Samedi 12 Décembre 1818 - Leprechaun Slide

Par Pouiny
Notes de l’auteur : Musique de référence : https://youtu.be/2J269PHxRz8?si=McgwToI6dpj5bx0K
C'est un slide qui peut également s'appeler "The Leprechaun", dont le rapport avec le chapitre d'aujourd'hui !

Les nuits deviennent de plus en plus dures à supporter. L’humidité galvanise le froid de la nuit et même la chaleur d’un feu me suffit pas à trouver assez de confort pour m’endormir. Heureusement que Richard est là pour s’endormir près de moi ! Nous grelottons ensemble jusqu’au lever du jour. Je pense qu’il va falloir que je trouve une solution, ou au moins un repli pour l’hiver, si je veux pouvoir vivre assez longtemps pour continuer ce voyage ! Je m’approche à grands pas de Limerick, la grande ville du comté. Peut-être qu’avec un peu de travail, je pourrais trouver une maison à louer au moins jusqu’à la fin de l’hiver, mais le problème c’est que mes poches sont à nouveau vide de pièce…

 

Enfin, ce sera un problème pour un autre soir ! Pour l’heure, j’ai une histoire à retranscrire ici. J’ai passé une bonne partie de ma journée à marcher en forêt sous les arbres dénudés. Un ciel gris, des buissons et des touffes d’herbes folles bleuies par un léger givre, alors qu’un minuscule ruisseau serpentait dans la boue près du chemin. Quoi de plus que l’Irlande à chacun de mes pas, en somme ? Quand tout à coup, le vent a porté une musique qui n’était pas le chant des rouge-gorge ni le grincement du héron. Non, c’était bien le son d’un fiddle qui se promenait là sur le sentier des bois. Cela faisait quelques jours déjà que je n’avais croisé personne et je me doutais bien que ce ne serait pas un humain ordinaire qui jouerai ici, à un tel endroit, à une telle heure. C’est donc le cœur préparé au merveilleux que j’ai bifurqué vers la musique. Qu’est-ce que ce serait, cette fois ? Une fée, un autre Pùca ?

 

Difficile de trouver le fiddle responsable du slide qui se dansait là. Le son semblait diffu, comme s’il était porté par tous les arbres à la fois. Après avoir négocié avec plusieurs orties et quelques pattes de loup, alors que je pensais que je ne trouverai jamais, Richard parti en flèche en s’enfonçant davantage dans la forêt. Je le suivi tant bien que mal, jusqu’à ce que l’on reste coi devant un arbre gigantesque. Un vénérable chêne orangé, dont certaines branches se permettaient de chatouiller le sol alors que les plus hautes venaient certainement taquiner le ciel. Aussi grand que large, et aussi large que beau… Et c’était de lui que venait ce merveilleux son de fiddle. La peur de m’approcher trop près, de déranger le décors au point de briser l’équilibre m’empêcha d’approcher, si bien que je me suis pris à penser que c’était l’arbre lui-même, ou peut-être son esprit, qui offrait un concert à la forêt. Quand j’ai sortir d’un renfoncement de l’écorce un petit chapeau haut-de-forme vert. En contrebas, de minuscules chaussures étaient éparpillées entre les immenses racines de l’arbre. C’est alors que j’ai compris qui était en train de jouer à répondre aux oiseaux de la forêt.

 

Je me suis assis afin de pouvoir mieux l’apercevoir, et surtout pour ne pas lui paraître trop grand. Et il est légèrement sorti du trou de son arbre, se dévoilant entièrement à moi. C’était un  leipreachán. Grand-père m’a raconté tant et tant d’histoire à leur sujet ! On dit que ce sont d’irascible solitaire reclu dans leur forêt, gardant précieusement dans des chaudrons de cuisine les richesses que les hommes ont perdu et enterrés durant les guerres. Ce sont les cordonniers des fées, maîtres des sous-sols, des forêts denses, des grottes et toutes sortes d’endroit où les humains ne peuvent vivre. Il m’a surtout dit « si tu en croises un, n’essaie surtout pas de lui faire les poches ; ses pièces d’argents retourneront toujours dans sa poche, tandis que celles en or deviendront de glaise au lever du jour. En revanche… si tu vas assez vite pour le capturer, il pourra exaucer un de tes souhaits ! Ce ne sont pas de bons esprits et ils détestent les humains, mais avec un peu de malice ils pourront combler ta vie de bonheur ».

 

J’ai longuement regardé celui là, sans cligner des yeux de peur qu’il disparaisse. L’énorme wolfhound faisait de même, assis bien droit sur ses pattes, immobile comme jamais je ne l’avais vu auparavant. Je me suis approché, très lentement. Il continuait de jouer de son minuscule fiddle sans donner même l’impression qu’il m’avait aperçu. Et tandis que son slide défilait, se déformait dans une improvisation virtuose, je me disais qu’il n’était qu’à une portée de moi. Aussi petit que ma main, il me suffisait juste d’un geste brusque… De le saisir… et ainsi, la musique s’arrêterait, et mes vœux, peut-être, de savoir, de connaissance et de richesse, seront exaucés.

 

Mais voilà. La nuit est tombée, le fiddle s’est depuis longtemps arrêté de jouer, et je n’ai pas attrapé le leprechaun. J’ai allumé un feu de camp peu après l’arbre une fois qu’il fut parti, et j’ai offert à Richard un surplus de lapin en récompense. Comment j’aurais pu mettre fin à un tel spectacle, et risquer de blesser un être aussi merveilleux ? On les dit bougon et désagréable, mais celui-là faisait une mélodie si joyeuse et si dansante… Peut-être que les leipreacháns sont simplement usés de l’avidité égoïste des humains ?

 

Et de toute manière, qu’aurai-je pu souhaiter à cet être ? Je mène déjà la vie que je souhaite. Demander de l’argent ? A tous les coups, ça se serait retourné contre moi et les sasanachs m’auraient coincé en prison en me pensant voleur. Et qui se serait occupé de mon chien ? Non, quand on voyage, il vaut mieux posséder le moins possible et ne s’attacher à rien. J’aurais beaucoup aimé lui parler cependant, lui poser tant de question sur son monde et son peuple. Ou peut-être que j’aurais pu lui demander de belles chaussures ? C’est vrai que les miennes vont de mal en pis… Mais une telle demande est si triviale, ça ne méritait pas une menace sur sa vie ou sa liberté. C’est trop cruel ! Tant pis si mon grand-père est déçu, je ne suis décidément pas un homme d’action ; je préfère observer, et profiter de ma liberté, et celle des autres…

 

 

Je ne donne rien à ceux qui demandent de l’or, mais toi qui voulais du savoir, je ne peux pas me permettre de te laisser partir aussi bête. Et ne t’avises pas de faire trainer ces chaussures n’importe où !

 

 

Mon Dieu. Nous sommes le lendemain à l’aurore. J’ai curieusement bien dormi, et Richard ne s’est pas encore réveillé. Mon carnet était ouvert à cette page, alors que je suis certain de l’avoir refermé et scellé la veille après avoir écrit.  Et a côté du carnet… de magnifiques chaussures de cuir, avec une semelle épaisse et une large reliure. Sur le côté de la chaussure droite, un violon a été gravé, comme une sorte de signature. Et à l’intérieur de la chaussure gauche trône un petit whistle de bois. Un whistle finement taillé dans du buis, remarquablement bien biseauté et dont le corps a été légèrement noirci par une brûlure contrôlée et gravé. Cette fois-ci, c’est une feuille de chêne que l’on peut voir se dessiner. Je l’ai essayé ; c’est le plus beau son que je n’ai jamais entendu sortir d’un whistle. Les larmes me sont immédiatement monté aux yeux… Je ne possède pas grand-chose, mais avant de partir je laisserai mes vieilles chaussures dans la forêt, et je mettrais dedans mon vieux whistle ainsi que la pièce d’or que m’avait laissée Eilís. Le cuir est usé, le bois est rodé, mais je prierai pour que tout cela lui plaise, et qu’il puisse le garder à jamais ou le transformer à loisir.

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