Ah, qu’il est bon de retourner à la civilisation ! Je n’ai pas pris le temps d’écrire mes aventures jusque-là ; il faut dire qu’à partir du moment où j’ai atteint Ballyvaughan, j’ai l’impression que le temps s’est soudainement accéléré et que les heures passaient en un claquement de doigt. Mais j’ai quitté le Burren sans regret, bien que je garderais toujours ces plaines dans mon cœur, malgré la souffrance qu’elles ont pu me causer. J’ai pu réparer ma boussole au petit village et après quelques jours de repos, j’ai repris ma route en suivant la côte vers le nord. Nous avons marché avec Richard… jusqu’à aujourd’hui, ou nous avons atteint non sans mal la grande ville de Galway !
Heureusement que nous sommes retournés dans les interactions sociales progressivement au fil de la route, car je crois que même le grand chien avait perdu l’habitude des humains après tant de jour à vagabonder sans limite dans les plaines sans fin. Et le port de Galway était noir de monde ! Je ne me suis pas attardé. Après tant de jours de marche, j’avoue que je n’avais plus qu’une envie : mettre mes pieds nus dans l’eau salée. Cela tombait bien, car après quelques discussions sur la grande place, j’ai cru comprendre que la baie de Galway était particulièrement réputée.
J’ai longtemps hésité avec un bon pub et de la musique, je l’avoue. Mais Richard était si fébrile en ville qu’il a fait pencher la balance. Nous voilà ainsi, devant le coucher de soleil blanchissant la mer à nos pieds. Les paysages est magnifique, certes ; mais les galets sont durs et l’eau me donne soif. Ça n’arrête pas le grand lévrier qui s’est mis en tête de poursuivre les vagues et mordre la houle.
La mer est agitée et bien que les galets donnent envie de ricocher, c’est définitivement peine perdue. Je me fais passer pour plus romantique que je ne le suis vraiment à faire semblant d’admirer le coucher de soleil sur la plage et soupirer comme si c’était la plus belle chose que j’avais pu voir de ma vie. En vérité, le décor est assez proche de ce que je pouvais me plaire à observer depuis les baies de Dublin. Même si ici, je redécouvre à l’horizon les îles d’Aran. A nouveau je me perds dans mes rêveries en devinant cette fois-ci face à moi la plus grande des îles de l’archipel, Inis Mór. Y irai-je ? Qu’y verrai-je ? Et comment traverser une mer aussi peu hospitalière ? Mais bientôt mon regard a dérivé autour de moi, comme si je cherchais comment m’occuper. Et je viens de voir à l’instant une jeune fille s’assoir non loin de moi, chantonnant une petite mélodie qui m’est inconnue. C’est sa main qui a attiré mon regard ; une étrange bague a sa main droite, dont les rayons de soleil faisaient scintiller l’or. Je n’ai rien de mieux à faire, et elle a réussi avec toute son innocence à attiser ma curiosité. Posons un peu le carnet, peut-être que j’y reviendrais avec une nouvelle histoire à raconter.
Le voyage a peut-être affuté mon flair. Je me doutais que j’aurais sûrement quelque chose à tirer de cette rencontre, mais je ne m’attendais pas à tant ! A peine approché, je lui ai vite demandé quel était cet anneau qu’elle portait à son doigt et qu’est-ce qu’il représentait. Elle était très fière de me montrer ce magnifique bijou de famille, hérité de son aïeule. J’ai eu droit à tout l’historique du clan Joyce de la ville de Galway ! Seulement, je dois dire que c’est surtout l’histoire de son anneau qui a gardé mon attention. Sa bague est vraiment unique ; un cœur orné d’une couronne trône en son centre, tenu par deux mains de chaque côté. Elle m’a expliqué qu’il y a longtemps, son aïleul Richard Joyce était tombé amoureux d’une fille dont il n’avait pas obtenu la main mais dont il avait fait la promesse d’épouser. Mais en ce temps-là le travail était dur en Irlande ; il dut quitter l’île pour en rejoindre d’autres de l’autre côté de l’océan, espérant revenir victorieux et riche au pays afin de la couvrir d’or. Seulement, tout ne s’est pas passé comme prévu dans les caraïbes ; bientôt il fut capturé par des marchands d’esclave qui l’ont vendu a un forgeron d’Alger, quelque part en Afrique. L’ancêtre ne se dégonfla pas et travailla d’arrache-pied chez son nouveau maître, jusqu’à maîtriser l’entièreté des techniques d’artisan de la forge. Pendant ce temps-là, les îles britanniques vécurent l’un des plus grands bouleversements de leur histoire ; le Roi Jacques II d’Angleterre, a qui la couronne revenait de droit, fut renversé par un étranger du Nord du nom de William d’Orange, a fin de mettre fin a la dynastie catholique qui s’installait. Si ce conflit fut l’un des plus grands désespoirs dans la vie des irlandais selon Grand-père, ce fut un sauvetage pour l’aïeul Joyce, car le nouveau Roi envoya immédiatement une lettre à Alger afin que soit relâché les esclaves venant de son royaume. De joie, il passa la nuit entière à confectionner cette bague que j’ai pu observer aujourd’hui. Son ancien propriétaire l’aimait tant qu’il tenta de le garder en lui promettant sa richesse ainsi que la main de sa fille, mais avec respect pour celui qui lui avait tout appris, il refusa poliment et s’en alla retrouver celui a qui il avait promis son cœur a Galway. Avec les cadeaux du forgeron et son nouveau savoir-faire, il demanda la main de sa promise avec cet anneau et en déclarant : « Let love and friendship reign ! » Que l’amour et l’amitié règnent !
Aujourd’hui, cet anneau est transmis de génération en génération dans le grand Clan Joyce de Galway. S’est même créé, selon la jeune fille, un symbole dans la façon de le porter. Celui qui porte l’anneau à la main droite n’a pas encore connu l’engagement. Si le cœur pointe vers l’extrémité des doigts, la personne cherche l’amour. Si la cœur pointe vers soi… eh bien, même sans engagement, quelqu’un a capturé le cœur de celui qui le porte, et restera fermé à tout ceux qui se présenteront. J’ai alors prêté attention au sens de la bague ; le cœur pointait vers son sourire radieux. Dommage pour moi ! Je lui ai alors demandé qui avait alors la chance d’avoir son amour. Mais avec un sourire, elle m’a simplement répondu « c’est une histoire que je garderai pour moi ! »
J’ai bien tenté de lui promettre ce que j’avais sur moi, j’ai même tenté de négocier Richard ! Mais rien à faire, son silence mystérieux est resté jusqu’à la tombée de la nuit. Je n’eus que pour toute histoire supplémentaire le chant qu’elle tenait de sa mère parlant de cet anneau. Une belle chanson au demeurant, si bien que je suis quand même gagnant soir…
The old Claddagh ring it belonged to my grandmother
She wore it a lifetime and gave it to me
on her worn finger she wore it so proudly
‘Twas made where the Claddagh rolls down to the sea.
What tales it could tell of trials and hardships
And the grand happy days when the whole world would sing
Away with your sorrow, ’twill bring life tomorrow
Being everyone loves it, the old Claddagh ring.