Demain, j’aurais 18 ans. Cela a surpris une des bonnes sœurs a qui je l’ai révélé, tout à l’heure. Avec étonnement, elle m’a répondu « mais tu es encore un enfant ! On ne dirait pas. », puis elle est partie assez précipitemment. Peut-être qu’elle a a réfléchir sur le fait de m’avoir embrassé quelques jours auparavant ?
Je sais bien que je serai majeur dans trois ans, mais tout ceci me semble absurde. Je suis interdit de mariage, mais ma mère m’a eu alors qu’elle était plus jeune que moi. Je suis interdit de « contrat contraignants », et pourtant n’importe quel employeur se jettera sur ma candidature en espérant avoir quelqu’un de bien portant à moindre coût. Tout cela n’a pas de sens, et ne représente rien. Je suis bien plus responsable de ma vie aujourd’hui que le pilier de bar de trente ans mon ainé.
Pour me changer les idées, je suis allé promener Richard sur les rives de la Shannon river. Est-ce que ça faisait longtemps que je n’étais pas sorti ? Mais j’ai senti un air doux me pousser dans le dos. Nous sommes encore en hiver, il est vrai, mais le temps s’adoucit peu à peu, et des fleurs violettes ont commencé à pousser autour de la rivière et mêlé à l’agitation de la ville, il me semble que la torpeur du froid et de la neige commence à partir pour cette année. Jamais mon anniversaire m’avait semblé à ce point être le renouveau de quelque chose.
Même Richard me semble plus énergique que d’habitude. Je me suis assis au bord de l’eau, peu après le château du Roi John, et il a tenté de me sauter dessus alors que j’écrivais. Voilà qu’il tente maintenant de remonter le courant, comme si l’eau n’était pas glaciale… Ah Richard, toi aussi tu te languis du beau temps, hein ?
Je commence à penser que cela fait trop longtemps que je profite de la tranquilité et de la légèreté de Limerick, ainsi que de l’hospitalité des bonnes sœurs. Ce qui devait être un abri temporaire contre le froid est devenu un mode de vie. J’embrasse les bonnes sœurs, j’aide leurs patients, j’admire l’immense cathédrale de Sainte Marie, reprise par les protestants de la ville. Je connais les parcs, les pubs, les bonnes adresses où manger et jouer de la musique. C’est apaisant, certes mais… et cette rivière, où mène-t-elle ? Et ce vent, quand est-ce qu’il s’arrêtera de souffler ?
Il m’a été dit, il y a queques temps, que j’admire là le plus grand fleuve de l’Irlande, traversant le pays du nord jusqu’à l’ouest. C’est ici que sa course prend fin, mais si je remontais sa pente, j’arriverai jusqu’en Ulster… Cet ulster qui me faisait si peur, dont j’étais si proche à Dublin, et qui maintenant me fait tant envie ! Et pourtant, Limerick est si belle, et j’y suis si bien… Pourquoi ne puis-je tout simplement pas y rester ?
Alors que j’essayais de dessiner les courbes de Shannons se profilant jusqu’à l’horizon, un homme s’est approché de moi, coupant court mes pensées :
« Et bien alors ? Toi aussi, tu cherches la sagesse ? »
Ne comprenant pas, je lui ait demandé de m’expliquer. Et il m’a raconté, alors. Son fils était passionné de ce long fleuve coupant Limerick en deux. On lui avait expliqué ce qui se raconte par ici ; à l’origine la rivière n’existait pas et il n’y avait qu’un puit, au nord de l’Irlande, reliant l’Autre Monde et le notre. A l’intérieur de ce puit avait poussé un noisetier à 9 branches, qui laissait tomber ses fruits dans l’eau ; c’était l’arbre de la sagesse et de la connaissance. Seulement, dès que les noisettes tombaient de l’arbre, elles étaient immédiatement mangées par les saumons du puit, ce qui fit des poissons les êtres les plus sages et les plus instruit de toute l’Irlande, loin devant les druides et les Dieux. Vexée, une petite fille de Lir… Quoi, encore Lir ?! Combien de petits-enfants il a, celui-là ?
Evidemment, l’homme ne peut pas savoir quel rapport j’ai pu entretenir avec ce vieux fou. Après lui avoir promis que je lui raconterai en retour mon histoire, il a continué. Sionnan, le nom de cette déesse, est partie en quête de la sagesse au puit de la connaissance. Elle rêvait de transmettre tout ce savoir caché aux peuple d’Irlande sous toutes ses formes, et pour ça elle n’a pas hésité à braver les dangers et parcourir l’île d’Emeraude en long et en large. En tant que petite fille du dieu de la mer, elle avait une affinité avec l’eau et elle supposa ne rien risquer quand elle rentra en contact avec l’eau du puit ; Seulement en agissant de la sorte elle brisa un interdit et une magie puissante la transforma en cette immense rivière prenant source de ce fameux puit, devenu désormais le lac de Siannon. Mais tout ne fut pas perdu pour elle ; car cette transformation lui a quand même permi d’atteindre son but. Car cette rivière libéra les saumons emprisonnés dans le puit, et les hommes mangèrent le poisson empli de sagesse. Si bien qu’eux-même reçurent une petite partie de l’inspiration donnée par le fruit de la connaissance.
C’est une bien belle histoire. C’est ce que j’ai dit à l’homme qui me l’a raconté. Mais quel était le rapport avec son fils ? Eh bien, son fils était si passionné du fleuve, qu’il est tombé amoureux de la déesse. Et un jour, en quête de sagesse et persuadé qu’il serait capable, avec l’aide du fruit de la connaissance, de libérer Sionnan de son maléfice… Il a quitté Limerick en suivant le cours d’eau.
« Il n’est pas si bête que ça, mon fils. Je pense que c’était simplement une excuse. Il n’avait jamais eu envie de se marier, et sa mère commençait à lui présenter des partis… Il ne l’a pas supporté, et pour ne pas lui briser le cœur, il lui a trouvé une affabulation romantique. Mais c’est vrai qu’il a toujours adoré cette rivière. J’espère qu’il va bien, aujourd’hui. Et qu’il a trouvé la sagesse, désormais. »
Je n’ai pas su quoi répondre. L’homme ne s’en est pas soucié, il s’est assis à côté de moi et a regardé vers l’horizon également. Richard faisait fuir les poissons du bord de la rive sans aucune grâce. Tout était tranquille, et l’homme à mes côtés semblait si mélancolique. Je ne sais peut être pas quels seront les mots qui pourront le réconforter, mais j’ai un whistle donné par un leprechaun et une histoire sur le dieu Lir à lui raconter… Un bel air lui égaierait peut être le cœur ?
Je ne pourrai pas attendre la fin de l’hiver pour quitter Limerick. Il va falloir moi aussi que je prépare les bonnes sœurs à mon départ prochain avec de belles histoires. Si tous les jeunes irlandais font ça, c’est peut-être avec raison, non ?