans le vestibule en claquant la porte derrière lui. La respiration saccadée, adossé contre le battant, se pressant contre la seule protection qu’il possédait contre le monde extérieur. Il secoua la tête, incapable de croire à ce que ses yeux lui avaient rapportés. Rien de tout ceci ne pouvait être réel. Si ? 

Roméo tenta de rassembler ses idées tant bien que mal, faisant le point sur le peu d’informations qu’il possédait. Aucune réponse ne faisait sens, mais il y avait une chose qu’il savait : ses parents n’étaient pas là. Si eux aussi s’étaient réveillés dans ce monde, ils avaient dû sortir chercher des réponses. C’est à cet instant que Roméo se releva bien décidé à les rejoindre. Il se retourna pour faire face à la porte, inspira profondément en saisissant la poignée et la tourna avec courage. Dehors, le même spectacle surréaliste lui faisait face. 

Hypnotisé par celui-ci, Roméo avança dans l’herbe épaisse qui poussait devant l’entrée. Dès qu’il eut posé un pied dans ce monde fantastique, la nature autour de lui qui venait seulement de remarquer sa présence, s’immobilisa. Le bruit de la vie s’était interrompu, et tous les animaux et végétaux le fixaient du regard. Roméo se demanda alors s’il avait pris la bonne décision. Leur regard ne laissait aucun indice quant à leurs intentions à son égard, alors il resta statique. Mais les feuilles se mirent à frémir, l’herbe ondula sous les attaques d’un vent qui devenait de plus en plus fort. Une tornade de feuillage naissait devant lui et avançait dans sa direction en grandissant. Roméo voulut retourner dans la maison, mais l’herbe s’était enroulée autour de sa cheville rendant toute fuite impossible. Il se débattit pour libérer son pied de sa botte, mais ne parvint à s’en extirper que trop tard. La tornade l’avait déjà attrapée et le faisait s’envoler de plus en plus haut à chaque seconde. Roméo, pris de peur, hurla et se débattit avec le vide alors qu’il tournoyait de plus en plus vite. S’élevant maintenant au-dessus des arbres, il s’éloignait de sa maison dont la silhouette se faisait plus petite à mesure qu’il se faisait emporter au loin. À cette hauteur, appeler ses parents ne lui serait d’aucune utilité alors il tenta de garder son calme en attendant que son vol prenne fin. Il quitta la forêt et commença à ralentir à l’approche d’une montagne dorée. Le vent le déposa au sommet de celle-ci avant que les feuilles ne se dispersent en éclatant. Roméo avait mal au ventre et au cœur, était pétrifié de peur et tremblait à l’idée de se savoir si loin de chez lui. Rien n’avait de sens, mais il eut à peine le temps de se poser des questions qu’il sentit la montagne trembler sous ses pieds. Les secousses montant en intensité, il chercha autour de lui quelque chose à quoi se raccrocher en attendant que celles-ci ne diminuent. Il vit un rocher qui pointait vers le ciel à quelques mètres de lui et courut s’y agripper de toutes ses forces, avant de fermer les yeux. Aussitôt les secousses cessèrent mais le jeune garçon mis quelques secondes avant d’oser regarder les alentours. Autour de lui rien n’avait changé, la montagne était toujours la même, le rocher auquel il s’était agrippé demeurait identique. Prudemment, il releva la tête et son regard croisa une paire de grands yeux jaunes. 

Il hurla en se projetant en arrière, effrayé par la figure féline qui lui souriait. 

– Bienvenue à Bruadar, dit le visage en souriant. 

 

Chapitre 3 : Deahman 

 

L’être qui lui faisait face, descendit du rocher avec grâce. Il faisait plus de deux mètres de haut, avait une tête semblable à celle d’un lion, dont la ressemblance était accentuée par son épaisse chevelure couleur de feu. Bien qu’animale, son apparence n’était pas repoussante. Il avança doucement vers Roméo qui demeurait immobile sur la pierre froide. 

– Bienvenue Roméo, dit-il en lui tendant une main velue aux griffes d’or. 

Roméo regarda sa main, interdit, n’osant pas la saisir. Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine et le sourire de la bête qui lui faisait face n’aidait en rien à l’apaiser. 

– Allons mon garçon, tu ne vas pas rester par terre, reprit l’animal à la voix résonnante. 

Joignant le geste à la parole, il attrapa Roméo par le col de sa chemise de nuit et le redressa pour le mettre debout sans le moindre effort. Le jeune garçon se débattit avant de reculer une fois qu’il se retrouva les deux pieds sur le sol. Il regarda l’être qui lui faisait face pendant plusieurs secondes avant de réussir à parler. 

– Je veux rentrer chez moi, réussit-il à dire d’une voix qui se voulait déterminée. 

La bête éclata d’un rire qui fit à nouveau trembler la montagne. Roméo ne se laissa pas perturber et reprit avec force. 

– Je veux rentrer chez moi ! dit-il, la voix plus haute.

Le visage du lion afficha un air faussement surpris, avant de retrouver son sourire. Il ricana doucement, tournant autour du garçon en alternant les mouvements debout et les sauts sur quatre pattes. Roméo le suivait du regard, tournant sur lui-même pour ne pas le perdre de vue. 

– Je veux, je veux, je veux… Ta maman ne t’as pas appris à demander poliment ? 

Piqué à vif, Roméo n’apprécia pas que la bête parle ainsi de sa mère. 

– Où sommes- nous ? articula-t-il. 

– Ah ! Voilà une question intéressante ! ronronna le monstre. 

Il sauta sur le rocher auquel s’était agrippé Roméo un peu plus tôt et se tint en équilibre sur sa pointe. 

– Mon cher ami, bienvenue à Bruadar ! dit-il en accompagnant ses mots d’un geste théâtral qui désignait l'étendue de terre sous leurs yeux. 

À cet instant, le jeune garçon eut à nouveau le souffle coupé. Il avait été tellement concentré sur la personne qui lui faisait face, qu’il n’avait pas un instant fait attention au monde qui l’entourait. Tel un cadran dont la montagne était le centre, les terres qui les entouraient se séparaient en douze quartiers aux couleurs différentes. Rouge, vert, bleu ou encore violet, il était entouré de douze segments donc le seul point commun était leur taille. Du quartier vert, il voyait les nuées de feuilles qui l’avaient conduit jusqu’ici. Du jaune, il contempla des pyramides dont les pointes se perdait dans les nuages. Au cœur de la partie blanche, un géant bleu nuit avec dix paires de longs bras était assis en tailleur. Des milliers de petits hamacs pendaient de ses bras et les êtres qui vivaient ici y grimpaient pour y dormir. Roméo ferma les yeux et reconnut les odeurs portées par le vent. De la barbe à papa, de la boue, de la pluie, de la lessive et de la pizza. 

– C’est beau n’est-ce-pas ? demanda la tête de lion posée sur son épaule. 

Roméo qui avait oublié sa présence le temps d’un instant, fit un bond sur le côté. 

– Qu’est-ce-que c’est que cet endroit, Bruadar ? 

– Je te pensais plus intelligent Roméo, dit la bête en secouant négativement la tête. 

Le jeune garçon fronça les sourcils. 

– Concentre-toi, dit le lion en retournant de ses grosses pattes la tête de l’enfant pour qu’elle fasse face à la vue. 

Roméo se laissa faire. Il regarda à nouveau le monde qui l’entourait. Bien qu’il n'ait jamais rien vu de tel de sa vie, tout ce décor lui semblait presque familier. 

Cherche dans ta mémoire, entendit-il le lion dire au fond de son esprit. 

– Comment avez-vous … 

Il s’était retourné d’un bond pour le confronter mais sa question s’était perdue dans le vent. Il venait de reconnaître quelque chose dans le dos de la bête, quelque chose qu’il ne voulait plus jamais voir. Roméo s’avança vers le bord de la montagne, les yeux écarquillés, incapable d’avaler sa salive. Une des parts du cadran qu’il n’avait pas encore vue lui faisait face. 

D’épais nuages noirs aux visages déformés s’écrasaient les uns contre les autres dans un fracas de tonnerre. Au sol, des ombres d'apparence humaine étaient immobiles, leurs visages sans traits braqués sur le corps tremblant du jeune garçon. 

– C’est impossible, murmura-t-il malgré lui. 

Le lion sifflota dans son dos. 

– Ces créatures n’existent pas, hurla Roméo en se retournant. Elles viennent de ma tête, je le sais ! Papa me l’a promis, ajouta-t-il les poings serrés. 

– Nous y voilà ! chantonna la bête en approchant sa grosse tête de celle de Roméo qui commençait à comprendre. 

– Nous sommes …

Le lion dont les yeux brillaient d’excitation hochait la tête frénétiquement en se léchant ses épaisses babines, sa crinière vibrant sous les mouvements saccadés de sa caboche. 

– Dans ma tête ? 

La bête exculta de joie, enchainant acrobaties et cabrioles en hurlant à tue-tête, des feux folets jaunes et oranges jaillissant de sa fourrure. 

– Alors tout ceci n’est qu’un rêve ? demanda Roméo qui avait retrouvé son sourire. 

Le monstre s’immobilisa instantanément en entendant ces mots. Il fondit sur lui, le poil dressé, les yeux devenus noirs. 

– Bruadar est tout ce qu’il y a de plus réel petit garçon, gronda-t-il. 

Roméo qui sentit un frisson lui parcourir le dos se contenta d’hocher la tête. Le lion sembla se rassener et lui tourna le dos. 

– Et vous qui êtes vous ? ajouta-t-il. 

Il se retourna, son immense sourire à nouveau plaqué sur son visage. 

– Je suis Deahman  ! À ton service , répondit-il avec une profonde et ridicule révérence. 

– Enchanté Deahman, je suis Roméo, se présenta le garçon en lui tendant sa petite main. 

– Oh mais je sais déjà qui tu es petit homme, fanfaronna-t-il en ignorant la main qui lui était tendue. 

Roméo la rangea dans la poche du pantalon de son pyjama d’un geste sec. 

– Tout le monde à Bruadar sait qui tu es ! rugit-il d’une voix qui résonna dans l’air. 

– Daehman, où sont mes parents ? 

– Aucun parent à Bruadar, c’est la règle. Leurs esprits sont bien trop sérieux, cela les rend incapables de venir. Et de toute façon, on ne veut pas voir ce que leur pensées ont à offrir n’est-ce-pas ? Ils ne pensent qu’aux devoirs, au rangement et aux brocolis. 

Roméo bien qu’amusé par ce personnage demeurait perplexe. 

– Tu as envie d’une île aux brocolis ? demanda Deahman avec une moue de dégoût. 

Pour la première fois depuis son arrivée à Bruadar, Roméo rit et les étoiles au-dessus de la tête du géant bleu brillèrent plus fort. 

 

Chapitre 4 : Madame Gregor 

 

– Et ensuite nous avons descendu la montagne, mais sur mes pieds ! Ça ne brûlait pas du tout ! Daehman m’a montré toute l’île, il y avait tout ce que j’aime, un cadran de karting, une autre avec des dragons de toutes les couleurs, je voulais monter dessus mais je n’ai pas eu le temps. Daehman à promis que je pourrais la prochaine fois. Oh et il y avait un grand train à vapeur rouge et vert qui fait tout le tour de l’île. J’avais peur que l’on tombe du bord dans le vide mais en fait il est très bien accroché. 

– Tout ça à l’air incroyable mon ange. 

– Ça l’est maman ! Il m’a même montré comment contrôler les choses avec ma tête. C’est difficile pour l’instant, mais bientôt je pourrais faire apparaître tout ce que je veux. 

– J’aimerais bien voir un tel endroit, dit sa mère. 

– Vous ne pouvez pas venir, c’est Deahman qui le dit. 

– Et pourquoi ? demanda son père. 

– Vous êtes des adultes, vous n’y croyez pas vraiment pour y aller. 

– Un homme-lion qui emmène notre fils dans un endroit où les parents sont interdits. Très rassurant, plaisanta-t-il. 

Sa mère asséna une petite tape sur l’épaule de son époux, son regard lui demandant de ne pas se moquer de leur fils. 

– Moi je pense que certaines choses sont uniquement pour les enfants, et c’est mieux ainsi, ajouta cette dernière en lui faisant un clin d'œil dans le rétroviseur. 

Il lui sourit, heureux de voir qu’elle au moins le prenait au sérieux. De ses deux parents, maman avait toujours été celle qui avait le plus d’imagination. Elle accompagnait toujours son fils dans ses histoires et en prenait même parfois la direction, lui ouvrant le champ des possibles. 

Roméo avait tout raconté à ses parents. Son arrivée à Bruadar, la peur et l’excitation. Les milliers de ciels, les feuilles qui vous font voler et les cascades aux sirènes. Il n’avait qu’une hâte, retourner se coucher pour retrouver les coussins de nuages au plus vite. 

– Il y a quelque chose que tu ne nous a pas expliqué Roméo, reprit sa mère. 

Le jeune garçon se redressa dans son siège en l’interrogeant du regard. 

– Comment se rend-on là-bas ? 

Il hésita à leur répéter ce que lui avait expliqué Deahman. Après avoir trouvé le miroir au grenier, Roméo l’avait posé face à son lit avant d’aller se coucher. Pendant son sommeil, son esprit avait pu se rendre à Bruadar grâce à celui-ci. C’est pour ça qu’il l’avait entendu l’appeler, Daehman l’avait mené jusqu’à lui car il savait qu’il en serait digne. 

– Je ne sais pas, mentit-il. 

– En tout cas, tout cela semble magique, conclut son père.  

Roméo acquiesça et arrêta là ses explications, la voiture ralentissant il compris qu’ils étaient arrivés à destination. 

 

Ils descendirent de voiture et avencèrent vers la porte d’une maison que Roméo ne connaissait pas. Maman lui avait expliqué ce matin qu’ils allaient rendre visite à Madame Gregor qui vivait dans leur maison avant. Son fils, un ami de ses parents, leur avait vendu la demeure qu’elle ne voulait plus habiter.

Son père n'eut pas le temps de frapper à la porte que déjà celle-ci s’ouvrait, l’ami de ses parents derrière elle. 

– Odelin, Laura ! Je suis ravi de vous revoir ! Entrez, entrez ! Et tu dois être Roméo, ajouta-t-il à l’attention de l'intéressé. La dernière fois que je t’ai vu tu n’étais qu’un petit bébé. 

Roméo le salua en souriant timidement et suivit ses parents dans le salon. Julien leur apporta des biscuits et du thé et ils s’installèrent tous autour d’une table basse en verre. Rapidement les conversations tournèrent autour du travail, du déménagement et de la future école de Roméo. Ce dernier, bien plus intéressé par les gâteaux sur la table répondait d’un hochement de tête distrait aux questions qu’on lui posait. Après près d’une demi-heure, une femme agée aux cheveux blancs attachés en chignon entra par une porte qui donnait sur le jardin. Elle tenait dans ses mains une paire de cisailles et un panier dont débordaient des fleurs blanches. 

– Maman, te voila, dit Julien en se levant, imité par Laura et Odelin. 

Roméo se redressa sur ses jambes et essuya ses mains sur son pantalon en avalant une énième bouchée de biscuits. 

– Oh, ne vous levez pas les enfants je vous rejoins, indiqua-t-elle en se débarrassant de son panier et de sa paire de sabots en bois. 

Elle les retrouva dans le salon en moins de temps qu'il aurait fallu pour le dire et Roméo pensa que c’était la première fois qu’il rencontrait une vieille qui bougeait aussi vite. 

– Madame Gregor, nous sommes ravis de vous rencontrer, dit son père en lui serrant la main. 

– C’est un plaisir, ajouta sa mère en l'imitant. 

– Je suis également heureuse de pouvoir mettre un visage sur les acheteurs de ma maison. Cela me fait plaisir d’imaginer votre jolie famille lui redonner vie. Mais je vous en prie appelez moi Moïra. 

Elle se tourna vers Roméo qui attendait droit comme un I de pouvoir la saluer. 

– Et tu dois être Roméo, j’ai beaucoup entendu parler de toi, dit-elle en se penchant vers lui, un sourire qui le fit frémir plaqué sur le visage. 

– Bonjour Madame, répondit-il. 

Alors que tout le monde se rassayait dans les épais canapés, Roméo ne parvenait pas à détacher son regard de la vieille femme. Sa mère qui le remarqua, lui ordonna par le regard d’arrêter de la fixer ainsi. 

– Julien je peux aller aux toilettes s’il-te-plait ? demanda le garçon. 

– Elles sont au premier étage, au bout du couloir sur la droite, lui indiqua-t-il. 

Roméo le remercia et emprunta les escaliers qui débouchèrent sur un long couloir mal éclairé. Sur les murs de celui-ci étaient accrochées des dizaines de photos de famille, certaines si vieilles qu’elles étaient tachées par le temps. Roméo avança lentement, prenant le temps de regarder ces souvenirs de vie suspendus aux murs. Plus il avançait, plus il comprenait que l’ordre des cadres suivait une logique chronologique et bientôt il trouva des photos de Julien plus jeune, de sa mère qui posait derrière lui et un autre garçon, plus jeune que lui mais qui lui ressemblait. Le second garçon serrait un jouet dans ses mains.

Arrivé au bout du couloir, Roméo allait ouvrir la porte des toilettes mais alors que sa main était à quelques centimètres de la poignée un bruit de respiration l'arrêta. Il se retourna et regarda la porte entrebâillée qui lui faisait face. De faibles faisceaux de lumière artificielle s’échappait par l’espace et poussé par la curiosité, Roméo poussa un peu plus le battant. Il passa une tête dans la pièce qui était en réalité une petite chambre avec un grand lit médicalisé en son centre. Un homme dormait là, sa bouche reliée à d’immenses machines desquelles provenait le bruit de respiration qu’il avait entendu un peu plus tôt. Roméo entra dans la chambre sur la pointe des pieds et se rapprocha du lit du malade. Il était mince et, bien qu’endormi, paraissait fatigué. Sur une table de chevet, face au jeune garçon, se trouvait un bouquet de fleurs blanches qui commençaient à faner, des photos de famille et de petits bibelots. Derrière le vase cependant, une forme dépassait et Roméo tendit la main pour la saisir. Une fois dans ses mains, il reconnut un wagon de petit train rouge et vert. Le même qu’à Bruadar. Alors qu’il contemplait le petit jouet en fronçant les sourcils, il sentit une main se poser sur son épaule. 

– Qu’est ce que tu fais ici ? demanda la voix de Moïra dans son dos.  

 

Chapitre 5 : La terre noire 

 

Ses parents avaient été très en colère quand ils apprirent qu’il était entré dans la chambre de Maxime, le frère de Julien. Madame Gregor leur avait assuré que ce n’était pas grave, mais cela n’avait en rien apaisé leur esprit. Le chemin du retour s’était déroulé dans un silence glacial et Roméo, honteux, n’avait pas osé prononcer le moindre mot. Néanmoins, une fois qu’ils arrivèrent à la maison, l’ambiance semblait s’être détendue et alors que son père allait dans sa chambre pour monter son bureau et ensuite avancer dans le rangement de la maison, Laura appela son fils pour venir l’aider en cuisine. 

– Nous sommes bien d’accord que cela n’arrivera plus ? avait-elle demandé avec son air grave avant de commencer à cuisiner. 

Roméo lui avait assuré que cela ne se reproduirait pas et il était sincère. Alors sa mère retrouva sa joie habituelle et ils commencèrent à préparer un plat de lasagnes ; maman à la cuisson et Roméo à la découpe. Depuis le salon, son père avait allumé de la musique et celle-ci leur parvenait atténuée par la distance. Après plusieurs minutes à cuisiner en fredonnant, Roméo posa la question qui lui brûlait les lèvres depuis qu’ils avaient quitté la maison des Gregor. 

– Pourquoi il est comme ça Maxime ? 

Laura marqua une pause dans ses mouvements avant de lui répondre. 

– Ils ne savent pas. Quand il était petit, un jour il ne s’est plus réveillé. Les médecins ont essayé beaucoup de choses pour le soigner mais rien n’a marché. 

– Alors il est mort ? 

– Non. 

Elle soupira. 

– Juste endormi, ajouta-t-elle. 

Roméo resta silencieux le temps d’assimiler les réponses de sa mère. S’il dormait alors pourquoi ne pas simplement se réveiller ? 

– C’est pour ça qu’ils ne voulaient plus de la maison ? reprit-il. 

– Je pense que cet endroit renferme de mauvais souvenirs pour eux. Cela doit être terrible de voir son enfant ainsi et de ne pas pouvoir faire quoi que ce soit.

Roméo hocha la tête gravement, s’en voulant davantage d’avoir fait irruption dans la chambre de Maxime. 

 

En allant se coucher ce soir-là, Roméo plaça soigneusement le miroir doré face à son coussin, et s’allongea le cœur battant en attendant que le sommeil le gagne. Quand il rouvrit les yeux, le ciel à l’extérieur était constellé de milliers de soleils jaunes, verts, bleus et violets. Il plaqua son visage émerveillé à la fenêtre de sa chambre avant de dévaler les escaliers pour quitter la maison. Cette fois, elle n’était pas nichée au cœur du cadran vert mais dans un paysage maritime. Le ciel et la mer au loin ne faisaient qu’un et les vagues venaient s’écraser devant ses pieds nus. Au loin, Deahman dirigeait un immense vaisseau qui se fendait les vagues en naviguant droit vers lui. La mer était agitée, des vagues de plusieurs mètres de haut s’élèvaient à l’horizon et le ciel crachait des éclairs de feu qui plongeaient dans l’eau salée. Quand Deahman arriva à son niveau, il lui cria de monter dans sa chambre pour pouvoir le rejoindre à bord. Roméo ne se fit pas prier et gravi les marches deux à deux avant d’ouvrir en grand sa fenêtre, laissant s'engouffrer la pluie diluvienne qui s'abattait sur Bruadar. Sans peur, il prit de l’élan et sauta à bord du navire en s'agrippant à l’un des cordages qui volait dans le vent. Une fois arrivé sur le pont principal où son ami à tête de lion menait la barre, le bâtiment reprit la route en direction des nuages noirs d’où grondait le feu. 

– Prêt pour l’aventure ? demanda Deahman dont la voix se perdait dans le fracas du tonnerre. 

– Oui capitaine ! cria Roméo, un sourire béant sur le visage.  

La bête lui fit signe de s’approcher, et lui laissa la direction du gouvernail. 

– Mais je n’ai jamais conduit un bateau, dit Roméo. 

– N’oublie pas qu’ici c’est toi qui décide, lui murmura Deahman dans le creux de l’oreille. 

Alors le jeune garçon ferma les yeux, et s’imagina tel un grand capitaine corsaire, sans crainte, sans limite, bravant la houle et l’orage. Quand il ouvrit les yeux, son pyjama avait été remplacé par une redingote noire aux boutons d’argent. Ses yeux n’étaient plus gênés par la pluie, car un immense chapeau de pirate trônait maintenant sur sa tête. Il tourna le regard vers Deahman qui ne le quittait pas des yeux et l’encourageait d’un signe de tête. Alors, Roméo serra ses mains autour du gouvernail et un vent se leva dans leur dos, gonflant les voiles blanches du navire, les poussant en direction de la tempête. 

Arrivés au cœur du cyclone, le navire montait et descendait des les airs au rythme des vagues. Des murs d’eau venaient s’écraser contre la coque en bois, faisant trembler l’édifice. Trempé jusqu’au aux os mais transit d'excitation, Roméo sortit son épée imité par Deahman qui se tenait derrière lui. 

– As-tu déjà combattu le ciel Roméo ? lui demanda celui-ci. 

Le garçon fit non de la tête.

– Alors en avant ! hurla le lion en courant vers la proue du navire. 

Il sauta dans les airs et rebondit sur les vagues, glissant dans les tubes avant de jaillir vers le ciel, son sabre pointé vers les éclairs. Roméo le regarda faire, subjugué, et le rejoignit au cœur de la houle. Ils volaient, sautaient, et leurs épées résonnaient contre les assauts électriques des nuages. La lumière éclatait suite aux impacts et venait mourir dans les eaux noires. Le jeune garçon hurlait de joie, son rire se mêlant à la musique de la nature. Petit à petit, le ciel se calma, les attaques se firent moins nombreuses, et le soleil vint percer les nuages, annonçant leur victoire. 

– Je ne me suis jamais autant amusé de ma vie, dit Roméo de retour sur le bateau. 

– Tu t’es bien débrouillé ! Rien de mieux qu’une bonne bagarre avec les orages pour faire travailler vos articulations, ajouta Deahman en faisant mine de s’étirer. 

Alors que le jeune garçon s’apprétait à rejoindre le gouvernail, des murmures provenant du cadran noir l’interompirent. Il se retourna pour faire face à l’armée d’ombres qui même à une telle distance semblait le regarder fixement. Roméo n’avait pas froid, pourtant il tremblait. Il ne comprenait pas ce qu’elles disaient, mais leurs voix devenaient de plus en plus fortes. Deahman le rejoignit et leva une de ses pattes, les réduisant alors au silence. 

– Qu’est-ce-que c’est Deahman ? demanda-t-il. 

– C’est la terre noire. Où vivent tes cauchemars. 

Roméo connaissait déjà la réponse au fond de lui, mais avait eu besoin de l’entendre. Une question naquit cependant dans son esprit ; comment ces ombres parvenaient-elles à venir dans le vrai monde ? 

 

Chapitre 6 : La vérité 

 

Douze jours s’étaient écoulés depuis que Roméo avait fait son premier voyage à Bruadar. Chaque nuit, il avait rejoint ce monde merveilleux laissant son esprit traverser le miroir posé sur sa table de chevet. Bien que ces nuits soient depuis peuplées de rêves et de magie, ses journées en revanche étaient devenues plus ternes, plus mornes. Les couleurs du monde réel devenaient plus grises, ses sentiments moins puissants et même la nourriture était plus fade. En moins d’une semaine, la vie avait l’air de l’avoir quitté et il ne vivait que dans l’attente du coucher où il pourrait retrouver Deahman et son monde. Ses parents avaient remarqué son état et s’en inquiétaient, mais Roméo avait préféré ne plus leur parler de Bruadar et prenait depuis quelques jours le soin de cacher le miroir durant la journée. Si tous deux apprenaient que sa fatigue était liée à ses voyages nocturnes et découvraient l’existence du portail, ils lui confisqueraient sans aucun doute son précieux miroir et jamais plus il ne pourrait y retourner. Maintenant qu’il avait exploré et vécu dans chacun des cadrans, Roméo se sentait près à davantage explorer la force de son esprit pour contrôler Bruadar. Enfin, il demeurait cependant un endroit qu’il n’avait pas vu et qu’il ne désirait absolument pas traverser : la terre noire. Les ombres qu’elle contenait, avaient alimenté ses cauchemars et terrorisé ses nuits depuis qu’il n’était qu’un tout petit garçon. Deahman lui avait montré comment contourner la lande maudite, mais il demeurait craintif à l’encontre de ses silhouettes qui semblaient absorber la lumière qui les entouraient. Dernièrement, épuisé par ses aventures, il lui arrivait même d’avoir l’impression de les voir du coin de l'œil, dans la périphérie de sa vision, alors qu’il était réveillé. 

 

Cette nuit-là, quand il alla se coucher, Roméo qui comme à chaque fois trépignait d’impatience, eut plus de mal à trouver le sommeil. Il se retourna pendant de longues minutes dans son lit avant de parvenir à s’endormir allongé sur le dos. Quand il rouvrit les yeux, sa chambre était plongée dans les ténèbres avec pour seule source de lumière, l’aura argentée de la lune. C’était la première fois qu’il visitait Bruadar de nuit. Impatient à l’idée de voir ce monde sous les étoiles, il tenta de se lever mais aucun de ses muscles ne répondit. Roméo demeurait allongé, incapable de faire le moindre mouvement. Rapidement, l’angoisse prit possession de son corps et il jeta des coups d'œil erratiques dans les recoins de sa chambre, cherchant désespérément un moyen de se lever. Son cœur tambourinant dans sa poitrine et il sentit une sueur froide couler le long de son front. Il leva les yeux au plafond et se retrouva confronté à la vacuité de sa chambre. Soudain une silhouette apparut dans son champ de vision périphérique. Il baissa doucement le regard vers ses pieds et vit avec horreur une des silhouettes de la terre noire se tenant droite et immobile au pied de son lit. Une nouvelle vague de peur le gagna et il tenta d’hurler mais sa mâchoire demeurait bloquée. De nouvelles ombres apparurent et bientôt le jeune garçon se retrouva encerclé, pris au piège. Celle qui était à ses pieds, la plus grande, grimpa sur son lit et approcha sa tête de celle de Roméo. Elle s'arrêta à quelques centimètres de son visage. 

– Ne le suis pas, murmura-t-elle. 

Roméo, incapable de se détourner ferma les yeux et pria pour qu’elles disparaisent. À travers ses paupières closes, il vit de la lumière apparaître. Reprenant espoir il rouvrit les yeux et vit la pâte de Deahman sortir du miroir accompagné d’éclats de rayons solaires. 

– Attrape ma main, criait celui-ci de l’autre côté. 

Alors Roméo réussit enfin à prendre le contrôle de son corps et saisit le bras de Deahman qui l’aspira à travers la glace qui tomba sous son lit. 

La chute qui suivit sembla durer une éternité et le jeune garçon gémit de douleur lorsque son petit corps rentra en contact avec le sol dur. Il tenta péniblement de se relever, mais ne trouva pas la force de se redresser sur ses jambes. À quatre pattes, il ouvrit les yeux pour faire face à un sol dur, froid, ressemblant à du charbon. Il releva la tête vers Deahman qui le dominait par sa carrure qui paraissait encore plus imposante ainsi. 

– Aide-moi s’il-te-plaît, supplia-t-il en lui tendant sa main tremblante. 

La bête l’ignora et le laissa retomber au sol, son corps soulevant un nuage de poussière noire. 

– Tu auras été un de mes préférés Roméo, je tiens à ce que tu le saches, murmura-t-il d’une voix grave. 

Roméo l’écoutait à moitié, son esprit trop occupé par l’idée qu’il se trouvait sans défense au cœur de la terre noire. Ils devaient partir avant que les ombres ne les attrapent. 

– Deahman nous devons partir. Les ombres vont revenir, articula péniblement le garçon qui tentait une nouvelle fois de se relever. 

– Ne gaspille pas ton énergie petit. Ce n’est plus qu’une question de temps maintenant. 

Roméo sentait sa force le quitter un peu plus à chaque seconde. Quelque chose n’allait pas. Dans un nouvel effort, il tenta de s’appuyer sur son bras mais celui-ci se déroba sous son poids. Il baissa les yeux vers celui-ci pour découvrir avec horeur que sa chair avait été remplacée par une forme noire et vaporeuse. 

– Qu’est-ce-qui m’arrive ? hurla-t-il désemparé. 

Les larmes coulaient maintenant le long des ses joues qui avaient perdu toute couleur. 

– Non, ne sois pas triste mon ami, dit Deahman en s’accroupissant face à lui. 

De ses griffes, il essuya ses larmes. 

– Dit toi qu’ainsi tu ne quitteras jamais Bruadar, tu en feras même partie pour toujours. 

– Je ne comprends pas, toussota Roméo dont la vue se brouillait. 

Deahman se releva et épousseta la suie de ses genoux. 

– Bruadar est beau, mais lui et moi ne pouvons pas vivre sans une source d’énergie. Et quelle meilleure source que vous les enfants et votre esprit sans limite ! C’est un bel échange que je vous offre, des nuits merveilleuses et en retour vous alimentez Bruadar. 

C’est alors que Roméo compris, les ombres qui l'effrayait tant depuis toujours, avaient pour seul but de le prévenir, pour empêcher qu’il ne deviennent comme elles. 

– Je veux rentrer chez moi, gémit-il. Je veux revoir mes parents. 

Il ne retenait plus ses larmes, comprenant le sort funeste qui l’attendait. 

– C’est ça le plus beau. Enfin pour moi en tout cas. Aucun adulte ne peut venir vous chercher, je te l’avais dit pourtant… 

Roméo se rappela alors. Aucun parent ne pouvait le suivre car leurs esprits étaient trop matures. 

– Pourquoi est-ce-que tu fais ça Dahman ? gémit-il. 

– Tu crois que j’ai choisi cette vie, Roméo ? C’est eux ou moi. Si je ne nourris pas Bruadar, c’est moi qui deviens une ombre. Et je ne l’accepterais jamais. 

Se sachant condamné et à bout de force, Roméo relâcha tous ses muscles. La terre aride buvant ses larmes, il sentit l’ombre doucement progresser dans son corps. Dans son dernier soupir, il pensa aux sourires de son père et de sa mère et s’en voulu en pensant à la peine que sa disparition allait leur causer. 

 

Chapitre 7 : Au revoir 

 

– Roméo n’est pas encore levé ? demanda Laura à son époux. 

– Non pas encore.

Elle regarda l’horloge de leur cuisine qui indiquait onze heures passées. 

– Je vais m’en occuper, dit Odelin en la voyant regarder le cadran. 

Elle le remercia du regard et alors qu’il quittait la pièce, elle prit dans un des placards un bol et les céréales préférées de son fils. Il avait été particulièrement fatigué ses derniers jours et ils avaient prévu de l’emmener voir un médecin, son état ne semblant pas s’améliorer. Elle ouvrit le paquet de céréales, mais son geste fut interrompu par les cris d’Odelin à l’étage. 

– Roméo ! Réveille-toi ! Laura appelle les urgences ! hurlait-il. 

Son sang se glaça en entendant la voix brisée de son époux. Elle se précipita vers son sac à main et saisit son portable. Elle tappa fébrilement le numéro des urgences en gravissant les marches. Alors que la voix de l’opérateur sortait du combiné, elle entra dans la chambre de son fils qu’elle trouva endormi et blafard dans les bras de son père au regard terrifié. Elle tenta d’expliquer la situation à la personne à l’autre bout du fil, essayant par la même occasion de comprendre la scène qui se déroulait sous ses yeux. 

 

Il n’y avait pas un seul instant de leur vie durant lequel Laura et Odelin s’étaient sentis aussi seuls, aussi perdus. Après l’appel aux urgences, tout s’était enchaîné. Batterie d’examens et de prélèvements, vomi de diagnostic et de pistes en tout genre. Mais après des jours de panique, d’espoir et de recherches, la précipitation avait laissé place au plus cruel des silences. Le silence de l’ignorance. Les deux parents devaient regarder leur petit garçon plongé dans un sommeil duquel personne ne semblait capable de le réveiller. Tous deux se relayaient, se reposant l’un après l’autre pour s’assurer que quand Roméo ouvrirait les yeux il ne serait pas seul. Car il devait se réveiller un jour, il ne pouvait pas en être autrement. Ils passaient toutes leurs journées assis en silence dans la chambre d'hôpital aux néons blafards. Quand Odelin s’endormait, Laura se glissait près de son garçon qui lui paraissait encore plus petit, et lui murmurait des mots doux dans le creux de l’oreille d’une voix brisée par les sanglots. 

 

Les jours se transformèrent bientôt en mois. Une routine s'était installée et les tours de garde du couple se déroulaient comme une danse macabre. Odelin assurait les aller-retours à la maison, mais la demeure était restée remplie de cartons et l’emménagement n’avait plus de sens pour aucun des deux. 

 

Après plus de deux mois d’hospitalisation, les médecins proposèrent un retour à la maison pour Roméo. Il aurait tout le matériel médical nécessaire dans la chaleur de son foyer, voila ce qu’avait dit le docteur. Mais tous deux avaient bien compris que sous cette fausse amabilité se cachait en réalité l’abandon des professionnels pour le cas de leur fils. 

Alors ils étaient rentrés chez eux, dans cette bâtisse qui devait représenter leur nouveau départ et qui avait au final été le lieu où leur cauchemar avait pris vie. Roméo avait été installé dans la pièce qui devait servir d’atelier à sa mère au rez-de-chaussé. 

 

Une semaine s’était écoulée depuis que Roméo était rentré à la maison. Pour autant, la vie de Laura et Odelin n’avait pas vraiment changé. Ils lavaient, embrassaient et parlaient avec leur fils en priant pour que chaque interaction mette fin à son sommeil. En vain. 

Aujourd’hui, Julien et Moïra devaient leur rendre visite, leur compagnie ayant pour but de leur faire oublier un court instant leur douleur. Quand leur voiture ralentie sur les graviers de l’entrée, Laura se raidit. Odelin qui avait remarqué sa réaction lui serra la main. 

– Ça va nous faire du bien de voir un peu de monde. Tout va bien se passer. 

Laura acquiesça sans conviction. 

Ils accueillirent avec autant de chaleur possible leurs convives, mais aucune mascarade n’aurait pu dissimuler la peine qui vivait dans la maison. Moïra avait emmené un bouquet de fleurs de son jardin. 

– Il est pour Roméo, précisa-t-elle. 

Ils la remercièrent et pendant que Laura la menait à la chambre de son fils, les deux hommes allèrent s’installer dans le salon. 

Quand elle passa le pas de la porte son cœur se déchira une nouvelle fois, comme il le faisait à chaque fois qu’elle venait le voir. Au début, elle ne voyait que son visage endormi et s’imaginait qu’il se reposait. Mais ensuite son lit médicalisé et les machines de contrôle entraient dans son champ de vision lui rappelant alors la triste vérité. 

– Je voudrais pouvoir vous dire que l’on s’y habitue, mais ce serait un mensonge, dit Moïra à côté d’elle. 

Toutes deux avencèrent vers Roméo et Laura lui pris la main. Moïra s'assit dans l’un des fauteuils de l’autre côté du lit et elles gardèrent le silence un long moment. 

– Comment faites-vous pour rester en vie après toutes ces années ? demanda Laura. Roméo est dans cet état depuis plus de deux mois et j’ai l’impression de mourir un peu plus chaque jour. J’ignore si je vais parvenir à tenir encore longtemps. 

– Vous tiendrez ma chère. C’est ce que font les mères. 

À ces mots, la jeune mère pleura. 

– Je ne peux m'empêcher de me sentir responsable, reprit Moïra. 

– Comment ça ? demanda Laura. 

La vieille femme hésita un instant, cherchant les mots à employer. 

– Quand nous sommes venus vivre en France, je cherchais à fuir quelque chose. 

Se demandant où elle voulait en venir, Laura se redressa et l’invita du regard à continuer. 

– Il y avait dans mon village en Ecosse une sorte de … Mal. Il empêchait les enfants de se réveiller. Déjà à mon époque, les médecins ne savaient pas quoi faire mais les anciens parlaient d’un démon, qui prenait leurs âmes. 

La jeune femme sentit une colère naitre en elle. Comment pouvait-elle imaginer que son histoire de malédiction allait la réconforter ?

– Je sais ce que vous devez penser. J’étais comme vous avant qu’il ne prenne mon frère jumeaux. Il n’avait que sept ans et moi je m’étais moqué de lui et de tous ses rêves, mais un jour il ne s’est plus réveillé. Dès que j’ai été en âge, j’ai quitté mon pays et je ne suis plus jamais revenue. Quand Julien est né j’avais peur que cela nous ait suivis mais il a grandi alors avec mon mari nous avons eu un second garçon. Mais ce démon nous a retrouvé et il m’a pris mon fils. Mon petit Maxime. Je savais que je ne pourrais rien faire pour lui quand il a commencé à me parler de Bruadar mais je … 

– Qu’est-ce-que vous venez de dire ? l'interrompit Laura.  

– Je savais que je ne pouvais rien faire mais… 

– Non, vous venez de dire un nom. Vous avez bien dit Bruadar ? 

– C’est là qu’il les emmène je crois mais Maxime ne voulait rien me dire, les adultes ne peuvent pas y aller. Et après plus d’une semaine, il ne s’est pas réveillé.

 

Chapitre 8 : Bonjour maman 

 

– Est-ce-que tu t’entends parler ? C’est de la folie ! 

– Tu refuses de me croire mais Moïra dit la vérité. J’ai fait des recherches et il y a des articles qui racontent la même chose qu’elle. Et cela ne se passe pas qu’en Ecosse ! Il y eu des cas similaires en Sibérie, au Danemark, en Roumanie… 

– Donc tu crois sincèrement que notre fils ne se réveille pas à cause d’un démon Laura ? 

– Quelles autres options avons-nous ? Il y a forcément quelque chose qui l’a plongé dans ce sommeil et c’est la première fois que nous avons une piste. 

Odelin leva les mains en signe de résiliation. Il était fatigué et n’avait plus la force de se battre avec sa femme. 

– J’arrête là. C’est trop, murmura-t-il. 

– Qu’est-ce-que tu veux dire ? 

– C’est déjà assez dur comme ça sans que tu viennes en rajouter avec tes histoires à dormir debout. Notre fils est malade tu entends ? MA-LA-DE ! Et la dernière chose dont il a besoin c’est que sa mère parte à la chasse aux sorcières. 

Usé par leur dispute, Odelin lui tourna le dos, prêt à quitter le salon. 

– Alors comment expliques-tu que Roméo ait lui aussi parler de Bruadar ? 

– Il l’aura sûrement lu dans les affaires de Moïra. Que veux-tu que je te dise ? répondit-il sans la regarder. 

Se retrouvant seule, Laura pesta contre le ciel. Peut-être qu’il avait raison ? Ces derniers mois l’avaient tellement éreinté qu'elle en devenait prête à croire n’importe quoi, dans l’espoir que cela lui apporte des réponses. Elle laissa tomber les recherches qu’elle avait imprimées sur la table basse et s’assis dans l’un des canapés, la tête nichée entre ses mains. 

– Tu perds la tête ma pauvre fille, murmura-t-elle pour elle-même. 

Quand elle se releva, elle était décidée à abandonner ces idées de possession et alla prendre une douche. 

L’eau brûlante ne chassa pas la sensation qu’elle avait de toucher du doigt la vérité mais elle eut au moins le mérite de la réchauffer. Odelin lui en voulait encore et même si elle avait bien conscience que cela était surtout dû à sa détresse, elle préféra le laisser seul et alla dormir dans leur chambre. 

Dans ses rêves, elle retrouvait Roméo. Son fils l’appelait et elle courait le serrer dans ses bras. Son odeur d’enfant était des plus réelles et le réveil des plus cruels. Quand elle ouvrit les yeux, il faisait encore nuit. La maison était plongée dans le même silence qui la remplissait depuis des mois et elle resta immobile dans son lit l’esprit vide. Du coin de l'œil, elle cru voir quelque chose se déplacer mais se rendit compte qu’elle ne parvenait pas à bouger. Cela faisait des années que Laura n’avait pas fait de paralysie du sommeil, pourtant elle la reconnut aussitôt. Tentant de garder son calme, elle tacha de respirer par le nez sans quitter du regard la silhouette ténébreuse qui se tenait dans un coin de la pièce. Elle était plus petite que celle qu’elle rencontrait lorsqu’elle était enfant, ou peut-être était-ce elle qui avait grandi. Quand elle avança vers elle, sa démarche lui parut familière et la peur fut remplacée par de la mélancolie. Alors que le petit corps tendait les bras vers elle, Laura demeurait clouée à son matelas. Elle voulait se lever, le serrer dans ses bras, embrasser son fils. Elle commença à pleurer et à se débattre contre son propre corps qui ne voulait pas lui obéir. Elle entendit dans pas provenir du couloir et quand son mari rentra dans la chambre en allumant le plafonnier l’ombre disparu. Laura sauta de son lit avant de tomber au sol à l’endroit où se tenait Roméo, ou du moins une part de lui, quelques secondes plus tôt. 

– Non, non, reviens, murmura-t-elle entre ses sanglots. 

– Laura qu’est-ce-qui se passe ? demanda Odelin qui venait la soutenir de ses bras. 

Animée par sa peine, elle ne parvenait pas à parler et se contenter de pleurer et d’hurler contre l’Univers. 

– Je veux qu’on nous rende notre fils !

Son amoureux la rejoignit dans ses pleurs, incapable de trouver les mots pour consoler la peine qui le consummait aussi.  

 

Quand Laura se réveilla, elle était lovée contre Odelin qui dormait profondément. Elle ne se rappelait pas la dernière fois qu’ils avaient dormi ensemble, dans leur lit. Elle le regarda respirer sans bouger, ne voulant pas l’arracher à son sommeil réparateur. Quand elle se leva en silence, il ne sembla pas le remarquer et elle ferma doucement la porte de leur chambre derrière elle. 

Pendant que son café coulait, elle repensa aux évènements de la veille. Bien qu’habituée aux terreurs nocturnes, celle-ci était différente. Elle n’avait pas eu peur, elle en était sûre, Roméo était avec elle dans la chambre. Mais comment l’expliquer ? Odelin dirait qu’elle désirait tant le revoir que son esprit l’avait inventé de toutes pièces, mais elle savait que c’était faux. Elle se rendit dans la chambre de convalescence de son fils et le trouva dans la même position que la veille. Elle s’assit sur le rebord de son lit et caressa ses boucles brunes dans lesquelles dansaient des reflets d’or. 

– C’était toi cette nuit n’est-ce-pas mon ange ? lui demanda-t-elle. 

Roméo ne bougea pas, lui offrant pour seule réponse sa respiration endormie. Elle but une gorgée de café en laissant son regard se balader dans la pièce.

Un détail sur le bouquet de Madame Gregor attira son attention. Quand elle l’avait arrangé dans le vase sur la table de chevet, les fleurs étaient immaculées, mais maintenant un voile de suie noire était déposé dessus venant les teintées d’une couleur grisâtre. Laura effleura un des pétales et regarda la poussière noire tacher ses doigts. Elle posa sa tasse et courut jusqu’à sa chambre. Elle entra sans ménagements réveillant au passage son époux. Elle inspecta le parquet à quatre pattes, ses mains fébriles glissant sur le bois. 

– Qu’est-ce-que tu fais ? demanda Odelin d’une voix endormie.   

Mais Laura ne lui répondit pas. Elle avait sous ses yeux la preuve qu’elle n’avait pas rêvé. Deux traces presque invisibles de suie en forme de petits pieds. 

 

Chapitre 9 : Retour en terre connue 

 

Cela ne faisait plus aucun doute pour Laura, son fils était bien en vie quelque part et il avait besoin d’elle. Elle n'avait pas pris la peine de mettre des vêtements depuis qu’elle avait les traces de ses pieds sur le sol de sa chambre. Elle s'était précipitée au grenier en quête de réponses, laissant derrière elle un époux perdu. Tout avait commencé ici. Roméo avait trouvé quelque chose dans ces combles et ses rêves avaient commencé. Si elle parvenait à trouver un indice voire à mettre la main sur cette relique alors elle pourrait le sauver. Ignorant par où commencer, elle se demanda ce qui aurait pu attirer l’attention de son fils. Elle sonda la pièce du regard et vit l’amas de valises et coffres dans le fond de celle-ci. Aucun doute, Roméo était passé par là. Les vêtements en désordre et les carnets éparpillés au sol confirmèrent ses soupçons. 

Laura passa toute la journée à examiner chacune des pièces qu’elle trouvait, à lire tous les petits carnets jaunis et à examiner les albums photos. Mais tout ceci ne fut d’aucune aide. Rien ne lui apporta le moindre indice sur la façon d’aider Roméo. 

Les rayons du soleil couchant tombèrent sur un petit ouvre lettre en métal posé par terre à côté d’une malle que Laura avait déjà fouillée. Elle se demanda ce qu’il faisait posé là et le prit dans ses mains. Pourquoi Roméo avait-il laissé ça ici ? Elle inspecta les alentours et remarqua que la doublure en velours de la valise était déchirée. Elle compris alors que son fils avait dû utiliser la petite lame pour faire cette ouverture et sûrement récupérer quelque chose à l’intérieur. 

– Qui a mis ça là ? se demanda-t-elle. 

Roméo avait bien pris quelque chose dans ce grenier mais il était évident qu’elle ne se trouvait plus ici. 

 

Elle descendit les escaliers des combles et avança dans le couloir de l’étage. Alors qu’elle passait devant la porte fermée de la chambre de son fils, elle s'arrêta. Elle se tourna pour lui faire face et se demanda si elle avait la force d’en passer le pat. Cette pièce était restée close depuis que Roméo était tombé malade et elle n’avait pas osé l’ouvrir depuis. Elle posa sa main sur la poignée froide et la tourna avec conviction sachant qu’elle n’avait pas d’autre choix. 

Quand la porte s’ouvrit en grand, elle prit quelques secondes avant d’entrer. Elle alluma la petite lampe qui se trouvait sur la table de chevet et s'assit un instant sur le petit lit d’enfant. Elle prit le coussin à la taie rayée et plongea sa tête à l’intérieur, inspirant profondément les restes de l’odeur de son fils. 

– Je vais te retrouver, murmura-t-elle.                        

Elle se leva et prit la direction du bureau orange décoré de stickers de dragons multicolores. Elle commença à fouiller les tiroirs à la recherche d’un objet inconnu. Elle ouvrit toutes les bandes dessinées, inspecta le dessous de la table et vida chaque étagère. Elle ne trouva rien. Alors elle décida d’aller voir dans l’armoire de Roméo, mais ne trouva que des cailloux dans ses poches. Le dernier endroit qu’elle n’avait pas encore vérifié était son coffre à jouets et quand elle s’accroupit face à lui, elle pria silencieusement pour trouver une réponse. Elle l’ouvrit d’un coup et le vida de tout son contenu, étudiant chaque jeu sous tous les angles pour s’assurer de ne pas passer à côté d’un détail essentiel. Elle avait déjà vidé la quasi-totalité du coffre quand des dessins de Roméo coincés entre la malle et le mur attirèrent son attention. Elle posa au sol le lion en peluche qu’elle tenait et se pencha pour attraper les feuilles volantes. Fort heureusement, elle était déjà assise car ce qu’elle vit l'aurait fait tomber à la renverse. Roméo avait dessiné tout ce qu’il avait rencontré lors de ses voyages à Bruadar, mais ce n’était pas cela qui perturba tant Laura. Elle connaissait cet endroit. Avec les années elle s’était convaincue que cela n’avait été qu’un rêve mais à l’époque elle n’avait pas réussi à se sortir de la tête le géant aux bras hamacs. Elle avait été emmenée par un garçon pendant trois nuits sur une île mais en avait été bannie après avoir tenté de libérer une autre fille se trouvant là-bas. Se pouvait-il que tout ait été réel ? 

La vérité aussi folle soit-elle s’imposait à elle, alors que des murmures s’èlevaient en dessous du lit de Roméo. Laura s’allongea sur le parquet et vit que ceux-ci provenaient d’un petit miroir doré qui avait glissé de la table de chevet.

 

Chapitre 10 : Maison 

 

– Pathétique 

– Vous êtes une mère maintenant, vous ne pourrez jamais faire plus.

– Les métisses ne sont bonnes qu’à se faire belle. 

Prise dans une tempête, les nuages crachaient les phrases que Laura avait dû essuyer au long de sa vie. Les éclairs venaient la frapper comme ses parents l’avaient fait des années auparavant quand elle n’était qu’une petite fille. Terrorisée, réduite à l’état de petite chose sans défense, elle attendait allongée sur le flanc de se réveiller. Elle pleurait, revivant avec la même intensité les événements qui avaient marqué sa vie et l’avait pendant longtemps hanté, l’empêchant de suivre ses rêves. Les violences de sa mère, les mots de son père, les abandons et les attouchements, tout venait la submerger et elle n’avait pas la force de se relever. 

– Laissez-moi, murmurait-elle entre ses sanglots. 

Soudain, elle se retrouva plaquée sur le dos, ses mains serrées maintenues de part et d’autre de sa tête. Écroulé sur elle se trouvait le corps de sa mère, le visage déformé par la fureur, ressemblant davantage à un monstre qu'à un humain. Elle lui hurlait d’une voix grondante qu’elle ne parviendrait à rien dans la vie, qu’elle n’était bonne à rien. Laura secouait la tête, tentant d’échapper à son déferlement de haine. Sentant qu’elle ne pourrait pas s’enfuir, elle se mit à hurler de tout son être, sa voix demeurant sa seule arme contre son assaillant. 

– Hurle autant que tu veux, personne ne t’entendra ici, ricana la bête en enfonçant ses griffes acérées dans la chair tendre de ses poignets. 

Laura hurla encore plus fort en regardant impuissante le sang couler le long de son bras. Quel était ce rêve dont elle était prisonnière ? Pourquoi ne parvenait-elle pas à se réveiller ? Ces questions se répétaient sans cesse dans son esprit. Mais fatiguée et désespérée, Laura laissa ses dernières forces la quitter et cessa de lutter. Autour d’elle, la tornade s’intensifaient, les hurlements augmentaient et le poids du monstre sur sa cage thoracique grandissait. Elle finirait bien par se réveiller, songea-t-elle. 

Mais quelque chose au loin l’appela. Dans la violence du vent et au milieu des cris de rage, une petite voix s'était élevée. Pensant l’avoir imaginée au début, elle ouvrit les yeux à la recherche dans ce paysage apocalyptique d’une confirmation. Sa vision brouillée par ses larmes, elle sonda les alentours mais ne rencontra que des nuages noirs et des éclairs aveuglants. 

Mais la voix l’appela à nouveau, cette fois elle l’avait entendu. 

– Maman, murmurait celle-ci au loin. 

– Roméo ? demanda-t-elle en relevant au prix de nombreux efforts sa tête. 

Alors elle compris, elle avait réussi. Elle avait rejoint Bruadar, cette contrée onirique qui lui avait pris son enfant et bien d’autres avant lui. Rien de tout ce qui l’entourait ne pouvait lui faire de mal sans qu’elle ne se batte, et à cet instant sa détermination ne connaissait pas de limites. Alors elle regarda la bête qui la surplombait, mais cette dernière ne vit plus de peur dans le regard de la jeune femme. Celle-ci avait laissé place à une colère foudroyante et déjà Laura contractait les muscles de ses bras pour se libérer de son emprise. L’expression sur le visage du monstre changea instantanément, passant de la fierté à la panique. Il lançait des regards perdus aux alentours, s’attendant sûrement à voir de l’aide venir mais demeura seul face à sa défaite. Laura retourna le corps difforme qui semblait avoir rapetissé et lui brisa la nuque d’un coup sec, laissant sa dépouille tomber lourdement sur la terre noire. Elle avança d’un pas déterminé vers le mur de nuage qui le séparait de son fils et s'arrêta à l’orée de celui-ci. 

– Je ne suis pas qu’une mère brisée. Je suis celle qui ramènera mon fils, dit-elle pour elle-même. 

Inspirant profondément, elle pénétra dans l’épaisse masse sombre. Dès qu’elle fut complètement entourée par la violence des éléments, ceux-ci redoublèrent  d’intensité pour la freiner dans son avancée ce qui lui indiqua qu’elle allait dans la bonne direction. Elle avançait avec peine à travers les pièges et les attaques du ciel, mais parvenait à se libérer des ronces qui grimpaient le long de ses jambes en lui lacérant la peau. Les éclairs tombaient à ses pieds, tentant de la faire reculer mais rien n’aurait pu l'empêcher d’avancer vers Roméo. 

Au loin des silhouettes noires commencèrent à apparaître et Laura se mit à courir pour les rejoindre. Arrivée à leur hauteur elle constata avec horreur le nombre d’enfants prisonniers de Bruadar. Comment parviendrait-elle à retrouver son fils ? 

Mais alors qu’elle allait avancer au cœur de la foule de corps immobiles une voix s'éleva dans son dos. 

– Je n’aurais jamais cru te revoir ici Laura, grogna Deahman dans son dos. 

Elle se retourna d’un bond pour lui faire face. Elle scruta la bête qui lui faisait face. Il était comme Roméo le lui avait décrit, une énorme tête de lion et de grands yeux qui semblaient la transpercer.

– Je ne vous connais pas, répondit-elle sur la défensive.

Le monstre émit un rire glaçant. 

– Bien sûr, cela fait longtemps… Tu me connais sous une autre forme. 

Sous ses yeux, Deahman se transfigura. Son imposante carrure fut remplacée par celle d’un jeune homme, aux cheveux blonds habillé de feuilles. Laura recula, reconnaissant avec stupeur l’homme qui lui faisait face. 

– Arthur ? articula-t-elle. 

Il lui sourit d’un rictus déformé. C’était le même garçon qui l’avait emmené sur un île merveilleuse quand elle était enfant. En grandissant, elle s’était convaincue que tout cela s’était déroulé dans sa tête, mais maintenant qu’elle se retrouvait à nouveau face à Arthur, elle savait que tout était vrai. 

– Rends-moi mon fils ! lui hurla-t-elle. 

– Tu es moins drôle qu’avant, reprit-il en marchant autour d’elle. Quoique tu as toujours eu cette vilaine manie de vouloir m’enlever mes possessions. 

Laura ne le quittait pas du regard s’attendant à le voir l’attaquer à tout moment. 

– Dit moi ce que tu veux, ajouta-t-elle. Mais laisse-le s’en aller. 

Le jeune homme perdit son sourire et se téléporta face à elle, flottant dans les airs au-dessus de son visage.  

– Ton fils m’appartient ! cria-t-il en serrant ses doigts autour de son cou. 

Laura tomba sur le dos et Arthur s'accroupit sur elle en resserrant son étreinte. 

– Tu n’as rien à faire ici, siffla-t-il. 

Laura suffoquait. La force d’Arthur était surprenante en comparaison avec sa frêle silhouette. Elle tourna la tête, à la recherche de quelque chose pour se défendre et trouva exactement ce dont elle avait besoin. Une des silhouettes avait le visage tourné vers elle et elle reconnut immédiatement les cheveux bouclés de son fils. Elle ne pouvait pas perdre aussi près du but. Elle se rappela alors l’une des premières choses que lui avait apprises Arthur quand elle était venue à Bruadar. Son esprit avait un pouvoir, celui de contrôler le monde qui les entourait. Si elle avait été capable de s’y rendre à nouveau des années plus tard, peut-être qu’elle possédait encore ce pouvoir. Elle ferma les yeux et se concentra sur ce qu’elle voulait projeter. Soudain, les mains de Arthur lachèrent son cou et elle pût respirer librement. En regardant autour d’elle, elle vit le jeune homme allongé écrasé par un arbre. Laura ne perdit pas une seule seconde et se précipita vers Roméo. Arrivée face à lui, elle se mit à genoux et tenta de le serrer dans ses bras, mais son corps de fumée noire se dispersa sous son étreinte. Elle le regarda impuissante, se demandant comment le ramener avec elle. 

– Roméo n’ira nulle part, il appartient à cet endroit, articula Arthur en se relevant avec difficulté. 

Laura avança vers lui avec fureur. 

– Si tu ne le laisses pas partir, je détruirai le miroir à mon réveil et jamais plus aucun enfant ne pourra te rejoindre, le menaça-t-elle. 

Arthur riait aux éclats, ne cachant pas une seconde qu’il se moquait d’elle. 

– Le miroir ne vaut rien, il n’est qu’un moyen comme un autre de les amener à moi. Avec toi les choses avaient été plus simples, tu ne demandais qu’a t’enfuir de ta famille. Mais avec Roméo je devais ruser, le pousser à me trouver. 

Laura l’écouta, réfléchissant en silence à un moyen de le battre. Il pénétrait dans la foule de silhouettes fantomatiques, en déposant sur celles-ci un regard emprunt de dédain. 

– Je devrais sans doute remercier cette chère Moïra de l’avoir caché dans cette valise. Cette idiote pensait tout comme toi qu’il était la source de mon pouvoir et qu’un autre enfant pourrait prendre la place de Maxime. 

Elle comprit alors d’où venait la culpabilité de la vieille femme. C’était elle des années auparavant, qui avait caché la relique dans ses affaires. Elle savait que Bruadar était réel et en désespoir de cause avait laissé pour un autre enfant la clef pour s’y rendre. Son enfant.  

– Maintenant, je me nourris de son esprit un peu plus à chaque instant, ricanna-t-il. Et il est délicieux. 

Laura pivota vers lui. Il venait de se trahir, de révéler son unique point faible. Si c’était lui qui prélevait les âmes des enfants pour se nourrir et faire vivre ce monde alors la seule solution était de le détruire. Laura lévita jusqu’à lui, en pleine possession de son pouvoir elle ne le laisserait plus jamais prendre l’ascendant sur elle. Elle enfonça sa main dans la poitrine du jeune homme et saisit son cœur froid dans le creux de sa main. 

– Que fais-tu ? demanda Arthur en proie à une panique grandissante. 

– Je détruit le cœur de cet endroit. Ton cœur, répondit-elle d’une voix sans vie. 

Désespéré, dans une dernière tentative vaine de se sauver, Arthur s'accrocha autour du bras de Laura qui resserrait son étreinte. Plus elle empoignait son organe de vie et plus les silhouettes noires qui les entouraient s’évaporaient. 

– Tu peux me tuer ici, souffla-t-il, mais je renaitrais. Il y aura toujours des enfants pour me rejoindre. 

Ignorant sa vanité, emplie de haine, Laura resserra encore une fois son étreinte et la vie quitta les yeux du jeune homme, dont le corps disparut en une nuée de flocons argentés. Laura les regarda s’envoler au loin. Autour d’elle, la tempête avait enfin disparu et le silence l’entourait. 

– Maman ? appela une petite voix dans son dos. 

Elle se retourna et vit Roméo, les yeux humides rivés sur elle. Elle sentit le sol se dérober sous ses pieds, alors que son fils courait vers elle. Les genoux contre le sol, il se jeta dans ses bras ouverts et elle le serra contre son corps. Tous les deux pleuraient. Elle avait réussi, elle l’avait retrouvé.  

– Rentrons à la maison mon ange, murmura-t-elle dans l’oreille de Roméo qui hocha la tête. 

 

Epilogue 

 

Une année s’était écoulée depuis que Roméo s'était réveillé, un matin d’hiver, dans le lit médical qu’il occupait depuis bien trop longtemps. Aujourd’hui, la maison était différente. Les cartons avaient été déballés et les murs repeints. Laura avait enfin aménagé son atelier, et ses toiles représentaient désormais des paysages oniriques qu’elle ne montrait à personne. Au centre de l’une d’elles, trônait un lion flamboyant dont le sourire à la fois chaleureux et inquiétant ne la quittait jamais tout à fait. Dans la chambre de Roméo, le miroir n’était plus là. Laura l’avait brisé de ses propres mains le soir du retour de son fils. Même si Arthur lui avait assuré qu’il n’avait aucune importance, son pouvoir s’étendant au-delà des limites physiques de la relique, elle avait eu besoin de ce geste pour clore ce chapitre de leur vie. Ses morceaux, cependant, reposaient au fond d’un coffre dans le grenier sous une épaisse couverture de velours. 

 

Assis dans le jardin, Roméo jouait avec le petit train en bois que lui avait offert Maxime suite à son réveil inespéré. La lumière du soleil lui réchauffait le visage, et le monde semblait plus vivant qu’il ne l’avait jamais été. Laura, installée sur un banc près de lui, l’observait en silence. Elle se demandait souvent si son fils se souvenait de Bruadar, s’il gardait en lui des bribes de cet autre monde. Mais elle n’avait jamais osé lui poser la question. Elle craignait sa réponse, qu’elle soit un oui ou un non. 

– Maman, finit par demander Roméo, interrompant ses pensées. 

Elle releva la tête, un sourire posé sur les lèvres. 

– Est-ce-que tu crois que les rêves peuvent devenir réels ? 

La question fit battre son cœur plus fort, mais elle garda son calme en surface. 

– Je crois, répondit-elle doucement, que les rêves sont une part de nous. Ils ne disparaissent jamais vraiment. 

Roméo hocha la tête et la leva vers le ciel d’azur. Ses yeux suivaient un nuage en forme de dragon qui glissait lentement à l’horizon. 

– Je crois que Bruadar me manque parfois, murmura-t-il. 

Un frisson parcouru l’échine de sa mère. 

– C’était beau tu sais ? ajouta-t-il sans la regarder. 

Il posa son jouet sur ses genoux et tourna la tête vers sa mère et sourit doucement. 

– Il m’a promis de ne plus revenir, dit-il. 

Mais dans ses yeux, Laura aperçut un éclat doré, vestige du monde qu’il avait quitté.

– C’est fini maman, je le sais. 

Et pour la première fois depuis longtemps, Laura sentit une paix profonde l’envahir. Elle se leva, s’approcha de son fils, et déposa un baiser sur son front. 

– Alors c’est tout ce qui compte, répondit-elle en le serrant dans ses bras. 

Au loin, un vent doux se leva, faisant danser les feuilles des arbres. Roméo ferma les yeux un instant, imaginant des lapins aux couleurs arc-en-ciel sautant parmi les buissons. Mais lorsqu’il les rouvrit, il n’y avait que le jardin, la lumière, et l’amour de sa mère. 

Et cela suffisait amplement. 

Dans le grenier, bien à l’abri, les morceaux du miroir doré vibraient faiblement, renvoyant l’éclat d’un autre monde. 





 

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LogistiX
Posté le 11/01/2025
Bonjour Laura,

J'ai pris le temps de lire la nouvelle, voilà mes retours.

J'aime beaucoup l'idée et le scenario : un monde magique qui a besoin d'énergie pour s'alimenter, et qui attire donc les enfants. Alors évidemment, le concept d'un enfant de six ans qui se fait manipuler, piéger et emprisonner, ça peut mettre mal à l'aise, même avec le happy ending. Mais je maintiens que l'idée est intéressante à explorer.

J'ai cependant noté quelques petites incohérences scénaristiques :
- Quand j'achète une maison pour déménager, je m'attends à ce que la maison soit vide. Donc qu'il n'y ait rien dans le grenier. Y a-t-il une raison ? À la limite s'ils étaient en location je me poserai moins de questions.
- Roméo posait le miroir face à son lit à chaque fois avant d'aller se coucher. Comment se fait-il que ses parents ne soient pas tombés immédiatement dessus ? Quand on y réfléchit, si c'est le cas, ils identifient tout de suite que ça ne leur appartient pas, ils confrontent la mamie... l'histoire s'accélère.

Au niveau du style, je trouve que l'histoire est fluide, mais il y a quelque chose qui m'a chiffonné pendant la lecture, et j'ai mis du temps à mettre le doigt dessus. On voit tout le début de l'histoire par les yeux de Roméo, mais le style ne reflète pas vraiment le point de vue d'un enfant de six ans. Les descriptions sont longues, Roméo comprend tout ce qu'il se passe, etc... Ça m'a perturbé parce que quand tu as basculé du point de vue de Laura, le style n'a pas changé.
Alors je t'accorde que le point de vue d'un enfant de six ans, c'est difficile (je pense que je ne sais pas faire) : ça demande d'adapter le vocabulaire, les tournures de phrase, etc... Une autre solution c'est d'utiliser un narrateur extérieur, auquel cas tu ne peux pas rentrer dans ses pensées. Mais l'entre deux m'a laissé un sentiment étrange.

Ce sont vraiment les deux grands points que je veux relever. Je peux aussi te suggérer de casser le texte par chapitre pour faciliter la relecture par les autres Plumes. 12k mots, c'est intimidant. En plus, ça permettrait de te faire des retours plus précis.

Je pense que ton histoire a un vrai potentiel. J'espère que mon commentaire pourra te donner des éléments de réponse aux interrogations que tu as formulé sur le Discord, même si ça ne reste que le point de vue d'un duvet inexpérimenté ^_^"

LX
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