Samedi 28 Août 1819 - The Wild Rover

Par Pouiny
Notes de l’auteur : Musique de référence : https://youtu.be/QDxnfTjL-AE?si=cTyl5XvQyywJjdgQ

Ah, je ne m’attendais pas d’être aussi heureux de reconnaître ces bonnes vieilles rues sales ! Cela fait quelques jours maintenant que je suis rentré à Dublin. J’ai retrouvé les pubs, les rues, le port… Et ma famille, bien entendu.

 

Marty a beaucoup grandi en mon absence. Il me dépasserait presque ! Il a gagné en cernes, également. Quelque chose dans son visage s’est durci, devenu plus anguleux, peut-être. Et puis ma mère, que j’ai chaleureusement embrassé. Je lui ai si souvent écrit, je ne pensais pas que cela me ferait si étrange de la retrouver ! Elle connaissait mes histoires mieux que moi-même, je n’avais quasiment rien à lui raconter. J’avais peur qu’elle refuse Richard et le laisse sur le pallier, mais il avait déjà droit à sa couverture tricotée avec soin et une gamelle sale sous la fenêtre.

 

Et puis… Mon père. Allongé dans son lit, avec l’interdiction formelle de bouger. Il refuse que quiconque a part ma mère s’approche, pour nous protéger, dit-il. Autour de lui, trop de bouteilles vides. Elles ne me feront pas plus de mal, qu’il rajoute. Je l’ai salué respectueusement et il eut presque l’air surpris de me voir. Mais nos rapports se sont arrêtés là.

 

J’ai retrouvé ma chambre qui était aussi miteuse qu’au premier jour. Sans rire, je pense avoir dormi dans des Rambling house qui menaçaient moins de s’écrouler. Mais j’ai pu y ranger précieusement ma carte, ma boussole, mon whistle… et cacher mes chaussures. A quoi me servirait un tel bijou de cordonnerie si c’est pour les user sur de vieux pavés et se les faire voler au pub ou les perdre à une partie de carte ? Il va falloir que je me rachète une paire plus conventionnelle.

 

Malgré tout, ça reste un plaisir de les retrouver. Un plaisir étrange, mais un plaisir tout de même. Bien que, en traversant le salon, je crus presque voir la chaise a bascule s’agiter a côté de la fenêtre… Je n’avais pas pris le temps de réaliser qu’il ne serait pas là pour m’écouter raconter mes aventures. En vérité, il n’y a que lui que cela aurait véritablement intéressé.

 

Marty a vite repris ses vieilles habitudes, de me trainer dans tous les pubs de Dublin. Parfois pour boire, parfois pour jouer de la musique. Désormais il y pas au moins une fois par jour, avant ou après son travail. Il m’a proposé de travailler avec lui à la rénovation des quais, mais j’ai poliment refusé. Je ne sais pas s’il a bien compris pourquoi, parce que moi non plus je ne saurais trop justifier mon refus. Mais je voulais tenter ma chance dans un métier qui propose d’être avec des animaux. Je ne peux pas être paysan a Dublin, mais si je m’occupais des chevaux des calèches… Je pense que mon retour ici serait moins amer.

 

J’ai hésité à continuer à écrire dans ce carnet. Après tout ce devait être un carnet de voyage, réservé à mes péripéties, les contes, la musique, l’aventure et la découverte. Mais je n’arrivais tout simplement pas à me résoudre à le cacher dans un placard. Il m’a apporté tant de réconfort quand j’étais seul, et écrire est devenu une sacrée habitude… Alors je me suis dit que j’allais continuer, au moins pour un temps, si l’inspiration venait. Et elle est venue aujourd’hui.

 

Car aujourd’hui c’était le jour de congé de Marty et nous sommes allés dans son pub préféré, le Byrnes. On y est allé si souvent, durant toutes ces années, je ne sais pas ce qui s’est passé dans ma tête, j’ai cru y être encore un habitué. J’ai demandé à boire à l’œil, comme on pouvait le faire parfois avec Marty en sachant parfaitement que le remboursement se ferait dans la soirée a force de jouer. Mais je me suis fait salement rembarré par la tenancière ! En éclatant de rire, Marty a sorti ses pièces et l’incident fut vite oublié. Mais cet incident du l’inspirer, car toujours en riant, il entonna :

 

I've been a wild rover for many's the year

I've spent all me money on whiskey and beer

But now I'm returning with gold in great store

And I swear I will play the wild rover no more

 

Que sa voix a muri en un an ! Il ne fallut pas une minute pour que tous les regards soient braqués sur nous, amusés et intrigués. En une fraction de seconde, Marty trouva un refrain (ou peut-être l’avait-t-il déjà entendu ?) court et accrocheur qui fut bientôt repris en cœur par quasiment tout le monde. Cela faisait vibrer les murs en bois et les verres sur les tables. Et l’émotion me prit, naturellement, car quelle autre ville que Dublin peut accueillir autant de poivrot chanteur en même temps dans une seule soirée ?

 

And it's no, nay, never

No, nay, never, no more

Will I play the wild rover

No, never, no more

 

Et en chantant ça, Marty me regardait avec un air moqueur et un sourire crispé. Comme s’il me défiait de prendre la parole, comme si ce refrain repris en chœur était à charge contre moi. Il avait l’air de me défier, et il me poussa même de l’épaule comme pour me secouer. Mais je n’ai rien dit. Devant la bonne humeur générale, je me suis incliné. J’ai bu ma bière, et je suis parti. Qui aurait dit qu’un jour je me défilerais devant une bonne musique et une tournée générale ?

 

I'll go home to my parents, confess what I've done

And I'll ask them to pardon their prodigal son

And when they've caressed me as oft' times before

Then I never will play the wild rover no more

 

Je suis rentré seul, sobre, avant même la tombée de la nuit. Pour dire, même mon père semblait surpris, du fond de son lit dans la chambre au fond de la pièce. Mais je crois qu’après avoir passé tant de temps en solitaire, entre les lacs, les montagnes et les plaines, il va me falloir du temps pour me réhabituer à cette chaleur électrique des rues pressées de la grande ville. Le monde ne s’est pas arrêté de tourner alors que j’étais absent, et même sobre, Dublin file à vive allure.

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